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LETTRE ENCYCLIQUE
CARITAS IN VERITATE
DU SOUVERAIN PONTIFE
BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
AUX FIDÈLES LAÏCS
ET À TOUS LES HOMMES
DE BONNE VOLONTÉ
SUR LE DÉVELOPPEMENT
HUMAIN INTÉGRAL
DANS LA CHARITÉ ET DANS LA VÉRITÉ


INTRODUCTION
1. L’amour dans la vérité (Caritas in veritate), dont Jésus s’est fait le témoin dans sa vie terrestre
et surtout par sa mort et sa résurrection, est la force dynamique essentielle du vrai développement
de chaque personne et de l’humanité tout entière. L’amour – « caritas » – est une force
extraordinaire qui pousse les personnes à s’engager avec courage et générosité dans le domaine
de la justice et de la paix. C’est une force qui a son origine en Dieu, Amour éternel et Vérité
absolue. Chacun trouve son bien en adhérant, pour le réaliser pleinement, au projet que Dieu a
sur lui: en effet, il trouve dans ce projet sa propre vérité et c’est en adhérant à cette vérité qu’il
devient libre (cf. Jn 8, 22). Défendre la vérité, la proposer avec humilité et conviction et en témoigner
dans la vie sont par conséquent des formes exigeantes et irremplaçables de la charité.
En effet, celle-ci « trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1 Co 13, 6). Toute personne expérimente
en elle un élan pour aimer de manière authentique: l’amour et la vérité ne l’abandonnent jamais
totalement, parce qu’il s’agit là de la vocation déposée par Dieu dans le coeur et dans l’esprit de
chaque homme. Jésus Christ purifie et libère de nos pauvretés humaines la recherche de
l’amour et de la vérité et il nous révèle en plénitude l’initiative d’amour ainsi que le projet de la
vie vraie que Dieu a préparée pour nous. Dans le Christ, l’amour dans la vérité devient le Visage
de sa Personne. C’est notre vocation d’aimer nos frères dans la vérité de son dessein. Luimême,
en effet, est la Vérité (cf. Jn 14, 6).

2. La charité est la voie maîtresse de la doctrine sociale de l’Église. Toute responsabilité et
tout engagement définis par cette doctrine sont imprégnés de l’amour qui, selon l’enseignement
du Christ, est la synthèse de toute la Loi (cf. Mt 22, 36-40). L’amour donne une substance
authentique à la relation personnelle avec Dieu et avec le prochain. Il est le principe non seulement
des micro-relations: rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des
macro-relations: rapports sociaux, économiques, politiques. Pour l’Église – instruite par
l’Évangile –, l’amour est tout parce que, comme l’enseigne saint Jean (cf. 1 Jn 4, 8.16) et
comme je l’ai rappelé dans ma première Lettre encyclique, « Dieu est amour » (Deus caritas est):
tout provient de l’amour de Dieu, par lui tout prend forme et tout tend vers lui. L’amour est le don le plus
grand que Dieu ait fait aux hommes, il est sa promesse et notre espérance.
Je suis conscient des dévoiements et des pertes de sens qui ont marqué et qui marquent
encore la charité, avec le risque conséquent de la comprendre de manière erronée, de l’exclure
de la vie morale et, dans tous les cas, d’en empêcher la juste mise en valeur. Dans les domaines
social, juridique, culturel, politique, économique, c’est-à-dire dans les contextes les plus exposés
à ce danger, il n’est pas rare qu’elle soit déclarée incapable d’interpréter et d’orienter les responsabilités
morales. De là, découle la nécessité de conjuguer l’amour avec la vérité non seulement
selon la direction indiquée par saint Paul: celle de la « veritas in caritate » (Ep 4, 15), mais aussi,
dans celle inverse et complémentaire, de la « caritas in veritate ». La vérité doit être cherchée,
découverte et exprimée dans l’ « économie » de l’amour, mais l’amour à son tour doit être
compris, vérifié et pratiqué à la lumière de la vérité. Nous aurons ainsi non seulement rendu
service à l’amour, illuminé par la vérité, mais nous aurons aussi contribué à rendre crédible la
vérité en en montrant le pouvoir d’authentification et de persuasion dans le concret de la vie
sociale. Ce qui, aujourd’hui, n’est pas rien compte tenu du contexte social et culturel présent
qui relativise la vérité, s’en désintéresse souvent ou s’y montre réticent.
3. Par son lien étroit avec la vérité, l’amour peut être reconnu comme une expression authentique
d’humanité et comme un élément d’importance fondamentale dans les relations humaines,
même de nature publique. Ce n’est que dans la vérité que l’amour resplendit et qu’il peut être vécu
avec authenticité. La vérité est une lumière qui donne sens et valeur à l’amour. Cette lumière
est, en même temps, celle de la raison et de la foi, par laquelle l’intelligence parvient à la vérité
naturelle et surnaturelle de l’amour: l’intelligence en reçoit le sens de don, d’accueil et de communion.
Dépourvu de vérité, l’amour bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une
coque vide susceptible d’être arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte
l’amour dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion contingente
des êtres humains ; il devient un terme galvaudé et déformé, jusqu’à signifier son contraire. La
vérité libère l’amour des étroitesses de l’émotivité qui le prive de contenus relationnels et sociaux,
et d’un fidéisme qui le prive d’un souffle humain et universel. Dans la vérité, l’amour reflète
en même temps la dimension personnelle et publique de la foi au Dieu biblique qui est à
la fois « Agapè » et « Lógos »: Charité et Vérité, Amour et Parole.

4. Parce que l’amour est riche de vérité, l’homme peut le comprendre dans la richesse, partagée
et communiquée, de ses valeurs. La vérité est, en effet, lógos qui crée un diá-logos et donc une
communication et une communion. En aidant les hommes à aller au-delà de leurs opinions et
de leurs sensations subjectives, la vérité leur permet de dépasser les déterminismes culturels et
historiques et de se rencontrer dans la reconnaissance de la substance et de la valeur des choses.
La vérité ouvre et unit les intelligences dans le lógos de l’amour: l’annonce et le témoignage
chrétien de l’amour résident en cela. Dans le contexte socioculturel actuel, où la tendance à relativiser
le vrai est courante, vivre la charité dans la vérité conduit à comprendre que l’adhésion
aux valeurs du Christianisme est un élément non seulement utile, mais indispensable pour
l’édification d’une société bonne et d’un véritable développement humain intégral. Un Christianisme
de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments,
utiles pour la coexistence sociale, mais n’ayant qu’une incidence marginale. Compris
ainsi, Dieu n’aurait plus une place propre et authentique dans le monde. Sans la vérité, la charité
est reléguée dans un espace restreint et relationnellement appauvri. Dans le dialogue entre les
connaissances et leur mise en oeuvre, elle est exclue des projets et des processus de construction
d’un développement humain d’envergure universelle.

5. La charité est amour reçu et donné. Elle est « grâce » (cháris). Sa source est l’amour jaillissant
du Père pour le Fils, dans l’Esprit Saint. C’est un amour qui, du Fils, descend sur nous. C’est un
amour créateur, qui nous a donné l’existence; c’est un amour rédempteur, qui nous a recréés.
Un amour révélé et réalisé par le Christ (cf. Jn 13, 1) et « répandu dans nos coeurs par l’Esprit
Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Objets de l’amour de Dieu, les hommes sont constitués
sujets de la charité, appelés à devenir eux-mêmes les instruments de la grâce, pour répandre la
charité de Dieu et pour tisser des liens de charité.
La doctrine sociale de l’Église répond à cette dynamique de charité reçue et donnée. Elle est
« caritas in veritate in re sociali »: annonce de la vérité de l’amour du Christ dans la société. Cette
doctrine est un service de la charité, mais dans la vérité. La vérité préserve et exprime la force
de libération de la charité dans les événements toujours nouveaux de l’histoire. Elle est, en
même temps, une vérité de la foi et de la raison, dans la distinction comme dans la synergie de
ces deux modes de connaissance. Le développement, le bien-être social, ainsi qu’une solution
adaptée aux graves problèmes socio-économiques qui affligent l’humanité, ont besoin de cette
vérité. Plus encore, il est nécessaire que cette vérité soit aimée et qu’il lui soit rendu témoignage.
Sans vérité, sans confiance et sans amour du vrai, il n’y a pas de conscience ni de responsabilité
sociale, et l’agir social devient la proie d’intérêts privés et de logiques de pouvoir,
qui ont pour effets d’entrainer la désagrégation de la société, et cela d’autant plus dans une société
en voie de mondialisation et dans les moments difficiles comme ceux que nous connaissons
actuellement.

6. « Caritas in veritate » est un principe sur lequel se fonde la doctrine sociale de l’Église, un
principe qui prend une forme opératoire par des critères d’orientation de l’action morale. Je désire
en rappeler deux de manière particulière; ils sont dictés principalement par l’engagement en
faveur du développement dans une société en voie de mondialisation: la justice et le bien commun.
La justice tout d’abord. Ubi societas, ibi ius : toute société élabore un système propre de justice.
La charité dépasse la justice, parce qu’aimer c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle
n’existe jamais sans la justice qui amène à donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui
revient en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas « donner » à l’autre du mien, sans lui
avoir donné tout d’abord ce qui lui revient selon la justice. Qui aime les autres avec charité est
d’abord juste envers eux. Non seulement la justice n’est pas étrangère à la charité, non seulement
elle n’est pas une voie alternative ou parallèle à la charité: la justice est « inséparable de la
charité »1, elle lui est intrinsèque. La justice est la première voie de la charité ou, comme le disait
Paul VI, son « minimum »2, une partie intégrante de cet amour en « actes et en vérité » (1 Jn
3, 18) auquel l’apôtre saint Jean exhorte. D’une part, la charité exige la justice: la reconnaissance
et le respect des droits légitimes des individus et des peuples. Elle s’efforce de construire la cité
de l’homme selon le droit et la justice. D’autre part, la charité dépasse la justice et la complète
dans la logique du don et du pardon.3 La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des
rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de
miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans
les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour
la justice dans le monde.

7. Il faut ensuite prendre en grande considération le bien commun. Aimer quelqu’un, c’est
vouloir son bien et mettre tout en oeuvre pour cela. À côté du bien individuel, il y a un bien lié
à la vie en société: le bien commun. C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles
et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale.4 Ce n’est pas un bien recherché
pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et
qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. C’est une exigence de
la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. OEuvrer en vue du bien commun
signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions
qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la
forme de la pólis, de la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille
davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels. Tout chrétien
est appelé à vivre cette charité, selon sa vocation et selon ses possibilités d’influence au service
de la pólis. C’est là la voie institutionnelle – politique peut-on dire aussi – de la charité, qui n’est
pas moins qualifiée et déterminante que la charité qui est directement en rapport avec le prochain,
hors des médiations institutionnelles de la cité. L’engagement pour le bien commun,
quand la charité l’anime, a une valeur supérieure à celle de l’engagement purement séculier et
politique. Comme tout engagement en faveur de la justice, il s’inscrit dans le témoignage de la
charité divine qui, agissant dans le temps, prépare l’éternité. Quand elle est inspirée et animée
par la charité, l’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité de Dieu universelle vers
laquelle avance l’histoire de la famille humaine. Dans une société en voie de mondialisation, le
bien commun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la
famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des peuples et des Nations,5 au
point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en faire, en quelque sorte, la
préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu.

8. En publiant en 1967 l’encyclique Populorum progressio, mon vénérable prédécesseur Paul VI
a éclairé le grand thème du développement des peuples de la splendeur de la vérité et de la
douce lumière de la charité du Christ. Il a affirmé que l’annonce du Christ est le premier et le
principal facteur de développement6 et il nous a laissé la consigne d’avancer sur la route du développement
de tout notre coeur et de toute notre intelligence,7 c’est-à-dire avec l’ardeur de la
charité et la sagesse de la vérité. C’est la vérité originelle de l’amour de Dieu – grâce qui nous
est donnée – qui ouvre notre vie au don et qui rend possible l’espérance en un « développement
(…) de tout l’homme et de tous les hommes »,8 en passant « de conditions moins humaines
à des conditions plus humaines »,9 et cela en triomphant des difficultés inévitablement rencontrées
sur le chemin.
Plus de quarante ans après la publication de cette encyclique, je désire honorer la mémoire
de Paul VI, et rendre hommage à ce grand Pontife, en reprenant ses enseignements sur le développement
humain intégral et en me plaçant sur la voie qu’ils ont tracée, afin de les actualiser aujourd’hui.
Ce processus d’actualisation commença avec l’encyclique Sollicitudo rei socialis, par laquelle
le Serviteur de Dieu Jean-Paul II voulut commémorer la publication de Populorum progressio
à l’occasion de son vingtième anniversaire. Jusque là une telle commémoration n’avait été
réservée qu’à l’encyclique Rerum novarum. Vingt ans après, j’exprime ma conviction que Populorum
progressio mérite d’être considérée comme l’encyclique « Rerum novarum de l’époque contemporaine
» qui éclaire le chemin de l’humanité en voie d’unification.
9. L’amour dans la vérité – caritas in veritate – est un grand défi pour l’Église dans un monde
sur la voie d’une mondialisation progressive et généralisée. Le risque de notre époque réside
dans le fait qu’à l’interdépendance déjà réelle entre les hommes et les peuples, ne corresponde
pas l’interaction éthique des consciences et des intelligences dont le fruit devrait être
l’émergence d’un développement vraiment humain. Seule la charité, éclairée par la lumière de la raison
et de la foi, permettra d’atteindre des objectifs de développement porteurs d’une valeur plus
humaine et plus humanisante. Le partage des biens et des ressources, d’où provient le vrai développement,
n’est pas assuré par le seul progrès technique et par de simples relations de
convenance, mais par la puissance de l’amour qui vainc le mal par le bien (cf. Rm 12, 21) et qui
ouvre à la réciprocité des consciences et des libertés.
L’Église n’a pas de solutions techniques à offrir 10 et ne prétend « aucunement s’immiscer dans
la politique des États ».11 Elle a toutefois une mission de vérité à remplir, en tout temps et en
toutes circonstances, en faveur d’une société à la mesure de l’homme, de sa dignité et de sa vocation.
Sans vérité, on aboutit à une vision empirique et sceptique de la vie, incapable de
s’élever au-dessus de l’agir, car inattentive à saisir les valeurs – et parfois pas même le sens des
choses – qui permettraient de la juger et de l’orienter. La fidélité à l’homme exige la fidélité à la
vérité qui, seule, est la garantie de la liberté (cf. Jn 8, 32) et de la possibilité d’un développement humain intégral.
C’est pour cela que l’Église la recherche, qu’elle l’annonce sans relâche et qu’elle la reconnaît
partout où elle se manifeste. Cette mission de vérité est pour l’Église une mission impérative.
Sa doctrine sociale est un aspect particulier de cette annonce: c’est un service rendu à la
vérité qui libère. Ouverte à la vérité, quel que soit le savoir d’où elle provient, la doctrine sociale
de l’Église est prête à l’accueillir. Elle rassemble dans l’unité les fragments où elle se
trouve souvent disséminée et elle l’introduit dans le vécu toujours nouveau de la société des
hommes et des peuples.12

CHAPITRE I
LE MESSAGE DE POPULORUM PROGRESSIO
10. Plus de quarante ans après la publication de Populorum progressio, sa relecture nous invite à
rester fidèles à son message de charité et de vérité, en le replaçant dans le cadre du magistère
propre de Paul VI et, plus généralement, à l’intérieur de la tradition de la doctrine sociale de
l’Église. Par ailleurs, il faut évaluer les multiples termes dans lesquels se pose aujourd’hui, à la
différence d’alors, le problème du développement. Le point de vue correct est donc celui de la
Tradition de la foi des Apôtres,13 patrimoine ancien et nouveau hors duquel Populorum progressio serait
un document privé de racines et les questions liées au développement se réduiraient uniquement
à des données d’ordre sociologique.
11. Populorum progressio fut publiée immédiatement après la conclusion du Concile oecuménique
Vatican II. Dès ses premiers paragraphes, l’encyclique affirme son rapport intime avec le
Concile.14 Vingt ans plus tard, dans Sollicitudo rei socialis, Jean-Paul II soulignait à son tour le
rapport fécond de cette encyclique avec le Concile et, en particulier, avec la Constitution pastorale
Gaudium et spes.15 Je désire moi aussi rappeler ici l’importance du Concile Vatican II pour
l’encyclique de Paul VI et, à sa suite, pour tout le magistère social des Souverains Pontifes. Le
Concile a approfondi tout ce qui appartient depuis toujours à la vérité de la foi, c’est-à-dire que
l’Église, qui est au service de Dieu, est au service du monde selon les critères de l’amour et de
la vérité. C’est précisément de cette vision que partait Paul VI pour nous faire part de deux
grandes vérités. La première est que toute l’Église, dans tout son être et tout son agir, tend à promouvoir
le développement intégral de l’homme quand elle annonce, célèbre et oeuvre dans la charité. Elle a un rôle public
qui ne se borne pas à ses activités d’assistance ou d’éducation, mais elle déploie toutes ses
énergies au service de la promotion de l’homme et de la fraternité universelle quand elle peut
jouir d’un régime de liberté. Dans bien des cas, cette liberté est entravée par des interdictions et
des persécutions, ou même limitée quand la présence publique de l’Église est réduite à ses seules
activités caritatives. La seconde vérité est que le développement authentique de l’homme concerne unitairement
la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions.16 Sans la perspective d’une vie éternelle,
le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle. Enfermé à l’intérieur de
l’histoire, il risque de se réduire à la seule croissance de l’avoir. L’humanité perd ainsi le courage
d’être disponible pour les biens plus élevés, pour les grandes initiatives désintéressées qu’exige
la charité universelle. L’homme ne se développe pas seulement par ses propres forces, et le développement
ne peut pas lui être simplement offert. Tout au long de l’histoire, on a souvent
pensé que la création d’institutions suffisait à garantir à l’humanité la satisfaction du droit au
développement. Malheureusement, on a placé une confiance excessive dans de telles institu8
tions, comme si elles pouvaient atteindre automatiquement le but recherché. En réalité, les institutions
ne suffisent pas à elles seules, car le développement intégral de l’homme est d’abord
une vocation et suppose donc que tous prennent leurs responsabilités de manière libre et solidaire.
Un tel développement demande, en outre, une vision transcendante de la personne; il a
besoin de Dieu: sans Lui, le développement est nié ou confié aux seules mains de l’homme, qui
s’expose à la présomption de se sauver par lui-même et finit par promouvoir un développement
déshumanisé. D’autre part, seule la rencontre de Dieu permet de ne pas “voir dans l’autre
que l’autre”,17 mais de reconnaître en lui l’image de Dieu, parvenant ainsi à découvrir vraiment
l’autre et à développer un amour qui “devienne soin de l’autre pour l’autre”.18
12. Le lien existant entre Populorum progressio et le Concile Vatican II ne représente pas une
coupure entre le magistère social de Paul VI et celui des Papes qui l’avaient précédé, étant donné
que le Concile est un approfondissement de ce magistère dans la continuité de la vie de
l’Église19. En ce sens, certaines subdivisions abstraites de la doctrine sociale de l’Église sont aujourd’hui
proposées qui ne contribuent pas à clarifier les choses, car elles appliquent à
l’enseignement social pontifical des catégories qui lui sont étrangères. Il n’y a pas deux typologies
différentes de doctrine sociale, l’une pré-conciliaire et l’autre post-conciliaire, mais un unique
enseignement, cohérent et en même temps toujours nouveau.20 Il est juste de remarquer les caractéristiques
propres à chaque encyclique, à l’enseignement de chaque Pontife, mais sans jamais perdre
de vue la cohérence de l’ensemble du corpus doctrinal.21 Cohérence ne signifie pas fermeture,
mais plutôt fidélité dynamique à une lumière reçue. La doctrine sociale de l’Église éclaire
d’une lumière qui ne change pas les problèmes toujours nouveaux qui surgissent.22 Cela préserve
le caractère à la fois permanent et historique de ce « patrimoine » doctrinal 23 qui, avec ses
caractéristiques spécifiques, appartient à la Tradition toujours vivante de l’Église.24 La doctrine
sociale est construite sur le fondement transmis par les Apôtres aux Pères de l’Église, reçu et
approfondi ensuite par les grands Docteurs chrétiens. Cette doctrine renvoie en définitive à
l’Homme nouveau, au « dernier Adam qui est devenu l’être spirituel qui donne vie » (1 Co 15,
45), principe de la charité qui « ne passera jamais » (1 Co 13, . Elle reçoit le témoignage des
saints et de tous ceux qui ont donné leurs vies pour le Christ Sauveur dans le domaine de la
justice et de la paix. En elle, s’exprime la mission prophétique des Souverains Pontifes: guider
d’une manière apostolique l’Église du Christ et discerner les nouvelles exigences de
l’évangélisation. C’est pour ces raisons que Populorum progressio, inscrite dans le grand courant de
la Tradition, est encore en mesure de nous parler aujourd’hui.
13. Outre son rapport avec l’ensemble de la doctrine sociale de l’Église, Populorum progressio est
étroitement liée à tout le magistère de Paul VI et, en particulier, à son magistère social. Cet enseignement
social fut d’une grande portée: il réaffirma l’importance déterminante de l’Évangile pour
l’édification d’une société de liberté et de justice, dans la perspective idéale et historique d’une
civilisation animée par l’amour. Paul VI comprit clairement que la question sociale était deve9
nue mondiale 25 et il saisit l’interaction existant entre l’élan vers l’unification de l’humanité et
l’idéal chrétien d’une unique famille des peuples, solidaire dans une commune fraternité. Il désigna
le développement, compris au sens humain et chrétien, comme le coeur du message social chrétien et proposa
la charité chrétienne comme force principale au service du développement. Poussé par le désir
de rendre l’amour du Christ pleinement visible à ses contemporains, Paul VI affronta avec décision
d’importantes questions morales, sans céder aux faiblesses culturelles de son temps.
14. Dans la lettre apostolique Octogesima adveniens de 1971, Paul VI aborda par la suite la question
du sens de la politique et du péril représenté par des visions utopiques et idéologiques qui compromettaient
sa qualité éthique et humaine. Il s’agit de sujets étroitement liés au développement.
Malheureusement, les idéologies néfastes ne cessent de fleurir. Conscient du grand danger de
confier à la seule technique tout le processus du développement, qui ainsi demeurerait sans ligne
directrice, Paul VI avait déjà mis en garde contre l’idéologie technocratique, particulièrement
forte aujourd’hui.26 Considérée en elle-même, la technique est ambivalente. Si, d’un côté, certains
tendent aujourd’hui à lui confier la totalité du processus de développement, de l’autre on
assiste à la naissance d’idéologies qui nient in toto l’utilité même du développement, qu’elles
considèrent comme foncièrement antihumain et exclusivement facteur de dégradation. Ainsi,
finit-on par condamner non seulement l’orientation parfois fausse et injuste que les hommes
donnent au progrès, mais aussi les découvertes scientifiques elles-mêmes qui, utilisées à bon
escient, constituent au contraire une occasion de croissance pour tous. L’idée d’un monde sans
développement traduit une défiance à l’égard de l’homme et de Dieu. C’est donc une grave erreur
que de mépriser les capacités humaines de contrôler les déséquilibres du développement
ou même d’ignorer que l’homme est constitutivement tendu vers l’« être davantage ». Absolutiser
idéologiquement le progrès technique ou aspirer à l’utopie d’une humanité revenue à son
état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation
morale et donc de notre responsabilité.
15. Deux autres documents de Paul VI sont moins directement liés à la doctrine sociale:
l’encyclique Humanæ vitæ du 25 juillet 1968 et l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi du 8
décembre 1975. Ils sont cependant très importants pour discerner le sens pleinement humain du développement
proposé par l’Église. Il est donc opportun de les lire en les mettant eux aussi en relation
avec Populorum progressio.
L’encyclique Humanæ vitæ souligne la signification tout à la fois unitive et procréative de la
sexualité, posant ainsi comme fondement de la société le couple des époux, homme et femme,
qui se reçoivent l’un l’autre dans la distinction et dans la complémentarité; en tant donc que
couple ouvert à la vie.27 Il ne s’agit pas ici de morale purement individuelle: Humanæ vitæ montre
les liens forts qui existent entre éthique de la vie et éthique sociale, en inaugurant une thématique magistérielle
qui a pris corps dans différents documents, et finalement dans l’encyclique Evangelium
vitæ de Jean-Paul II.28 L’Église propose avec force ce lien entre éthique de la vie et éthique so10
ciale, consciente qu’une société ne peut « avoir des bases solides si, tout en affirmant des valeurs
comme la dignité de la personne, la justice et la paix, elle se contredit radicalement en acceptant
et en tolérant les formes les plus diverses de mépris et de violation de la vie humaine,
surtout si elle est faible et marginalisée ».29
L’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, pour sa part, est très étroitement lié au développement,
dans la mesure où « l’évangélisation – comme l’écrivait Paul VI – ne serait pas
complète si elle ne tenait pas compte des rapports concrets et permanents qui existent entre
l’Évangile et la vie personnelle et sociale de l’homme.30 « Entre l’évangélisation et la promotion
humaine – développement, libération – il y a en effet des liens profonds »: 31 conscient de cela,
Paul VI établissait un rapport clair entre l’annonce du Christ et la promotion de la personne
dans la société. Le témoignage de la charité du Christ à travers des oeuvres de justice, de paix et de développement
fait partie de l’évangélisation car, pour Jésus Christ, qui nous aime, l’homme tout entier est
important. C’est sur ces enseignements importants que se fonde l’aspect missionnaire 32 de la
doctrine sociale de l’Église en tant que composante essentielle de l’évangélisation.33 La doctrine
sociale de l’Église est annonce et témoignage de foi. C’est un instrument et un lieu indispensable
de l’éducation de la foi.
16. Dans Populorum progressio, Paul VI a voulu nous dire, avant tout, que le progrès, dans son
apparition et son essence, est une vocation: « Dans le dessein de Dieu, chaque homme est appelé
à se développer car toute vie est vocation ».34 C’est précisément ce qui autorise l’Église à intervenir
dans les problématiques du développement. Si ce dernier ne concernait que des aspects techniques
de la vie de l’homme, et non le sens de sa marche dans l’Histoire avec ses autres frères ou
la définition du but d’un tel cheminement, l’Église n’aurait aucun titre pour en parler. Comme
Léon XIII dans Rerum novarum,35 Paul VI était conscient de s’acquitter d’un devoir propre à sa
charge, en projetant la lumière de l’Évangile sur les questions sociales de son temps.36
Définir le développement comme une vocation, c’est reconnaître, d’un côté, qu’il naît d’un appel
transcendant et, de l’autre, qu’il est incapable de se donner par lui-même son sens propre ultime.
Ce n’est pas sans raison que le mot “vocation” revient dans un autre passage de
l’encyclique, où il est affirmé: « Il n’y a donc d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance
d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine ».37 Cette vision du développement
est le coeur de Populorum progressio et anime toutes les réflexions de Paul VI sur la liberté,
la vérité et la charité dans le développement. C’est la raison principale pour laquelle cette
encyclique demeure encore actuelle de nos jours.
17. La vocation est un appel qui réclame une réponse libre et responsable. Le développement humain
intégral suppose la liberté responsable de la personne et des peuples: aucune structure ne peut
garantir ce développement en dehors et au-dessus de la responsabilité humaine. Les « messianismes
prometteurs, mais bâtisseurs d’illusions »38 fondent toujours leurs propositions sur la
négation de la dimension transcendante du développement, étant certains de l’avoir tout entier
à leur disposition. Cette fausse sécurité se change en faiblesse, parce qu’elle entraîne
l’asservissement de l’homme, réduit à n’être qu’un moyen en vue du développement, tandis que
l’humilité de celui qui accueille une vocation se transforme en autonomie véritable, parce qu’elle
libère la personne. Paul VI ne doute pas que des obstacles et des conditionnements freinent le
développement, mais il reste certain que « chacun demeure, quelles que soient les influences
qui s’exercent sur lui, l’artisan principal de sa réussite ou de son échec »39. Cette liberté
concerne le développement qui a lieu sous nos yeux, mais aussi, en même temps, les situations
de sous-développement qui ne sont pas le fruit du hasard ou d’une nécessité historique, mais
qui dépendent de la responsabilité humaine. C’est pourquoi « les peuples de la faim interpellent
aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence ».40 Il s’agit là encore d’une vocation,
en tant qu’appel adressé par des hommes libres à des hommes libres pour qu’ils prennent ensemble
leurs responsabilités. Paul VI eut une compréhension pénétrante de l’importance des
structures économiques et des institutions, mais il perçut tout aussi clairement qu’elles étaient
des instruments au service de la liberté humaine. Le développement ne peut être intégralement
humain que s’il est libre; seul un régime de liberté responsable lui permet de se développer de
façon juste.
18. Outre la liberté, le développement intégral de l’homme comme vocation exige aussi qu’on en respecte la
vérité. La vocation au progrès pousse les hommes à « faire, connaître et avoir plus, pour être
plus ».41 Mais là est le problème: que signifie « être davantage »? À cette question, Paul VI répond
en indiquant la caractéristique essentielle du développement authentique: il « doit être intégral,
c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme ».42 Parmi les différentes visions
concurrentes de l’homme proposées dans la société d’aujourd’hui plus encore qu’au temps de
Paul VI, la vision chrétienne a la particularité d’affirmer et de justifier la valeur inconditionnelle
de la personne humaine et le sens de sa croissance. La vocation chrétienne au développement
aide à poursuivre la promotion de tous les hommes et de tout l’homme. Paul VI écrivait: « Ce
qui compte pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque groupement d’hommes, jusqu’à
l’humanité tout entière ».43 La foi chrétienne se préoccupe du développement sans s’appuyer
sur des privilèges ou sur des positions de pouvoir, ni même sur les mérites des chrétiens qui
ont certes existé et existent encore aujourd’hui en même temps que leurs limites naturelles,44
mais uniquement sur le Christ, à qui doit être rapportée toute vocation authentique au développement
humain intégral. L’Évangile est un élément fondamental du développement, parce qu’en lui le
Christ, « dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement
l’homme à lui-même ».45 Eduquée par son Seigneur, l’Église scrute les signes des temps et les
interprète et elle offre au monde « ce qu’elle possède en propre: une vision globale de l’homme
et de l’humanité ».46 Précisément parce que Dieu prononce le plus grand « oui » à l’homme,47
l’homme ne peut faire moins que de s’ouvrir à l’appel divin pour réaliser son propre développement.
La vérité du développement réside dans son intégralité: s’il n’est pas de tout l’homme
et de tout homme, le développement n’est pas un vrai développement. Tel est le centre du
message de Populorum progressio, valable aujourd’hui et toujours. Le développement humain intégral
sur le plan naturel, réponse à un appel du Dieu créateur,48 demande de trouver sa vérité
dans un « humanisme transcendant, qui (…) donne [à l’homme] sa plus grande plénitude: telle
est la finalité suprême du développement personnel ».49 La vocation chrétienne à ce développement
concerne donc le plan naturel comme le plan surnaturel; c’est pourquoi « quand Dieu
est éclipsé, notre capacité de reconnaître l’ordre naturel, le but et le “bien” commence à
s’évanouir ».50
19. Enfin, la vision du développement en tant que vocation implique que la charité y occupe une place
centrale. Dans l’encyclique Populorum progressio, Paul VI observait que les causes du sousdéveloppement
ne sont pas d’abord d’ordre matériel. Il nous invitait à les rechercher dans
d’autres dimensions de l’homme: tout d’abord dans la volonté, qui se désintéresse souvent des
devoirs de la solidarité; en second lieu, dans la pensée qui ne parvient pas toujours à orienter
convenablement le vouloir. C’est pourquoi, dans la quête du développement, il faut « des sages
de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne
de se retrouver lui-même ».51 Mais ce n’est pas tout. Le sous-développement a une cause
encore plus profonde que le déficit de réflexion: c’est « le manque de fraternité entre les hommes
et entre les peuples ».52 Cette fraternité, les hommes pourront-ils jamais la réaliser par eux
seuls? La société toujours plus globalisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères. La
raison, à elle seule, est capable de comprendre l’égalité entre les hommes et d’établir une communauté
de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité. Celle-ci naît d’une vocation
transcendante de Dieu Père, qui nous a aimés en premier, nous enseignant par
l’intermédiaire du Fils ce qu’est la charité fraternelle. Dans sa présentation des différents niveaux
du processus de développement de l’homme, Paul VI, après avoir mentionné la foi, mettait
au sommet « l’unité dans la charité du Christ qui nous appelle tous à participer en fils à la
vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes ».53
20. Ces perspectives, ouvertes par Populorum progressio, demeurent fondamentales pour donner
une envergure et une orientation à notre engagement au service du développement des peuples.
Populorum progressio souligne ensuite à plusieurs reprises l’urgence des réformes ]54 et demande
que, face aux grands problèmes de l’injustice dans le développement des peuples, on
agisse avec courage et sans retard. Cette urgence est dictée aussi par l’amour dans la vérité. C’est la charité
du Christ qui nous pousse: « Caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14). L’urgence n’est pas seulement
inscrite dans les choses; elle ne découle pas uniquement de la pression des événements et des
problèmes, mais aussi de ce qui est proprement en jeu: la réalisation d’une authentique fraternité.
L’importance de cet objectif est telle qu’elle exige que nous la comprenions pleinement et
que nous nous mobilisions concrètement avec le “coeur”, pour faire évoluer les processus économiques
et sociaux actuels vers des formes pleinement humaines.


CHAPITRE II
LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN
AUJOURD’ HUI
21. Paul VI avait une vision structurée du développement. Par le terme « développement », il voulait
désigner avant tout l’objectif de faire sortir les peuples de la faim, de la misère, des maladies
endémiques et de l’analphabétisme. Du point de vue économique, cela signifiait leur participation
active, dans des conditions de parité, à la vie économique internationale; du point de vue
social, leur évolution vers des sociétés instruites et solidaires; du point de vue politique, la
consolidation de régimes démocratiques capables d’assurer la paix et la liberté. Après tant
d’années, alors que nous observons avec préoccupation le développement des crises qui se
succèdent en ces temps, ainsi que leurs conséquences, nous nous demandons dans quelle mesure les
attentes de Paul VI ont été satisfaites par le modèle de développement qui a été adopté au cours de
ces dernières décennies. Nous devons reconnaître que les préoccupations de l’Église étaient
fondées quant aux capacités de l’homme purement ‘technologique’ à savoir se donner des objectifs
réalistes et à toujours savoir bien gérer les outils à sa disposition. Le profit est utile si, en
tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien à la façon de
le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il
n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté.
Le développement économique que Paul VI souhaitait devait être en mesure de produire
une croissance réelle, qui s’étende à tous et soit concrètement durable. Il est vrai que le développement
a eu lieu et qu’il continue d’être un facteur positif qui a tiré de la misère des milliards
de personnes et que, récemment encore, il a permis à de nombreux pays de devenir des
acteurs réels de la politique internationale. Toutefois, il faut reconnaître que ce même développement
économique a été et continue d’être obéré par des déséquilibres et par des problèmes dramatiques,
mis encore davantage en relief par l’actuelle situation de crise. Celle-ci nous met sans délai
face à des choix qui sont toujours plus étroitement liés au destin même de l’homme, qui par ailleurs
ne peut faire abstraction de sa nature. Les forces techniques employées, les échanges planétaires,
les effets délétères sur l’économie réelle d’une activité financière mal utilisée et, qui
plus est, spéculative, les énormes flux migratoires, souvent provoqués et ensuite gérés de façon
inappropriée, l’exploitation anarchique des ressources de la terre, nous conduisent aujourd’hui
à réfléchir sur les mesures nécessaires pour résoudre des problèmes qui non seulement sont
nouveaux par rapport à ceux qu’affrontait le Pape Paul VI, mais qui ont aussi, et surtout, un
impact décisif sur le bien présent et futur de l’humanité. Les aspects de la crise et de ses solutions,
ainsi qu’un nouveau et possible développement futur, sont toujours plus liés les uns aux
autres. Ils s’impliquent réciproquement et ils requièrent des efforts renouvelés de compréhension
globale et une nouvelle synthèse humaniste. La complexité et la gravité de la situation économique
actuelle nous préoccupent à juste titre, mais nous devons assumer avec réalisme,
confiance et espérance les nouvelles responsabilités auxquelles nous appelle la situation d’un
monde qui a besoin de se renouveler en profondeur au niveau culturel et de redécouvrir les valeurs
de fond sur lesquelles construire un avenir meilleur. La crise nous oblige à reconsidérer
notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes
d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La
crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets.
C’est dans cette optique, confiants plutôt que résignés, qu’il convient d’affronter les difficultés
du moment présent.
22. Le cadre du développement est aujourd’hui multipolaire. Les acteurs et les causes du sousdéveloppement
comme du développement sont multiples, les erreurs et les mérites le sont aussi.
Cette donnée devrait conduire à se libérer des idéologies, qui simplifient souvent de façon
artificielle la réalité, et à examiner avec objectivité la dimension humaine des problèmes. La ligne
de démarcation entre pays riches et pauvres n’est plus aussi nette qu’aux temps de Populorum
progressio, comme l’avait déjà indiqué Jean-Paul II.55 La richesse mondiale croît en terme absolu,
mais les inégalités augmentent. Dans les pays riches, de nouvelles catégories sociales s’appauvrissent
et de nouvelles pauvretés apparaissent. Dans des zones plus pauvres, certains groupes jouissent
d’une sorte de surdéveloppement où consommation et gaspillage vont de pair, ce qui contraste
de façon inacceptable avec des situations permanentes de misère déshumanisante. « Le scandale
de disparités criantes »56 demeure. La corruption et le non respect des lois existent malheureusement
aussi bien dans le comportement des acteurs économiques et politiques des pays
riches, anciens et nouveaux, que dans les pays pauvres. Ceux qui ne respectent pas les droits
humains des travailleurs dans les différents pays sont aussi bien de grandes entreprises multinationales
que des groupes de production locale. Les aides internationales ont souvent été détournées
de leur destination, en raison d’irresponsabilités qui se situent aussi bien dans la
chaîne des donateurs que des bénéficiaires. Nous pouvons aussi identifier le même enchainement
de responsabilités dans les causes immatérielles et culturelles du développement et du
sous-développement. Il existe des formes excessives de protection des connaissances de la part
des pays riches à travers l’utilisation trop stricte du droit à la propriété intellectuelle, particulièrement
dans le domaine de la santé. En même temps, dans certains pays pauvres, subsistent
des modèles culturels et des normes sociales de comportement qui ralentissent le processus de
développement.
23. Bien que de façon fragile et non homogène, de nombreuses régions du globe se sont aujourd’hui
développées, entrant au nombre des grandes puissances destinées à jouer un rôle important
dans l’avenir. Il faut néanmoins souligner qu’il n’est pas suffisant de progresser du seul point de
vue économique et technologique. Il faut avant tout que le développement soit vrai et intégral. Sortir
du retard économique, fait en soi positif, ne résout pas la problématique complexe de la promotion
de l’homme, ni pour les pays bénéficiaires de ces avancées, ni pour les pays déjà économiquement
développés, ni non plus pour ceux qui restent pauvres; ceux-ci peuvent également
souffrir, en dehors des anciennes formes d’exploitation, des conséquences néfastes provenant
d’une croissance marquée par des dévoiements et des déséquilibres.
Après l’écroulement du système économique et politique des pays communistes de
l’Europe de l’Est et la fin de ce que l’on appelait les blocs opposés, une nouvelle réflexion globale
sur le développement aurait été nécessaire. Jean-Paul II l’avait demandée, lui qui, en 1987,
avait indiqué l’existence de ces blocs comme une des principales causes du sous-développement
57, dans la mesure où la politique soustrayait des ressources à l’économie et à la culture et que
l’idéologie étouffait la liberté. En 1991, après les événements de 1989, il avait aussi réclamé
que, à la fin des blocs, corresponde une refonte globale du développement, non seulement dans
ces pays, mais aussi en Occident et dans les régions du monde qui se développaient.58 Cela
n’est advenu que partiellement et continue d’être un devoir réel qu’il convient d’honorer, éventuellement
en mettant vraiment à profit les choix nécessaires pour dépasser les problèmes économiques
actuels.
24. Le monde que le Pape Paul VI avait sous les yeux, même si le processus de socialisation
était déjà suffisamment avancé pour qu’il puisse parler d’une question sociale devenue mondiale,
était alors beaucoup moins intégré que celui d’aujourd’hui. L’activité économique et la
fonction politique s’exerçaient en grande partie à l’intérieur du même espace et pouvaient donc
s’appuyer l’une sur l’autre. L’activité de production s’inscrivait principalement à l’intérieur des
frontières nationales et les investissements financiers avaient une dimension plutôt limitée à
l’étranger, si bien que la politique de nombreux États pouvait encore fixer les priorités de
l’économie et, d’une certaine façon, en orienter le fonctionnement avec les instruments dont
elle disposait. Pour cette raison, l’encyclique Populorum progressio assignait un rôle central,
toutefois de façon non exclusive, aux « pouvoirs publics ».59
A notre époque, l’État se trouve dans la situation de devoir faire face aux limites que pose
à sa souveraineté le nouveau contexte commercial et financier international, marqué par une
mobilité croissante des capitaux financiers et des moyens de productions matériels et immatériels.
Ce nouveau contexte a modifié le pouvoir politique des États.
Aujourd’hui, fort des leçons données par l’actuelle crise économique où les pouvoirs publics
de l’État sont directement impliqués dans la correction des erreurs et des dysfonctionnements,
une évaluation nouvelle de leur rôle et de leur pouvoir semble plus réaliste; ceux-ci doivent être sagement
reconsidérés et repensés pour qu’ils soient en mesure, y compris à travers de nouvelles
modalités d’exercice, de faire face aux défis du monde contemporain. A partir d’un rôle mieux
ajusté des pouvoirs publics, on peut espérer que se renforceront les nouvelles formes de participation
à la politique nationale et internationale qui voient le jour à travers l’action des organi17
sations opérant dans la société civile. En ce sens, il est souhaitable que grandissent de la part
des citoyens une attention et une participation plus larges à la res publica.
25. Du point de vue social, les systèmes de protection et de prévoyance qui existaient déjà
dans de nombreux pays à l’époque de Paul VI, peinent et pourraient avoir plus de mal encore à
l’avenir à poursuivre leurs objectifs de vraie justice sociale dans un cadre économique profondément
modifié. Le marché devenu mondial a stimulé avant tout, de la part de pays riches, la
recherche de lieux où délocaliser les productions à bas coût dans le but de réduire les prix d’un
grand nombre de biens, d’accroître le pouvoir d’achat et donc d’accélérer le taux de croissance
fondé sur une consommation accrue du marché interne. En conséquence, le marché a encouragé
des formes nouvelles de compétition entre les États dans le but d’attirer les centres de
production des entreprises étrangères, à travers divers moyens, au nombre desquels une fiscalité
avantageuse et la dérégulation du monde du travail. Ces processus ont entraîné l’affaiblissement
des réseaux de protection sociale en contrepartie de la recherche de plus grands avantages de compétitivité
sur le marché mondial, faisant peser de graves menaces sur les droits des travailleurs, sur
les droits fondamentaux de l’homme et sur la solidarité mise en oeuvre par les formes traditionnelles
de l’État social. Les systèmes de sécurité sociale peuvent perdre la capacité de remplir
leur mission dans les pays émergents et dans les pays déjà développés, comme dans des
pays pauvres. Là, les politiques d’équilibre budgétaire, avec des coupes dans les dépenses sociales,
souvent recommandées par les Institutions financières internationales, peuvent laisser les
citoyens désarmés face aux risques nouveaux et anciens. Une telle impuissance est accentuée
par le manque de protection efficace de la part des associations de travailleurs. L’ensemble des
changements sociaux et économiques font que les organisations syndicales éprouvent de plus
grandes difficultés à remplir leur rôle de représentation des intérêts des travailleurs, encore accentuées
par le fait que les gouvernements, pour des raisons d’utilité économique, posent souvent
des limites à la liberté syndicale ou à la capacité de négociation des syndicats eux-mêmes.
Les réseaux traditionnels de solidarité se trouvent ainsi contraints de surmonter des obstacles
toujours plus importants. L’invitation de la doctrine sociale de l’Église, formulée dès Rerum novarum,
60 à susciter des associations de travailleurs pour la défense de leurs droits, est donc aujourd’hui
plus pertinente encore qu’hier, ceci afin de donner avant tout une réponse immédiate
et clairvoyante à l’urgence d’instaurer de nouvelles synergies au plan international comme au
plan local.
La mobilité du travail, liée à la déréglementation généralisée, a été un phénomène important,
qui comportait des aspects positifs par sa capacité à stimuler la création de nouvelles richesses
et l’échange entre différentes cultures. Toutefois, quand l’incertitude sur les conditions de travail,
en raison des processus de mobilité et de déréglementation, devient endémique, surgissent
alors des formes d’instabilité psychologique, des difficultés à construire un parcours personnel
cohérent dans l’existence, y compris à l’égard du mariage. Cela a pour conséquence l’apparition
de situations humaines dégradantes, sans parler du gaspillage social. Si l’on compare avec ce qui
se passait dans la société industrielle du passé, le chômage entraîne aujourd’hui des aspects
nouveaux de non sens économique et la crise actuelle ne peut qu’aggraver une telle situation.
La mise à l’écart du travail pendant une longue période, tout comme la dépendance prolongée
vis-à-vis de l’assistance publique ou privée, minent la liberté et la créativité de la personne ainsi
que ses rapports familiaux et sociaux avec de fortes souffrances sur le plan psychologique et
spirituel. Je voudrais rappeler à tous, et surtout aux gouvernants engagés à donner un nouveau
profil aux bases économiques et sociales du monde, que l’homme, la personne, dans son intégrité, est
le premier capital à sauvegarder et à valoriser: « En effet, c’est l’homme qui est l’auteur, le centre et la
fin de toute la vie économico-sociale ».61
26. Sur le plan culturel, par rapport à l’époque de Paul VI, la différence est encore plus marquée.
Les cultures avaient alors des contours plutôt bien définis et possédaient des capacités
plus grandes pour se défendre contre les tentatives d’homogénéisation culturelle. Aujourd’hui,
les occasions d’interaction entre les cultures ont singulièrement augmenté ouvrant de nouvelles
perspectives au dialogue interculturel; un dialogue qui, pour être réel, doit avoir pour point de
départ la conscience profonde de l’identité spécifique des différents interlocuteurs. On ne doit
toutefois pas négliger le fait que la marchandisation accrue des échanges culturels favorise aujourd’hui
un double danger. On note, en premier lieu, un éclectisme culturel assumé souvent de
façon non-critique: les cultures sont simplement mises côte à côte et considérées comme substantiellement
équivalentes et interchangeables entre elles. Cela favorise un glissement vers un
relativisme qui n’encourage pas le vrai dialogue interculturel; sur le plan social, le relativisme
culturel conduit effectivement les groupes culturels à se rapprocher et à coexister, mais sans
dialogue authentique et, donc, sans véritable intégration. En second lieu, il existe un danger
constitué par le nivellement culturel et par l’uniformisation des comportements et des styles de vie.
De cette manière, la signification profonde de la culture des différentes nations, des traditions
des divers peuples, à l’intérieur desquelles la personne affronte les questions fondamentales de
l’existence en vient à disparaître.62 Eclectisme et nivellement culturel ont en commun de séparer
la culture de la nature humaine. Ainsi, les cultures ne savent plus trouver leur mesure dans
une nature qui les transcende,63 et elles finissent par réduire l’homme à un donné purement
culturel. Quand cela advient, l’humanité court de nouveaux périls d’asservissement et de manipulation.
27. Dans bien des pays pauvres, l’extrême insécurité vitale, qui est la conséquence des carences
alimentaires, demeure et risque de s’aggraver: la faim fauche encore de très nombreuses victimes
comme autant de Lazare auxquels il n’est pas permis de s’assoir, comme le souhaitait Paul
VI, à la table du mauvais riche.64 Donner à manger aux affamés (cf. Mt 25, 35.37.42) est un impératif
éthique pour l’Église universelle, qui répond aux enseignements de solidarité et de partage
de son Fondateur, le Seigneur Jésus. Eliminer la faim dans le monde est devenu, par ailleurs, à
l’ère de la mondialisation, une exigence à poursuivre pour sauvegarder la paix et la stabilité de
la planète. La faim ne dépend pas tant d’une carence de ressources matérielles, que d’une carence
de ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature institutionnelle. Il
manque en effet une organisation des institutions économiques qui soit en mesure aussi bien
de garantir un accès régulier et adapté du point de vue nutritionnel à la nourriture et à l’eau,
que de faire face aux nécessités liées aux besoins primaires et aux urgences des véritables crises
alimentaires, provoquées par des causes naturelles ou par l’irresponsabilité politique nationale
ou internationale. Le problème de l’insécurité alimentaire doit être affronté dans une perspective
à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à l’origine et en promouvant
le développement agricole des pays les plus pauvres à travers des investissements en infrastructures
rurales, en systèmes d’irrigation, de transport, d’organisation des marchés, en formation
et en diffusion des techniques agricoles appropriées, c’est-à-dire susceptibles d’utiliser au mieux
les ressources humaines, naturelles et socio-économiques les plus accessibles au niveau local,
de façon à garantir aussi leur durabilité sur le long terme. Tout cela doit être réalisé en impliquant
les communautés locales dans les choix et les décisions relatives à l’usage des terres cultivables.
Dans une telle perspective, il serait utile de considérer les nouvelles frontières qui sont
ouvertes par l’usage correct des techniques de production agricole aussi bien traditionnelles
qu’innovantes, à condition que ces dernières, ayant été étudiées attentivement, soient reconnues
convenables, respectueuses de l’environnement et attentives aux populations les plus défavorisées.
En même temps, la question d’une juste réforme agraire dans les pays en voie de
développement ne devrait pas être négligée. Le droit à l’alimentation, de même que le droit à
l’eau, revêtent un rôle important pour l’acquisition d’autres droits, en commençant avant tout
par le droit fondamental à la vie. Il est donc nécessaire que se forme une conscience solidaire
qui considère l’alimentation et l’accès à l’eau comme droits universels de tous les êtres humains, sans distinction
ni discrimination.65 Il est en outre important de souligner combien la voie de la solidarité
pour le développement des pays pauvres peut constituer un projet de solution de la crise mondiale
actuelle, comme des hommes politiques et des responsables d’Institutions internationales
l’ont mis en évidence ces derniers temps. En soutenant les pays économiquement pauvres par
des plans de financement inspirés par la solidarité, pour qu’ils pourvoient eux-mêmes à la satisfaction
de la demande de biens de consommation et de développement provenant de leurs
propres citoyens, non seulement on peut produire une vraie croissance économique, mais on
peut aussi concourir à soutenir les capacités de production des pays riches qui risquent d’être
compromises par la crise.
28. Un des aspects les plus évidents du développement contemporain est l’importance du
thème du respect de la vie, qui ne peut en aucun cas être disjoint des questions relatives au développement
des peuples. Il s’agit d’un point qui depuis quelques temps prend une importance
toujours plus grande, nous obligeant à élargir les concepts de pauvreté 66 et de sousdéveloppement
aux questions liées à l’accueil de la vie, surtout là où celle-ci est de diverses manières
refusée.
Non seulement la pauvreté provoque encore dans de nombreuses régions un taux élevé de
mortalité infantile, mais en plusieurs endroits du monde subsistent des pratiques de contrôle
démographique par les instances gouvernementales, qui souvent diffusent la contraception et
vont jusqu’à imposer l’avortement. Dans les pays économiquement plus développés, les législations
contraires à la vie sont très répandues et ont désormais conditionné les coutumes et les
usages, contribuant à diffuser une mentalité antinataliste que l’on cherche souvent à transmettre
à d’autres États comme si c’était là un progrès culturel.
Certaines Organisations non-gouvernementales travaillent activement à la diffusion de
l’avortement, et promeuvent parfois dans les pays pauvres l’adoption de la pratique de la stérilisation,
y compris à l’insu des femmes. Par ailleurs, ce n’est pas sans fondement que l’on peut
soupçonner les aides au développement d’être parfois liées à certaines politiques sanitaires impliquant
de fait l’obligation d’un contrôle contraignant des naissances. Sont également préoccupantes
les législations qui admettent l’euthanasie comme les pressions de groupes nationaux
et internationaux qui en revendiquent la reconnaissance juridique.
L’ouverture à la vie est au centre du vrai développement. Quand une société s’oriente vers le refus
et la suppression de la vie, elle finit par ne plus trouver les motivations et les énergies nécessaires
pour oeuvrer au service du vrai bien de l’homme. Si la sensibilité personnelle et sociale à
l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent67.
L’accueil de la vie trempe les énergies morales et nous rend capables de nous aider
mutuellement. En cultivant l’ouverture à la vie, les peuples riches peuvent mieux percevoir les
besoins de ceux qui sont pauvres, éviter d’employer d’importantes ressources économiques et
intellectuelles pour satisfaire les désirs égoïstes de leurs citoyens et promouvoir, en revanche,
des actions bénéfiques en vue d’une production moralement saine et solidaire, dans le respect
du droit fondamental de tout peuple et de toute personne à la vie.
29. Il y a encore un autre aspect de la réalité d’aujourd’hui, lié de façon très étroite au développement:
c’est la négation du droit à la liberté religieuse. Je ne me réfère pas seulement aux luttes
et aux conflits qui, dans le monde, ont des motifs religieux, même si parfois les raisons religieuses
ne servent qu’à couvrir des raisons d’un autre genre, en l’occurrence la soif de pouvoir et de
richesse. Comme mon prédécesseur Jean-Paul II 68 l’avait publiquement dit et déploré à plusieurs
reprises et ainsi que je l’ai fait moi-même, de fait, aujourd’hui on tue souvent en invoquant
le saint nom de Dieu. Les violences freinent le développement authentique et empêchent
la marche des peuples vers un plus grand bien-être socio-économique et spirituel. Cela
s’applique spécialement au terrorisme de nature fondamentaliste,69 qui engendre douleur, dévastation
et mort, bloque le dialogue entre les nations et détourne d’importantes ressources de
leur usage pacifique et civil. Il faut néanmoins ajouter que, outre le fanatisme religieux qui, en
certains milieux, empêche l’exercice du droit à la liberté religieuse, la promotion programmée
de l’indifférence religieuse ou de l’athéisme pratique de la part de nombreux pays s’oppose elle
aussi aux exigences du développement des peuples, en leur soustrayant l’accès aux ressources
spirituelles et humaines. Dieu est le garant du véritable développement de l’homme, dans la mesure où,
l’ayant créé à son image, Il en fonde aussi la dignité transcendante et alimente en lui la soif d’«
être plus ». L’homme n’est pas un atome perdu dans un univers de hasard,70 mais il est une
créature de Dieu, à qui Il a voulu donner une âme immortelle et qu’Il aime depuis toujours. Si
l’homme n’était que le fruit du hasard ou de la nécessité, ou bien s’il devait réduire ses aspirations
à l’horizon restreint des situations dans lesquelles il vit, si tout n’était qu’histoire et culture
et si l’homme n’avait pas une nature destinée à être transcendée dans une vie surnaturelle, on
pourrait parler de croissance ou d’évolution, mais pas de développement. Quand l’État promeut,
enseigne, ou même impose, des formes d’athéisme pratique, il soustrait à ses citoyens la
force morale et spirituelle indispensable pour s’engager en faveur du développement humain
intégral et il les empêche d’avancer avec un dynamisme renouvelé dans leur engagement pour
donner une réponse humaine plus généreuse à l’amour de Dieu.71 Il arrive aussi que les pays
économiquement développés ou émergents exportent vers les pays pauvres, dans le contexte
de leur rapports culturels, commerciaux et politiques, cette vision réductrice de la personne et
de sa destinée. C’est le dommage que le « surdéveloppement »72 inflige au développement authentique,
quand il s’accompagne d’un « sous-développement moral ».73
30. Dans cette perspective, le thème du développement humain intégral revêt une portée encore
plus complexe: la corrélation entre ses multiples composantes exige qu’on s’efforce de faire interagir
les divers niveaux du savoir humain en vue de la promotion d’un vrai développement des peuples. On
estime souvent que le développement, ou les mesures socio-économiques qui s’y rapportent, demandent
seulement à être mis en oeuvre comme fruit d’un agir commun. Toutefois, cet agir
commun a besoin d’être orienté, parce que « toute action sociale engage une doctrine ».74 Compte
tenu de la complexité des problèmes, il est évident que les différentes disciplines scientifiques doivent
collaborer dans une interdisciplinarité ordonnée. La charité n’exclut pas le savoir, mais le réclame,
le promeut et l’anime de l’intérieur. Le savoir n’est jamais seulement l’oeuvre de
l’intelligence. Il peut certainement être réduit à des calculs ou à des expériences, mais s’il veut être
une sagesse capable de guider l’homme à la lumière des principes premiers et de ses fins dernières,
il doit être « relevé » avec le « sel » de la charité. Le faire sans le savoir est aveugle et le savoir sans
amour est stérile. En fait, « celui qui est animé d’une vraie charité est ingénieux à découvrir les
causes de la misère, à trouver les moyens de la combattre, à la vaincre résolument ».75 Face aux
phénomènes auxquels nous sommes confrontés, l’amour dans la vérité demande d’abord et avant
tout à connaître et à comprendre, en reconnaissant et en respectant la compétence spécifique
propre à chaque champ du savoir. La charité n’est pas une adjonction supplémentaire, comme un
appendice au travail une fois achevé des diverses disciplines, mais au contraire elle dialogue avec
elles du début à la fin. Les exigences de l’amour ne contredisent pas celles de la raison. Le savoir
humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne pourront pas, à elles seules, indiquer le
chemin vers le développement intégral de l’homme. Il est toujours nécessaire d’aller plus loin:
l’amour dans la vérité le commande.76 Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction
des conclusions de la raison ni contredire ses résultats. Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour: il y a
l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour.
31. Cela signifie que les évaluations morales et la recherche scientifique doivent croître ensemble
et que la charité doit les animer en un ensemble interdisciplinaire harmonieux, fait
d’unité et de distinction. La doctrine sociale de l’Église, qui a « une importante dimension interdisciplinaire
»,77 peut remplir, dans cette perspective, une fonction d’une efficacité extraordinaire.
Celle-ci permet à la foi, à la théologie, à la métaphysique et aux sciences de trouver leur place
en collaborant au service de l’homme. C’est ici surtout que la doctrine sociale de l’Église
concrétise sa dimension sapientielle. Paul VI avait vu clairement que parmi les causes du sousdéveloppement,
il y a un manque de sagesse, de réflexion, de pensée capable de réaliser une
synthèse directrice,78 pour laquelle « une claire vision de tous les aspects économiques, sociaux,
culturels et spirituels »79 est exigée. Le morcellement excessif du savoir,80 la fermeture des
sciences humaines à la métaphysique,81 les difficultés du dialogue entre les sciences et la théologie
portent préjudice non seulement au développement du savoir, mais aussi au développement
des peuples car, quand cela se vérifie, il devient plus difficile de distinguer le bien intégral
de l’homme dans les différentes dimensions qui le caractérisent. L’« élargissement de notre
conception et de notre usage de la raison »82 est indispensable pour réussir à peser adéquatement
tous les termes de la question du développement et de la solution des problèmes socioéconomiques.
32. Les grandes nouveautés, que le domaine du développement des peuples présente aujourd’hui,
appellent en de nombreux cas des solutions neuves. Celles-ci doivent être recherchées
en même temps dans le respect des lois propres à chaque réalité et à la lumière d’une vision intégrale
de l’homme qui prend en compte les différents aspects de la personne humaine, considérée
avec un regard purifié par la charité. On découvrira alors de singulières convergences et
des possibilités concrètes de solution, sans renoncer à aucune composante fondamentale de la
vie humaine.
La dignité de la personne et les exigences de la justice demandent, aujourd’hui surtout, que
les choix économiques ne fassent pas augmenter de façon excessive et moralement inacceptable
les écarts de richesse 83 et que l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail
ou son maintien, pour tous. Tout bien considéré, c’est ce que la « raison économique » exige
aussi. L’accroissement systémique des inégalités entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un
même pays et entre les populations des différents pays, c’est-à-dire l’augmentation massive de
la pauvreté au sens relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger
la démocratie, mais a aussi un impact négatif sur le plan économique à travers l’érosion
progressive du « capital social », c’est-à-dire de cet ensemble de relations de confiance, de fiabilité,
de respect des règles, indispensables à toute coexistence civile.
C’est encore la science économique qui nous montre qu’une situation structurelle
d’insécurité génère des comportements anti productifs et des gaspillages de ressources humaines,
dans la mesure où le travailleur tend à s’adapter passivement aux mécanismes automatiques,
au lieu de libérer sa créativité. Sur ce point également, il existe une convergence entre
science économique et évaluation morale. Les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques
et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts humains.
Il convient également de rappeler que la réduction des cultures à la dimension technologique,
si elle peut favoriser à court terme la réalisation de profits, constitue un obstacle à long
terme à l’enrichissement réciproque et aux dynamiques de collaboration. Il est important de
distinguer entre les considérations économiques ou sociologiques à court et à long terme.
L’abaissement du niveau de protection des droits des travailleurs et l’abandon des mécanismes
de redistribution des revenus pour donner au pays une plus grande compétitivité internationale
gênent la consolidation d’un développement à long terme. On doit alors évaluer attentivement
les conséquences sur les personnes des tendances actuelles vers une économie du court, voire
du très court terme. Cela demande une réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de l’économie et de ses
fins,84 ainsi qu’une révision profonde et clairvoyante du modèle de développement pour en corriger
les dysfonctionnements et les déséquilibres. C’est ce qu’exige, en outre, l’état de santé écologique
de la planète et surtout ce qu’appelle la crise culturelle et morale de l’homme, dont les
symptômes sont depuis longtemps évidents partout dans le monde.
33. Plus de quarante après la parution de Populorum progressio, sa thématique de fond, le progrès,
demeure un problème en suspens, rendu plus aigu et urgent en raison de la crise économique et
financière actuelle. Si certaines régions du globe, autrefois marquées par la pauvreté, ont connu
des changements notables en termes de croissance économique et de participation à la production
mondiale, d’autres régions sont encore plongées dans une situation de misère comparable
à celle qui existait au temps de Paul VI. Dans certains cas, on peut même parler d’une réelle aggravation.
Il est significatif que plusieurs causes de cette situation aient déjà été identifiées par
Populorum progressio, comme par exemple les tarifs douaniers élevés imposés par les pays économiquement
développés et qui empêchent encore aujourd’hui les produits provenant des
pays pauvres d’entrer sur leurs marchés. En revanche, d’autres causes que l’encyclique avait
seulement effleurées, se sont manifestées ensuite plus clairement. C’est le cas pour l’évaluation
du processus de décolonisation, alors en plein déroulement; Paul VI souhaitait un chemin
d’autonomie à parcourir dans la liberté et dans la paix. Après plus de quarante ans, nous devons
reconnaître combien ce parcours a été difficile, aussi bien à cause de nouvelles formes de
colonialisme et de dépendance à l’égard d’anciens comme de nouveaux pays dominants, qu’en
raison de graves irresponsabilités internes aux pays devenus indépendants.
La nouveauté majeure a été l’explosion de l’interdépendance planétaire, désormais communément
appelée mondialisation. Paul VI l’avait déjà partiellement prévue, mais les termes et la force
avec laquelle elle s’est développée sont surprenants. Né au sein des pays économiquement développés,
ce processus par sa nature a produit une intrication de toutes les économies. Celui-ci
a été le principal moteur pour que des régions entières sortent du sous-développement et il représente
de soi une grande opportunité. Toutefois, sans l’orientation de l’amour dans la vérité,
cet élan planétaire risque de provoquer des dommages inconnus jusqu’alors ainsi que de nouvelles
fractures au sein de la famille humaine. C’est pourquoi l’amour et la vérité nous placent
devant une tâche inédite et créatrice, assurément vaste et complexe. Il s’agit d’élargir la raison et de
la rendre capable de comprendre et d’orienter ces nouvelles dynamiques de grande ampleur, en les animant
dans la perspective de cette « civilisation de l’amour » dont Dieu a semé le germe dans chaque
peuple et dans chaque culture.

CHAPITRE III
FRATERNITÉ, DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE ET SOCIÉTÉ CIVILE
34. L’amour dans la vérité place l’homme devant l’étonnante expérience du don. La gratuité est
présente dans sa vie sous de multiples formes qui souvent ne sont pas reconnues en raison
d’une vision de l’existence purement productiviste et utilitariste. L’être humain est fait pour le
don; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. L’homme moderne est
parfois convaincu, à tort, d’être le seul auteur de lui-même, de sa vie et de la société. C’est là
une présomption, qui dérive de la fermeture égoïste sur lui-même, qui provient
– pour parler en termes de foi – du péché des origines. La sagesse de l’Église a toujours proposé de
tenir compte du péché originel même dans l’interprétation des faits sociaux et dans la construction
de la société: « Ignorer que l’homme a une nature blessée, inclinée au mal, donne lieu à de
graves erreurs dans le domaine de l’éducation, de la politique, de l’action sociale et des moeurs
».85 À la liste des domaines où se manifestent les effets pernicieux du péché, s’est ajouté depuis
longtemps déjà celui de l’économie. Nous en avons une nouvelle preuve, évidente, en ces
temps-ci. La conviction d’être autosuffisant et d’être capable d’éliminer le mal présent dans
l’histoire uniquement par sa seule action a poussé l’homme à faire coïncider le bonheur et le salut
avec des formes immanentes de bien-être matériel et d’action sociale. De plus, la conviction
de l’exigence d’autonomie de l’économie, qui ne doit pas tolérer « d’influences » de caractère
moral, a conduit l’homme à abuser de l’instrument économique y compris de façon destructrice.
À la longue, ces convictions ont conduit à des systèmes économiques, sociaux et politiques
qui ont foulé aux pieds la liberté de la personne et des corps sociaux et qui, précisément
pour cette raison, n’ont pas été en mesure d’assurer la justice qu’ils promettaient. Comme je l’ai
affirmé dans mon encyclique Spe salvi, de cette manière on retranche de l’histoire l’espérance chrétienne,
86 qui est au contraire une puissante ressource sociale au service du développement humain
intégral, recherché dans la liberté et dans la justice. L’espérance encourage la raison et lui
donne la force d’orienter la volonté.87 Elle est déjà présente dans la foi qui la suscite. La charité
dans la vérité s’en nourrit et, en même temps, la manifeste. Étant un don de Dieu absolument
gratuit, elle fait irruption dans notre vie comme quelque chose qui n’est pas dû, qui transcende
toute loi de justice. Le don par sa nature surpasse le mérite, sa règle est la surabondance. Il
nous précède dans notre âme elle-même comme le signe de la présence de Dieu en nous et de
son attente à notre égard. La vérité qui, à l’égal de la charité, est un don, est plus grande que
nous, comme l’enseigne saint Augustin.88 De même, notre vérité propre, celle de notre conscience
personnelle, nous est avant tout « donnée ». Dans tout processus cognitif, en effet, la vérité
n’est pas produite par nous, mais elle est toujours découverte ou, mieux, reçue. Comme
l’amour, elle « ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais, pour ainsi dire, s’impose à l’être
humain ».89
Parce qu’elle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est une force qui constitue
la communauté, unifie les hommes de telle manière qu’il n’y ait plus de barrières ni de limites.
Nous pouvons par nous-mêmes constituer la communauté des hommes, mais celle-ci ne
pourra jamais être, par ses seules forces, une communauté pleinement fraternelle ni excéder ses
propres limites, c’est-à-dire devenir une communauté vraiment universelle: l’unité du genre
humain, communion fraternelle dépassant toutes divisions, naît de l’appel formulé par la parole
du Dieu-Amour. En affrontant cette question décisive, nous devons préciser, d’une part, que la
logique du don n’exclue pas la justice et qu’elle ne se juxtapose pas à elle dans un second temps
et de l’extérieur et d’autre part, que si le développement économique, social et politique veut
être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression
de fraternité.
35. Lorsqu’il est fondé sur une confiance réciproque et générale, le marché est l’institution économique
qui permet aux personnes de se rencontrer, en tant qu’agents économiques, utilisant
le contrat pour régler leurs relations et échangeant des biens et des services fongibles entre eux
pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs. Le marché est soumis aux principes de la justice dite
commutative, qui règle justement les rapports du donner et du recevoir entre sujets égaux. Mais la
doctrine sociale de l’Église n’a jamais cessé de mettre en évidence l’importance de la justice distributive
et de la justice sociale pour l’économie de marché elle-même, non seulement parce qu’elle
est insérée dans les maillons d’un contexte social et politique plus vaste, mais aussi à cause de la
trame des relations dans lesquelles elle se réalise. En effet, abandonné au seul principe de
l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire la cohésion sociale
dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque,
le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette confiance
qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave.
Dans Populorum progressio, Paul VI soulignait de façon opportune le fait que le système économique
lui-même aurait tiré avantage des pratiques généralisées de justice, car les premiers à
tirer bénéfice du développement des pays pauvres auraient été les pays riches.90 Il ne s’agit pas
seulement de corriger des dysfonctionnements par l’assistance. Les pauvres ne sont pas à
considérer comme un « fardeau »,91 mais au contraire comme une ressource, même du point de
vue strictement économique. Il faut considérer comme erronée la conception de certains qui
pensent que l’économie de marché a structurellement besoin d’un quota de pauvreté et de
sous-développement pour pouvoir fonctionner au mieux. L’intérêt du marché est de promouvoir
l’émancipation, mais pour le faire vraiment il ne peut pas compter seulement sur luimême,
car il n’est pas en mesure de produire de lui-même ce qui est au-delà de ses possibilités.
Il doit puiser des énergies morales auprès d’autres sujets, qui sont capables de les faire naître.
36. L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension
de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique
d’abord doit aussi prendre en charge. C’est pourquoi il faut avoir présent à l’esprit que séparer
l’agir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de l’agir politique, à
qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves
déséquilibres.
L’Église a toujours estimé que l’agir économique ne doit pas être considéré comme antisocial.
Le marché n’est pas de soi, et ne doit donc pas devenir, le lieu de la domination du fort sur
le faible. La société ne doit pas se protéger du marché, comme si le développement de ce dernier
comportait ipso facto l’extinction des relations authentiquement humaines. Il est certainement
vrai que le marché peut être orienté de façon négative, non parce que c’est là sa nature,
mais parce qu’une certaine idéologie peut l’orienter en ce sens. Il ne faut pas oublier que le
marché n’existe pas à l’état pur. Il tire sa forme des configurations culturelles qui le caractérisent
et l’orientent. En effet, l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal
utilisées quand celui qui les gère n’a comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ainsi
peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux mêmes en instruments nuisibles.
Mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces conséquences, non l’instrument luimême.
C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa
conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale.
La doctrine sociale de l’Église estime que des relations authentiquement humaines,
d’amitié et de socialité, de solidarité et de réciprocité, peuvent également être vécues même au
sein de l’activité économique et pas seulement en dehors d’elle ou « après » elle. La sphère économique
n’est, par nature, ni éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à
l’activité de l’homme et, justement parce qu’humaine, elle doit être structurée et organisée institutionnellement
de façon éthique.
Le grand défi qui se présente à nous, qui ressort des problématiques du développement en
cette période de mondialisation et qui est rendu encore plus pressant par la crise économique
et financière, est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non
seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et
la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes
le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent
trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. C’est une exigence de l’homme de ce
temps, mais aussi une exigence de la raison économique elle-même. C’est une exigence
conjointe de la charité et de la vérité.
37. La doctrine sociale de l’Église a toujours soutenu que la justice se rapporte à toutes les phases de
l’activité économique, parce qu’elle concerne toujours l’homme et ses exigences. La découverte des
ressources, les financements, la production, la consommation et toutes les autres phases du cy28
cle économique ont inéluctablement des implications morales. Ainsi toute décision économique a-telle
une conséquence de caractère moral. Les sciences sociales et les tendances de l’économie contemporaine
le confirment également. Peut-être fut-il un temps pensable de confier en premier lieu
à l’économie la tâche de produire des richesses, remettant ensuite à la politique la tâche de les
distribuer. Tout ceci se révèle aujourd’hui plus difficile, puisque les activités économiques ne
sont pas confinées à l’intérieur des limites territoriales, alors que l’autorité des gouvernements
continue à être essentiellement locale. C’est pourquoi les règles de la justice doivent être respectées
dès la mise en route du processus économique, et non avant, après ou parallèlement. Il
est nécessaire aussi que, sur le marché, soient ouverts des espaces aux activités économiques
réalisées par des sujets qui choisissent librement de conformer leur propre agir à des principes
différents de ceux du seul profit, sans pour cela renoncer à produire de la valeur économique.
Les nombreux types d’économie qui tirent leur origine d’initiatives religieuses et laïques, démontrent
que cela est concrètement possible.
À l’époque de la mondialisation, l’économie pâtit de modèles de compétition liés à des
cultures très différentes les unes des autres. Les comportements économiques et industriels qui
en découlent, trouvent généralement un point de rencontre dans le respect de la justice commutative.
La vie économique a sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les relations
d’échange entre valeurs équivalentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de
redistribution guidées par la politique, ainsi que d’oeuvres qui soient marquées par l’esprit du don.
L’économie mondialisée semble privilégier la première logique, celle de l’échange contractuel
mais, directement ou indirectement, elle montre qu’elle a aussi besoin des deux autres, de la logique
politique et de la logique du don sans contrepartie.
38. Mon prédécesseur Jean-Paul II avait signalé cette problématique quand, dans Centesimus
annus, il avait relevé la nécessité d’un système impliquant trois sujets: le marché, l’État et la société
civile 92. Il avait identifié la société civile comme le cadre le plus approprié pour une économie de la
gratuité et de la fraternité, mais il ne voulait pas l’exclure des deux autres domaines. Aujourd’hui,
nous pouvons dire que la vie économique doit être comprise comme une réalité à plusieurs
dimensions: en chacune d’elles, à divers degrés et selon des modalités spécifiques, l’aspect de la
réciprocité fraternelle doit être présent. À l’époque de la mondialisation, l’activité économique
ne peut faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la solidarité et la responsabilité
pour la justice et pour le bien commun auprès de ses différents sujets et acteurs. Il s’agit, en réalité,
d’une forme concrète et profonde de démocratie économique. La solidarité signifie avant
tout se sentir tous responsables de tous,93 elle ne peut donc être déléguée seulement à l’État. Si
hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir
ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient
même pas à réaliser la justice. Il faut, par conséquent, un marché sur lequel des entreprises qui
poursuivent des buts institutionnels différents puissent agir librement, dans des conditions
équitables. À côté de l’entreprise privée tournée vers le profit, et des divers types d’entreprises
publiques, il est opportun que les organisations productrices qui poursuivent des buts mutualistes
et sociaux puissent s’implanter et se développer. C’est de leur confrontation réciproque sur
le marché que l’on peut espérer une sorte d’hybridation des comportements d’entreprise et
donc une attention vigilante à la civilisation de l’économie. La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie
qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit,
entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en
soi.
39. Dans Populorum progressio, Paul VI demandait que soit définir un modèle d’économie de marché
capable d’intégrer, au moins tendanciellement, tous les peuples et non seulement ceux qui étaient en mesure d’y
prendre part. Il demandait que le marché international soit le reflet d’un monde où « tous auront
à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres
».94 De cette manière, il étendait au niveau universel les requêtes et les aspirations déjà
contenues dans Rerum novarum, où pour la première fois, à la suite de la révolution industrielle,
était affirmée l’idée – assurément avancée pour l’époque – que pour subsister l’ordre civil avait
besoin aussi de l’intervention redistributive de l’État. Aujourd’hui cette vision est non seulement
remise en question par les processus d’ouverture des marchés et des sociétés, mais elle
apparaît aussi incomplète pour satisfaire les exigences d’une économie pleinement humaine. Ce
que la doctrine sociale de l’Église a toujours soutenu, en partant de sa vision de l’homme et de
la société, est aujourd’hui requis aussi par les dynamiques caractéristiques de la mondialisation.
Quand la logique du marché et celle de l’État s’accordent entre elles pour perpétuer le
monopole de leurs domaines respectifs d’influence, la solidarité dans les relations entre les citoyens
s’amoindrit à la longue, de même que la participation et l’adhésion, l’agir gratuit, qui
sont d’une nature différente du donner pour avoir, spécifique à la logique de l’échange, et du donner
par devoir, qui est propre à l’action publique, réglée par les lois de l’État. Vaincre le sousdéveloppement
demande d’agir non seulement en vue de l’amélioration des transactions fondées
sur l’échange et des prestations sociales, mais surtout sur l’ouverture progressive, dans un
contexte mondial, à des formes d’activité économique caractérisées par une part de gratuité et de communion. Le
binôme exclusif marché-État corrode la socialité, alors que les formes économiques solidaires,
qui trouvent leur terrain le meilleur dans la société civile sans se limiter à elle, créent de la socialité.
Le marché de la gratuité n’existe pas et on ne peut imposer par la loi des comportements
gratuits. Pourtant, aussi bien le marché que la politique ont besoin de personnes ouvertes au
don réciproque.
40. Les dynamiques économiques internationales actuelles, caractérisées par de graves déviances
et des dysfonctionnements, appellent également de profonds changements dans la façon de concevoir
l’entreprise. D’anciennes formes de la vie des entreprises disparaissent, tandis que d’autres,
prometteuses, se dessinent à l’horizon. Un des risques les plus grands est sans aucun doute que
l’entreprise soit presque exclusivement soumise à celui qui investit en elle et que sa valeur so30
ciale finisse ainsi par être amoindrie. En raison de la croissance de leurs dimensions et au besoin
de capitaux toujours plus importants, les entreprises ont de moins en moins à leur tête un
entrepreneur stable qui soit responsable à long terme de la vie et des résultats de l’entreprise et
pas seulement à court terme, et elles sont aussi toujours moins lié à un territoire unique. En outre,
la fameuse délocalisation de l’activité productive peut atténuer chez l’entrepreneur le sens
de ses responsabilités vis-à-vis des porteurs d’intérêts, tels que les travailleurs, les fournisseurs,
les consommateurs, l’environnement naturel et, plus largement, la société environnante, au
profit des actionnaires, qui ne sont pas liés à un lieu spécifique et qui jouissent donc d’une
extraordinaire mobilité. En effet, le marché international des capitaux offre aujourd’hui une
grande liberté d’action. Il est vrai cependant que l’on prend toujours davantage conscience de
la nécessité d’une plus ample « responsabilité sociale » de l’entreprise. Même si les positions
éthiques qui guident aujourd’hui le débat sur la responsabilité sociale de l’entreprise ne sont pas
toutes acceptables selon la perspective de la doctrine sociale de l’Église, c’est un fait que se répand
toujours plus la conviction selon laquelle la gestion de l’entreprise ne peut pas tenir compte des intérêts
de ses seuls propriétaires, mais aussi de ceux de toutes les autres catégories de sujets qui contribuent à la vie
de l’entreprise: les travailleurs, les clients, les fournisseurs des divers éléments de la production,
les communautés humaines qui en dépendent. Ces dernières années, on a vu la croissance
d’une classe cosmopolite de managers qui, souvent, ne répondent qu’aux indications des actionnaires
de référence, constitués en général par des fonds anonymes qui fixent de fait leurs rémunérations.
Cela n’empêche pas qu’aujourd’hui il y ait de nombreux managers qui, grâce à des
analyses clairvoyantes, se rendent compte toujours davantage des liens profonds de leur entreprise
avec le territoire ou avec les territoires où elle opère. Paul VI invitait à évaluer sérieusement
le préjudice que le transfert de capitaux à l’étranger exclusivement en vue d’un profit personnel,
peut causer à la nation elle-même.95 Jean-Paul II observait qu’investir, outre sa signification
économique, revêt toujours une signification morale.96 Tout ceci – il faut le redire – est valable
aujourd’hui encore, bien que le marché des capitaux ait été fortement libéralisé et que les mentalités
technologiques modernes puissent conduire à penser qu’investir soit seulement un fait
technique et non pas aussi humain et éthique. Il n’y a pas de raison de nier qu’un certain capital,
s’il est investi à l’étranger plutôt que dans sa patrie, puisse faire du bien. Cependant les requêtes
de la justice doivent être sauvegardées, en tenant compte aussi de la façon dont ce capital
a été constitué et des préjudices causés aux personnes par leur non emploi dans les lieux où
ce capital a été produit.97 Il faut éviter que le motif de l’emploi des ressources financières soit spéculatif
et cède à la tentation de rechercher seulement un profit à court terme, sans rechercher aussi
la continuité de l’entreprise à long terme, son service précis à l’économie réelle et son attention
à la promotion, de façon juste et convenable, d’initiatives économiques y compris dans les pays
qui ont besoin de développement. Il ne faut pas nier que lorsque la délocalisation comporte
des investissements et offre de la formation, elle peut être bénéfique aux populations des pays
d’accueil. Le travail et la connaissance technique sont un besoin universel. Cependant il n’est
pas licite de délocaliser seulement pour jouir de faveurs particulières ou, pire, pour exploiter la
société locale sans lui apporter une véritable contribution à la mise en place d’un système productif
et social solide, facteur incontournable d’un développement stable.
41. Dans le contexte de ce document, il est utile d’observer que l’entreprenariat a et doit toujours
plus avoir une signification plurivalente. La prééminence persistante du binôme marché-État nous a
habitués à penser exclusivement à l’entrepreneur privé de type capitaliste, d’une part, et au hautfonctionnaire
de l’autre. En réalité, l’entreprenariat doit être compris de façon diversifiée. Ceci
découle d’une série de raisons méta-économiques. Avant d’avoir une signification professionnelle,
l’entreprenariat a une signification humaine.98 Il est inscrit dans tout travail, vu comme «
actus personæ »,99 c’est pourquoi il est bon qu’à tout travailleur soit offerte la possibilité d’apporter
sa contribution propre de sorte que lui-même « sache travailler ‘à son compte’ ».100 Ce n’est pas
sans raison que Paul VI enseignait que « tout travailleur est un créateur ».101 C’est justement
pour répondre aux exigences et à la dignité de celui qui travaille, ainsi qu’aux besoins de la société,
que divers types d’entreprises existent, bien au-delà de la seule distinction entre « privé » et «
public ». Chacune requiert et exprime une capacité d’entreprise singulière. Dans le but de créer
une économie qui, dans un proche avenir, sache se mettre au service du bien commun national
et mondial, il est opportun de tenir compte de cette signification élargie de l’entreprenariat.
Cette conception plus large favorise l’échange et la formation réciproque entre les diverses typologies
d’entreprenariat, avec un transfert de compétences du monde du non profit à celui du profit
et vice-versa, du domaine public à celui de la société civile, de celui des économies avancées à
celui des pays en voie de développement.
L’« autorité politique » a, elle aussi, une signification plurivalente qui ne peut être négligée, dans la
mise en place d’un nouvel ordre économico-productif, socialement responsable et à dimension
humaine. De même qu’on entend cultiver un entreprenariat différencié sur le plan mondial,
ainsi doit-on promouvoir une autorité politique répartie et active sur plusieurs plans.
L’économie intégrée de notre époque n’élimine pas le rôle des États, elle engage plutôt les gouvernements
à une plus forte collaboration réciproque. La sagesse et la prudence nous suggèrent
de ne pas proclamer trop hâtivement la fin de l’État. Lié à la solution de la crise actuelle, son
rôle semble destiné à croître, tandis qu’il récupère nombre de ses compétences. Il y a aussi des
nations pour lesquelles la construction ou la reconstruction de l’État continue d’être un élément
clé de leur développement. L’aide internationale à l’intérieur d’un projet de solidarité ciblé
en vue de la solution des problèmes économiques actuels, devrait en premier lieu soutenir la
consolidation de systèmes constitutionnels, juridiques, administratifs dans les pays qui ne jouissent
pas encore pleinement de ces biens. À côté des aides économiques, il doit y avoir celles
qui ont pour but de renforcer les garanties propres de l’État de droit, un système d’ordre public
et de détention efficaces dans le respect des droits humains, des institutions vraiment démocratiques.
Il n’est pas nécessaire que l’État ait partout les mêmes caractéristiques: le soutien aux
systèmes constitutionnels faibles en vue de leur renforcement peut très bien s’accompagner du
développement d’autres sujets politiques, de nature culturelle, sociale, territoriale ou religieuse,
à côté de l’État. L’articulation de l’autorité politique au niveau local, national et international
est, entre autres, une des voies maîtresses pour parvenir à orienter la mondialisation économique.
C’est aussi le moyen pour éviter qu’elle ne mine dans les faits les fondements de la démocratie.
42. On relève parfois des attitudes fatalistes à l’égard de la mondialisation, comme si les dynamiques
en acte étaient produites par des forces impersonnelles anonymes et par des structures indépendantes
de la volonté humaine.102 Il est bon de rappeler à ce propos que la mondialisation
doit être certainement comprise comme un processus socio-économique, mais ce n’est pas là
son unique dimension. Derrière le processus le plus visible se trouve la réalité d’une humanité
qui devient de plus en plus interconnectée. Celle-ci est constituée de personnes et de peuples
auxquels ce processus doit être utile et dont il doit servir le développement,103 en vertu des responsabilités
respectives prises aussi bien par des individus que par la collectivité. Le dépassement
des frontières n’est pas seulement un fait matériel, mais il est aussi culturel dans ses causes
et dans ses effets. Si on regarde la mondialisation de façon déterministe, les critères pour
l’évaluer et l’orienter se perdent. C’est une réalité humaine et elle peut avoir en amont diverses
orientations culturelles sur lesquelles il faut exercer un discernement. La vérité de la mondialisation
comme processus et sa nature éthique fondamentale dérivent de l’unité de la famille
humaine et de son développement dans le bien. Il faut donc travailler sans cesse afin de favoriser
une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance, du processus d’intégration
planétaire.
Malgré certaines de ses dimensions structurelles qui ne doivent pas être niées, ni absolutisées,
« la mondialisation, a priori, n’est ni bonne ni mauvaise. Elle sera ce que les personnes en
feront »104. Nous ne devons pas en être les victimes, mais les protagonistes, avançant avec bon
sens, guidés par la charité et par la vérité. S’y opposer aveuglément serait une attitude erronée,
préconçue, qui finirait par ignorer un processus porteur d’aspects positifs, avec le risque de
perdre une grande occasion de saisir les multiples opportunités de développement qu’elle offre.
Les processus de mondialisation, convenablement conçus et gérés, offrent la possibilité d’une
grande redistribution de la richesse au niveau planétaire comme cela ne s’était jamais présenté
auparavant; s’ils sont mal gérés ils peuvent au contraire faire croître la pauvreté et les inégalités,
et contaminer le monde entier par une crise. Il faut en corriger les dysfonctionnements, dont certains
sont graves, qui introduisent de nouvelles divisions entre les peuples et au sein des peuples, et
faire en sorte que la redistribution de la richesse n’entraîne pas une redistribution de la pauvreté
ou même son accentuation, comme une mauvaise gestion de la situation actuelle pourrait nous
le faire craindre. Pendant longtemps, on a pensé que les peuples pauvres devaient demeurer
fixés à un stade préétabli de développement et devaient se contenter de la philanthropie des
peuples développés. Dans Populorum progressio, Paul VI a pris position contre cette mentalité.
Aujourd’hui les ressources matérielles utilisables pour faire sortir ces peuples de la misère sont
théoriquement plus importantes qu’autrefois, mais ce sont les peuples des pays développés
eux-mêmes qui ont fini par en profiter, eux qui ont pu mieux exploiter le processus de libéralisation
des mouvements de capitaux et du travail. La diffusion du bien-être à l’échelle mondiale
ne doit donc pas être freinée par des projets égoïstes, protectionnistes ou dictés par des intérêts
particuliers. En effet, l’implication des pays émergents ou en voie de développement permet
aujourd’hui de mieux gérer la crise. La transition inhérente au processus de mondialisation présente
des difficultés et des dangers importants, qui pourront être surmontés seulement si on
sait prendre conscience de cette dimension anthropologique et éthique, qui pousse profondément
la mondialisation elle-même vers des objectifs d’humanisation solidaire. Malheureusement
cette dimension est souvent dominée et étouffée par des perspectives éthiques et culturelles
de nature individualiste et utilitariste. La mondialisation est un phénomène multidimensionnel
et polyvalent, qui exige d’être saisi dans la diversité et dans l’unité de tous ses aspects, y
compris sa dimension théologique. Cela permettra de vivre et d’orienter la mondialisation de
l’humanité en termes de relationnalité, de communion et de partage.

CHAPITRE IV
DÉVELOPPEMENT DES PEUPLES,
DROITS ET DEVOIRS, ENVIRONNEMENT
43. « La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour nous, est aussi un devoir ».105
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui sont tenté de prétendre ne rien devoir à personne, si ce
n’est à eux-mêmes. Ils estiment n’être détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de
grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à l’égard de leur développement personnel
intégral et de celui des autres. C’est pourquoi il est important de susciter une nouvelle réflexion
sur le fait que les droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires.106 Aujourd’hui, nous
sommes témoins d’une grave contradiction. Tandis que, d’un côté, sont revendiqués de soidisant
droits, de nature arbitraire et voluptuaire, avec la prétention de les voir reconnus et
promus par les structures publiques, d’un autre côté, des droits élémentaires et fondamentaux
d’une grande partie de l’humanité sont ignorés et violés.107 On a souvent noté une relation entre
la revendication du droit au superflu ou même à la transgression et au vice, dans les sociétés
opulentes, et le manque de nourriture, d’eau potable, d’instruction primaire ou de soins sanitaires
élémentaires dans certaines régions sous-développées ainsi que dans les périphéries des
grandes métropoles. Cette relation est due au fait que les droits individuels, détachés du cadre
des devoirs qui leur confère un sens plénier, s’affolent et alimentent une spirale de requêtes
pratiquement illimitée et privée de repères. L’exaspération des droits aboutit à l’oubli des devoirs.
Les devoirs délimitent les droits parce qu’ils renvoient au cadre anthropologique et éthique
dans la vérité duquel ces derniers s’insèrent et ainsi ne deviennent pas arbitraires. C’est
pour cette raison que les devoirs renforcent les droits et situent leur défense et leur promotion
comme un engagement à prendre en faveur du bien. Si, par contre, les droits de l’homme ne
trouvent leur propre fondement que dans les délibérations d’une assemblée de citoyens, ils
peuvent être modifiés à tout moment et, par conséquent, le devoir de les respecter et de les
promouvoir diminue dans la conscience commune. Les Gouvernements et les Organismes internationaux
peuvent alors oublier l’objectivité et l’« indisponibilité » des droits. Quand cela se
produit, le véritable développement des peuples est mis en danger.108 De tels comportements
compromettent l’autorité des Organismes internationaux, surtout aux yeux des pays qui ont le
plus besoin de développement. Ceux-ci demandent, en effet, que la communauté internationale
considère comme un devoir de les aider à être « les artisans de leur destin »,109 c’est-à-dire à assumer
eux-mêmes à leur tour des devoirs. Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise beaucoup
plus que la seule revendication de droits.
44. La conception des droits et des devoirs dans le développement est mise à l’épreuve de
manière dramatique par les problématiques liées à la croissance démographique. Il s’agit d’une limite
très importante pour le vrai développement, parce qu’elle concerne les valeurs primordiales de
la vie et de la famille.110 Considérer l’augmentation de la population comme la cause première
du sous-développement est incorrect, même du point de vue économique: il suffit de penser
d’une part à l’importante diminution de la mortalité infantile et à l’allongement moyen de la vie
qu’on enregistre dans les pays économiquement développés, et d’autre part, aux signes de crises
qu’on relève dans les sociétés où l’on enregistre une baisse préoccupante de la natalité. Il
demeure évidemment nécessaire de prêter l’attention due à une procréation responsable qui
constitue, entre autres, une contribution efficace au développement humain intégral. L’Église,
qui a à coeur le véritable développement de l’homme, lui recommande de respecter dans tout
son agir la réalité humaine authentique. Cette dimension doit être reconnue, en particulier, en
ce qui concerne la sexualité: on ne peut la réduire à un pur fait hédoniste et ludique, de même
que l’éducation sexuelle ne peut être réduite à une instruction technique, dans l’unique but de
défendre les intéressés d’éventuelles contaminations ou du « risque » de procréation. Cela équivaudrait
à appauvrir et à ignorer le sens profond de la sexualité, qui doit au contraire être reconnue
et assumée avec responsabilité, tant par l’individu que par la communauté. En effet, la
responsabilité interdit aussi bien de considérer la sexualité comme une simple source de plaisir,
que de la réguler par des politiques de planification forcée des naissances. Dans ces deux cas,
on est en présence de conceptions et de politiques matérialistes, où les personnes finissent par
subir différentes formes de violence. À tout cela, on doit opposer, en ce domaine, la compétence
primordiale des familles 111 par rapport à celle l’État et à ses politiques contraignantes,
ainsi qu’une éducation appropriée des parents.
L’ouverture moralement responsable à la vie est une richesse sociale et économique. De grandes nations
ont pu sortir de la misère grâce au grand nombre de leurs habitants et à leurs potentialités. En
revanches, des nations, un temps prospères, connaissent à présent une phase d’incertitude et,
dans certains cas, de déclin à cause de la dénatalité qui est un problème crucial pour les sociétés
de bien-être avancé. La diminution des naissances, parfois au-dessous du fameux « seuil de renouvellement
», met aussi en difficulté les systèmes d’assistance sociale, elle en augmente les
coûts, réduit le volume de l’épargne et, donc, les ressources financières nécessaires aux investissements,
elle réduit la disponibilité d’une main-d’oeuvre qualifiée, elle restreint la réserve des «
cerveaux » utiles pour les besoins de la nation. De plus, dans les familles de petite, et même de
toute petite dimension, les relations sociales courent le risque d’être appauvries, et les formes
de solidarité traditionnelle de ne plus être garanties. Ce sont des situations symptomatiques
d’une faible confiance en l’avenir ainsi que d’une lassitude morale. Continuer à proposer aux
nouvelles générations la beauté de la famille et du mariage, la correspondance de ces institutions
aux exigences les plus profondes du coeur et de la dignité de la personne devient ainsi une
nécessité sociale, et même économique. Dans cette perspective, les États sont appelés à mettre
en oeuvre des politiques qui promeuvent le caractère central et l’intégrité de la famille, fondée sur le mariage
entre un homme et une femme, cellule première et vitale de la société,112 prenant en compte
ses problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa nature relationnelle.
45. Répondre aux exigences morales les plus profondes de la personne a aussi des retombées
importantes et bénéfiques sur le plan économique. En effet, pour fonctionner correctement, l’économie
a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne.
Aujourd’hui, on parle beaucoup d’éthique dans le domaine économique, financier ou industriel.
Des Centres d’études et des parcours de formation de business ethics sont créés. Dans le monde
développé, le système des certifications éthiques se répand à la suite du mouvement d’idées né
autour de la responsabilité sociale de l’entreprise. Les banques proposent des comptes et des
fonds d’investissement appelés « éthiques ». Une « finance éthique » se développe surtout à travers
le microcrédit et, plus généralement, la microfinance. Ces processus sont appréciables et
méritent un large soutien. Leurs effets positifs se font sentir même dans les régions les moins
développées de la terre. Toutefois, il est bon d’élaborer aussi un critère valable de discernement,
car on note un certain abus de l’adjectif « éthique » qui, employé de manière générique,
se prête à désigner des contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des décisions
et des choix contraires à la justice et au véritable bien de l’homme.
En fait, cela dépend en grande partie du système moral auquel on se réfère. Sur ce thème,
la doctrine sociale de l’Église a une contribution spécifique à apporter, qui se fonde sur la création
de l’homme « à l’image de Dieu » (Gn 1, 27), principe d’où découle la dignité inviolable de
la personne humaine, de même que la valeur transcendante des normes morales naturelles. Une
éthique économique qui méconnaîtrait ces deux piliers, risquerait inévitablement de perdre sa
signification propre et de se prêter à des manipulations. Plus précisément, elle risquerait de
s’adapter aux systèmes économiques et financiers existant, au lieu de corriger leurs dysfonctionnements.
Elle finirait également, entre autres, par justifier le financement de projets non
éthiques. En outre, il ne faut pas utiliser le mot « éthique » de façon idéologiquement discriminatoire,
laissant entendre que les initiatives qui ne seraient pas formellement parées de cette
qualification, ne seraient pas éthiques. Il faut oeuvrer – et cette observation est ici essentielle!
– non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes « éthiques » dans l’économie ou
dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la finance soient éthiques et le soient
non à cause d’un étiquetage extérieur, mais à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur
nature même. La doctrine sociale de l’Église aborde ce sujet avec clarté quand elle rappelle que
l’économie, en ses différentes ramifications, est un secteur de l’activité humaine.113
46. Considérant les thématiques relatives au rapport entre entreprise et éthique, ainsi que l’évolution
que le système de production connaît actuellement, il semble que la distinction faite jusqu’ici
entre entreprises à but lucratif (profit) et organisations à but non lucratif (non profit) ne soit plus
en mesure de rendre pleinement compte de la réalité, ni d’orienter efficacement l’avenir. Au
cours de ces dernières décennies, une ample sphère intermédiaire entre ces deux types
d’entreprises a surgi. Elle est constituée d’entreprises traditionnelles, – qui cependant souscrivent
des pactes d’aide aux pays sous-développés –, de fondations qui sont l’expression
d’entreprises individuelles, de groupes d’entreprises ayant des buts d’utilité sociale, du monde
varié des acteurs de l’économie dite « civile et de communion ». Il ne s’agit pas seulement d’un
« troisième secteur », mais d’une nouvelle réalité vaste et complexe, qui touche le privé et le
public et qui n’exclut pas le profit mais le considère comme un instrument pour réaliser des objectifs
humains et sociaux. Le fait que ces entreprises distribuent ou non leurs bénéfices ou
bien qu’elles prennent l’une ou l’autre des formes prévues par les normes juridiques devient secondaire
par rapport à leur orientation à concevoir le profit comme un moyen pour parvenir à
des objectifs d’humanisation du marché et de la société. Il est souhaitable que ces nouveaux types
d’entreprise trouvent également dans tous les pays un cadre juridique et fiscale convenables.
Sans rien ôter à l’importance et à l’utilité économique et sociale des formes traditionnelles
d’entreprise, elles font évoluer le système vers une plus claire et complète acceptation de leurs
devoirs, de la part des agents économiques. Bien plus, la pluralité même des formes institutionnelles de
l’entreprise crée un marché plus civique et en même temps plus compétitif.
47. Le renforcement des diverses typologies d’entreprises et, en particulier, de celles capables
de concevoir le profit comme un instrument pour parvenir à des objectifs d’humanisation du
marché et des sociétés, doit être poursuivi aussi dans les pays qui sont exclus ou mis en marge
des circuits de l’économie mondiale, et où il est très important d’avancer par le biais de projets,
fondés sur une subsidiarité conçue et administrée de façon adaptée, qui tendent à affermir les
droits tout en prévoyant toujours une prise de responsabilités correspondantes. Dans les interventions
en faveur du développement, le principe de la centralité de la personne humaine doit être préservé
car elle est le sujet qui, le premier, doit prendre en charge la tâche du développement.
L’urgence principale est l’amélioration des conditions de vie des personnes concrètes d’une région
donnée, afin qu’elles puissent accomplir ces tâches qu’actuellement leur indigence ne leur
permet pas de remplir. La sollicitude ne peut jamais être une attitude abstraite. Les programmes
de développement, pour pouvoir être adaptés aux situations particulières, doivent être caractérisés
par la flexibilité. Et les personnes qui en bénéficient devraient être directement associées
à leur préparation et devenir protagonistes de leur réalisation. Il est aussi nécessaire
d’appliquer les critères de la progression et de l’accompagnement – y compris pour le contrôle
des résultats –, car il n’existe pas de recettes universellement valables. Cela dépend largement
de la gestion concrète des interventions. « Ouvriers de leur propre développement, les peuples
en sont les premiers responsables. Mais ils ne le réaliseront pas dans l’isolement ».114 Aujourd’hui,
avec la consolidation du processus d’intégration progressive de la planète, cette exhortation
de Paul VI est encore plus actuelle. Les dynamiques d’inclusion n’ont rien de mécanique.
Les solutions doivent être adaptées à la vie des peuples et des personnes concrètes, sur
la base d’une évaluation prévoyante de chaque situation. À côté des macroprojets, les microprojets
sont nécessaires et, plus encore, la mobilisation effective de tous les acteurs de la société
civile, des personnes juridiques comme des personnes physiques.
La coopération internationale a besoin de personnes qui aient en commun le souci du processus
de développement économique et humain, par la solidarité de la présence, de
l’accompagnement, de la formation et du respect. De ce point de vue, les Organismes internationaux
eux-mêmes devraient s’interroger sur l’efficacité réelle de leurs structures bureaucratiques
et administratives, souvent trop coûteuses. Il arrive parfois que celui à qui sont destinées
des aides devienne utile à celui qui l’aide et que les pauvres servent de prétexte pour faire subsister
des organisations bureaucratiques coûteuses qui réservent à leur propre subsistance des
pourcentages trop élevés des ressources qui devraient au contraire être destinées au développement.
Dans cette perspective, il serait souhaitable que tous les Organismes internationaux et
les Organisations non gouvernementales s’engagent à oeuvrer dans la pleine transparence, informant
leurs donateurs et l’opinion publique du pourcentage des fonds reçus destiné aux programmes
de coopération, du véritable contenu de ces programmes, et enfin de la répartition
des dépenses de l’institution elle-même.
48. Le thème du développement est aussi aujourd’hui fortement lié aux devoirs qu’engendre le
rapport de l’homme avec l’environnement naturel. Celui-ci a été donné à tous par Dieu et son usage représente
pour nous une responsabilité à l’égard des pauvres, des générations à venir et de
l’humanité tout entière. Si la nature, et en premier lieu l’être humain, sont considérés comme le
fruit du hasard ou du déterminisme de l’évolution, la conscience de la responsabilité s’atténue
dans les esprits. Dans la nature, le croyant reconnaît le merveilleux résultat de l’intervention
créatrice de Dieu, dont l’homme peut user pour satisfaire ses besoins légitimes – matériels et
immatériels – dans le respect des équilibres propres à la réalité créée. Si cette vision se perd,
l’homme finit soit par considérer la nature comme une réalité intouchable, soit, au contraire,
par en abuser. Ces deux attitudes ne sont pas conformes à la vision chrétienne de la nature,
fruit de la création de Dieu.
La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle nous précède et Dieu nous l’a
donnée comme milieu de vie. Elle nous parle du Créateur (cf. Rm 1, 20) et de son amour pour
l’humanité. Elle est destinée à être « récapitulée » dans le Christ à la fin des temps (cf. Ep 1, 9-
10; Col 1, 19-20). Elle a donc elle aussi une « vocation ».115 La nature est à notre disposition
non pas comme « un tas de choses répandues au hasard »,116 mais au contraire comme un don
du Créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires
pour « la garder et la cultiver » (Gn 2, 15). Toutefois, il faut souligner que considérer la
nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est contraire au véritable
développement. Cette position conduit à des attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme:
le salut de l’homme ne peut pas dériver de la nature seule, comprise au sens purement
naturaliste. Par ailleurs, la position inverse, qui vise à sa technicisation complète, est également
à rejeter car le milieu naturel n’est pas seulement un matériau dont nous pouvons disposer à
notre guise, mais c’est l’oeuvre admirable du Créateur, portant en soi une « grammaire » qui indique
une finalité et des critères pour qu’il soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière
arbitraire. Aujourd’hui, de nombreux obstacles au développement proviennent précisément
de ces conceptions erronées. Réduire complètement la nature à un ensemble de données
de fait finit par être source de violence dans les rapports avec l’environnement et finalement
par motiver des actions irrespectueuses envers la nature même de l’homme. Étant constituée
non seulement de matière mais aussi d’esprit et, en tant que telle, étant riche de significations et
de buts transcendants à atteindre, celle-ci revêt un caractère normatif pour la culture. L’homme
interprète et façonne le milieu naturel par la culture qui, à son tour, est orientée par la liberté
responsable, soucieuse des principes de la loi morale. Les projets en vue d’un développement
humain intégral ne peuvent donc ignorer les générations à venir, mais ils doivent se fonder sur
la solidarité et sur la justice intergénérationnelles, en tenant compte de multiples aspects: écologique,
juridique, économique, politique, culturel.117
49. Aujourd’hui, les questions liées à la protection et à la sauvegarde de l’environnement doivent
prendre en juste considération les problématiques énergétiques. L’accaparement des ressources
énergétiques non renouvelables par certains États, groupes de pouvoir ou entreprises, constitue,
en effet, un grave obstacle au développement des pays pauvres. Ceux-ci n’ont pas les ressources
économiques nécessaires pour accéder aux sources énergétiques non renouvelables
existantes ni pour financer la recherche de nouvelles sources alternatives. L’accaparement des
ressources naturelles qui, dans de nombreux cas, se trouvent précisément dans les pays pauvres,
engendre l’exploitation et de fréquents conflits entre nations ou à l’intérieur de celles-ci.
Ces conflits se déroulent souvent sur le territoire même de ces pays, entraînant de lourdes
conséquences: morts, destructions et autres dommages. La communauté internationale a le devoir
impératif de trouver les voies institutionnelles pour réglementer l’exploitation des ressources
non renouvelables, en accord avec les pays pauvres, afin de planifier ensemble l’avenir.
Sur ce front aussi, apparaît l’urgente nécessité morale d’une solidarité renouvelée, spécialement dans
les relations entre les pays en voie de développement et les pays hautement industrialisés.118
Les sociétés technologiquement avancées peuvent et doivent diminuer leur propre consommation
énergétique parce que d’une part, leurs activités manufacturières évoluent et parce que
d’autre part, leurs citoyens sont plus sensibles au problème écologique. Ajoutons à cela qu’il est
possible d’améliorer aujourd’hui la productivité énergétique et qu’il est possible, en même
temps, de faire progresser la recherche d’énergies alternatives. Toutefois, une redistribution
planétaire des ressources énergétiques est également nécessaire afin que les pays qui n’en ont
pas puissent y accéder. Leur destin ne peut être abandonné aux mains du premier venu ou à la
logique du plus fort. Ce sont des problèmes importants qui, pour être affrontés de façon efficace,
demandent de la part de tous une prise de conscience responsable des conséquences qui
retomberont sur les nouvelles générations, surtout sur les très nombreux jeunes présents au
sein des peuples pauvres et qui « demandent leur part active dans la construction d’un monde
meilleur ».119
50. Cette responsabilité est globale, parce qu’elle ne concerne pas seulement l’énergie, mais
toute la création, que nous ne devons pas transmettre aux nouvelles générations appauvrie de
ses ressources. Il est juste que l’homme puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature pour la
protéger, la mettre en valeur et la cultiver selon des formes nouvelles et avec des technologies
avancées, afin que la terre puisse accueillir dignement et nourrir la population qui l’habite. Il y a
de la place pour tous sur la terre: la famille humaine tout entière doit y trouver les ressources
nécessaires pour vivre correctement grâce à la nature elle-même, don de Dieu à ses enfants, et
par l’effort de son travail et de sa créativité. Nous devons cependant avoir conscience du grave
devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état tel qu’elles
puissent elles aussi l’habiter décemment et continuer à la cultiver. Cela implique de s’engager à
prendre ensemble des décisions, « après avoir examiné de façon responsable la route à suivre,
en vue de renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit être le reflet de l’amour
créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons ».120 Il est souhaitable que la
communauté internationale et chaque gouvernement sachent contrecarrer efficacement les
modalités d’exploitation de l’environnement qui s’avèrent néfastes. Il est par ailleurs impératif
que les autorités compétentes entreprennent tous les efforts nécessaires afin que les coûts économiques
et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de
façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres
populations ou par les générations futures: la protection de l’environnement, des ressources
et du climat demande que tous les responsables internationaux agissent ensemble et démontrent
leur résolution à travailler honnêtement, dans le respect de la loi et de la solidarité à
l’égard des régions les plus faibles de la planète.121 L’une des plus importantes tâches de
l’économie est précisément l’utilisation la plus efficace des ressources, et non leur abus, sans
jamais oublier que la notion d’efficacité n’est pas axiologiquement neutre.
51. La façon dont l’homme traite l’environnement influence les modalités avec lesquelles il se traite lui-même et
réciproquement. C’est pourquoi la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie
qui, en de nombreuses régions du monde, est porté à l’hédonisme et au consumérisme, demeurant
indifférente aux dommages qui en découlent.122 Un véritable changement de mentalité est
nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent
les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du
vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance
commune »123. Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à
l’environnement, de même que la détérioration de l’environnement, à son tour, provoque
l’insatisfaction dans les relations sociales. À notre époque en particulier, la nature est tellement
intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles qu’elle ne constitue presque plus une don41
née indépendante. La désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles
sont aussi le fruit de l’appauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En stimulant
le développement économique et culturel de ces populations, on protège aussi la nature.
En outre, combien de ressources naturelles sont dévastées par les guerres! La paix des peuples
et entre les peuples permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. L’accaparement des
ressources, spécialement de l’eau, peuvent provoquer de graves conflits parmi les populations
concernées. Un accord pacifique sur l’utilisation des ressources peut préserver la nature et, en
même temps, le bien-être des sociétés intéressées.
L’Église a une responsabilité envers la création et doit la faire valoir publiquement aussi. Ce faisant,
elle doit préserver non seulement la terre, l’eau et l’air comme dons de la création appartenant
à tous, elle doit aussi surtout protéger l’homme de sa propre destruction. Une sorte
d’écologie de l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de
l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine:
quand l’« écologie humaine » 124 est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage.
De même que les vertus humaines sont connexes, si bien que l’affaiblissement de l’une met en
danger les autres, ainsi le système écologique s’appuie sur le respect d’un projet qui concerne
aussi bien la saine coexistence dans la société que le bon rapport avec la nature.
Pour préserver la nature, il n’est pas suffisant d’intervenir au moyen d’incitations ou de
mesures économiques dissuasives, une éducation appropriée n’y suffit pas non plus. Ce sont là
des outils importants, mais le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le
droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance
de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche,
la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui,
celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel
devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-
mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement
comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du
développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement
sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa
relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. C’est là une grave antinomie
de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse
l’environnement et détériore la société.
52. La vérité et l’amour que celle-ci fait entrevoir ne peuvent être fabriqués. Ils peuvent seulement
être accueillis. Leur source ultime n’est pas, ni ne peut être, l’homme, mais Dieu, c’està-
dire Celui qui est Vérité et Amour. Ce principe est très important pour la société et pour le
développement, dans la mesure où ni l’une ni l’autre ne peuvent être produits seulement par
l’homme. La vocation elle-même des personnes et des peuples au développement ne se fonde
pas sur une simple décision humaine, mais elle est inscrite dans un dessein qui nous précède et
qui constitue pour chacun de nous un devoir à accueillir librement. Ce qui nous précède et qui
nous constitue – l’Amour et la Vérité subsistants – nous indique ce qu’est le bien et en quoi
consiste notre bonheur. Il nous montre donc la route qui conduit au véritable développement.

CHAPITRE V
LA COLLABORATION
DE LA FAMILLE HUMAINE
53. Une des pauvretés les plus profondes que l’homme puisse expérimenter est la solitude.
Tout bien considéré, les autres formes de pauvreté, y compris les pauvretés matérielles, naissent
de l’isolement, du fait de ne pas être aimés ou de la difficulté d’aimer. Les pauvretés sont
souvent la conséquence du refus de l’amour de Dieu, d’une fermeture originelle tragique de
l’homme en lui-même, qui pense se suffire à lui-même, ou bien considère n’être qu’un simple
fait insignifiant et éphémère, un « étranger » dans un univers qui s’est constitué par hasard.
L’homme est aliéné quand il est seul ou quand il se détache de la réalité, quand il renonce à
penser et à croire en un Fondement.125 L’humanité tout entière est aliénée quand elle met sa
confiance en des projets purement humains, en des idéologies et en de fausses utopies.126 De
nos jours, l’humanité apparaît beaucoup plus interactive qu’autrefois: cette plus grande proximité
doit se transformer en une communion véritable. Le développement des peuples dépend surtout de
la reconnaissance du fait que nous formons une seule famille qui collabore dans une communion véritable
et qui est constituée de sujets qui ne vivent pas simplement les uns à côté des autres.127
Paul VI remarquait que « le monde est en malaise faute de pensée ».128 Cette affirmation
renferme une constatation, mais surtout un souhait: il faut qu’il y ait un renouveau de la pensée
pour mieux comprendre ce qu’implique le fait que nous formons une famille; les échanges entre
les peuples de la planète exige un tel renouveau, afin que l’intégration puisse se réaliser sous
le signe de la solidarité 129 plutôt que de la marginalisation. Une telle pensée nous oblige à approfondir
de manière critique et sur le plan des valeurs la catégorie de la relation. Un tel effort ne peut être
mené par les seules sciences sociales, car il requiert l’apport de savoirs tels que la métaphysique
et la théologie, pour comprendre de façon éclairée la dignité transcendante de l’homme.
La créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise dans les relations interpersonnelles.
Plus elle les vit de manière authentique, plus son identité personnelle mûrit également.
Ce n’est pas en s’isolant que l’homme se valorise lui-même, mais en se mettant en relation avec
les autres et avec Dieu. L’importance de ces relations devient alors fondamentale. Cela vaut
aussi pour les peuples. Pour leur développement, une vision métaphysique de la relation entre
les personnes est donc très utile. A cet égard, la raison trouve une inspiration et une orientation
dans la révélation chrétienne, selon laquelle la communauté des hommes n’absorbe pas en soi
la personne, anéantissant son autonomie, comme cela se produit dans les diverses formes de
totalitarisme, mais elle la valorise encore davantage car le rapport entre individu et communauté
est celui d’un tout vers un autre tout.130 Tout comme la communauté familiale n’abolit pas
en elle les personnes qui la composent et comme l’Église elle-même valorise pleinement la
‘créature nouvelle’ (cf. Ga 6, 15; 2 Co 5, 17) qui, par le baptême, s’insère dans son Corps vivant,
de la même manière l’unité de la famille humaine n’abolit pas en elle les personnes, les peuples
et les cultures, mais elle les rend plus transparents les uns aux autres, plus unis dans leurs légitimes
diversités.
54. Le thème du développement coïncide avec celui de l’inclusion relationnelle de toutes les
personnes et de tous les peuples dans l’unique communauté de la famille humaine qui se construit
dans la solidarité sur la base des valeurs fondamentales de la justice et de la paix. Cette
perspective est éclairée de manière décisive par la relation entre les trois Personnes de la Sainte
Trinité dans leur unique Substance divine. La Trinité est unité absolue, car les trois Personnes
divines sont relationnalité pure. La transparence réciproque entre les Personnes divines est
complète et le lien entre l’une et l’autre est total, parce qu’elles constituent une unité et unicité
absolue. Dieu veut nous associer nous aussi à cette réalité de communion: « pour qu’ils soient
un comme nous sommes un » (Jn 17, 22). L’Église est signe et instrument de cette unité.131 Les
relations entre les hommes tout au long de l’histoire ne peuvent que tirer avantage de cette référence
au divin Modèle. À la lumière de la révélation du mystère de la Trinité, on comprend en particulier
que l’ouverture authentique n’implique pas une dispersion centrifuge, mais une compénétration
profonde. C’est ce qui apparaît aussi à travers les expériences humaines communes
de l’amour et de la vérité. De même que l’amour sacramentel entre les époux les unit spirituellement
en « une seule chair » (Gn 2, 24; Mt 19, 5; Ep 5, 31) et de deux qu’ils étaient en fait une
unité relationnelle réelle, de manière analogue, la vérité unit les esprits entre eux et les fait penser
à l’unisson, en les attirant et en les unissant en elle.
55. La révélation chrétienne de l’unité du genre humain présuppose une interprétation métaphysique
de l’ humanum où la relation est un élément essentiel. D’autres cultures et d’autres religions enseignent
elles aussi la fraternité et la paix, et présentent donc une grande importance pour le développement
humain intégral. Il n’est pas rare cependant que des attitudes religieuses ou culturelles
ne prennent pas pleinement en compte le principe de l’amour et de la vérité; elles constituent
alors un frein au véritable développement humain et même un empêchement. Le monde
d’aujourd’hui est pénétré par certaines cultures, dont le fond est religieux, qui n’engagent pas
l’homme à la communion, mais l’isolent dans la recherche du bien-être individuel, se limitant à
satisfaire ses attentes psychologiques. Une certaine prolifération d’itinéraires religieux suivis par
de petits groupes ou même par des personnes individuelles, ainsi que le syncrétisme religieux
peuvent être des facteurs de dispersion et de désengagement. La tendance à favoriser un tel
syncrétisme est un effet négatif possible du processus de mondialisation,132 lorsqu’il alimente
des formes de « religions » qui rendent les personnes étrangères les unes aux autres au lieu de
favoriser leur rencontre et qui les éloignent de la réalité. Dans le même temps, subsistent parfois
des héritages culturels et religieux qui figent la société en castes sociales immuables, dans
des croyances magiques qui ne respectent pas la dignité de la personne, dans des attitudes de
sujétion à des forces occultes. Dans de tels contextes, l’amour et la vérité peuvent difficilement
s’affirmer, non sans préjudice pour le développement authentique.
C’est pourquoi, s’il est vrai, d’une part, que le développement a besoin des religions et des
cultures des différents peuples, il n’en reste pas moins vrai, d’autre part, qu’opérer un discernement
approprié est nécessaire. La liberté religieuse ne veut pas dire indifférence religieuse et
elle n’implique pas que toutes les religions soient équivalentes.133 Un discernement concernant
la contribution que peuvent apporter les cultures et les religions en vue d’édifier la communauté
sociale dans le respect du bien commun s’avère nécessaire, en particulier de la part de ceux
qui exercent le pouvoir politique. Un tel discernement devra se fonder sur le critère de la charité
et de la vérité. Et puisqu’est en jeu le développement des personnes et des peuples, il devra
tenir compte de la possibilité d’émancipation et d’intégration dans la perspective d’une communauté
humaine vraiment universelle. « Tout l’homme et tous les hommes », c’est un critère
qui permet d’évaluer aussi les cultures et les religions. Le Christianisme, religion du « Dieu qui
possède un visage humain » 134 porte en lui un tel critère.
56. La religion chrétienne et les autres religions ne peuvent apporter leur contribution au développement
seulement si Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, et cela concerne les dimensions
culturelle, sociale, économique et particulièrement politique. La doctrine sociale de
l’Église est née pour revendiquer ce « droit de cité» 135 de la religion chrétienne. La négation du
droit de professer publiquement sa religion et d’oeuvrer pour que les vérités de la foi inspirent
aussi la vie publique a des conséquences négatives sur le développement véritable. L’exclusion
de la religion du domaine public, comme, par ailleurs, le fondamentalisme religieux, empêchent
la rencontre entre les personnes et leur collaboration en vue du progrès de l’humanité. La vie
publique s’appauvrit et la politique devient opprimante et agressive. Les droits humains risquent
de ne pas être respectés soit parce qu’ils sont privés de leur fondement transcendant soit
parce que la liberté personnelle n’est pas reconnue. Dans le laïcisme et dans le fondamentalisme,
la possibilité d’un dialogue fécond et d’une collaboration efficace entre la raison et la foi
religieuse s’évanouit. La raison a toujours besoin d’être purifiée par la foi, et ceci vaut également pour
la raison politique, qui ne doit pas se croire toute puissante. A son tour, la religion a toujours besoin
d’être purifiée par la raison afin qu’apparaisse son visage humain authentique. La rupture de ce dialogue
a un prix très lourd au regard du développement de l’humanité.
57. Le dialogue fécond entre foi et raison ne peut que rendre plus efficace l’oeuvre de la charité
dans le champ social et constitue le cadre le plus approprié pour encourager la collaboration fraternelle
entre croyants et non croyants dans leur commune intention de travailler pour la justice et
pour la paix de l’humanité. Dans la Constitution pastorale Gaudium et spes, les Pères du Concile
affirmaient: « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point: tout sur terre
doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet ».136 Pour les croyants, le
monde n’est le fruit ni du hasard ni de la nécessité, mais celui d’un projet de Dieu. De là naît
pour les croyants le devoir d’unir leurs efforts à ceux de tous les hommes et toutes les femmes
de bonne volonté appartenant à d’autres religions ou non croyants, afin que notre monde soit
effectivement conforme au projet divin: celui de vivre comme une famille sous le regard du
Créateur. Le principe de subsidiarité,137 expression de l’inaliénable liberté humaine, est, à cet égard,
une manifestation particulière de la charité et un guide éclairant pour la collaboration fraternelle
entre croyants et non croyants. La subsidiarité est avant tout une aide à la personne, à travers
l’autonomie des corps intermédiaires. Cette aide est proposée lorsque la personne et les
acteurs sociaux ne réussissent pas à faire par eux-mêmes ce qui leur incombe et elle implique
toujours que l’on ait une visée émancipatrice qui favorise la liberté et la participation en tant
que responsabilisation. La subsidiarité respecte la dignité de la personne en qui elle voit un sujet
toujours capable de donner quelque chose aux autres. En reconnaissant que la réciprocité
fonde la constitution intime de l’être humain, la subsidiarité est l’antidote le plus efficace contre
toute forme d’assistance paternaliste. Elle peut rendre compte aussi bien des multiples articulations
entre les divers plans et donc de la pluralité des acteurs, que de leur coordination. Il s’agit
donc d’un principe particulièrement apte à gouverner la mondialisation et à l’orienter vers un
véritable développement humain. Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de
type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de
multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement
une autorité, puisqu’est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre
ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique 138
pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, pour être concrètement efficace.
58. Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité
sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité
sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin. Cette règle
de caractère général doit être prise sérieusement en considération notamment quand il s’agit
d’affronter des questions relatives aux aides internationales pour le développement. Malgré l’intention
des donateurs, celles-ci peuvent parfois maintenir un peuple dans un état de dépendance et
même aller jusqu’à favoriser des situations de domination locale et d’exploitation dans le pays
qui reçoit cette aide. Les aides économiques, pour être vraiment telles, ne doivent pas poursuivre
des buts secondaires. Elles doivent être accordées en collaboration non seulement avec les
gouvernements des pays intéressés, mais aussi avec les acteurs économiques locaux et les acteurs
de la société civile qui sont porteurs de culture, y compris les Églises locales. Les programmes
d’aide doivent prendre de plus en plus les caractéristiques de programmes intégrés
soutenus par la base. Rappelons que la plus grande ressource à mettre en valeur dans les pays
qui ont besoin d’aide au développement, est la ressource humaine: c’est là le véritable capital
qu’il faut faire grandir afin d’assurer aux pays les plus pauvres un avenir autonome effectif. Il
convient aussi de rappeler que, dans le domaine économique, l’aide primordiale dont les pays
en voie de développement ont besoin est de permettre et de favoriser l’introduction progressive
de leurs produits sur les marchés internationaux, rendant ainsi possible leur pleine participation
à la vie économique internationale. Trop souvent, par le passé, les aides n’ont servi qu’à
créer des marchés marginaux pour les produits de ces pays. Cela est souvent dû à l’absence
d’une véritable demande pour ces produits: il est donc nécessaire d’aider ces pays à améliorer
leurs produits et à mieux les adapter à la demande. Il faut souligner encore que nombreux sont
ceux qui ont longtemps craint la concurrence des importations de produits, en général agricoles,
provenant des pays économiquement pauvres. Il ne faut cependant pas oublier que pour
ces pays, la possibilité de commercialiser ces produits signifie souvent assurer leur survie à
court et à long terme. Un commerce international juste et équilibré dans le domaine agricole
peut être profitable à tous, aussi bien du côté de l’offre que de celui de la demande. C’est pourquoi,
il est nécessaire, non seulement, d’orienter ces productions sur le plan commercial, mais
aussi d’établir des règles commerciales internationales qui les soutiennent, tout en renforçant le
financement des aides au développement pour rendre ces économies plus productives.
59. La coopération au développement ne doit pas prendre en considération la seule dimension
économique; elle doit devenir une grande occasion de rencontre culturelle et humaine. Si les acteurs
de la coopération des pays économiquement développés ne prennent pas en compte leur
propre identité culturelle, comme cela arrive parfois, ni celle des autres et des valeurs humaines
qui y sont liées, ils ne peuvent pas instaurer un dialogue profond avec les citoyens
des pays pauvres. Si, à leur tour, ces derniers s’ouvrent, indifféremment et sans discernement,
à n’importe quelle proposition culturelle, ils ne sont plus en mesure d’assumer la responsabilité
de leur développement authentique.139 Les sociétés technologiquement avancées
ne doivent pas confondre leur propre développement technologique avec une soi-disant supériorité
culturelle, mais elles doivent redécouvrir en elles-mêmes les vertus, parfois oubliées,
qui les ont fait progresser tout au long de leur histoire. Les sociétés en voie de développement
doivent rester fidèles à tout ce qui est authentiquement humain dans leurs traditions,
en évitant d’y superposer automatiquement les mécanismes de la civilisation technologique
mondiale. De multiples et singulières convergences éthiques se trouvent dans toutes
les cultures ; elles sont l’expression de la même nature humaine, voulue par le Créateur et
que la sagesse éthique de l’humanité appelle la loi naturelle.140 Cette loi morale universelle
est le fondement solide de tout dialogue culturel, religieux et politique et elle permet au pluralisme
multiforme des diverses cultures de ne pas se détacher de la recherche commune du
vrai, du bien et de Dieu. L’adhésion à cette loi inscrite dans les coeurs, est donc le présupposé
de toute collaboration sociale constructive. Toutes les cultures ont des pesanteurs dont
elles doivent se libérer, des ombres auxquelles elles doivent se soustraire. La foi chrétienne,
qui s’incarne dans les cultures en les transcendant, peut les aider à grandir dans la conviviali48
té et dans la solidarité universelles au bénéfice du développement communautaire et planétaire.
60. Dans la recherche de solutions à la crise économique actuelle, l’aide au développement des pays
pauvres doit être considérée comme un véritable instrument de création de richesse pour tous. Quel projet
d’aide peut prévoir une croissance de valeur aussi significative – y compris de l’économie mondiale
– comme peut le faire le soutien aux populations qui se trouvent encore à une phase initiale
ou peu avancée de leur processus de développement économique ? Dans cette perspective,
les États économiquement plus développés feront tout leur possible pour destiner aux aides
au développement un pourcentage plus important de leur produit intérieur brut, en respectant
les engagements pris dans ce domaine au niveau de la communauté internationale. Ils
pourront le faire aussi en révisant leurs politiques intérieures d’assistance et de solidarité sociale,
y appliquant le principe de subsidiarité et créant des systèmes de protection sociale mieux
intégrés, qui favorisent une participation active des personnes privées et de la société civile. De
cette manière, il est même possible d’améliorer les services sociaux et les organismes
d’assistance et, en même temps, d’épargner des ressources en éliminant le gaspillage et les indemnités
abusives, qui pourraient être destinées à la solidarité internationale. Un système de solidarité
sociale plus largement participatif et mieux organisé, moins bureaucratique sans être
pour autant moins coordonné, permettrait de valoriser de nombreuses énergies, actuellement
en sommeil, et tournerait à l’avantage de la solidarité entre les peuples.
Une possibilité d’aide au développement pourrait résider dans l’application efficace de ce
qu’on appelle communément la subsidiarité fiscale, qui permettrait aux citoyens de décider de
la destination d’une part de leurs impôts versés à l’État. En ayant soin d’éviter toute dégénération
dans le particularisme, cela peut aider à encourager des formes de solidarité sociale à partir
des citoyens eux-mêmes, avec des bénéfices évidents sur le plan la solidarité pour le développement.
61. Une solidarité plus large au niveau international s’exprime avant tout en continuant à promouvoir,
même dans des situations de crise économique, un meilleur accès à l’éducation, qui est,
par ailleurs, la condition essentielle pour que la coopération internationale elle-même soit efficace.
Le terme « éducation » ne renvoie pas seulement à l’instruction ou à la formation professionnelle,
toutes deux essentielles pour le développement, mais à la formation complète de la
personne. A ce propos, il convient de souligner un aspect problématique: pour éduquer il faut
savoir qui est la personne humaine, en connaître la nature. Une vision relativiste de cette nature
qui tend à s’affirmer de plus en plus pose de sérieux problèmes pour l’éducation, et en particulier
pour l’éducation morale, car elle en compromet l’extension au niveau universel. Si l’on cède
à un tel relativisme, tous deviennent plus pauvres et cela n’est pas sans conséquences négatives
sur l’efficacité même des aides en faveur des populations démunies, qui n’ont pas que des né49
cessités économiques ou techniques mais qui ont aussi besoin de voies et de moyens pédagogiques
qui puissent soutenir les personnes en vue de leur plein épanouissement humain.
Un exemple de l’importance de ce problème nous est offert par le phénomène du tourisme
international 141 qui peut constituer un facteur notable de développement économique et de
croissance culturelle, mais qui peut aussi se transformer en occasion d’exploitation et de déchéance
morale. La situation actuelle offre des opportunités uniques pour que les aspects économiques
du développement, c’est-à-dire les mouvements de fonds et la création au niveau local
d’entreprises d’importance significative, arrivent à être associés aux aspects culturels, au
nombre desquels l’aspect éducatif figure en premier lieu. Cela se réalise en de nombreux cas,
mais en bien d’autres le tourisme international est un facteur contre-éducatif aussi bien pour le
touriste que pour les populations locales. Ces dernières sont souvent confrontées à des comportements
immoraux ou même pervers, comme c’est le cas du tourisme dit sexuel, pour lequel
tant d’êtres humains sont sacrifiés, même à un jeune âge. Il est douloureux de constater
que cela se produit souvent avec l’aval des gouvernements locaux, avec le silence de ceux d’où
proviennent les touristes et avec la complicité de nombreux opérateurs de ce secteur. Même si
l’on n’atteint pas toujours de tels excès, le tourisme international est vécu, bien souvent, dans
un esprit de consommation et de manière hédoniste; il est vu comme une évasion, avec des
modes d’organisation spécifiques aux pays de provenance, de sorte qu’il ne favorise en rien une
rencontre véritable entre personnes et cultures. Il convient alors d’imaginer un tourisme différent,
capable de promouvoir une vraie connaissance réciproque, sans enlever les espaces nécessaires
au repos et à un sain divertissement: un tourisme de ce type doit être développé, en favorisant
des liens plus étroits entre les expériences de coopération internationale et celles
d’entreprises pour le développement.
62. Le phénomène des migrations est un autre aspect qui mérite attention quand on parle de
développement humain intégral. C’est un phénomène qui impressionne en raison du nombre
de personnes qu’il concerne, des problématiques sociale, économique, politique, culturelle et
religieuse qu’il soulève, et à cause des défis dramatiques qu’il lance aux communautés nationales
et à la communauté internationale. Nous pouvons dire que nous nous trouvons face à un
phénomène social caractéristique de notre époque, qui requiert une politique de coopération
internationale forte et perspicace sur le long terme afin d’être pris en compte de manière adéquate.
Une telle politique doit être développée en partant d’une étroite collaboration entre les
pays d’origine des migrants et les pays où ils se rendent; elle doit s’accompagner de normes internationales
adéquates, capables d’harmoniser les divers ordres législatifs, dans le but de sauvegarder
les exigences et les droits des personnes et des familles émigrées et, en même temps,
ceux des sociétés où arrivent ces mêmes émigrés. Aucun pays ne peut penser être en mesure
de faire face seul aux problèmes migratoires de notre temps. Nous sommes tous témoins du
poids de souffrances, de malaise et d’aspirations qui accompagne les flux migratoires. La ges50
tion de ce phénomène est complexe, nous le savons tous; il s’avère toutefois que les travailleurs
étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration, apportent par leur travail, une
contribution appréciable au développement économique du pays qui les accueille, mais aussi à
leur pays d’origine par leurs envois d’argent. Il est évident que ces travailleurs ne doivent pas
être considérés comme une marchandise ou simplement comme une force de travail. Ils ne
doivent donc pas être traités comme n’importe quel autre facteur de production. Tout migrant
est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables
qui doivent être respectés par tous et en toute circonstance.142
63. En considérant les problèmes du développement, on ne peut omettre de souligner le lien
étroit existant entre pauvreté et chômage. Dans de nombreux cas, la pauvreté est le résultat de la
violation de la dignité du travail humain, soit parce que les possibilités de travail sont limitées (chômage
ou sous-emploi), soit parce qu’on mésestime « les droits qui en proviennent, spécialement
le droit au juste salaire, à la sécurité de la personne du travailleur et de sa famille ».143
C’est pourquoi, le 1er mai 2000, mon Prédécesseur de vénérée mémoire, Jean-Paul II, lançait un
appel à l’occasion du Jubilé des Travailleurs pour « une coalition mondiale en faveur du travail
digne »,144 en encourageant la stratégie de l’Organisation Internationale du Travail. De cette
manière, il donnait une forte réponse morale à cet objectif auquel aspirent les familles dans
tous les pays du monde. Que veut dire le mot « décent » lorsqu’il est appliqué au travail? Il signifie
un travail qui, dans chaque société, soit l’expression de la dignité essentielle de tout
homme et de toute femme: un travail choisi librement, qui associe efficacement les travailleurs,
hommes et femmes, au développement de leur communauté; un travail qui, de cette manière,
permette aux travailleurs d’être respectés sans aucune discrimination; un travail qui donne les
moyens de pourvoir aux nécessités de la famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci ne
soient eux-mêmes obligés de travailler; un travail qui permette aux travailleurs de s’organiser
librement et de faire entendre leur voix; un travail qui laisse un temps suffisant pour retrouver
ses propres racines au niveau personnel, familial et spirituel; un travail qui assure aux travailleurs
parvenus à l’âge de la retraite des conditions de vie dignes.
64. En réfléchissant sur le thème du travail, il est opportun d’évoquer l’exigence urgente que
les organisations syndicales des travailleurs, qui ont toujours été encouragées et soutenues par
l’Église, s’ouvrent aux nouvelles perspectives qui émergent dans le domaine du travail. Dépassant
les limites propres des syndicats catégoriels, les organisations syndicales sont appelées à affronter
les nouveaux problèmes de nos sociétés: je pense, par exemple, à l’ensemble des questions
que les spécialistes en sciences sociales repèrent dans les conflits entre individu-travailleur
et individu-consommateur. Sans nécessairement épouser la thèse selon laquelle on est passé de
la position centrale du travailleur à celle du consommateur, il semble toutefois que cela soit un
terrain favorable à des expériences syndicales novatrices. Le contexte d’ensemble dans lequel se
déroule le travail requiert lui aussi que les organisations syndicales nationales, qui se limitent
surtout à la défense des intérêts de leurs propres adhérents, se tournent vers ceux qui ne le sont
pas et, en particulier, vers les travailleurs des pays en voie de développement où les droits sociaux
sont souvent violés. La défense de ces travailleurs, promue aussi à travers des initiatives
opportunes envers les pays d’origine, permettra aux organisations syndicales de mettre en évidence
les authentiques raisons éthiques et culturelles qui leur ont permis, dans des contextes
sociaux et de travail différents, d’être un facteur décisif du développement. L’enseignement
traditionnel de l’Église reste toujours valable lorsqu’il propose la distinction des rôles et des
fonctions du syndicat et de la politique. Cette distinction permettra aux organisations syndicales
de déterminer dans la société civile le domaine qui sera le plus approprié à leur action nécessaire
pour la défense et la promotion du monde du travail, surtout en faveur des travailleurs
exploités et non représentés, dont l’amère condition demeure souvent ignorée par les yeux distraits
de la société.
65. Il faut enfin que la finance en tant que telle, avec ses structures et ses modalités de fonctionnement
nécessairement renouvelées après le mauvais usage qui en a été fait et qui a eu des
conséquences néfastes sur l’économie réelle, redevienne un instrument visant à une meilleure production
de richesses et au développement. Toute l’économie et toute la finance, et pas seulement quelques-
uns de leurs secteurs, doivent, en tant qu’instruments, être utilisés de manière éthique afin
de créer les conditions favorables pour le développement de l’homme et des peuples. Il est certainement
utile, et en certaines circonstances indispensable, de donner vie à des initiatives financières
où la dimension humanitaire soit dominante. Mais cela ne doit pas faire oublier que
le système financier tout entier doit être orienté vers le soutien d’un développement véritable.
Il faut surtout que l’objectif de faire le bien ne soit pas opposé à celui de la capacité effective à
produire des biens. Les opérateurs financiers doivent redécouvrir le fondement véritablement
éthique de leur activité afin de ne pas faire un usage abusif de ces instruments sophistiqués qui
peuvent servir à tromper les épargnants. L’intention droite, la transparence et la recherche de
bons résultats sont compatibles et ne doivent jamais être séparés. Si l’amour est intelligent, il
sait trouver même les moyens de faire des opérations qui permettent une juste et prévoyante
rétribution, comme le montrent, de manière significative, de nombreuses expériences dans le
domaine du crédit coopératif.
Une réglementation de ce secteur qui vise à protéger les sujets les plus faibles et à empêcher
des spéculations scandaleuses, tout comme l’expérimentation de formes nouvelles de finance
destinées à favoriser des projets de développement sont des expériences positives qu’il
faut approfondir et encourager, en faisant appel à la responsabilité même de l’épargnant. L’expérience
de la microfinance elle aussi, qui s’enracine dans la réflexion et dans l’action de citoyens humanistes
– je pense surtout à la création des Monts de Piété –, doit être renforcée et actualisée, surtout
en ces temps où les problèmes financiers peuvent devenir dramatiques pour les couches
les plus vulnérables de la population qu’il faut protéger contre les risques du prêt usuraire ou
du désespoir. Il faut que les sujets les plus faibles apprennent à se défendre des pratiques usu52
raires, tout comme il faut que les peuples pauvres apprennent à tirer profit du microcrédit, décourageant
de cette manière les formes d’exploitation possibles en ces deux domaines. Puisqu’il
existe également de nouvelles formes de pauvreté dans les pays riches, la microfinance peut
apporter des aides concrètes pour la création d’initiatives et de secteurs nouveaux en faveur des
franges les plus fragiles de la société, même en une période d’appauvrissement possible de
l’ensemble de la société.
66. L’interconnexion mondiale a fait surgir un nouveau pouvoir politique, celui des consommateurs
et de leurs associations. C’est un phénomène sur lequel il faut approfondir la réflexion: il
comporte des éléments positifs qu’il convient d’encourager et aussi des excès à éviter. Il est
bon que les personnes se rendent compte qu’acheter est non seulement un acte économique
mais toujours aussi un acte moral. Le consommateur a donc une responsabilité sociale précise qui va de
pair avec la responsabilité sociale de l’entreprise. Les consommateurs doivent être éduqués en
permanence 145 sur le rôle qu’ils jouent chaque jour et qu’ils peuvent exercer dans le respect des
principes moraux, sans diminuer la rationalité économique intrinsèque de l’acte d’acheter. Dans
ce domaine des achats aussi, surtout en des moments comme ceux que nous vivons où le pouvoir
d’achat risque de s’affaiblir et où il faudra consommer de manière plus sobre, il est opportun
d’ouvrir d’autres voies, comme par exemple des formes de coopération à l’achat, telles que
les coopératives de consommation, créées à partir du XIXe siècle grâce notamment à l’initiative
des catholiques. Il est en outre utile de favoriser de nouvelles formes de commercialisation des
produits en provenance des régions pauvres de la planète afin d’assurer aux producteurs une
rétribution décente, à condition toutefois que le marché soit vraiment transparent, que les producteurs
ne reçoivent pas seulement des marges bénéficiaires supérieures mais aussi une meilleure
formation, une compétence professionnelle et technologique et qu’enfin des idéologies
partisanes ne soient pas associées à de telles expériences d’économie pour le développement. Il
est souhaitable que, comme facteur de démocratie économique, les consommateurs aient un
rôle plus décisif, à condition qu’ils ne soient pas eux-mêmes manipulés par des associations peu
représentatives.
67. Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous
sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de
l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en
vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho.
On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser
le principe de la responsabilité de protéger 146 et pour accorder aux nations les plus pauvres une
voix opérante dans les décisions communes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la recherche
d’un ordre politique, juridique et économique, susceptible d’accroître et d’orienter la collaboration
internationale vers le développement solidaire de tous les peuples. Pour le gouvernement
de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son
aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral,
pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de
l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une
véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le
bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de
manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation
du bien commun,147 s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral qui
s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous,
jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des
droits 148. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les
différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux.
En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis
dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir
entre les plus puissants. Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale
exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale
de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation149 et que soit finalement mis en
place un ordre social conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale,
entre le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations
Unies.

CHAPITRE VI
LE DÉVELOPPEMENT DES PEUPLES
ET LA TECHNIQUE
68. Le thème du développement des peuples est intimement lié à celui du développement de
chaque homme. Par nature, la personne humaine est en tension dynamique vers son développement.
Il ne s’agit pas d’un développement assuré par des mécanismes naturels, car chacun de
nous se sait capable de faire des choix libres et responsables. Il ne s’agit pas non plus d’un développement
livré à notre fantaisie, dans la mesure où nous savons tous que nous sommes donnés
à nous-mêmes, sans être le résultat d’un auto-engendrement. En nous, la liberté humaine
est, dès l’origine, caractérisée par notre être et par ses limites. Personne ne modèle arbitrairement
sa conscience, mais tous construisent leur propre « moi » sur la base d’un « soi » qui nous
a été donné. Non seulement nous ne pouvons pas disposer des autres, mais nous ne pouvons
pas davantage disposer de nous-mêmes. Le développement de la personne s’étiole, si elle prétend en être
l’unique auteur. Analogiquement, le développement des peuples se dénature, si l’humanité croit
pouvoir se recréer en s’appuyant sur les “prodiges” de la technologie. De même, le développement
économique s’avère factice et nuisible, s’il s’en remet aux “prodiges” de la finance pour
soutenir une croissance artificielle liée à une consommation excessive. Face à cette prétention
prométhéenne, nous devons manifester un amour plus fort pour une liberté qui ne soit pas arbitraire,
mais vraiment humanisée par la reconnaissance du bien qui la précède. Dans ce but, il
faut que l’homme rentre en lui-même pour reconnaître les normes fondamentales de la loi morale
que Dieu a inscrite dans son coeur.
69 Le problème du développement est auj-ourd’hui très étroitement lié au progrès technologique
et à ses stupéfiantes applications dans le domaine de la biologie. La technique – il est bon de le
souligner - est une réalité profondément humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme.
Elle exprime et affirme avec force la maîtrise de l’esprit sur la matière. L’esprit, rendu ainsi «
moins esclave des choses, peut facilement s’élever jusqu’à l’adoration et à la contemplation du
Créateur” ».150 La technique permet de dominer la matière, de réduire les risques, d’économiser
ses forces et d’améliorer les conditions de vie. Elle répond à la vocation même du travail humain:
par la technique, oeuvre de son génie, l’homme reconnaît ce qu’il est et accomplit son
humanité. La technique est l’aspect objectif de l’agir humain,151 dont l’origine et la raison d’être
résident dans l’élément subjectif: l’homme qui travaille. C’est pourquoi la technique n’est jamais
purement technique. Elle manifeste l’homme et ses aspirations au développement, elle exprime
la tendance de l’esprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements matériels.
La technique s’inscrit donc dans la mission de cultiver et de garder la terre (cf. Gn 2, 15) que Dieu a
confiée à l’homme, et elle doit tendre à renforcer l’alliance entre l’être humain et
l’environnement appelé à être le reflet de l’amour créateur de Dieu.
70. Le développement technologique peut amener à penser que la technique se suffit à ellemême,
quand l’homme, en s’interrogeant uniquement sur le comment, omet de considérer tous
les pourquoi qui le poussent à agir. C’est pour cela que la technique prend des traits ambigus.
Née de la créativité humaine comme instrument de la liberté de la personne, elle peut être
comprise comme un élément de liberté absolue, liberté qui veut s’affranchir des limites que les
choses portent en elles-mêmes. Le processus de mondialisation pourrait substituer la technologie
aux idéologies,152 devenue à son tour un pouvoir idéologique qui expose l’humanité au risque
de se trouver enfermée dans un a priori d’où elle ne pourrait sortir pour rencontrer l’être et
la vérité. Dans un tel cas, tous nous connaîtrions, apprécierions et déterminerions toutes les situations
de notre vie à l’intérieur d’un horizon culturel technocratique auquel nous appartiendrions
structurellement, sans jamais pouvoir trouver un sens qui ne soit pas notre oeuvre. Cette
vision donne aujourd’hui à la mentalité techniciste tant de force qu’elle fait coïncider le vrai
avec le faisable. Mais lorsque les seuls critères de vérité sont l’efficacité et l’utilité, le développement
est automatiquement nié. En effet, le vrai développement ne consiste pas d’abord dans
le “faire”. La clef du développement, c’est une intelligence capable de penser la technique et de
saisir le sens pleinement humain du “faire” de l’homme, sur l’horizon de sens de la personne
prise dans la globalité de son être. Même quand l’homme agit à l’aide d’un satellite ou d’une
impulsion électronique à distance, son action reste toujours humaine, expression d’une liberté
responsable. La technique attire fortement l’homme, parce qu’elle le soustrait aux limites physiques
et qu’elle élargit son horizon. Mais la liberté humaine n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle répond
à la fascination de la technique par des décisions qui sont le fruit de la responsabilité morale. Il en résulte
qu’il est urgent de se former à la responsabilité éthique dans l’usage de la technique. Partant
de la fascination qu’exerce la technique sur l’être humain, on doit retrouver le vrai sens de
la liberté, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une autonomie totale, mais dans la réponse à l’appel
de l’être, en commençant par l’être que nous sommes nous-mêmes.
71. Les phénomènes de la technicisation aussi bien du développement que de la paix montrent
qu’il est aujourd’hui possible de détourner la mentalité technique de son lit humaniste originaire.
Le développement des peuples est souvent considéré comme un problème d’ingénierie
financière, d’ouverture des marchés, d’abattement de droits, d’investissements productifs et de
réformes institutionnelles: en définitive comme un problème purement technique. Tous ces
domaines sont assurément importants, mais on doit se demander pourquoi les choix de nature
technique n’ont connu jusqu’ici que des résultats imparfaits. La raison doit être recherchée plus
en profondeur. Le développement ne sera jamais complètement garanti par des forces, pour
ainsi dire automatiques et impersonnelles, que ce soit celles du marché ou celles de la politique
internationale. Le développement est impossible, s’il n’y a pas des hommes droits, des acteurs économiques et
des hommes politiques fortement interpellés dans leur conscience par le souci du bien commun. La compétence
professionnelle et la cohérence morale sont nécessaires l’une et l’autre. Quand l’absolutisation
de la technique prévaut, il y a confusion entre les fins et les moyens: pour l’homme d’affaires, le
seul critère d’action sera le profit maximal de la production ; pour l’homme politique, le renforcement
du pouvoir; pour le scientifique, le résultat de ses découvertes. Ainsi, il arrive souvent
que, dans les réseaux des échanges économiques, financiers ou politiques, demeurent des incompréhensions,
des malaises et des injustices; les flux des connaissances techniques se multiplient,
mais au bénéfice de leurs propriétaires, tandis que la situation réelle des populations qui
vivent sous ces flux dont elles ignorent presque tout, demeure inchangée et sans possibilité réelle
d’émancipation.
72. La paix, elle aussi, risque parfois d’être considérée comme un produit technique, fruit des
seuls accords entre les gouvernements ou d’initiatives destinées à procurer des aides économiques
efficaces. Il est vrai que bâtir la paix demande que l’on tisse sans cesse des contacts diplomatiques,
des échanges économiques et technologiques, des rencontres culturelles, des accords
sur des projets communs, ainsi que le déploiement d’efforts réciproques pour endiguer les menaces
de guerre et couper à la racine la tentation récurrente du terrorisme. Toutefois, pour que
ces efforts puissent avoir des effets durables, il est nécessaire qu’ils s’appuient sur des valeurs
enracinées dans la vérité de la vie. Autrement dit, il faut écouter la voix des populations
concernées et examiner leur situation pour en interpréter les attentes avec justesse. On doit,
pour ainsi dire, s’inscrire dans la continuité de l’effort anonyme de tant de personnes fortement
engagées pour promouvoir les rencontres entre les peuples et favoriser le développement à
partir de l’amour et de la compréhension réciproques. Parmi ces personnes, se trouvent aussi
des chrétiens, impliqués dans la grande tâche de donner au développement et à la paix un sens
pleinement humain.
73. Au développement technologique est liée la diffusion croissante des moyens de communication
sociale. Il est désormais presque impossible d’imaginer que la famille humaine puisse exister sans
eux. Pour le bien et pour le mal, ils sont insérés à ce point dans la vie du monde, qu’il semble
vraiment absurde, comme certains le font, de prétendre qu’ils seraient neutres, et de revendiquer
leur autonomie à l’égard de la morale relative aux personnes. De telles perspectives, qui
soulignent à l’excès la nature strictement technique des media, favorisent en réalité leur subordination
au calcul économique, dans le but de dominer les marchés et, ce qui n’est pas le moins,
au désir d’imposer des paramètres culturels de fonctionnement à des fins idéologiques et politiques.
Etant donné leur importance fondamentale dans la détermination des changements
dans la manière de percevoir et de connaître la réalité et la personne humaine elle-même, il devient
nécessaire de réfléchir attentivement à leur influence, en particulier sur le plan éthicoculturel
de la mondialisation et du développement solidaire des peuples. Conformément à ce
que requiert une gestion correcte de la mondialisation et du développement, le sens et la finalité
des médias doivent être recherchés sur une base anthropologique. Cela signifie qu’ils peuvent être une occasion
d’humanisation non seulement quand, grâce au développement technologique, ils offrent de
plus grandes possibilités de communication et d’information, mais surtout quand ils sont structurés
et orientés à la lumière d’une image de la personne et du bien commun qui en respecte les
valeurs universelles. Les moyens de communication sociale ne favorisent pas la liberté de tous
et n’universalisent pas le développement et la démocratie pour tous, simplement parce qu’ils
multiplient les possibilités d’interconnexion et de circulation des idées. Pour atteindre de tels
objectifs, il faut qu’ils aient pour objectif principal la promotion de la dignité des personnes et
des peuples, qu’ils soient expressément animés par la charité et mis au service de la vérité, du
bien et d’une fraternité naturelle et surnaturelle. Dans l’humanité, en effet, la liberté est intrinsèquement
liée à ces valeurs supérieures. Les media peuvent constituer une aide puissante pour
faire grandir la communion de la famille humaine et l’ethos des sociétés, quand ils deviennent
des instruments de promotion de la participation de tous à la recherche commune de ce qui est
juste.
74. Un domaine primordial et crucial de l’affrontement culturel entre la technique considérée
comme un absolu et la responsabilité morale de l’homme est aujourd’hui celui de la bioéthique, où se
joue de manière radicale la possibilité même d’un développement humain intégral. Il s’agit d’un domaine
particulièrement délicat et décisif, où émerge avec une force dramatique la question fondamentale
de savoir si l’homme s’est produit lui-même ou s’il dépend de Dieu. Les découvertes scientifiques
en ce domaine et les possibilités d’intervention technique semblent tellement avancées
qu’elles imposent de choisir entre deux types de rationalité, celle de la raison ouverte à la transcendance
et celle d’une raison close dans l’immanence technologique. On se trouve devant un “ou bien,
ou bien” (aut aut) décisif. Pourtant, la ‘rationalité’ de l’agir technique centré sur lui-même s’avère irrationnelle,
parce qu’elle comporte un refus décisif du sens et de la valeur. Ce n’est pas un hasard si la
fermeture à la transcendance se heurte à la difficulté de comprendre comment du néant a pu jaillir
l’être et comment du hasard est née l’intelligence.153 Face à ces problèmes dramatiques, la raison et
la foi s’aident réciproquement. Ce n’est qu’ensemble qu’elles sauveront l’homme. Attirée par l’agir
technique pur, la raison sans la foi est destinée à se perdre dans l’illusion de sa toute-puissance. La foi, sans la raison,
risque de devenir étrangère à la vie concrète des personnes.154
75. Paul VI avait déjà reconnu et mis en évidence l’horizon mondial de la question sociale.155
En le suivant sur ce chemin, il faut affirmer aujourd’hui que la question sociale est devenue radicalement
une question anthropologique, au sens où elle implique la manière même, non seulement de
concevoir, mais aussi de manipuler la vie, remise toujours plus entre les mains de l’homme par
les biotechnologies. La fécondation in vitro, la recherche sur les embryons, la possibilité du clonage
et de l’hybridation humaine apparaissent et sont promues dans la culture contemporaine
du désenchantement total qui croit avoir dissipé tous les mystères, parce qu’on est désormais
parvenu à la racine de la vie. C’est ici que l’absolutisme de la technique trouve son expression la
plus grande. Dans ce genre de culture, la conscience n’est appelée à prendre acte que d’une
pure possibilité technique. On ne peut minimiser alors les scénarios inquiétants pour l’avenir
de l’homme ni la puissance des nouveaux instruments dont dispose la « culture de mort ». À la
plaie tragique et profonde de l’avortement, pourrait s’ajouter à l’avenir, et c’est déjà subrepticement
in nuce (en germe), une planification eugénique systématique des naissances. D’un autre
côté, on voit une mens eutanasica (mentalité favorable à l’euthanasie) se frayer un chemin, manifestation
tout aussi abusive d’une volonté de domination sur la vie, qui, dans certaines conditions,
n’est plus considérée comme digne d’être vécue. Derrière tout cela se cachent des positions
culturelles négatrices de la dignité humaine. Ces pratiques, à leur tour, renforcent une
conception matérialiste et mécaniste de la vie humaine. Qui pourra mesurer les effets négatifs
d’une pareille mentalité sur le développement ? Comment pourra-t-on s’étonner de
l’indifférence devant des situations humaines de dégradation, si l’indifférence caractérise même
notre attitude à l’égard de la frontière entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas? Ce qui est
stupéfiant, c’est la capacité de sélectionner arbitrairement ce qui, aujourd’hui, est proposé
comme digne de respect. Prompts à se scandaliser pour des questions marginales, beaucoup
semblent tolérer des injustices inouïes. Tandis que les pauvres du monde frappent aux portes
de l’opulence, le monde riche risque de ne plus entendre les coups frappés à sa porte, sa conscience
étant désormais incapable de reconnaître l’humain. Dieu révèle l’homme à l’homme; la
raison et la foi collaborent pour lui montrer le bien, à condition qu’il veuille bien le voir; la loi
naturelle, dans laquelle resplendit la Raison créatrice, montre la grandeur de l’homme, mais
aussi sa misère, quand il méconnaît l’appel de la vérité morale.
76. Un des aspects de l’esprit techniciste moderne se vérifie dans la tendance à ne considérer
les problèmes et les mouvements liés à la vie intérieure que d’un point de vue psychologique, et
cela jusqu’au réductionnisme neurologique. L’homme est ainsi privé de son intériorité, et l’on
assiste à une perte progressive de la conscience de la consistance ontologique de l’âme humaine,
avec les profondeurs que les Saints ont su sonder. Le problème du développement est strictement
lié aussi à notre conception de l’âme humaine, dès lors que notre moi est souvent réduit à la psyché
et que la santé de l’âme se confond avec le bien-être émotionnel. Ces réductions se fondent
sur une profonde incompréhension de la vie spirituelle et elles conduisent à méconnaître que le
développement de l’homme et des peuples dépend en fait aussi de la résolution de problèmes
de nature spirituelle. Le développement doit comprendre une croissance spirituelle, et pas seulement matérielle,
parce que la personne humaine est une « unité d’âme et de corps »,156 née de l’amour créateur
de Dieu et destinée à vivre éternellement. L’être humain se développe quand il grandit dans
l’esprit, quand son âme se connaît elle-même et connaît les vérités que Dieu y a imprimées en
germe, quand il dialogue avec lui-même et avec son Créateur. Loin de Dieu, l’homme est inquiet
et fragile. L’aliénation sociale et psychologique, avec toutes les névroses qui caractérisent
les sociétés opulentes, s’explique aussi par des causes d’ordre spirituel. Une société du bienêtre,
matériellement développée, mais oppressive pour l’âme, n’est pas de soi orientée vers un
développement authentique. Les nouvelles formes d’esclavage de la drogue et le désespoir dans
lequel tombent de nombreuses personnes ont une explication non seulement sociologique et
psychologique, mais essentiellement spirituelle. Le vide auquel l’âme se sent livrée, malgré de
nombreuses thérapies pour le corps et pour la psyché, produit une souffrance. Il n’y pas de développement
plénier et de bien commun universel sans bien spirituel et moral des personnes, considérées dans
l’intégrité de leur âme et de leur corps.
77. L’absolutisme de la technique tend à provoquer une incapacité à percevoir ce qui ne
s’explique pas par la simple matière. Pourtant, les hommes expérimentent tous les nombreux
aspects de leur vie qui ne sont pas de l’ordre de la matière, mais de l’esprit. Connaître n’est pas
seulement un acte physique, car le connu cache toujours quelque chose qui va au-delà du donné
empirique. Chacune de nos connaissances, même la plus simple, est toujours un petit prodige,
parce qu’elle ne s’explique jamais complètement par les instruments matériels que nous
utilisons. En toute vérité, il y a plus que tout ce à quoi nous nous serions attendus; dans
l’amour que nous recevons, il y a toujours quelque chose qui nous surprend. Nous ne devrions
jamais cesser de nous étonner devant ces prodiges. En chaque connaissance et en chaque acte
d’amour, l’âme de l’homme fait l’expérience d’un « plus » qui s’apparente beaucoup à un don
reçu, à une hauteur à laquelle nous nous sentons élevés. Le développement de l’homme et des
peuples se place lui aussi à une hauteur semblable, si nous considérons la dimension spirituelle que
doit nécessairement comporter ce développement pour qu’il puisse être authentique. Il demande
des yeux et un coeur nouveaux, capables de dépasser la vision matérialiste des événements humains
et d’entrevoir dans le développement un “au-delà” que la technique ne peut offrir. Sur ce
chemin, il sera possible de poursuivre ce développement humain intégral dont le critère
d’orientation se trouve dans la force active de la charité dans la vérité.

CONCLUSION
Sans Dieu, l’homme ne sait où aller et ne parvient même pas à comprendre qui il est. Face aux
énormes problèmes du développement des peuples qui nous pousseraient presque au découragement
et au défaitisme, la parole du Seigneur Jésus Christ vient à notre aide en nous rendant
conscients de ce fait que: « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5); elle nous encourage:
« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Face à l’ampleur
du travail à accomplir, la présence de Dieu aux côtés de ceux qui s’unissent en son Nom et travaillent
pour la justice nous soutient. Paul VI nous a rappelé dans Populorum progressio que
l’homme n’est pas à même de gérer à lui seul son progrès, parce qu’il ne peut fonder par luimême
un véritable humanisme. Nous ne serons capables de produire une réflexion nouvelle et
de déployer de nouvelles énergies au service d’un véritable humanisme intégral que si nous
nous reconnaissons, en tant que personnes et en tant que communautés, appelés à faire partie
de la famille de Dieu en tant que fils. La plus grande force qui soit au service du développement,
c’est donc un humanisme chrétien,157 qui ravive la charité et se laisse guider par la vérité,
en accueillant l’une et l’autre comme des dons permanents de Dieu. L’ouverture à Dieu entraîne
l’ouverture aux frères et à une vie comprise comme une mission solidaire et joyeuse. Inversement,
la fermeture idéologique à l’égard de Dieu et l’athéisme de l’indifférence, qui oublient
le Créateur et risquent d’oublier aussi les valeurs humaines, se présentent aujourd’hui
parmi les plus grands obstacles au développement. L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme
inhumain. Seul un humanisme ouvert à l’Absolu peut nous guider dans la promotion et la réalisation
de formes de vie sociale et civile – dans le cadre des structures, des institutions, de la
culture et de l’ethos – en nous préservant du risque de devenir prisonniers des modes du moment.
C’est la conscience de l’Amour indestructible de Dieu qui nous soutient dans
l’engagement, rude et exaltant, en faveur de la justice, du développement des peuples avec ses
succès et ses échecs, dans la poursuite incessante d’un juste ordonnancement des réalités humaines.
L’amour de Dieu nous appelle à sortir de ce qui est limité et non définitif ; il nous donne le courage
d’agir et de persévérer dans la recherche du bien de tous, même s’il ne se réalise pas immédiatement,
même si ce que nous-mêmes, les autorités politiques, ainsi que les acteurs économiques réussissons
à faire est toujours inférieur à ce à quoi nous aspirons.158 Dieu nous donne la force de lutter
et de souffrir par amour du bien commun, parce qu’Il est notre Tout, notre plus grande espérance.
Le développement a besoin de chrétiens qui ont les mains tendues vers Dieu dans un geste de prière, conscients
du fait que l’amour riche de vérité, caritas in veritate, d’où procède l’authentique développement,
n’est pas produit par nous, mais nous est donné. C’est pourquoi, même dans les mo61
ments les plus difficiles et les situations les plus complexes, nous devons non seulement réagir
en conscience, mais aussi et surtout nous référer à son amour. Le développement suppose une
attention à la vie spirituelle, une sérieuse considération des expériences de confiance en Dieu,
de fraternité spirituelle dans le Christ, de remise de soi à la Providence et à la Miséricorde divine,
d’amour et de pardon, de renoncement à soi-même, d’accueil du prochain, de justice et de
paix. Tout cela est indispensable pour transformer les «coeurs de pierre » en « coeurs de chair »
(Ez 36, 26), au point de rendre la vie sur terre « divine » et, par conséquent, plus digne de
l’homme. Tout cela vient à la fois de l’homme, parce que l’homme est le sujet de son existence,
et de Dieu, parce que Dieu est au principe et à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui libère: «
Le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir: tout est à vous ! Mais vous êtes au Christ, et
le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23). Le chrétien désire ardemment que toute la famille humaine
puisse appeler Dieu « Notre Père ! ». Avec le Fils unique, puissent tous les hommes apprendre à
prier le Père et à Lui demander, avec les mots que Jésus lui-même nous a enseignés, de savoir
Le sanctifier en vivant selon Sa volonté, et ensuite d’avoir le pain quotidien nécessaire, d’être
compréhensifs et généreux à l’égard de leurs débiteurs, de ne pas être mis à l’épreuve à l’excès
et d’être délivrés du mal (cf. Mt 6, 9-13) !
Au terme de l’Année Paulinienne, il me plaît d’exprimer ce voeu avec les paroles mêmes de
l’Apôtre dans sa Lettre aux Romains: « Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur,
attachez-vous au bien. Soyez unis les uns les autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les
autres » (12, 9-10). Que la Vierge Marie, proclamée par Paul VI Mère de l’Église et honorée par le
peuple chrétien comme Miroir de la justice et Reine de la paix, nous protège et nous obtienne, par
son intercession céleste, la force, l’espérance et la joie nécessaires pour continuer à nous dévouer
généreusement à la réalisation du « développement de tout l’homme et de tous les hommes » !159
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 29 juin 2009, fête des saints Apôtres Pierre et Paul,
en la cinquième année de mon pontificat.

TABLES DES MATIÈRES

INTRODUCTION 3
CHAPITRE I: Le message de Populorum
progressio 15
CHAPITRE II: Le développement humain
aujourd’hui 33
CHAPITRE III: Fraternité, développement
économique et société civile 59
CHAPITRE IV: Développement des peuples,
droits et devoirs, environnement 81
CHAPITRE V: La collaboration de la famille
humaine 101
CHAPITRE VI: Le développement des peuples
et la technique 127
CONCLUSION 141

1 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 22: AAS 59 (1967), 268; La Documentation catholique (par la
suite: DC ) 64 (1967) col. 682; cf. CONC. OECUM. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes,
n. 69, §1.
2 PAUL VI, Allocution de la messe pour la Journée du développement, Bogota, 23 août 1968: AAS 60 (1968) pp. 626-627; DC
65 (1968) col. 1547.
3 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée mondiale de prière pour la Paix 2002: AAS 94 (2002), 132-140; DC 99 (2002)
pp. 4-8.
4 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. Past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 26.
5 Cf. JEAN XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), nn. 68-70: AAS 55 (1963), 268-270; DC 60 (1963) col. 525-
526.
6 Cf. n. 16: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 680.
7 Cf. ibid., n. 82: loc. cit., 297; DC 64 (1967) col. 701.
8 Ibid., n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.
9 Ibid., n. 20: loc. cit., 267; DC 64 (1967) col. 681.
10 Cf. CONC. OECUM. VAT. II; Const. Past sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n.36; PAUL VI, Lett.
apost. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 4: AAS 63 (1971), 403-404; DC 68 (1971) pp. 502-503; JEAN-PAUL II, Lett. enc.
Centesimus annus (1er mai 1991), n. 43: AAS 83 (1991), 847;
DC 88 (1991) p. 540.
11 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.
12 Cf. CONSEIL PONTIFICAL POUR LA JUSTICE ET LA PAIX, Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 76.
13 Cf. BENOIT XVI, Discours d’inauguration de la Ve Conférence générale de l’Épiscopat d’Amérique latine et des Caraibes, Aparecida
13 mai 2007; DC 104 (2007) pp. 532-541.
14 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 3.4.5: loc. cit., 258-260; DC 64 (1967) col. 675-676.
15 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), nn. 6.7: AAS 80 (1988), 517-519; DC 85
(1988) p. 235.
16 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 14: loc. cit., 264; DC 64 (1967) col. 679.
17 BENOIT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n 18: AAS 98 (2006), 232; DC 103 (2006) p. 175.
18 Ibid., n. 6: loc. cit., 222; DC, ibid. p. 169.
19 Cf. BENOIT XVI, Discours à la Curie Romaine pour la présentation des voeux de Noël; L’Osservatore Romano en langue française
(par la suite: Oss. Rom. fr.) n. 52 (2005) pp. 3-5.
20 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 3: loc. cit., 515; DC 85 (1988) p. 234.
21 Cf. ibid. n. 1: loc. cit. , 513-514; DC 85 (1988) p. 234.
22 Cf. ibid. n. 3: loc. cit., 515; DC 85 (1988) p. 234.
23 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 3: AAS 73 (1981), 583-584; DC 78 (1981) p. 837.
24 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 3: loc. cit., 794-796; DC 88 (1991) pp. 518-519.
25 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3: loc. cit., 258; DC 64 (1967) col. 675.
26 Cf. ibid., n. 34: loc. cit., 274 ; DC 64 (1967) col. 686.
27 Cf. nn. 8-9: AAS 60 (1968), 485-487; DC 65 (1968)
col. 1445-1446; BENOIT XVI, Audience au Congrès International organisé à l’occasion du 40° anniversaire d’Humanæ vitæ, 10 mai
2008; Oss. Rom. fr. n. 20 (2008) p. 5.
28 Cf. Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 93: AAS 87 (1995), 507-508; DC 92 (1995) pp. 397-398.
29 Cf. ibid., n. 101: loc. cit., 516-518; DC 92 (1995)
p. 401-402.
30 n. 29: AAS 68 (1976), 25; DC 73 (1976) p. 6.
31 Ibid., n. 31: loc. cit., 26; DC 73 (1976) p. 6.
32 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 41: loc. cit., 570-572; DC 85 (1988) p. 251.
33 Cf. ibid.; IDEM, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), nn. 5.54: loc. cit., 799.859-860; DC 88 (1991) pp. 520-521, 545-
546.
34 N. 15: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 679.
35 Cf. ibid., n. 2; DC 64 (1967) col. 675; LEON XIII, Lett. enc. Rerum novarum (15 mai 1891), n. 1: Leonis XIII P.M. Acta,
XI, Romæ 1892, 97; JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis
(30 décembre 1987), n. 8: loc. cit., 519-520; DC 85 (1988) pp. 235-236; IDEM., Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5:
loc. cit., 799; DC 88 (1991) pp. 520-521.
36 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 2. 13; DC 64 (1967) col. 675. 679.
37 Ibid., n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.
38 Ibid., n. 11; DC 64 (1967) col. 678 ; cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25: loc. cit., 822-
824; DC 88 (1991) pp. 230-231.
39 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 15: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 679.
40 Ibid., n. 3: loc. cit., 258; DC 64 (1967) col. 675.
41 Ibid., n. 6: loc. cit., 260; DC 64 (1967) col. 676.
42 Ibid., n. 14: loc. cit., 264; DC 64 (1967) col. 679.
43 Ibid.; cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus
(1er mai 1991), nn. 53-62: loc. cit., 859-867; DC 88 (1991) pp. 545-548; IDEM, Lett. enc. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 13-14:
AAS 71 (1979), 282-286; DC 76 (1979) pp. 308-309.
44 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 12: loc. cit., 262-263; DC 64 (1967) col. 678.
45 CONC. OECUM. VAT. II, Const. past sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 22.
46 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.
47 Cf. BENOIT XVI, Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006, Oss. Rom.
fr. n. 43 (2006) p. 3-4.
48 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 16: loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 680.
49 Ibid.
50 BENOIT XVI, Discours aux jeunes, Sydney 17 juillet 2008; DC 105 (2008) p. 778.
51 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 20: loc. cit., 267; DC 64 (1967) col. 681.
52 Ibid., n. 66: loc. cit., 289-290; DC 64 (1967) col. 696.
53 Ibid., n. 21: loc. cit., 267-268; DC 64 (1967) col. 681.
54 Cf. nn. 3.29.32: loc. cit., 258.272.273; DC 64 (1967) col. 675. 684-685.
55 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 28: loc. cit., 548-550; DC 85 (1988) p. 244.
56 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 9: loc. cit., 261-262; DC 64 (1967) col. 677.
57 Cf. Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),
n. 20: loc. cit., 536-537; DC 85 (1988) pp. 240-241.
58 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), passim; DC 88 (1991) pp. 518-550, passim.
59 Cf. nn. 23.33: loc. cit., 268-269.273-274; DC 64 (1967) col. 682. 685-686.
60 Cf. loc. cit., 135.
61 CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. Sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 63.
62 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 24: loc. cit., 821-822; DC 88 (1991) p. 431.
63 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Veritatis splendor (6 août 1993), nn. 33.46.51: AAS 85 (1993), 1160.1169-1171; DC 90
(1993) pp. 913, 917, 918-920; ID., Message à l’Assemblée des Nations-Unies, 5 octobre 1995, 3; DC 92 (1995) p. 918.
64 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 47: loc. cit., 280-281; DC 64 (1967) col. 690-691; JEANPAUL
II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 42: loc. cit., 572-574; DC 85 (1988) p. 252.
65 Cf. BENOIT XVI, Message à la FAO pour la Journée mondiale de l’alimentation 2007: AAS 99 (2007), 933-935; DC 105
(2008) pp. 55-56.
66 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), nn. 18.59.63-64: loc. cit.,419-421.467-468.472-475; DC
92 (1995) pp. 359, 381, 383, 384.
67 Cf. BENOIT XVI, Message pour la Journée mondiale de la paix 2007, n. 5; DC 104 (2007) p. 57.
68 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, nn. 4-7,12-15: AAS 94 (2002), 134-136.138-140;
DC 99 (2002) pp. 5-6, 7-8; ID., Message pour la Journée mondiale de la Paix 2004, n. 8: AAS 96 (2004), 119; DC 101 (2004) pp.
7; ID., Message pour la Journée mondiale de la Paix 2005, n. 4: AAS 97 (2005), 177-178; DC 102 (2005) p. 5; BENOIT XVI, Message
pour la Journée mondiale de la Paix 2006, nn. 9-10: AAS 98 (2006), 60-61; DC 103 (2006) pp. 4-5; ID., Message pour la Journée
mondiale de la Paix 2007, nn. 5.14: loc. cit., 778, 782-783; DC 104 (2007) pp. 57. 59-60.
69 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, n. 6: loc. cit, 135; DC 99 (2002) pp. 5-6; BENOIT
XVI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2006, nn. 9-10: loc. cit., 60-61; DC 103 (2006) pp. 4-5.
70 Cf. BENOIT XVI, Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 921-923.
71 Cf. BENOIT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 1: loc. cit., 217-218; DC 103 (2006) p. 166.
72 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 2 8: 548-550; DC 85 (1988) p. 244.
73 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 19: loc. cit., 266-267; DC 64 (1967) col. 681.
74 Ibid., n. 39: loc. cit., 276-277; DC 64 (1967) col. 688.
75 Ibid., n. 75: loc. cit., 293-294; DC 64 (1967) col. 699.
76 Cf. BENOIT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 28: loc. cit., 238-240; DC 103 (2006) pp. 178-180.
77 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 59: loc. cit., 864; DC 88 (1991) p. 547.
78 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 40.85: loc. cit., 277.298-299; DC 64 (1967) col. 688. 702.
79 Ibid., n. 13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.
80 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre 1998), n. 85: AAS 91 (1999), 72-73; DC 104 (1998) p. 932.
81 Cf. Ibid., n. 83: loc. cit., 70-71; DC 104 (1998) p. 931.
82 BENOIT XVI, Discours à l’Université de Ratisbonne, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 924-929.
83 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 33: loc. cit., 273-274; DC 64 (1967) col. 685.
84 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2000, n. 15: AAS 92 (2000), 366; DC 97 (2000) pp. 4-5.
85 Catéchisme de l’Église catholique, n. 407. Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25: loc. cit., 822-
824. DC 88 (1991), pp. 530-531.
86 Cf. n.17: AAS 99 (2007), 1000. DC 105 (208) p. 22.
87 Cfr. ibid., n. 23: loc. cit., 1004-1005. DC 105 (2008) pp. 24-25.
88 Saint Augustin expose de façon détaillée cet enseignement dans le dialogue sur le libre arbitre (De libero arbitrio II
3, 8 ss.). Il indique l’existence dans l’âme humaine d’un « sens interne ». Ce sens consiste en un acte qui se réalise en dehors
des fonctions normales de la raison, acte spontané et quasi instinctif, pour lequel la raison, se rendant compte de sa condition
éphémère et faillible, admet au-dessus de soi l’existence de quelque chose d’éternel, d’absolument vrai et certain. Le
nom que saint Augustin donne à cette vérité intérieure est parfois celui de Dieu (Confessions X, 24, 35; XII, 25, 35; De libero
arbitrio II 3, 8, 27), plus souvent celui du Christ (De magistro 11, 38; Confessions VII, 18, 24; XI, 2, 4).
89 BENOIT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 3: loc. cit., 219. DC 103 (2006) p. 167.
90 Cf. n. 49: loc. cit., 281. DC 64 (1967) col. 691.
91 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 28: loc. cit., 827-828. DC 88 (1991) p. 532.
92 Cf. n. 35: loc. cit., 836-838. DC 88 (1991) pp. 535-536.
93 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 38: loc. cit., 565-566. DC 858 (1988) pp. 249-250.
94 N. 44: loc. cit., 279. DC 64 (1967), col. 690.
95 Cf. ibid., n. 24: loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682-683.
96 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 838-840. DC 88 (1991) pp. 248-249.
97 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 24: loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682-683.
98 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 32: loc. cit., 832-833. DC 88 (1991) pp. 246-247;
PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 25: loc. cit., 269-270. DC 64 (1967) col. 683.
99 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 24: loc. cit., 637-638. DC 78 (1981) p. 852.
100 Ibid., n. 15: loc. cit., 616-618. DC 78 (1981) p. 846.
101 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 27: loc. cit., 271. DC 64 (1967) col. 684.
102 Cf. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Instruction Libertatis conscientia (22 mars 1987), n. 74: AAS
79 (1987), 587. DC 83 (1986) p. 405.
103 Cf. JEAN-PAUL II, Interview au quotidien catholique La Croix, du 20 août 1997.
104 JEAN-PAUL II, Discours à l’Académie des Sciences sociales, 27 avril 2001; Oss. Rom. fr. 19 (2001), p. 9.
105 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 17: loc. cit., 265-266; DC 64 (1967) col. 680.
106 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2003, n. 5: AAS 95 (2003), 343; DC 85 (2003) p. 6.
107 Cf. ibid.
108 Cf. BENOIT XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n. 13: loc. cit., 781-782; DC 89 (2007) p. 59.
109 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65: loc. cit., 289; DC 64 (1967) col. 674-704.
110 Cf. ibid. nn. 36.37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.
111 Cf. ibid. n. 37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.
112 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décr. Apostolicam actuositatem, n. 11.
113 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum Progressio (26 mars 1967), n. 14: loc. cit., 264; JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 32: loc. cit., 832-833; DC 88 (1991) p. 534.
114 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967) n 77: loc. cit., 295; DC 64 (1967) p. 700.
115 JEAN-PAUL II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6: AAS 82 (1990), 150; DC 89 (1990) p. 10.
116 HERACLITE d’Ephèse (Ephèse 535 av. J-C environ – 475 av. J-C environ), Fragment 22B124, en H. Diels e W.
Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Weidmann, Berlin 19526.
117 Cf. CONSEIL PONTIFICAL POUR LA JUSTICE ET LA PAIX, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, nn. 451-487.
118 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée Mondiale pour la Paix 1990, n. 10: loc. cit., 152-153; DC 89 (1990) p. 11.
119 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65: loc. cit., 289; DC 64 (1967) col. 696.
120 BENOIT XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2008, n. 7: AAS 100 (2008), 41; DC 105 (2008) p. 4.
121 Cf. BENOIT XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril
2008; DC 105 (2008) pp. 533-537.
122 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 13: loc. cit., 154-155; DC 97 (1990) pp. 11-12.
123 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 36; DC 88 (1991) pp. 536-537.
124 Ibid. n. 38: loc. cit., 840-841; DC 88 (1991) pp. 537-538; BENOIT XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007,
n.8: loc. cit., 779; DC 104 (2007) pp. 57-58.
125 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 41: loc. cit., 843-845; DC 88 (1991) pp. 538-539.
126 Cf. ibid.
127 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 20: loc. cit., 422-424; DC 92 (1995) p. 360.
128 Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 85: loc. cit., 298-299; DC 64 (1967) p. 702.
129 Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1998, n. 3: AAS 90 (1998), 150; DC 95 (1998) pp. 2-3;
ID., Discours aux membres de la Fondation Centesimus annus pro Pontefice, 9 mai 1998, n. 2; Oss. Rom. fr. n. 20 (1998) p. 2; ID., Discours
aux Autorités et au Corps diplomatique, Vienne, 20 juin 1998, n. 8; DC 95 (1998) p. 689 ; ID., Message au Recteur de l’Université
catholique du Sacré-Coeur, 5 mai 2000, n. 6; Insegnamenti di Giovanni Paolo II XXIII, 1 (2000), 759-760.
130 Selon saint Thomas « ratio partis contrariatur rationi personae » in III Sent. D. 5, 3, 2; et aussi « Homo non ordinatur
ad communitatem politicam secundum se totum et secundum omnia sua » in Summa Theologiae I-II, q. 21, a. 4, ad 3um.
131 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Église Lumen gentium, n.1.
69
132 Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la IVe séance publique des Académies Pontificales, 8 novembre 2001, n. 3; Oss. Rom. fr. n. 47
(2001) p. 6.
133 Cf. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Dominus Jesus (6 août 2000), n. 22: AAS 92
(2000), 763-764; DC 97 (2000) p. 820; ID., Note doctrinale à propos de questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans
la vie politique (24 novembre 2002), n. 8; DC 100 (2003) p. 136.
134 BENOIT XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007), n. 31: loc. cit., 1010; DC 105 (2008) p.28; ID.. Discours aux participants
au IVe Congrès national de l’Église italienne, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5.
135 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5: loc. cit., 798-800; DC 88 (1991) p. 521; BENOIT XVI,
Discours aux participants au IVe Congrès national de l’Église italienne, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5.
136 N. 12.
137 Cf. PIE XI, Lett. enc. Quadragesimo anno (15 mai 1931): AAS 23 (1931) 203; JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus
(1er mai 1991), n. 48: loc. cit., 852-854; DC 88 (1991) p. 543; cf. Catéchisme de l’Église catholique, n.1883.
138 Cf. JEAN XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), n. 74: loc. cit., 274; DC 60 (1963) col. 526-527.
139 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 10.41: loc. cit., 262.277-278; DC 64 (1967) col. 677-
678. 688-689.
140 Cf. BENOIT XVI, Discours aux membres de la Commission théologique internationale, 5 octobre 2007; DC 104 (2007)
pp. 1084-1086 ; ID., Discours au Congrès international sur la loi naturelle, Université pontificale du Latran, 12 février 2007; DC 104
(2007)
pp. 354-356.
141 Cf. BENOIT XVI, Discours aux évêques de Thaïlande en visite ad limina, 16 mai 2008; DC 105 (2008) p. 652. Oss. Rom. fr.
n. 22 (2008) p. 10.
142 Cf. CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PASTORALE DES MIGRANTS ET DES PERSONNES EN DEPLACEMENT, Instruction
Erga migrantes caritas Christi, 3 mai 2004: AAS 96 (2004), 762-822; DC 101 (2004) p. 658-692.
143 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 8: loc. cit., 594-598; DC 78 (1981) p. 840.
144 JEAN-PAUL II, Jubilé des Travailleurs, Discours au terme de la concélébration eucharistique; DC 97 (2000) p. 455.
145 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 838-840; DC 88 (1991) p. 536.
146 Cf. BENOIT XVI, Discours aux membres de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril
2008; DC 105 (2008) pp. 533-537.
147 Cf. JEAN XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963): loc. cit., 293; DC 60 (1963) col. 526-527; CONSEIL PONTIFICAL
POUR LA JUSTICE ET LA PAIX, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 441.
148 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. Past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 82.
149 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 43: loc. cit., 574-575; DC 85 (1988) pp. 252-
253.
150 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 41: loc. cit., 277-278; DC 64 (1967) col. 688; cf. CONC.
OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 57, § 4.
151 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 5: loc. cit., 586-589; DC 78 (1981) p. 838.
152 Cf. PAUL VI, Lett. ap. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 29: loc. cit., 420; DC 68 (1971) p. 508.
153 Cf. BENOIT XVI, Discours aux participants au IVe Congrès national de l’Église italienne, Vérone 19 octobre 2006; Oss.
Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5 ; ID. Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp.
921-923.
154 Cf. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Instruction Dignitas personae sur quelques questions de bioéthique
(8 septembre 2008): AAS 100 (2008), 858-887; DC 104 (2009) pp. 23-38.
155 Cf. PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3: loc. cit., 258. DC 64 (1967) col. 675.
156 CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 14.
157 Cf. n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.
158 Cf. BENOIT XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007), n. 35: loc. cit., 1013-1014; DC 105 (2008) pp. 29-30.
159 PAUL VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.






EXHORTATION APOSTOLIQUE
POST-SYNODALE
VERBUM DOMINI
DU PAPE
BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES, AU CLERGÉ,
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET AUX FIDÈLES LAÏCS
SUR LA PAROLE DE DIEU
DANS LA VIE ET DANS LA MISSION
DE L’ÉGLISE
LIBRERIA EDITRICE VATICANA
CITE DU VATICAN


INTRODUCTION

1. LA PAROLE DU SEIGNEUR demeure pour
toujours. Or cette Parole, c’est l’Évangile
qui vous a été annoncé » (1 P 1, 25 ; cf. Is 40, .
Avec cette expression de la première Lettre de
saint Pierre, qui reprend les paroles du prophète
Isaïe, nous sommes placés face au Mystère de
Dieu qui se communique lui-même par le don
de sa Parole. Cette Parole, qui demeure pour toujours,
est entrée dans le temps. Dieu a prononcé
sa Parole éternelle de façon humaine ; son Verbe
« s’est fait chair » (Jn 1, 14). C’est cela la Bonne Nouvelle.
C’est l’annonce qui traverse les siècles, pour
arriver jusqu’à nous aujourd’hui. La XIIe Assemblée
générale ordinaire du Synode des Évêques,
célébrée au Vatican du 5 au 26 octobre 2008, a
eu pour thème La Parole de Dieu dans la vie et dans
la mission de l’Église. Ce fut une profonde expérience
de rencontre avec le Christ, Verbe du Père,
qui est présent là où deux ou trois sont réunis en
son nom (cf. Mt 18, 20). Par cette Exhortation
apostolique post-synodale, j’accueille volontiers la
demande des Pères de faire connaître au Peuple
de Dieu tout entier la richesse ressortie des assises
vaticanes et les indications exprimées dans
«

le travail commun.1 Dans cette perspective, j’entends
reprendre tout ce qui a été élaboré par le
Synode, tenant compte des documents présentés :
les Lineamenta, l’Instrumentum laboris, les Relations
ante et post disceptationem et le texte des interventions,
lues en séance et in scriptis, les comptes rendus
des groupes de travail et de leurs échanges, le
Message de conclusion adressé au Peuple de Dieu
et surtout certaines propositions spécifi ques (Propositiones)
que les Pères ont retenues comme étant
d’un intérêt particulier. De cette façon, je désire
indiquer quelques lignes fondamentales pour une
redécouverte, dans la vie de l’Église, de la Parole
divine, source de renouvellement constant, souhaitant
en même temps qu’elle devienne toujours
plus le coeur de toute activité ecclésiale.
Pour que notre joie soit parfaite
2. Je voudrais avant tout faire mémoire de la
beauté attrayante de la rencontre renouvelée avec
le Seigneur Jésus expérimentée au cours de l’Assemblée
synodale. Pour cela, faisant écho à la voix
des Pères, je m’adresse à tous les fi dèles avec les
paroles de saint Jean dans sa première Lettre :
« Nous vous annonçons cette vie éternelle qui était
auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. Ce
que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu,
nous vous l’annonçons à vous aussi, pour
que, vous aussi, vous soyez en communion avec
nous. Et nous, nous sommes en communion avec
le Père et avec son Fils, Jésus-Christ » (1 Jn 1, 2-3).
L’Apôtre utilise les verbes entendre, voir, toucher et
contempler (cf. 1 Jn 1, 1) le Verbe de Vie, puisque la
Vie elle-même s’est manifestée dans le Christ. Et
nous qui sommes appelés à la communion avec
Dieu et entre nous, nous devons être des messagers
de ce don. Dans cette perspective kérygmatique,
l’Assemblée synodale a été pour l’Église et
pour le monde un témoignage de la beauté de la
rencontre avec la Parole de Dieu dans la communion
ecclésiale. Par conséquent, j’exhorte tous les
fi dèles à refaire l’expérience de la rencontre personnelle
et communautaire avec le Christ, Verbe
de Vie qui s’est rendu visible, et à s’en faire les
messagers pour que le don de la vie divine, la
communion, s’étende toujours davantage dans le
monde entier. En effet, participer à la vie de Dieu,
Trinité d’Amour, est plénitude de joie (cf. 1 Jn 1, 4).
Et c’est un don et une tâche incontournable de
l’Église de communiquer la joie qui vient de la
rencontre avec la Personne du Christ, Parole de
Dieu présente au milieu de nous. Dans un monde
qui souvent considère Dieu comme superfl u ou
lointain, nous confessons comme Pierre que lui
seul a « les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68).
Il n’existe pas de priorité plus grande que celle-ci :
ouvrir à nouveau à l’homme d’aujourd’hui l’accès
à Dieu, au Dieu qui parle et qui nous communique
son amour pour que nous ayons la vie en
abondance (cf. Jn 10, 10).

De « Dei Verbum » au Synode sur la Parole de Dieu
3. Avec la XIIe Assemblée générale ordinaire du
Synode des Évêques sur la Parole de Dieu, nous
sommes conscients d’avoir pris pour thème, en
un certain sens, le coeur même de la vie chrétienne,
en continuité avec la précédente Assemblée synodale
sur l’Eucharistie source et sommet de la vie et de la
mission de l’Église. En effet, l’Église est fondée sur
la Parole de Dieu, elle en naît et en vit.2 Tout au
long des siècles de son histoire, le Peuple de Dieu
a toujours trouvé en elle sa force et aujourd’hui
encore la communauté ecclésiale grandit dans
l’écoute, dans la célébration et dans l’étude de la
Parole de Dieu. On doit reconnaître qu’au cours
des dernières décennies la sensibilité de la vie ecclésiale
sur ce thème s’est accrue, avec une attention
particulière à la Révélation chrétienne, à la
Tradition vivante et à la Sainte Écriture. À partir
du pontifi cat du Pape Léon XIII, il y a eu un
crescendo d’interventions tendant à faire prendre
une plus grande conscience de l’importance de
la Parole de Dieu et des études bibliques dans la
vie de l’Église,3 et qui a culminé avec le Concile
Vatican II, de façon particulière avec la promulgation
de la Constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei Verbum. Elle représente une
borne milliaire sur le chemin ecclésial : « Les Pères
synodaux reconnaissent avec gratitude les grands
bénéfi ces apportés par ce document à la vie de
l’Église, au point de vue exégétique, théologique,
spirituel, pastoral et oecuménique ».4 Au cours de
ces années, la conscience de « l’horizon trinitaire,
historique et salvifi que de la Révélation »5 et la reconnaissance
de Jésus-Christ, comme « le médiateur
et la plénitude de toute la Révélation »6 ont
particulièrement grandi. L’Église confesse sans
cesse à toutes les générations que le Christ, « par
toute sa présence et par toute la manifestation de
lui-même, par ses paroles et ses oeuvres, par ses
signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et
sa Résurrection glorieuse d’entre les morts, enfi n
par l’envoi de l’Esprit de vérité, achève la Révélation
en l’accomplissant ».7
La grande impulsion que la Constitution
dogmatique Dei Verbum a donnée à la redécouverte
de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église, à
la réfl exion théologique sur la Révélation divine et
à l’étude de la Sainte Écriture, est connue de tous.
Nombreuses ont aussi été les interventions du
Magistère ecclésial en ces matières au cours des
quarante dernières années.8 Avec la célébration de
4 Proposition 2.
5 Ibidem.
6 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 2 (Traduction française tirée de Les Conciles
oecuméniques, tome 2, Cerf, Paris, 1994).
7 Ibidem, n. 4.
8 Cf. Parmi les interventions de diverses natures on rap8
ce Synode, l’Église, dans la conscience de la continuité
de son propre parcours sous la conduite de
l’Esprit Saint, s’est sentie appelée à approfondir
davantage le thème de la Parole divine, à la fois
pour vérifi er la mise en oeuvre des indications
conciliaires, et pour faire face aux nouveaux défi s
que le temps présent lance à ceux qui croient dans
le Christ.
Le Synode des Évêques sur la Parole de Dieu
4. Durant la XIIe Assemblée synodale, des Pasteurs
provenant du monde entier se sont réunis autour
de la Parole de Dieu et ont symboliquement
mis au centre de l’Assemblée le texte de la Bible
pour redécouvrir ce que dans le quotidien nous
risquons de considérer comme allant de soi : le fait
pellera : PAUL VI, Lett. Apost. Summi Dei Verbum (4 novembre
1963) : AAS 55 (1963), pp. 979-995 ; idem, Motu proprio Sedula
cura (27 juin 1971) AAS 63 (1971), pp. 665-669; JEAN-PAUL II,
Audience générale (1° mai 1985) : L’Osservatore Romano en langue
française (par la suite L’ORf ), 2-3 mai 1985, p. 12 ; ID.,
Discours sur l’interprétation de la Bible dans l’Église (23 avril 1993)
AAS 86 (1994), pp. 232-242 : La Documentation catholique (par
la suite La DC ) n. 2073, p. 503 ; BENOÎT XVI, Audience au
Congrès pour le 40ème anniversaire de la Constitution dogmatique
sur la Révélation divine (16 septembre 2005) : AAS 97
(2005), p. 957, L’ORf, 20 septembre 2005, p. 3 ; ID., Angelus
(6 novembre 2005) : L’ORf, 8 novembre 2005, p. 1. Il faut aussi
rappeler les interventions de la COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
De sacra Scriptura et christologia (1984) : Ench. Vat. 9.
n. 1208-1339 ; Unité et diversité dans l’Église (11 avril 1988) : Ench.
Vat. 11. n. 544-643 ; L’interprétation de la Bible dans l’Église (15 avril
1993) : Ench. Vat. 13. n. 2846-3150 ; Le peuple juif et ses Saintes
Écritures dans la Bible chrétienne (24 mai 2001) : Ench. Vat. 20.
n. 733-1150 ; Bible et morale. Racines bibliques de l’agir chrétien
(11 mai 2008), Città del Vaticano 2008.
9
que Dieu nous parle et répond à nos demandes.9 Nous
avons écouté et célébré ensemble la Parole du Seigneur.
Nous nous sommes raconté mutuellement
ce que le Seigneur accomplit au sein du Peuple de
Dieu, partageant ses espérances et ses préoccupations.
Tout cela nous a rendus conscients que
nous ne pouvons approfondir notre relation avec
la Parole de Dieu qu’à partir du « nous » de l’Église,
dans l’écoute et dans l’accueil réciproque. De là,
jaillit la gratitude pour les témoignages sur la vie
ecclésiale dans les diverses régions du monde, qui
ressortent des différentes interventions dans l’aula.
De la même manière, il fut émouvant d’écouter
les Délégués fraternels, qui ont accueilli l’invitation
à participer à la rencontre synodale. Je pense
en particulier à la méditation que nous a offerte
Sa Sainteté Bartholoméos Ier, Patriarche oecuménique
de Constantinople, pour laquelle les Pères
synodaux ont exprimé une profonde reconnaissance.
10 En outre, pour la première fois, le Synode
des Évêques a voulu inviter un Rabbin pour
qu’il nous donne un précieux témoignage sur les
Saintes Écritures juives, qui justement font partie
de nos Saintes Écritures.11
Nous avons pu ainsi constater avec joie et
gratitude que « dans l’Église, il existe une Pente-
9 Cf. BENOÎT XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre
2008) : AAS 101 (2009), p. 49 ; L’ORf, 23/30 décembre 2008,
p. 3.
10 Cf. Proposition 37.
11 Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Le peuple juif et
ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (24 mai 2001) : Ench.
Vat. 20. n. 733-1150.
10
côte également aujourd’hui – c’est-à-dire qu’elle
parle dans plusieurs langues. Non seulement extérieurement
toutes les grandes langues du monde
sont représentées en son sein, mais il y existe un
sens plus profond encore : en elle, sont présents
les multiples modes de l’expérience de Dieu et du
monde, la richesse des cultures. Ce n’est qu’ainsi
qu’apparaît toute l’étendue de l’existence humaine
et, à partir d’elle, l’étendue de la Parole de Dieu ».12
Nous avons pu constater aussi que la Pentecôte
est encore ‘en chemin’ ; différents peuples attendent
encore que la Parole de Dieu soit annoncée
dans leur langue et dans leur culture.
Ensuite, comment ne pas se souvenir que,
durant tout le Synode, le témoignage de l’Apôtre
Paul nous a accompagnés ! Il a été providentiel, en
effet, que la XIIe Assemblée générale ordinaire se
soit tenue au cours de l’année consacrée à la fi gure
du grand Apôtre des Gentils, à l’occasion du bimillénaire
de sa naissance. Son existence a été totalement
caractérisée par le zèle pour la diffusion de
la Parole de Dieu. Comment ne pas entendre dans
notre coeur l’écho de ses paroles vibrantes se référant
à sa mission de messager de la Parole divine :
« tout cela, je le fais à cause de l’Évangile » (1Co 9, 23);
« Je n’ai pas honte d’être au service de l’Évangile
– écrit-il dans la Lettre aux Romains – car il est la
puissance de Dieu pour le salut de tout homme
12 BENOÎT XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre
2008) : AAS 101 (2009) p. 50 ; L’ORf, 23/30 décembre 2008,
p. 4.
11
qui est devenu croyant » (1, 16). Quand nous réfl échissons
sur la Parole de Dieu dans la vie et dans
la mission de l’Église, nous ne pouvons pas ne pas
penser à saint Paul et à sa vie donnée pour faire
entendre à tous l’annonce du salut du Christ.
Le Prologue de l’Évangile de Jean comme guide
5. Par cette Exhortation apostolique, je désire
que les acquis du Synode infl uencent effi cacement
la vie de l’Église : dans la relation personnelle avec
les Saintes Écritures, dans leur interprétation au
cours de la liturgie et dans la catéchèse, de même
que dans la recherche scientifi que, afi n que la Bible
ne demeure pas une Parole du passé, mais une
Parole vivante et actuelle. Dans ce but j’entends
présenter et approfondir les résultats du Synode
en faisant une référence constante au Prologue de
l’Évangile de Jean (Jn 1, 1-18), dans lequel nous est
communiqué le fondement de notre vie : le Verbe,
qui depuis le commencement est auprès de Dieu,
s’est fait chair et a habité parmi nous (cf. Jn 1,
14). Il s’agit d’un texte admirable, qui offre une
synthèse de toute la foi chrétienne. De cette expérience
personnelle que fut pour lui la rencontre
du Christ et l’engagement à sa suite, Jean, que la
Tradition identifi e au « disciple que Jésus aimait »
(Jn 13, 23 ; 20, 2 ; 21, 7.20), « a tiré une certitude intime
: Jésus est la Sagesse de Dieu incarnée, il est
sa Parole éternelle qui s’est faite homme sujet à la
12
mort ».13 Que celui qui « vit et crut » (Jn 20, nous
aide nous aussi à appuyer notre tête sur la poitrine
du Christ (cf. Jn 13, 25), d’où ont jailli du sang et
de l’eau (cf. Jn 19, 34), symboles des Sacrements
de l’Église. Suivant l’exemple de l’Apôtre Jean et
des autres auteurs inspirés, laissons-nous guider
par l’Esprit Saint afi n de pouvoir aimer toujours plus
la Parole de Dieu.
13 Cf. BENOÎT XVI, Angelus (4 janvier 2009) : L’ORf, 6 janvier
2009, p. 7.
PREMIÈRE PARTIE
VERBUM DEI
« Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu. […]
Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 1. 14)

15
LE DIEU QUI PARLE
Dieu en dialogue
6. La nouveauté de la Révélation biblique vient
du fait que Dieu se fait connaître dans le dialogue
qu’il désire instaurer avec nous.14 La Constitution
dogmatique Dei Verbum avait exposé cette réalité
en reconnaissant que « Dieu invisible dans l’immensité
de sa charité, (…) s’adresse aux hommes
comme à des amis, et converse avec eux pour les
inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir
en cette communion ».15 Mais nous ne comprendrions
pas encore pleinement le message du
Prologue de saint Jean si nous nous arrêtions à
la constatation que Dieu se communique à nous
avec amour. En fait, le Verbe de Dieu, par lequel
« tout s’est fait » (Jn 1, 3) et qui « s’est fait chair »
(Jn 1, 14), est le même Dieu qui est « au commencement
» (Jn 1, 1). Si nous reconnaissons ici une
allusion au début du Livre de la Genèse (cf. Gn 1,
1), nous nous trouvons, en réalité, face à un principe
de caractère absolu, qui nous dévoile la vie intime
14 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Relatio ante disceptationem, I : L’ORf, 4 novembre
2008, p. 9.
15 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 2.
16
de Dieu. Le Prologue johannique nous met en face
du fait que le Logos est réellement depuis toujours,
et depuis toujours il est Dieu lui-même. Par conséquent,
il n’y a jamais eu en Dieu un temps où le
Logos n’était pas. Le Verbe préexiste à la création.
C’est pourquoi, au coeur de la vie divine existe la
communion, le don absolu. « Dieu est amour »
(1 Jn 4, 16) dira à un autre endroit le même
Apôtre, en indiquant par là « l’image chrétienne
de Dieu ainsi que l’image de l’homme et de son
chemin, qui en découle ».16 Dieu se fait connaître
à nous comme Mystère d’amour infi ni dans lequel
le Père depuis l’éternité exprime sa Parole dans
l’Esprit Saint. Par conséquent le Verbe, qui depuis
le commencement est auprès de Dieu et est
Dieu, nous révèle Dieu lui-même dans le dialogue
d’amour des Personnes divines et il nous invite à
y participer. C’est pourquoi, créés à l’image et à la
ressemblance de Dieu amour, nous ne pouvons
nous comprendre nous-mêmes que dans l’accueil
du Verbe et dans la docilité à l’oeuvre de l’Esprit
Saint. C’est à la lumière de la Révélation opérée
par le Verbe divin que se clarifi e défi nitivement
l’énigme de la condition humaine.
Analogie de la Parole de Dieu
7. À partir de ces considérations, qui naissent de
la méditation du Mystère chrétien exprimé dans
le Prologue de Jean, il est nécessaire à présent de
16 BENOÎT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 1 : AAS 98 (2006), pp. 217-218.
17
souligner ce qu’ont affi rmé les Pères synodaux
concernant les diverses modalités avec lesquelles
nous utilisons l’expression « Parole de Dieu ». On
a parlé avec justesse d’une symphonie de la Parole,
d’une Parole unique qui s’exprime de différentes
manières : « comme un chant à plusieurs
voix ».17 Les Pères synodaux ont parlé à ce propos,
en référence à la Parole de Dieu, d’une utilisation
analogique du langage humain. En effet, si
d’un côté cette expression concerne la communication
que Dieu fait de lui-même, de l’autre, elle
assume des signifi cations diverses qui doivent être
considérées avec attention et mises en relation les
unes avec les autres, aussi bien du point de vue de
la réfl exion théologique que de l’usage pastoral.
Comme nous le montre de manière claire le Prologue
de Jean, le Logos désigne à l’origine le Verbe
éternel, c’est-à-dire, le Fils unique engendré par le
Père avant tous les siècles et qui lui est consubstantiel
: le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était
Dieu. Mais ce même Verbe, affi rme saint Jean,
« s’est fait chair » (Jn 1, 14) ; c’est pourquoi Jésus-
Christ, né de la Vierge Marie, est réellement le
Verbe de Dieu qui s’est fait consubstantiel à nous.
Par conséquent, l’expression « Parole de Dieu » indique
ici la Personne de Jésus-Christ, le Fils éternel
du Père, fait homme.
Par ailleurs, si au centre de la Révélation divine
se situe l’événement du Christ, on doit aussi
reconnaître que la création elle-même, le liber
17 XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE DES
ÉVÊQUES, Instrumentum laboris, n. 9.
18
naturae, fait aussi essentiellement partie de cette
symphonie à plusieurs voix dans laquelle le Verbe
unique s’exprime. En même temps, nous affi rmons
que Dieu a communiqué sa Parole dans
l’histoire du salut, qu’il a fait entendre sa voix ;
par la puissance de son Esprit, « il a parlé par les
prophètes ».18 La Parole divine se révèle donc au
cours de l’histoire du salut et elle parvient à sa
plénitude dans le Mystère de l’Incarnation, de la
mort et de la Résurrection du Fils de Dieu. La
Parole de Dieu est encore celle qui est prêchée
par les Apôtres, dans l’obéissance au Commandement
de Jésus ressuscité : « Allez dans le monde
entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la
création » (Mc 16, 15). La Parole de Dieu est donc
transmise dans la Tradition vivante de l’Église.
Enfi n, la Parole divine, attestée et divinement inspirée,
c’est l’Écriture Sainte, l’Ancien et le Nouveau
Testament. Tout cela nous fait comprendre
pourquoi, dans l’Église, nous vénérons beaucoup
les Saintes Écritures, bien que la foi chrétienne ne
soit pas une « religion du Livre » : le Christianisme
est la « religion de la Parole de Dieu », non d’« une
parole écrite et muette, mais du Verbe incarné et
vivant ».19 L’Écriture doit donc être proclamée,
écoutée, lue, accueillie et vécue comme la Parole
de Dieu, dans le sillage de la Tradition apostolique
dont elle est inséparable.20
18 Credo de Nicée Constantinople : DS 150.
19 SAINT BERNARD DE CLAIRVAUX, Homelia super Missus est,
IV, 11 : PL 183, 86 B.
20 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
19
Comme l’ont affi rmé les Pères synodaux,
nous nous trouvons réellement face à une utilisation
analogique de l’expression « Parole de Dieu »,
dont nous devons être conscients. Il faut donc
que les fi dèles soient davantage préparés à en saisir
les différents sens et à en comprendre l’unité.
De même, du point de vue théologique, il est
nécessaire d’approfondir l’articulation des différentes
signifi cations de cette expression pour que
resplendissent davantage l’unité du dessein divin
et son centre : la Personne du Christ.21
Dimension cosmique de la Parole
8. Conscients de la signifi cation essentielle de la
Parole de Dieu en référence au Verbe éternel de
Dieu fait chair, unique sauveur et médiateur entre
Dieu et l’homme,22 et en écoutant cette Parole,
nous sommes amenés par la Révélation biblique
à reconnaître qu’elle est le fondement de toute la
réalité. Le Prologue de saint Jean affi rme, en référence
au Logos divin, que « par lui tout s’est fait
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui »
(Jn 1, 3) ; de même, dans la Lettre aux Colossiens, il
est affi rmé en ce qui concerne le Christ, « premierné
par rapport à toute créature » (1, 15), que « tout
est créé par lui et pour lui » (1, 16). Et l’auteur de
21 Cf. Proposition 3.
22 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration
sur l’unicité et l’universalité salvifi que de Jésus Christ
et de l’Église Dominus Iesus (6 août 2000) nn. 13-15 : AAS 92
(2000), pp. 754-756.
20
la Lettre aux Hébreux rappelle aussi que « grâce à
la foi, nous comprenons que les mondes ont été
organisés par la Parole de Dieu, si bien que l’univers
visible provient de ce qui n’apparaît pas au
regard » (11, 3).
Cette annonce est pour nous une parole libératrice.
En effet, les affi rmations de l’Écriture
indiquent que tout ce qui existe n’est pas le fruit
d’un hasard irrationnel, mais est voulu par Dieu,
fait partie de son dessein, au sommet duquel il
nous est offert de participer, dans le Christ, à la vie
divine. La création naît du Logos et porte de façon
indélébile la marque de la Raison créatrice qui ordonne
et guide. Les Psaumes chantent cette joyeuse certitude
: « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffl e de sa bouche » (Ps 33, 6) ; et
encore : « il parla, et ce qu’il dit exista ; il commanda,
et ce qu’il dit survint » (Ps 33, 9). Toute la réalité
exprime ce Mystère : « Les cieux proclament la
gloire de Dieu, le fi rmament raconte l’ouvrage de
ses mains » (Ps 19, 2). Par conséquent, c’est l’Écriture
Sainte elle-même qui nous invite à connaître
le Créateur en observant la création (cf. Ps 13, 5 ;
Rm 1, 19-20). La tradition de la pensée chrétienne
a su approfondir cet élément-clé de la symphonie
de la Parole, quand, par exemple, saint Bonaventure
qui, avec la grande tradition des Pères grecs,
a vu toutes les possibilités de la création dans le
Logos,23 affi rme que « toute créature est parole de Dieu,
23 Cf. In Hexaemeron, XX, 5: Opera Omnia, V, Quaracchi
1891, pp. 425-426 ; Breviloquium I, 8: Opera Omnia, V, Quaracchi
1891, pp. 216-217.
21
puisqu’elle proclame Dieu ».24 La Constitution dogmatique
Dei Verbum avait résumé cet élément en
déclarant qu’« en créant (cf. Jn 1, 3) et en conservant
toutes choses par le Verbe, Dieu offre aux
hommes dans les choses créées un témoignage
durable de lui-même ».25
La création de l’homme
9. La réalité naît donc de la Parole, comme creatura
Verbi et tout est appelé à servir la Parole. La
création, en effet, est le lieu où se développe toute
l’histoire de l’amour entre Dieu et sa créature.
Par conséquent, le salut de l’homme est la raison
de tout. En contemplant le cosmos dans la perspective
de l’histoire du salut, nous sommes amenés
à découvrir la position unique et singulière
qu’occupe l’homme dans la création : « Dieu créa
l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa,
il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cela nous
permet de reconnaître pleinement les dons précieux
reçus du Créateur : la valeur de notre propre
corps, le don de la raison, de la liberté et de la
conscience. En cela, nous trouvons aussi tout ce
que la tradition philosophique appelle la « loi na-
24 SAINT BONAVENTURE, Itinerarium mentis in Deum, II, 12 :
Opera Omnia, V, Quaracchi, 1891, pp. 302-303 ; cf. Commentarius
in librum Ecclesiastes, Chap. 1, vers. 11; Quaestiones, II, 3, Quaracchi
1891, p. 16.
25 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 3 ; cf. CONC. OECUM. VAT. I, Const. dogm.
sur la foi catholique Dei Filius, chap. 2, De revelatione : DS 3004.
22
turelle ».26 En effet, « tout être humain qui accède
à la conscience et à la responsabilité fait l’expérience
d’un appel intérieur à accomplir le bien »27
et, donc, à éviter le mal. Comme le rappelle saint
Thomas d’Aquin, tous les autres préceptes de la
loi naturelle se fondent également sur ce principe.
28 L’écoute de la Parole de Dieu nous porte
avant tout à apprécier l’exigence de vivre selon
cette loi « écrite dans notre coeur » (cf. Rm 2, 15 ;
7, 23).29 De plus, Jésus-Christ donne aux hommes
la nouvelle Loi, la Loi de l’Évangile, qui assume
et réalise de manière éminente la loi naturelle, en
nous affranchissant de la loi du péché qui fait que,
comme le dit saint Paul, « ce qui est à ma portée,
c’est d’avoir envie de faire le bien, mais pas de
l’accomplir » (Rm 7, 18) et, par la grâce, il permet
aux hommes la participation à la vie divine et leur
donne la capacité de dépasser leur égoïsme.30
Le réalisme de la Parole
10. Celui qui connaît la Parole divine connaît
aussi pleinement la signifi cation de toute créature.
Si toutes les choses, en effet, « subsistent » en Celui
26 Cf. Proposition 13.
27 COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, À la recherche
d’une éthique universelle : un regard nouveau sur la loi naturelle,
n. 39.
28 Cf. Summa Theologiae, Ia-IIae, q. 94, a. 2.
29 Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Bible et morale,
Racines bibliques de l’agir chrétien (11 mai 2008), nn. 13, 32 et 109.
30 Cf. COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, À la
recherche d’une éthique universelle : un regard nouveau sur la loi naturelle,
n. 102.
23
qui est « avant toutes choses » (cf. Col 1, 17), alors
celui qui construit sa propre vie sur sa Parole bâtit
vraiment de manière solide et durable. La Parole
de Dieu nous pousse à changer notre idée du réalisme
: la personne réaliste est celle qui reconnaît
dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout.31
Nous en avons particulièrement besoin à notre
époque, où de nombreuses choses sur lesquelles
nous nous appuyons pour construire notre vie, sur
lesquelles nous sommes tentés de mettre notre espérance,
se révèlent éphémères. L’avoir, le plaisir
et le pouvoir se manifestent tôt ou tard incapables
de réaliser les aspirations les plus profondes du
coeur de l’homme. En effet, pour construire sa
vie, celui-ci a besoin de fondements solides, qui
demeurent même lorsque les certitudes humaines
s’estompent. En réalité, puisque « pour toujours,
ta parole, Seigneur, se dresse dans les cieux » et
que la fi délité du Seigneur dure « d’âge en âge »
(cf. Ps 119, 89-90), celui qui bâtit sur cette Parole
construit la maison de sa vie sur le roc (cf. Mt 7,
24). Que notre coeur puisse dire tous les jours à
Dieu : « Toi mon abri, mon bouclier, j’espère en ta
parole » (Ps 119, 114) et, comme saint Pierre, que
nous puissions agir tous les jours en nous en remettant
au Seigneur Jésus : « sur ton ordre, je vais
jeter les fi lets » (Lc 5, 5) !
31 Cf. BENOÎT XVI, Méditation à l’occasion de l’ouverture du
Synode des Évêques (6 octobre 2008) : ASS 100 (2008), 758-761,
L’ORf, 14 octobre 2008, p. 11.
24
Christologie de la Parole
11. À partir de ce regard sur la réalité comme
oeuvre de la Sainte Trinité, à travers le Verbe divin,
nous pouvons comprendre les paroles de l’auteur
de la Lettre aux Hébreux : « Souvent, dans le passé,
Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous
des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les
derniers temps, dans ces jours où nous sommes,
il nous a parlé par ce Fils qu’il a établi héritier
de toutes choses et par qui il a créé les mondes »
(1, 1-2). Il est beau de noter que tout l’Ancien Testament
se présente déjà à nous comme l’histoire
dans laquelle Dieu communique sa Parole : « En
effet, après avoir conclu une alliance avec Abraham
(cf. Gn 15, 18) et, par Moïse, avec le Peuple
d’Israël (cf. Ex 24, , il se révéla au Peuple qu’il
s’était acquis, par des paroles et par des actions,
comme le Dieu unique, vivant et vrai, de sorte
qu’Israël fi t l’expérience des voies de Dieu avec
les hommes, qu’il en acquit une intelligence de
jour en jour plus profonde et plus claire grâce
à Dieu parlant lui-même par la bouche des prophètes,
et qu’il manifesta toujours plus largement
parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2,
1-4 ; Jr 3, 17) ».32
Cette complaisance de Dieu se réalise de manière
indépassable au moment de l’Incarnation du
Verbe. La Parole éternelle qui s’exprime dans la
création et qui se communique dans l’histoire du
32 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 14.
25
salut est devenue dans le Christ un homme, « né
d’une femme » (Ga 4, 4). La Parole ne s’exprime
plus ici d’abord à travers un discours, fait de
concepts ou de règles. Ici, nous sommes mis face
à la Personne même de Jésus. Son histoire unique
et singulière est la Parole défi nitive que Dieu dit à
l’humanité. On comprend alors pourquoi « à l’origine
du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision
éthique ou une grande idée, mais la rencontre
avec un événement, avec une Personne, qui donne
à la vie un nouvel horizon et par là son orientation
décisive ».33 Le renouvellement de cette rencontre
et de cette conscience génère dans le coeur
des croyants l’émerveillement devant l’initiative
divine que l’homme, avec ses seules facultés rationnelles
et avec son imagination n’aurait jamais
pu concevoir. Il s’agit d’une nouveauté incroyable
et humainement inconcevable : « Le Verbe s’est
fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14a). Ces
expressions n’indiquent pas une fi gure rhétorique
mais une expérience vécue ! C’est saint Jean, témoin
oculaire, qui la rapporte : « nous avons vu sa
gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils
unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14b). La
foi apostolique témoigne que la Parole éternelle
s’est faite Un de nous. La Parole divine s’exprime
vraiment à travers des paroles humaines.
12. En contemplant cette « Christologie de la
Parole », la tradition patristique médiévale a utilisé
33 BENOÎT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 1 : AAS 98 (2006), pp. 217-218.
26
une expression suggestive : le Verbe s’est abrégé.34
Dans leur traduction grecque de l’Ancien Testament,
les Pères de l’Église ont trouvé une parole
du prophète Isaïe - que saint Paul cite aussi - pour
montrer que les voies nouvelles de Dieu étaient
déjà annoncées dans l’Ancien Testament. On
pouvait y lire : « Dieu a rendu brève sa Parole, il l’a
abrégée » (Is 10, 23 ; Rm 9, 28). Le Fils, lui-même,
est la Parole de Dieu, il est le « Logos : la Parole éternelle
s’est faite petite – si petite qu’elle peut entrer
dans une mangeoire. Elle s’est faite enfant, afi n
que la Parole devienne pour nous saisissable ».35 À
présent, la Parole n’est pas seulement audible, elle
ne possède pas seulement une voix, maintenant la
Parole a un visage, qu’en conséquence nous pouvons
voir : Jésus de Nazareth.36
En suivant le récit des Évangiles, nous relevons
que l’humanité même de Jésus apparaît dans
toute son originalité dans sa référence à la Parole
de Dieu. En effet, il réalise heure par heure,
dans son humanité parfaite, la volonté du Père.
Jésus écoute sa voix et il lui obéit de tout son
coeur. Il connaît le Père et il observe sa Parole (cf.
Jn 8, 55). Il nous raconte les choses du Père (cf.
Jn 12, 50). « Je leur ai donné les paroles que tu
34 « Ho Logos pachynetai (ou brachynetai) ». Cf. ORIGÈNE, Péri
Archon, I, 2, 8 : Sources Chrétiennes (par la suite SC ) 252, p. 127-
129.
35 BENOÎT XVI, Homélie au cours de la Messe de la Nativité du
Seigneur (24 décembre 2006) : AAS 99 (2007), p. 12, L’ORf, 2
janvier 2007, p. 2.
36 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Message fi nal, II, 4-6.
27
m’as données » (Jn 17, . Jésus montre donc qu’il
est le Logos divin qui se donne à nous, mais aussi
le nouvel Adam, l’homme vrai, celui qui accomplit
à chaque instant non sa propre volonté mais
celle du Père. Il « grandissait en sagesse, en taille et
en grâce sous le regard de Dieu et des hommes »
(Lc 2, 52). De manière parfaite, il écoute, il réalise
en lui-même et il nous communique la Parole divine
(cf. Lc 5, 1).
La mission de Jésus trouve enfi n son accomplissement
dans le Mystère pascal : nous nous
trouvons ici face au « langage de la croix » (1 Co 1, 18).
Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il
s’est « dit » jusqu’à se taire, ne conservant rien de
ce qu’il devait communiquer. De manière suggestive,
les Pères de l’Église, contemplant ce Mystère,
mettent sur les lèvres de la Mère de Dieu cette
expression : « Sans parole est la parole du Père, laquelle
a créé toute la nature parlante, sans mouvement
sont les yeux éteints de celui par la parole et
le geste de qui est mû tout ce qui se meut ».37 Ici,
nous est vraiment révélé l’amour le « plus grand »,
celui qui donne sa vie pour ses propres amis (cf.
Jn 15, 13).
Dans ce grand Mystère, Jésus se manifeste
comme la Parole de l’Alliance Nouvelle et Éternelle :
la liberté de Dieu et la liberté de l’homme se sont
défi nitivement rencontrées dans sa chair crucifi
ée, en un pacte indissoluble, à jamais valable.
37 SAINT MAXIME LE CONFESSEUR, La vie de Marie, n. 89 :
CSCO 479, p. 77.
28
Au cours de l’institution de l’Eucharistie, Jésus
lui-même - à la dernière Cène - avait parlé de « la
Nouvelle et Éternelle Alliance », scellée par son
Sang versé (cf. Mt 26, 28 ; Mc 14, 24 ; Lc 22, 20),
se montrant comme le véritable Agneau immolé,
en qui s’accomplit la libération défi nitive de l’esclavage.
38
Dans le Mystère lumineux de la Résurrection,
ce silence de la Parole se manifeste dans sa signifi -
cation authentique et défi nitive. Le Christ, Parole
de Dieu incarnée, crucifi ée et ressuscitée, est le
Seigneur de toutes choses ; il est le Vainqueur, le
Pantokrátor, et tout est récapitulé pour toujours en
lui (cf. Ep 1, 10). Le Christ est donc « la lumière du
monde » (Jn 8, 12), cette lumière qui « brille dans
les ténèbres » (Jn 1, 5) et que les ténèbres n’ont pas
arrêtée (cf. Jn 1, 5). Nous comprenons pleinement
ici le sens du Psaume 119 : « ta parole est la lumière
de mes pas, la lampe de ma route » (v. 105) ; la
Parole qui ressuscite est cette lumière défi nitive
sur notre route. Dès le début, les Chrétiens ont
eu conscience que, dans le Christ, la Parole de
Dieu est présente en tant que Personne. La Parole
de Dieu est la véritable lumière dont l’homme
a besoin. Oui, au moment de la Résurrection, le
Fils de Dieu s’est manifesté comme Lumière du
monde. À présent, en vivant avec lui et par lui,
nous pouvons vivre dans la lumière.
38 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 9-10 : AAS 99 (2007),
pp. 111- 112.
29
13. Parvenus, si l’on peut s’exprimer ainsi, au
coeur de la « Christologie de la Parole », il est important
de souligner l’unité du dessein divin dans
le Verbe incarné : c’est pour cela que le Nouveau
Testament nous présente le Mystère pascal en
accord avec les Saintes Écritures, comme leur
accomplissement parfait. Saint Paul, dans la première
Lettre aux Corinthiens, affi rme que Jésus-
Christ est mort pour nos péchés « conformément
aux Écritures » (15, 3) et qu’il est ressuscité le troisième
jour « conformément aux Écritures » (15, 4).
De cette manière, l’Apôtre place l’événement de la
mort et de la Résurrection du Seigneur en relation
avec l’histoire de l’antique Alliance de Dieu avec
son Peuple. Bien plus, il nous fait comprendre que
c’est de cet événement que cette histoire tire sa logique
et sa véritable signifi cation. Dans le Mystère
pascal s’accomplissent « les paroles de l’Écriture ;
c’est-à-dire que – cette mort réalisée “ conformément
aux Écritures ” – est un événement qui porte
en soi un Logos, une logique : la mort du Christ
témoigne que la Parole de Dieu s’est faite pleinement
“ chair ”, “ histoire ” humaine ».39 La Résurrection
de Jésus se produit aussi « le troisième jour
conformément aux Écritures » : puisque, suivant
l’interprétation juive, la décomposition commençait
après le troisième jour, la Parole de l’Écriture
s’accomplit en Jésus qui ressuscite avant que ne
commence la décomposition. Ainsi, en transmet-
39 Cf. BENOÎT XVI, Audience Générale (15 avril 2009) :
L’ORf, 21 avril 2009, p. 2.
30
tant fi dèlement l’enseignement des Apôtres (cf.
1 Co 15, 3), saint Paul souligne que la victoire du
Christ sur la mort advient par la puissance créatrice
de la Parole de Dieu. Cette puissance divine
apporte l’espérance et la joie : c’est là, en défi nitive,
le contenu libérateur de la Révélation pascale.
À Pâques, Dieu se révèle lui-même ainsi que
la puissance de l’Amour trinitaire qui anéantit les
forces destructrices du mal et de la mort.
En rappelant ces éléments essentiels de notre
foi, nous pouvons contempler la profonde unité
entre la création et la nouvelle création et celle de
toute l’histoire du salut dans le Christ. En recourant
à une image, nous pouvons comparer l’univers
à un « livre » – comme le disait également
Galilée – le considérant comme « l’oeuvre d’un
Auteur qui s’exprime à travers la “ symphonie ”
de la création. Au sein de cette symphonie, on
trouve, à un certain moment, ce que l’on appellerait
en langage musical un “ solo ”, un thème
confi é à un seul instrument ou à une voix unique ;
et celui-ci est tellement important que la signifi -
cation de toute l’oeuvre dépend de lui. Ce “ solo ”,
c’est Jésus ... Le Fils de l’homme résume en lui la
terre et le ciel, la création et le Créateur, la chair et
l’Esprit. Il est le centre de l’univers et de l’histoire,
parce qu’en lui s’unissent sans se confondre l’Auteur
et son oeuvre ».40
40 Cf. BENOÎT XVI, Homélie en la solennité de l’Épiphanie du
Seigneur (6 janvier 2009) : L’ORf, 13 janvier 2009, p. 6.
31
Dimension eschatologique de la Parole de Dieu
14. À travers tout cela, l’Église exprime qu’elle
est consciente de se trouver, avec Jésus-Christ,
face à la Parole défi nitive de Dieu ; il est « le Premier
et le Dernier » (Ap 1, 17). Il a donné à la
création et à l’histoire son sens défi nitif ; c’est
pourquoi nous sommes appelés à vivre le temps, à
habiter la création de Dieu selon le rythme eschatologique
de la Parole ; « l’économie chrétienne, du
fait qu’elle est l’Alliance nouvelle et défi nitive, ne
passera jamais et aucune nouvelle révélation publique
ne doit plus être attendue avant la glorieuse
manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ (cf.
1 Tm 6, 14 et Tt 2, 13) ».41 En effet, comme l’ont
rappelé les Pères durant le Synode, « la spécifi cité
du Christianisme se manifeste dans l’événement
Jésus-Christ, sommet de la Révélation, accomplissement
des promesses de Dieu et médiateur de la
rencontre entre l’homme et Dieu. Lui “ qui nous
a révélé Dieu ” (cf. Jn 1, 18) est la Parole unique et
défi nitive donnée à l’humanité ».42 Saint Jean de la
Croix a exprimé cette vérité de façon admirable :
« Dès lors qu’il nous a donné son Fils, qui est sa
Parole – unique et défi nitive –, il nous a tout dit à
la fois et d’un seul coup en cette seule Parole et il
n’a rien de plus à dire. […] Car ce qu’il disait par
parties aux prophètes, il l’a dit tout entier dans son
Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà
41 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. Sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 4.
42 Proposition 4.
32
pourquoi celui qui voudrait maintenant interroger
le Seigneur et lui demander des visions ou révélations,
non seulement ferait une folie, mais il ferait
injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement
sur le Christ et en cherchant autre chose ou
quelque nouveauté ».43
Par conséquent, le Synode a recommandé
d’« aider les fi dèles à bien distinguer la Parole de
Dieu des révélations privées »,44 dont le rôle « n’est
pas de (…) “ compléter ” la Révélation défi nitive
du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement
à une certaine époque de l’histoire ».45 La
valeur des révélations privées est foncièrement
différente de l’unique Révélation publique : celleci
exige notre foi ; en effet, en elle, au moyen de
paroles humaines et par la médiation de la communauté
vivante de l’Église, Dieu lui-même nous
parle. Le critère pour établir la vérité d’une révélation
privée est son orientation vers le Christ luimême.
Quand celle-ci nous éloigne de Lui, alors
elle ne vient certainement pas de l’Esprit Saint,
qui nous conduit à l’Évangile et non hors de lui.
La révélation privée est une aide pour la foi, et elle
se montre crédible précisément parce qu’elle renvoie
à l’unique Révélation publique. C’est pourquoi
l’approbation ecclésiastique d’une révélation
privée indique essentiellement que le message s’y
rapportant ne contient rien qui s’oppose à la foi
43 Cf. SAINT JEAN DE LA CROIX, Montée du Carmel, II, 22.
44 Proposition 47.
45 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 67.
33
et aux bonnes moeurs. Il est permis de le rendre
public, et les fi dèles sont autorisés à y adhérer de
manière prudente. Une révélation privée peut introduire
de nouvelles expressions, faire émerger
de nouvelles formes de piété ou en approfondir
d’anciennes. Elle peut avoir un certain caractère
prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et elle peut être
une aide valable pour comprendre et pour mieux
vivre l’Évangile à l’heure actuelle. Elle ne doit
donc pas être négligée. C’est une aide, qui nous est
offerte, mais il n’est pas obligatoire de s’en servir.
Dans tous les cas, il doit s’agir de quelque chose
qui nourrit la foi, l’espérance et la charité, qui sont
pour tous le chemin permanent du salut.46
La Parole de Dieu et l’Esprit Saint
15. Après nous être arrêtés sur la Parole dernière
et défi nitive de Dieu au monde, nous devons
parler à présent de la mission de l’Esprit Saint en
lien avec la Parole divine. En effet, aucune compréhension
authentique de la Révélation chrétienne
ne peut être atteinte en dehors de l’action
du Paraclet. Et ce, parce que la communication
que Dieu fait de lui-même implique toujours la
relation entre le Fils et l’Esprit Saint, qu’Irénée de
Lyon appelle, de fait, « les deux mains du Père ».47
De plus, c’est l’Écriture Sainte qui nous montre
46 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Le
message de Fatima, (26 juin 2000) : Ench. Vat. 19, n. 974-1021.
47 Adversus haereses, IV, 7, 4 ; SC 100, p. 465 ; V, 1, 3 : SC
153, p. 73 ; V, 28,4 : SC 153, p. 361.
34
la présence de l’Esprit Saint dans l’histoire du salut
et en particulier dans la vie de Jésus, qui a été
conçu de la Vierge Marie par l’action de l’Esprit
Saint (cf. Mt 1, 18 ; Lc 1, 35) ; au début de son
ministère public, sur les rives du Jourdain, Jésus
le voit descendre sur lui sous la forme d’une colombe
(cf. Mt 3, 16 et par.) ; par ce même Esprit,
il agit, il parle et il exulte (cf. Lc 10, 21) ; et c’est
en lui qu’il peut s’offrir lui-même (cf. He 9,14).
Alors que sa mission s’achève, suivant le récit de
l’Évangéliste Jean, c’est Jésus lui-même qui met
clairement en relation le don de sa vie avec l’envoi
de l’Esprit aux siens (cf. Jn 16, 7). Ensuite, Jésus
ressuscité, portant dans sa chair les signes de sa
passion, répand l’Esprit (cf. Jn 20, 22), rendant
les siens participants de sa propre mission (cf.
Jn 20, 21). Ce sera alors l’Esprit Saint qui enseignera
toutes choses aux disciples et qui leur rappellera
tout ce que le Christ a dit (cf. Jn 14, 26),
parce qu’il lui revient, en tant qu’Esprit de vérité
(cf. Jn 15, 26), d’introduire les disciples dans la vérité
tout entière (cf. Jn 16, 13). Enfi n, comme on
lit dans les Actes des Apôtres, l’Esprit descend sur
les Douze réunis en prière avec Marie, au jour de
la Pentecôte (cf. 2, 1-4), et il les remplit de force
en vue de leur mission d’annoncer la Bonne Nouvelle
à tous les peuples. 48
La Parole de Dieu s’exprime donc en paroles
humaines grâce à l’action de l’Esprit Saint.
48 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 12 : AAS 99 (2007), pp. 113-
114.
35
La mission du Fils et celle de l’Esprit Saint sont
inséparables et constituent une unique économie
du salut. L’Esprit, qui agit au moment de l’Incarnation
du Verbe dans le sein de la Vierge Marie,
est le même Esprit qui guide Jésus au cours de sa
mission et qui est promis aux disciples. Le même
Esprit, qui a parlé par l’intermédiaire des prophètes,
soutient et inspire l’Église dans sa tâche
d’annoncer la Parole de Dieu et dans la prédication
des Apôtres. Enfi n, c’est cet Esprit qui inspire
les auteurs des Saintes Écritures.
16. Attentifs à cet horizon pneumatologique,
les Pères synodaux ont voulu rappeler l’importance
de l’action de l’Esprit Saint dans la vie de
l’Église et dans le coeur des croyants par rapport
à l’Écriture Sainte.49 En effet, sans l’action effi -
cace de « l’Esprit de vérité » (Jn 14, 16) on ne peut
comprendre les paroles du Seigneur. Comme le
rappelle saint Irénée : « Ceux qui ne participent
pas à l’Esprit ne puisent pas au sein de leur Mère
(l’Église) la nourriture de Vie, ils ne reçoivent
rien de la source très pure qui coule du Corps du
Christ ».50 Comme la Parole de Dieu vient à nous
dans le Corps du Christ, dans le Corps eucharistique
et dans le Corps des Écritures par l’action de
l’Esprit Saint, de même elle ne peut être accueillie
et comprise pleinement que grâce à ce même Esprit.
49 Cf. Proposition 5.
50 Adversus haereses, III 24, 1 : SC 34, p. 401.
36
Les grands écrivains de la Tradition chrétienne
prennent unanimement en considération
le rôle de l’Esprit Saint dans le rapport que les
croyants doivent avoir avec les Écritures. Saint Jean
Chrysostome affi rme que l’Écriture « a besoin de
la Révélation de l’Esprit, afi n qu’en découvrant le
véritable sens des choses qui s’y trouvent, nous en
tirions abondamment profi t ».51 Saint Jérôme est
lui aussi fermement convaincu que « nous ne pouvons
arriver à comprendre l’Écriture sans l’aide de
l’Esprit Saint qui l’a inspirée ».52 Saint Grégoire le
Grand souligne à son tour de manière suggestive
l’oeuvre du même Esprit dans la formation et dans
l’interprétation de la Bible : « Il a lui-même créé les
paroles des Saints Testaments, c’est lui-même qui
les ouvre ».53 Richard de Saint-Victor rappelle qu’il
faut des « yeux de colombe », illuminés et instruits
par l’Esprit, pour comprendre le texte sacré.54
Je voudrais souligner encore toute l’importance
du témoignage que nous trouvons, à propos
de la relation entre l’Esprit Saint et l’Écriture,
dans les textes liturgiques, où la Parole de Dieu est
proclamée, écoutée et expliquée aux fi dèles. C’est
le cas d’anciennes prières qui, sous forme d’épiclèses,
invoquent l’Esprit avant la proclamation
51 Homeliae in Genesim, XXI, n. 1 ; PG 53, 175.
52 Epistula 120, 10 : CSEL 55, pp. 500-506.
53 Homiliae Ezechielem I. VII. 17 : CC 142, p. 94.
54 « Oculi ergo devotae animae sunt columbarum quia
sensus eius per Spiritum sanctum sunt illuminati et edocti, spiritualia
sapientes… Nunc quidem aperitur animae talis sensus,
ut intellegat Scripturas » : RICHARD DE SAINT-VICTOR, Explicatio in
Cantica canticorum, 15 : PL 196, 450 B et D.
37
des lectures : « Envoie ton Esprit Saint Paraclet
dans nos âmes et fais-nous comprendre les Écritures
qu’il a inspirées ; et concède-moi de les interpréter
de manière digne, pour que les fi dèles ici
réunis en tirent avantage ». De même, nous trouvons
des prières qui, au terme de l’homélie, invoquent
à nouveau Dieu pour le don de l’Esprit sur
les fi dèles : « Dieu sauveur (…) nous t’implorons
pour ce peuple : envoie sur lui l’Esprit Saint ; que
le Seigneur Jésus vienne le visiter, qu’il parle aux
consciences de tous et qu’il prépare les coeurs à la
foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des Miséricordes
».55 Tout cela nous permet de comprendre
pourquoi l’on ne peut pas arriver à saisir le sens de
la Parole si l’action du Paraclet n’est pas accueillie
dans l’Église et dans le coeur des croyants.
Tradition et Écriture
17. En réaffi rmant le lien profond entre l’Esprit
Saint et la Parole de Dieu, nous avons aussi posé
les fondations pour comprendre le sens et la valeur
déterminante de la Tradition vivante et des
Écritures Saintes dans l’Église. En effet, puisque
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils
unique » (Jn 3, 16), la Parole divine, prononcée
dans le temps, s’est donnée et « livrée » à l’Église
de manière défi nitive, afi n que l’annonce du salut
puisse être communiquée de manière effi cace à
55 Sacramentum Serapionis, II (XX), Didascalia et Constitutiones
apostolorum, ed. F. X. FUNK II, Paderborn 1906, p. 161.
38
toutes les époques et en tous lieux. Comme nous
le rappelle la Constitution dogmatique Dei Verbum,
Jésus-Christ « ayant accompli lui-même et
proclamé de sa propre bouche l’Évangile d’abord
promis par les prophètes, ordonna à ses Apôtres
de le prêcher à tous comme la source de toute
vérité salutaire et de toute règle morale, en leur
communiquant les dons divins. Ce qui fut fi dèlement
accompli tantôt par les Apôtres, qui, dans
la prédication orale, dans les exemples et les institutions
transmirent, soit ce qu’ils avaient appris
de la bouche du Christ en vivant avec lui et en le
voyant agir, soit ce qu’ils tenaient des suggestions
du Saint-Esprit, tantôt par ces Apôtres et des
hommes de leur entourage, qui, sous l’inspiration
du même Esprit- Saint, consignèrent par écrit le
message de salut ».56
Le Concile Vatican II rappelle, par ailleurs,
que cette Tradition d’origine apostolique est une
réalité vivante et dynamique : elle progresse dans
l’Église sous l’assistance du Saint-Esprit, non dans
le sens qu’elle change dans sa vérité, qui est éternelle,
mais plutôt par le fait que « la perception des
réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît
», par la contemplation et par l’étude, avec
l’intelligence que donne une expérience spirituelle
plus profonde, et par « la prédication de ceux qui,
avec la succession dans l’épiscopat, ont reçu un
charisme certain de vérité ».57
56 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 7.
57 Ibidem, n. 8.
39
La Tradition vivante est essentielle afi n que
l’Église puisse grandir au fi l du temps dans la compréhension
de la vérité révélée dans les Écritures ;
en effet, « par cette même Tradition, le Canon intégral
des Livres Saints se fait connaître à l’Église,
et en elle aussi les Saintes Écritures elles-mêmes
sont comprises plus à fond et sans cesse rendues
agissantes ».58 En fi n de compte, c’est la Tradition
vivante de l’Église qui nous fait comprendre de
manière adéquate la Sainte Écriture comme Parole
de Dieu. Même si le Verbe de Dieu précède
et transcende la Sainte Écriture, toutefois, dans la
mesure où elle est inspirée par Dieu, elle contient
la Parole divine (cf. 2 Tm 3, 16) « d’une manière
tout à fait particulière ».59
18. D’où l’importance d’éduquer et de former
de façon claire le Peuple de Dieu à s’approcher des
Saintes Écritures en lien avec la Tradition vivante
de l’Église, en reconnaissant en elles la Parole
même de Dieu. Faire grandir cette attitude chez
les fi dèles est très important du point de vue de
la vie spirituelle. Il peut être utile de rappeler à ce
propos une analogie développée par les Pères de
l’Église entre le Verbe de Dieu qui se fait « chair »
et la Parole qui se fait « Livre ».60 La Constitution
dogmatique Dei Verbum, recueillant cette ancienne
tradition selon laquelle « son Corps (celui
58 Ibidem.
59 Cf. Proposition 3.
60 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Message fi nal, n. 5.
40
du Fils), ce sont les enseignements des Écritures »
– comme le disait saint Ambroise,61 – affi rme :
« les paroles de Dieu, exprimées en langues humaines,
sont devenues semblables au langage humain,
de même que jadis le Verbe du Père éternel,
ayant assumé la chair humaine avec ses faiblesses,
est devenu semblable aux hommes ».62 Comprise
ainsi, l’Écriture Sainte se présente à nous, bien
que dans la multiplicité de ses formes et de ses
contenus, comme une réalité unifi ée. En effet,
« à travers toutes les paroles de l’Écriture Sainte,
Dieu ne dit qu’une seule Parole, son Verbe unique
en qui il se dit tout entier (cf. He 1, 1-3) »,63 comme
l’affi rmait saint Augustin avec clarté : « Rappelezvous
que le discours de Dieu, qui est développé
dans toute la Sainte Écriture, est un seul et qu’un
seul est le Verbe qui résonne sur la bouche de tous
les auteurs sacrés ».64
En fi n de compte, à travers l’action de l’Esprit
Saint et sous la conduite du Magistère, l’Église
transmet à toutes les générations tout ce qui a été
révélé dans le Christ. L’Église vit dans la certitude
que son Seigneur, qui a parlé dans le passé,
ne cesse de communiquer sa Parole, aujourd’hui,
dans la Tradition vivante de l’Église et dans l’Écri-
61 Expositio Evangelii secundum Lucam 6, 33 : SC 45, p. 240.
62 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 13.
63 Catéchisme de l’Église Catholique n. 102. Cf. aussi RUPERT
DE DEUTZ, De operibus Spiritus Sancti, I, 6 : SC 131, pp. 72-74.
64 Enarrationes in Psalmos, 103, IV, 1 : PL 37, 1378. Affi rmations
analogues chez ORIGÈNE, In Ioannem V, 5-6 : SC 120,
pp. 380-384.
41
ture Sainte. En effet, la Parole de Dieu se donne
à nous dans l’Écriture Sainte comme témoignage
inspiré de la Révélation qui, avec la Tradition vivante
de l’Église, constitue la règle suprême de la
foi.65
Écriture Sainte, inspiration et vérité
19. Un concept clé pour accueillir le texte sacré,
en tant que Parole de Dieu faite paroles humaines,
est indubitablement celui de l’inspiration. Ici aussi,
nous pouvons suggérer une analogie : comme
le Verbe de Dieu s’est fait chair par l’action de
l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie, de
même l’Écriture Sainte naît du sein de l’Église
par l’action du même Esprit. L’Écriture Sainte est
« Parole de Dieu en tant que, sous le souffl e de
l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ».66 On
reconnaît de cette manière toute l’importance de
l’auteur humain qui a écrit les textes inspirés et, en
même temps, de Dieu reconnu comme son auteur
véritable.
Comme les Pères synodaux l’ont affi rmé, il
apparaît avec force combien le thème de l’inspiration
est décisif pour s’approcher de façon
juste des Écritures et pour en faire une exégèse
correcte,67 qui, à son tour, doit s’effectuer dans
65 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 21.
66 Ibidem n. 9.
67 Cf. Propositions 5 et 12.
42
l’Esprit même dans lequel elles ont été écrites.68
Lorsque s’affaiblit en nous la conscience de son
inspiration, on risque de lire l’Écriture comme un
objet de curiosité historique et non plus comme
l’oeuvre de l’Esprit Saint, par laquelle nous pouvons
entendre la voix même du Seigneur et
connaître sa présence dans l’histoire.
En outre, les Pères synodaux ont souligné
avec justesse que le thème de l’inspiration est aussi
lié au thème de la vérité des Écritures.69 C’est pourquoi,
un approfondissement de la compréhension
de l’inspiration portera sans aucun doute aussi à
une plus grande intelligence de la vérité contenue
dans les Livres Saints. Comme l’affi rmait la doctrine
conciliaire sur ce thème, les Livres inspirés
enseignent la vérité : « Dès lors, puisque tout ce
que les auteurs inspirés ou hagiographes affi rment
doit être tenu pour affi rmé par l’Esprit Saint, il
faut par conséquent professer que les Livres de
l’Écriture enseignent fermement, fi dèlement et
sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée
dans les saintes Lettres en vue de notre salut.
C’est pourquoi “ toute Écriture inspirée de Dieu
est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former
à la justice afi n que l’homme de Dieu se trouve accompli,
équipé pour toute oeuvre bonne ” (2 Tm 3,
16-17, gr.) ».70
68 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 12.
69 Cf. Proposition 12.
70 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 11.
43
La réfl exion théologique a certainement toujours
considéré l’inspiration et la vérité comme
deux concepts clé pour une herméneutique ecclésiale
des Saintes Écritures. Toutefois, nous devons
reconnaître la nécessité actuelle d’approfondir de
façon adéquate ces réalités, afi n de pouvoir mieux
répondre aux exigences relatives à l’interprétation
des textes sacrés selon leur nature. Dans
cette perspective, je souhaite ardemment que la
recherche dans ce domaine puisse progresser et
qu’elle porte du fruit pour la science biblique et
pour la vie spirituelle des fi dèles.
Dieu Père, source et origine de la Parole
20. L’économie de la Révélation a donc son
commencement et son origine en Dieu le Père.
Par sa Parole « il a fait les cieux, l’univers par le
souffl e de sa bouche » (Ps 33, 6). C’est lui qui fait
« resplendir la connaissance de la gloire de Dieu
qui rayonne sur le visage du Christ » (cf. 2 Co 4, 6 ;
cf. Mt 16, 17 ; Lc 9, 29).
Dans le Fils, Logos fait chair (cf. Jn 1, 14), venu
accomplir la volonté de Celui qui l’a envoyé (cf.
Jn 4, 34), Dieu, source de la Révélation, se manifeste
en tant que Père et porte à sa pleine réalisation
la divinisation de l’homme, déjà assurée
auparavant par les paroles des prophètes et par les
merveilles qu’il a réalisées dans la création et dans
l’histoire de son Peuple et de tous les hommes.
Le sommet de la Révélation de Dieu le Père est
offert par le Fils à travers le don du Paraclet
44
(cf. Jn 14, 16), Esprit du Père et de son Fils, qui
nous « guide vers la vérité tout entière » (cf. Jn 16, 13).
C’est ainsi que toutes les promesses de Dieu
deviennent « oui » en Jésus-Christ (cf. 2 Co 1, 20).
S’ouvre ainsi à l’homme la possibilité de parcourir
le chemin qui le conduit au Père (cf. Jn 14, 6), pour
qu’à la fi n « Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 28).
21. Comme le montre la croix du Christ, Dieu
parle aussi à travers son silence. Le silence de
Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puissant
et du Père est une étape décisive du parcours
terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu
au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel
silence lui causait : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; Mt 27, 46).
Persévérant dans l’obéissance jusqu’à son dernier
souffl e de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus
a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au
moment du passage, à travers la mort, à la vie
éternelle : « Père, entre tes mains je remets mon
esprit » (Lc 23, 46).
Cette expérience de Jésus est comparable à
la situation de l’homme qui, après avoir écouté et
reconnu la Parole de Dieu, doit aussi se mesurer
avec son silence. Bien des saints et des mystiques
ont vécu une telle expérience qui aujourd’hui encore
fait partie du cheminement de nombreux
chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles
précédemment énoncées. Dans ces moments
obscurs, il parle dans le mystère de son silence.
C’est pourquoi, dans la dynamique de la Révé45
lation chrétienne, le silence apparaît comme une
expression importante de la Parole de Dieu.
LA RÉPONSE DE L’HOMME À DIEU QUI PARLE
Appelés à entrer dans l’Alliance avec Dieu
22. Soulignant la multiplicité des formes de
la Parole, nous avons pu contempler, à travers
toutes ces modalités, Dieu qui parle et qui vient à
la rencontre de l’homme, en se faisant connaître
dans un dialogue. Bien sûr, comme l’ont affi rmé
les Pères synodaux, « quand il se réfère à la Révélation,
le dialogue comporte le primat de la Parole
de Dieu adressée à l’homme ».71 Le Mystère
de l’Alliance exprime cette relation entre Dieu
qui appelle par sa Parole et l’homme qui répond,
dans la claire conscience qu’il ne s’agit pas d’une
rencontre entre deux parties contractantes situées
sur un pied d’égalité ; ce que nous appelons l’Ancienne
et la Nouvelle Alliance n’est pas un acte
d’entente entre deux parties égales, mais un pur
don de Dieu. Par ce don de son amour, dépassant
toute distance, Dieu fait vraiment de nous ses
« partenaires », réalisant ainsi le Mystère nuptial
de l’amour entre le Christ et l’Église. Dans cette
perspective, chaque homme apparaît comme destinataire
de la Parole, interpellé et appelé à entrer
dans ce dialogue d’amour par une réponse libre.
Chacun de nous est ainsi rendu par Dieu capable
71 Proposition 4.
46
d’écouter et de répondre à la Parole divine. L’homme
est créé dans la Parole et il vit en elle ; il ne peut
se comprendre lui-même s’il ne s’ouvre à ce dialogue.
La Parole de Dieu révèle la nature fi liale et
relationnelle de notre vie. Nous sommes vraiment
appelés par grâce à nous conformer au Christ, le
Fils du Père, et à être transformés en Lui.
Dieu écoute l’homme et répond à ses demandes
23. Dans ce dialogue avec Dieu, nous nous
comprenons nous-mêmes et nous trouvons la réponse
aux interrogations les plus profondes qui
habitent notre coeur. Car la Parole de Dieu ne
s’oppose pas à l’homme, ne mortifi e pas ses désirs
authentiques, bien au contraire, elle les illumine,
les purifi e et les mène à leur accomplissement.
Comme il est important pour notre temps de découvrir
que seul Dieu répond à la soif qui est dans le
coeur de tout homme ! À notre époque et surtout en
Occident, s’est malheureusement diffusée l’idée
que Dieu est étranger à la vie et aux problèmes
de l’homme et, plus encore, que sa présence peut
être une menace pour son autonomie. En réalité,
toute l’économie du Salut nous montre que
Dieu parle et intervient dans l’histoire en faveur
de l’homme et de son salut intégral. Il est donc
important, d’un point de vue pastoral, de présenter
la Parole de Dieu dans sa capacité de répondre
aux problèmes que l’homme doit affronter dans
la vie quotidienne. Jésus se présente justement
à nous comme celui qui est venu pour que nous
47
puissions avoir la vie en abondance (cf. Jn 10, 10).
Pour cela, nous devons déployer tous nos efforts
pour que la Parole de Dieu apparaisse à chacun
comme une ouverture à ses problèmes, une réponse
à ses questions, un élargissement des valeurs
et en même temps comme une satisfaction
apportée à ses aspirations. La pastorale de l’Église
doit être attentive à illustrer avec soin comment
Dieu écoute les besoins de l’homme et son cri.
Saint Bonaventure affi rme dans le Breviloquium :
« Le fruit de l’Écriture Sainte n’est pas quelconque,
c’est la plénitude de l’éternelle félicité. Car elle
est l’Écriture Sainte dans laquelle sont les paroles
de la vie éternelle ; elle est donc écrite, non seulement
pour que nous croyions, mais aussi pour
que nous possédions la vie éternelle dans laquelle
nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront
universellement comblés ».72
Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles
24. La Parole divine introduit chacun de nous
dans un dialogue avec le Seigneur. Le Dieu qui
parle, nous apprend comment nous pouvons parler
avec lui. Spontanément vient à l’esprit le Livre
des Psaumes, dans lequel Dieu nous donne les paroles
avec lesquelles nous pouvons nous adresser
à lui, lui présenter notre vie dans un colloque avec
lui, transformant ainsi la vie même en un mou-
72 Prol. Opera omnia V, Quaracchi 1891, pp. 201-202.
48
vement vers Dieu.73 Dans les Psaumes, en effet,
nous trouvons toute la gamme des sentiments
que l’homme peut éprouver dans son existence
et qui sont présentés avec sagesse à Dieu : la joie
et la douleur, l’angoisse et l’espérance, la peur
et l’anxiété trouvent ici leur expression. Avec
les Psaumes, nous pensons aussi aux nombreux
autres textes de la Sainte Écriture qui expriment
la manière dont l’homme s’adresse à Dieu sous
la forme d’une prière d’intercession (cf. Is 33,
12-16), d’un chant de joie pour la victoire (cf.
Is 15), ou d’une lamentation pour la mission à
remplir (cf. Jr 20, 7-18). De cette façon, la parole
que l’homme adresse à Dieu devient à son tour
Parole de Dieu, confi rmant le caractère de dialogue
de toute la révélation chrétienne.74 L’existence
tout entière de l’homme devient, dans cette perspective,
un dialogue avec Dieu qui parle et écoute,
qui appelle et engage notre vie. La Parole de Dieu
révèle que toute l’existence de l’homme se situe
dans le champ de l’appel divin.75
La Parole de Dieu et la foi
25. « À Dieu qui révèle il faut apporter ‘l’obéissance
de la foi’ (Rm 16, 26 ; cf. Rm 1, 5 ; 2 Co 10,
5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier
73 Cf. BENOÎT XVI, Discours au monde de la Culture au Collège
des Bernardins à Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008),
pp. 721-730.
74 Cf. Proposition 4.
75 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Relatio post disceptationem, n. 12.
49
librement à Dieu, en présentant ‘à Dieu qui révèle
la pleine soumission de l’intelligence et de la volonté’
et en donnant de plein gré son assentiment
à la Révélation qu’il a faite ».76 Avec ces paroles, la
Constitution dogmatique Dei Verbum a exprimé,
de manière précise, l’attitude de l’homme devant
Dieu. La réponse propre de l’homme à Dieu qui parle
est la foi. En cela il est évident que « pour accueillir
la Révélation, l’homme doit ouvrir sa conscience
et son coeur à l’action de l’Esprit Saint qui lui fait
comprendre la Parole de Dieu présente dans les
Écritures Saintes ».77 En effet, c’est précisément la
prédication de la Parole divine qui fait surgir la
foi, par laquelle nous adhérons de tout notre coeur
à la vérité révélée et nous nous confi ons totalement
au Christ : « la foi naît de ce qu’on entend,
et ce qu’on entend, c’est l’annonce de la parole
du Christ » (Rm 10, 17). C’est toute l’histoire du
salut qui, de façon progressive, nous montre ce
lien intime entre la Parole de Dieu et la foi qui
s’accomplit dans la rencontre avec le Christ. Avec
Lui, la foi prend la forme de la rencontre avec une
personne à laquelle on confi e sa propre vie. Le
Christ Jésus demeure aujourd’hui dans l’histoire,
dans son Corps qui est l’Église ; ainsi, notre acte
de foi est simultanément un acte personnel et ecclésial.
76 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. Sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 5.
77 Proposition 4.
50
Le péché comme non-écoute de la Parole de Dieu
26. La Parole de Dieu révèle inévitablement
aussi la possibilité dramatique, de la part de la liberté
de l’homme, de se soustraire à ce dialogue
d’alliance avec Dieu pour lequel nous avons été
créés. La Parole divine, en effet, dévoile aussi le
péché qui habite le coeur de l’homme. Nous trouvons
très souvent, aussi bien dans l’Ancien que
dans le Nouveau Testament, la description du péché
comme non-écoute de la Parole, comme rupture de
l’Alliance et donc comme fermeture à l’égard de
Dieu qui appelle à la communion avec lui.78 En
effet, l’Écriture Sainte nous montre comment le
péché de l’homme est essentiellement désobéissance
et ‘non-écoute’. C’est vraiment l’obéissance
radicale de Jésus jusqu’à la mort de la croix (cf.
Ph 2, qui démasquera totalement ce péché.
Dans son obéissance s’accomplit la Nouvelle Alliance
entre Dieu et l’homme et nous est donnée
la possibilité de la réconciliation. Jésus, en effet, a
été envoyé par le Père comme victime d’expiation
pour nos péchés et pour ceux du monde entier
(cf. 1 Jn 2, 2 ; 4, 10 ; Hb 7, 27). Ainsi, la possibilité
miséricordieuse de la Rédemption nous est offerte
et le début d’une vie nouvelle dans le Christ. C’est
pourquoi, il est important que les fi dèles soient
formés à reconnaître la racine du péché dans la
non-écoute de la Parole du Seigneur et à accueillir
78 Par exemple Dt 28,1-2.15.45 ; 32,1 ; dans les prophètes
cf. Jr 7,22-28 ; Is 2,8 ; 3,10 ; 6,3 ; 13,2 ; jusqu’aux derniers : cf.
Za 3,8. Chez saint Paul cf. Rm 10,14-18 ; 1Th 2,13.
51
en Jésus, le Verbe de Dieu, le pardon qui nous
ouvre au salut.
Marie, « Mère du Verbe de Dieu » et « Mère de la foi »
27. Les Pères synodaux ont déclaré que le but
fondamental de la XIIe Assemblée était avant tout
de « renouveler la foi de l’Église dans la Parole de
Dieu » ; c’est pourquoi, il est nécessaire de regarder
là où la réciprocité entre la Parole de Dieu et
la foi s’est accomplie parfaitement, c’est-à-dire en
la Vierge Marie, « qui par son ‘oui’ à la Parole de
l’Alliance et à sa mission, accomplit parfaitement
la vocation divine de l’humanité ».79 La réalité humaine,
créée par le Verbe, trouve vraiment son
plein accomplissement dans la foi obéissante de
Marie. De l’Annonciation à la Pentecôte, elle se
présente à nous comme la femme totalement disponible
à la volonté de Dieu. Elle est l’Immaculée
Conception, celle qui est « pleine de la grâce » de
Dieu (cf. Lc 1, 28), docile à la Parole divine de
façon inconditionnelle (cf. Lc 1, 38). Sa foi obéissante
place son existence à chaque instant face à
l’initiative de Dieu. Vierge à l’écoute, elle vit en
pleine syntonie avec la volonté divine ; elle garde
dans son coeur les événements de la vie de son
Fils, en les ordonnant en une seule mosaïque (cf.
Lc 2, 19.51).80
79 Proposition 55.
80 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 33 : AAS 99 (2007), pp. 132-
133).
52
À notre époque, il est nécessaire que les fi -
dèles soient initiés à mieux découvrir le lien entre
Marie de Nazareth et l’écoute croyante de la Parole
divine. J’exhorte aussi les chercheurs à approfondir
le plus possible le rapport entre la mariologie et
la théologie de la Parole. On pourra en tirer un grand
bénéfi ce autant pour la vie spirituelle que pour
les études théologiques et bibliques. En effet, ce
que l’intelligence de la foi a saisi concernant Marie
se situe au centre le plus intime de la vérité chrétienne.
En réalité, l’Incarnation du Verbe ne peut
être pensée en faisant abstraction de la liberté de
cette jeune fi lle qui, par son assentiment, coopère
de façon décisive à l’entrée de l’Eternel dans le
temps. Elle est la fi gure de l’Église à l’écoute de la
Parole de Dieu qui, en elle, s’est faite chair. Marie
est aussi le symbole de l’ouverture à Dieu et aux
autres ; de l’écoute active qui intériorise, qui assimile
et où la Parole divine devient la matrice de
la vie.
28. À ce point, je désire attirer l’attention sur la
familiarité de Marie avec la Parole de Dieu. C’est
ce qui resplendit avec une force particulière dans
le Magnifi cat. Ici, en un certain sens, on voit comment
elle s’identifi e à la Parole, comment elle
entre en elle ; dans ce merveilleux cantique de foi,
la Vierge exalte le Seigneur avec sa propre Parole :
« Le Magnifi cat, – portrait, pour ainsi dire, de son
âme – est entièrement tissé de fi ls de l’Écriture
Sainte, de fi ls extraits de la Parole de Dieu. On
voit ainsi apparaître que, dans la Parole de Dieu,
53
Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y
rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense
au moyen de la Parole de Dieu ; la Parole de Dieu
devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de
Dieu. De plus, se manifeste ainsi que ses pensées
sont au diapason des pensées de Dieu, que sa volonté
consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément
pénétrée par la Parole de Dieu, elle peut
devenir la mère de la Parole incarnée ».81
En outre, la référence à la Mère de Dieu nous
montre comment l’agir de Dieu dans le monde
implique toujours notre liberté parce que, dans la
foi, la Parole divine nous transforme. De même,
notre action apostolique et pastorale ne pourra jamais
être effi cace si nous n’apprenons pas de Marie
à nous laisser modeler par l’oeuvre de Dieu en
nous : « l’attention pleine d’amour et de dévotion
à la fi gure de Marie comme modèle et archétype
de la foi de l’Église, est d’une importance capitale
pour opérer aujourd’hui aussi un changement
concret de paradigme dans la relation de l’Église
avec la Parole, aussi bien dans l’attitude d’écoute
orante qu’à travers la générosité de l’engagement
pour la mission et l’annonce ».82
Contemplant chez la Mère de Dieu une existence
totalement modelée par la Parole, nous découvrons
que nous sommes, nous aussi, appelés
à entrer dans le Mystère de la foi par laquelle le
81 Idem, Deus caritas est (25 décembre 2005), 41 : AAS 98
(2006), p. 251.
82 Proposition 55.
54
Christ vient demeurer dans notre vie. Chaque
chrétien qui croit, nous rappelle saint Ambroise,
conçoit et engendre en un certain sens, le Verbe
de Dieu en lui-même : s’il n’y a qu’une seule Mère
du Christ selon la chair, en revanche, selon la foi,
le Christ est le fruit de tous.83 Donc ce qui est arrivé
à Marie peut arriver en chacun de nous, chaque
jour, dans l’écoute de la Parole et dans la célébration
des Sacrements.
L’HERMÉNEUTIQUE DE L’ÉCRITURE SAINTE
DANS L’ÉGLISE
L’Église, lieu originaire de l’herméneutique de la Bible
29. Un autre grand sujet s’est imposé lors du Synode,
sur lequel j’entends maintenant attirer l’attention,
c’est l’interprétation de l’Écriture Sainte dans
l’Église. Le lien intrinsèque entre la Parole et la foi
met bien en évidence que l’authentique herméneutique
de la Bible ne peut se situer que dans la
foi ecclésiale qui a, dans le ‘oui’ de Marie, son paradigme.
Saint Bonaventure affi rme à ce sujet que,
sans la foi, on n’a pas la clé d’accès au texte sacré
: « C’est de cette connaissance de Jésus-Christ
que découle, telle une source, la certitude et l’intelligence
contenue dans toute l’Écriture Sainte.
En conséquence, il est impossible d’entrer dans
la connaissance de l’Écriture Sainte sans cette foi
83 Cf. Expositio Evangelii secundum Lucam 2, 19 : PL 15,
pp. 1559-1560.
55
venant du Christ. Cette foi est lumière, porte et
aussi fondement de toute l’Écriture ».84 Et saint
Thomas d’Aquin, en mentionnant saint Augustin,
insiste avec force : « Même la lettre de l’Évangile
tue s’il manque, à l’intérieur de l’homme, la grâce
de la foi qui guérit ».85
Cela nous permet de rappeler un critère fondamental
de l’herméneutique biblique : le lieu originaire
de l’interprétation scripturaire est la vie de l’Église.
Cette affi rmation n’indique pas la référence ecclésiale
comme un critère extrinsèque auquel les exégètes
doivent se plier, mais elle est demandée par la
réalité même des Écritures et par la manière dont
elles se sont formées dans le temps. En effet, « les
traditions de la foi formaient le milieu vital dans
lequel s’est insérée l’activité littéraire des auteurs
de l’Écriture Sainte. Cette insertion comprenait
aussi la participation à la vie liturgique et à l’activité
extérieure des communautés, à leur monde
spirituel, à leur culture et aux péripéties de leur
destinée historique. L’interprétation de l’Écriture
Sainte exige donc, de manière semblable, la participation
des exégètes à toute la vie et à toute la
foi de la communauté croyante de leur temps ».86
Par conséquent, « puisque la Sainte Écriture doit
aussi être lue et interprétée à la lumière du même
84 Breviloquium, Prol. Opera Omnia, V, Quaracchi 1891,
pp. 201-202.
85 Somme Théologique, Ia-IIae, q.106, art.2.
86 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), III, A, 3 : Ench. Vat. 13, n. 3035.
Dans l’édition du Cerf, Paris, 2010 (citée par la suite), p. 83.
56
Esprit que celui qui la fi t rédiger »,87 il convient
que les exégètes, les théologiens et tout le Peuple
de Dieu la considèrent pour ce qu’elle est réellement,
la Parole de Dieu qui se communique à
nous à travers une parole humaine (cf. 1 Th 2, 13).
Ceci est une donnée constante contenue implicitement
dans la Bible même : « aucune prophétie
de l’Écriture ne vient d’une intuition personnelle.
En effet, ce n’est jamais la volonté d’un homme
qui a porté une prophétie : c’est portés par l’Esprit
Saint que des hommes ont parlé de la part
de Dieu » (2 P 1, 20-21). Du reste, c’est le propre
de la foi de l’Église de reconnaître dans la Bible
la Parole de Dieu ; comme le dit admirablement
saint Augustin, « je ne croirais pas en l’Évangile si
l’autorité de l’Église ne m’y entraînait pas ».88 C’est
l’Esprit Saint qui anime la vie de l’Église et qui
la rend capable d’interpréter authentiquement les
Écritures. La Bible est le Livre de l’Église et, de
son immanence dans la vie ecclésiale, jaillit aussi
sa véritable herméneutique.
30. Saint Jérôme rappelle que nous ne pouvons
jamais lire seuls l’Écriture. Nous trouvons trop de
portes fermées et nous glissons facilement dans
l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu
et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de
l’Esprit Saint. C’est seulement dans cette com-
87 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 12.
88 Contra epistulam Manichaei quam vocant fundamenti, V, 6:
PL 42,176.
57
munion avec le Peuple de Dieu, dans ce ‘nous’
que nous pouvons réellement entrer dans le coeur
de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire.89
Le grand savant, pour qui « l’ignorance des Écritures
est l’ignorance du Christ »,90 affi rme que
l’ecclésialité de l’interprétation biblique n’est pas
une exigence imposée de l’extérieur ; le Livre est
vraiment la voix du Peuple de Dieu pérégrinant,
et c’est seulement dans la foi de ce Peuple que
nous sommes, pour ainsi dire, dans la tonalité
juste pour comprendre la Sainte Écriture. Une authentique
interprétation de la Bible doit toujours
être dans une harmonieuse concordance avec la
foi de l’Église catholique. Saint Jérôme s’adressait
ainsi à un prêtre : « Reste fermement attaché à la
doctrine traditionnelle qui t’a été enseignée, afi n
que tu puisses exhorter selon la saine doctrine et
réfuter ceux qui la contredisent ».91
Les approches du texte sacré qui font abstraction
de la foi peuvent suggérer des éléments
intéressants, en s’arrêtant sur la structure du texte
et sur ses formes, cependant, une telle tentative ne
pourrait être qu’un préliminaire, structurellement
incomplet. En effet, comme l’a affi rmé la Commission
biblique pontifi cale, faisant écho à un
principe partagé par l’herméneutique moderne,
« le juste sens d’un texte ne peut être donné pleinement
que s’il est actualisé dans le vécu de lecteurs qui se l’appro-
89 Cf. BENOÎT XVI, Audience générale (14 novembre 2007) :
L’ORf, 20 novembre 2007, p. 12.
90 Commentariorum in Isaiam libri, Prol. : PL 24,17.
91 Epistula 52, 7 : CSEL 54, p. 426.
58
prient ».92 Tout cela met en relief la relation entre
la vie spirituelle et l’herméneutique de l’Écriture.
En effet, « avec la croissance de la vie dans l’Esprit
grandit, chez le lecteur, la compréhension des
réalités dont parle le texte biblique ».93 L’intensité
d’une authentique expérience ecclésiale ne peut
que développer une intelligence de la foi authentique
à l’égard de la Parole de Dieu ; réciproquement,
on doit dire que lire dans la foi les Écritures
fait grandir la vie ecclésiale même. De là, nous
pouvons comprendre d’une façon nouvelle l’affi rmation
bien connue de saint Grégoire le Grand :
« les paroles divines grandissent avec celui qui les
lit ».94 De cette façon, l’écoute de la Parole de Dieu
introduit et accroît la communion ecclésiale entre
ceux qui cheminent dans la foi.
« L’âme de la théologie sacrée »
31. « Que l’étude de la Sainte Écriture soit
comme l’âme de la théologie sacrée » :95 cette expression
de la Constitution dogmatique Dei Verbum
nous est devenue au cours des ans toujours
plus familière. On peut dire que l’époque qui a
92 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), II, A, 2 : Ench. Vat. 13, n. 2988.
93 Ibidem, II, A, 2 : Ench. Vat. 13, n. 2991.
94 Homiliae in Ezechielem, I, VII, 8: CCL 142, 87 (PL 76,
843 D).
95 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 24 ; cf. LEON XIII, Lett. enc. Providentissimus
Deus (18 novembre 1893), Pars II, sub fi ne : AAS 26
(1893-94), pp. 269-292 ; BENOÎT XV, Lett.enc. Spiritus Paraclitus
(15 septembre 1920), Pars III : AAS 12(1920), pp. 285-422.
59
suivi le Concile Vatican II, en ce qui concerne les
études théologiques et exégétiques, a fréquemment
fait référence à cette expression comme
signe de l’intérêt renouvelé pour la Sainte Écriture.
La XIIe Assemblée du Synode des Évêques
s’est souvent référée à cette affi rmation pour indiquer
la relation entre la recherche historique et
l’herméneutique de la foi en référence au texte sacré.
Dans cette perspective, les Pères ont constaté
avec joie la réalité de l’étude accrue de la Parole
de Dieu dans l’Église au long des dernières décennies
et ont exprimé avec conviction une vive
reconnaissance aux nombreux exégètes et théologiens qui,
avec dévouement, engagement et compétence
ont donné et donnent une contribution essentielle
à l’approfondissement du sens de l’Écriture,
en affrontant les problèmes complexes que notre
temps pose à la recherche biblique.96 Ils ont également
manifesté des sentiments de sincère gratitude à
l’égard des membres de la Commission biblique pontifi cale
qui se sont succédé au cours de ces années et qui,
en lien étroit avec la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi, continuent à offrir leur apport qualifi
é pour aborder les questions particulières inhérentes
à l’étude de la Sainte Écriture. Le Synode
a voulu, en outre, s’interroger sur le statut actuel
des études bibliques et sur leur importance dans le
domaine théologique. En effet, du rapport fécond
entre exégèse et théologie dépend pour une large
part l’effi cacité pastorale de l’action de l’Église
96 Cf. Proposition 26.
60
et la vie spirituelle des fi dèles. C’est pourquoi, je
crois important de reprendre certaines réfl exions
apparues dans les échanges sur ce thème au cours
des travaux du Synode.
Développement de la recherche biblique et Magistère ecclésial
32. Avant tout, il est nécessaire de reconnaître
dans la vie de l’Église le bénéfi ce provenant de
l’exégèse historico-critique et des autres méthodes
d’analyse du texte développées récemment.97
Dans l’approche catholique de la Sainte Écriture,
l’attention à ces méthodes est indispensable et elle
est liée au réalisme de l’Incarnation : « Cette nécessité
est la conséquence du principe chrétien formulé
dans l’Évangile selon saint Jean 1,14 : le Verbe
s’est fait chair. Le fait historique est une dimension
constitutive de la foi chrétienne. L’histoire du salut
n’est pas une mythologie, mais une véritable
histoire et pour cela elle est à étudier avec les
méthodes de la recherche historique sérieuse ».98
Cependant, l’étude de la Bible exige la connaissance
et l’utilisation appropriée de ces méthodes
de recherche. S’il est vrai que cette sensibilité dans
les études s’est développée plus intensément à
l’époque moderne, bien que de façon inégale suivant
les lieux, il y a toujours eu cependant dans la
97 Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation
de la Bible dans l’Église (15 avril 1993), A-B : Ench. Vat. 13,
nn. 2846-3150.
98 BENOÎT XVI, Intervention orale durant la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
p. 1015 ; cf. Proposition 25.
61
saine tradition ecclésiale un amour pour l’étude
de « la lettre ». Il suffi t ici de rappeler la culture
monastique, à laquelle nous devons en dernière
instance le fondement de la culture européenne à
la racine de laquelle se trouve l’intérêt pour la parole.
Le désir de Dieu comprend l’amour pour la
parole dans toutes ses dimensions : « puisque dans
la parole biblique, Dieu est en chemin vers nous
et nous vers Lui, il faut apprendre à pénétrer le
secret de la langue, à la comprendre dans sa structure
et dans ses usages. Ainsi, en raison même de
la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui
nous indiquent les chemins vers la langue, deviennent
importantes ».99
33. Le Magistère vivant de l’Église, auquel il
appartient « d’interpréter de façon authentique la
Parole de Dieu, écrite ou transmise »,100 est intervenu
avec un sage équilibre par rapport à la juste
position à avoir face à l’introduction des nouvelles
méthodes d’analyse historique. Je me réfère particulièrement
aux encycliques Providentissimus Deus
du Pape Léon XIII et Divino affl ante Spiritu du
Pape Pie XII. Ce fut mon vénérable prédécesseur
Jean-Paul II qui rappela l’importance de ces documents
pour l’exégèse et la théologie à l’occasion
des célébrations respectivement du centenaire et
99 Idem BENOÎT XVI, Discours au monde de la Culture au Collège
des Bernardins à Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008),
pp. 721-730.
100 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
62
du cinquantenaire de leur promulgation.101 L’intervention
du Pape Léon XIII eut le mérite de
protéger l’interprétation catholique de la Bible
des attaques du rationalisme, mais sans se réfugier
dans un sens spirituel détaché de l’histoire. Ne reculant
pas devant la critique scientifi que, il se méfi
ait seulement « des idées préconçues qui prétendent
se fonder sur la science mais qui, en réalité,
font subrepticement sortir la science de son domaine
».102 Le Pape Pie XII, à l’inverse, se trouvait
face aux attaques des partisans d’une exégèse soidisant
mystique qui refusait toute approche scientifi
que. L’encyclique Divino affl ante Spiritu, avec une
grande fi nesse, a évité d’engendrer l’idée d’une
dichotomie entre l’« exégèse scientifi que » pour
l’usage apologétique et l’« interprétation spirituelle
réservée à l’usage interne », affi rmant au
contraire aussi bien la « portée théologique du
sens littéral méthodiquement défi ni », que l’appartenance
de la « détermination du sens spirituel…
au domaine de la science exégétique ».103 De cette
façon, les deux documents refusaient « la rupture
entre l’humain et le divin, entre la recherche scientifi
que et le regard de la foi, entre le sens littéral
et le sens spirituel ».104 Cet équilibre a ensuite
101 Cf. JEAN-PAUL II, Discours à l’occasion du 100e anniversaire
de Providentissimus Deus et du 50e anniversaire de Divino affl ante
Spiritu (23 avril 1993) : AAS 86 (1994), pp. 232-243.
102 Ibid. n. 4 : AAS 86 (1994), p. 235 ; La DC n. 2073,
p. 504.
103 Ibid. n. 5 : AAS 86 (1994), p. 235 ; La DC n. 2073, p. 505.
104 Ibid. n. 5 : AAS 86 (1994), p. 236 ; La DC n. 2073, p. 505.
63
été repris dans le document de la Commission
biblique pontifi cale de 1993 : « Dans leur travail
d’interprétation, les exégètes catholiques ne doivent
jamais oublier que ce qu’ils interprètent est
la Parole de Dieu. Leur tâche commune n’est
pas terminée lorsqu’ils ont distingué les sources,
défi ni les formes ou expliqué les procédés littéraires.
Le but de leur travail n’est atteint que
lorsqu’ils ont éclairé le sens du texte biblique
comme parole actuelle de Dieu ».105
L’herméneutique biblique conciliaire : une indication à recevoir
34. Sur cet horizon, il est possible de mieux
apprécier les grands principes d’interprétation
propre à l’exégèse catholique exprimés au Concile
Vatican II, particulièrement dans la Constitution
dogmatique Dei Verbum : « Puisque Dieu, dans la
Sainte Écriture, a parlé par des hommes à la manière
des hommes, l’interprète de la Sainte Écriture,
pour percevoir ce que Dieu Lui-même a
voulu nous communiquer, doit chercher attentivement
ce que les hagiographes ont réellement
eu l’intention de dire et ce qu’il a plu à Dieu de
faire savoir par leurs paroles ».106 D’une part, le
Concile indique l’étude des genres littéraires et du
contexte, comme éléments fondamentaux pour
saisir la signifi cation de l’hagiographe. D’autre
105 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), III, C, 1: Ench. Vat. 13, n. 3065.
106 N. 12.
64
part, la Sainte Écriture devant être interprétée
dans le même Esprit que celui dans lequel elle
a été écrite, la Constitution dogmatique indique
trois critères de base pour tenir compte de la
dimension divine de la Bible : 1) interpréter le texte
en tenant compte de l’unité de l’ensemble de l’Écriture
– on parle aujourd’hui d’exégèse canonique ;
2) tenir compte ensuite de la Tradition vivante de toute
l’Église, et 3) respecter enfi n l’analogie de la foi. « Seulement
dans le cas où les deux niveaux méthodologiques,
celui de nature historique et critique
et celui de nature théologique, sont observés, on
peut alors parler d’une exégèse théologique, d’une
exégèse adaptée à ce Livre ».107
Les Père synodaux ont affi rmé avec raison
que le fruit positif apporté par l’usage de la
recherche historico-critique moderne est incontestable.
Toutefois, alors que l’exégèse académique
actuelle, y compris catholique, travaille
à un haut niveau sur le plan de la méthodologie
historico-critique en intégrant les apports les plus
récents, il convient d’exiger une étude similaire de
la dimension théologique des textes bibliques afi n
que progresse l’approfondissement selon les trois
éléments indiqués par la Constitution dogmatique
Dei Verbum.108
107 BENOÎT XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
p. 1015 ; cf. Proposition 25.
108 Cf. Proposition 26.
65
Le péril du dualisme et l’herméneutique sécularisée
35. Il convient de signaler à ce sujet le risque
grave d’un dualisme qui apparaît aujourd’hui dans
l’approche des Saintes Écritures. En effet, en distinguant
les deux niveaux d’approche, il ne s’agit
pas de les séparer, ni de les opposer, ni simplement
de les juxtaposer. Ils sont liés l’un à l’autre.
Malheureusement, il n’est pas rare qu’une séparation
infructueuse des deux engendre une hétérogénéité
entre exégèse et théologie, qui « touche
aussi les niveaux académiques les plus élevés ».109
Je voudrais ici rappeler les conséquences les plus
préoccupantes qu’il convient d’éviter.
a) Avant tout, si l’activité exégétique se réduit
seulement au premier niveau, cela a pour conséquence
de faire de l’Écriture même un texte du passé
: « On peut en tirer des conséquences morales,
on peut en apprendre l’histoire, mais le livre en
tant que tel, parle seulement du passé et l’exégèse
n’est plus véritablement théologique, mais devient
une pure historiographie, une histoire de la littérature
».110 Il est clair qu’avec une telle réduction,
on ne peut en aucune façon comprendre l’événement
de la Révélation de Dieu par sa Parole qui se
transmet à nous dans la Tradition vivante et dans
l’Écriture.
109 Proposition 27.
110 BENOÎT XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
pp. 1015-1016 ; Proposition 26.
66
b) Le défi cit d’une herméneutique de la foi à
l’égard de l’Écriture ne se résume pas seulement
en termes d’absence ; à sa place s’inscrit inévitablement
une autre herméneutique, une herméneutique
sécularisée, positiviste, dont la clé fondamentale
est la conviction que le divin n’apparaît pas
dans l’histoire humaine. Selon cette herméneutique,
lorsqu’il semble qu’existe un élément divin,
on doit l’expliquer d’une autre façon et tout ramener
à la dimension humaine. En conséquence, on
propose des interprétations qui nient l’historicité
des éléments divins.111
c) Une telle position ne peut que produire des
dégâts dans la vie de l’Église, répandant un doute
sur les Mystères fondamentaux du Christianisme
et sur leur valeur historique, comme par exemple
l’institution de l’Eucharistie et la Résurrection du
Christ. On impose alors une herméneutique philosophique,
qui nie la possibilité de l’entrée et de
la présence du divin dans l’histoire. L’acceptation
d’une telle herméneutique dans les études théologiques
introduit inévitablement un dualisme
pesant entre l’exégèse, qui s’établit uniquement
sur le premier niveau et la théologie qui s’ouvre
à la dérive d’une spiritualisation du sens des Écritures
qui ne respecte pas le caractère historique de
la Révélation.
Cette position ne peut qu’avoir un résultat
négatif tant sur la vie spirituelle que sur l’activité
111 Cf. Ibid.
67
pastorale ; « la conséquence de l’absence du second
niveau méthodologique est qu’il s’est créé un profond
fossé entre exégèse scientifi que et Lectio divina
; il en ressort parfois une forme de perplexité
également dans la préparation des homélies ».112
On doit aussi signaler qu’un tel dualisme produit
parfois incertitude et manque de solidité dans le
chemin de formation intellectuelle de certains
candidats aux ministères ordonnés.113 En défi nitive,
« là où l’exégèse n’est pas théologie, l’Écriture
ne peut être l’âme de la théologie, et vice versa,
là où la théologie n’est pas essentiellement interprétation
de l’Écriture dans l’Église, cette théologie
n’a plus de fondement ».114 Il est donc nécessaire
de se décider fermement à considérer avec
davantage d’attention les indications données par
la Constitution dogmatique Dei Verbum sur ce
point.
Foi et raison dans l’approche de l’Écriture
36. Je crois que ce qu’a écrit le Pape Jean-Paul II
à ce sujet dans l’encyclique Fides et ratio peut
contribuer à une compréhension plus complète
de l’exégèse et, donc, de son rapport avec toute
la théologie. Il affi rmait qu’il ne faut pas sousestimer
« le danger inhérent à la volonté de faire
112 Ibid.
113 Cf. Proposition 27.
114 BENOÎT XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
pp. 1015-1016.
68
découler la vérité de l’Écriture Sainte de l’application
d’une méthodologie unique, oubliant la
nécessité d’une exégèse plus large qui permet
d’accéder, avec toute l’Église, au sens plénier des
textes. Ceux qui se consacrent à l’étude des Saintes
Écritures doivent toujours avoir présent à l’esprit
que les diverses méthodologies herméneutiques
ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique
: il convient de l’examiner avec discernement
avant de l’appliquer aux textes sacrés ».115
Cette réfl exion clairvoyante nous permet
d’observer comment, dans l’approche herméneutique
de la Sainte Écriture, se joue inévitablement
le rapport correct entre foi et raison. En effet,
l’herméneutique sécularisée de la Sainte Écriture
se place comme l’acte d’une raison qui veut structuralement
exclure la possibilité que Dieu entre
dans la vie des hommes et qu’il parle aux hommes
en une parole humaine. Dans ce cas, il est donc
nécessaire d’inviter à élargir les espaces de la rationalité
elle-même.116 C’est pourquoi dans l’utilisation des
méthodes d’analyse historique, on devra éviter de
prendre à son compte, là où ils se présentent, des
critères qui, au préalable, se ferment à la Révélation
de Dieu dans la vie des hommes. L’unité
des deux niveaux du travail d’interprétation de la
Sainte Écriture présuppose, en défi nitive, une harmonie
entre la foi et la raison. D’une part, il faut une
115 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre
1998), n. 55 : AAS 91 (1999), pp. 49-50.
116 Cf. BENOÎT XVI, Discours au 4eme Congrès national ecclésial
d’Italie (19 octobre 2006) : AAS 98 (2006), pp. 804-815 ; L’ORf,
24 octobre 2006, p. 3-4.
69
foi qui, maintenant un rapport adéquat avec la
droite raison, ne dégénère jamais en fi déisme, fauteur
d’une lecture fondamentaliste de l’Écriture.
D’autre part, il faut une raison qui, en recherchant
les éléments historiques présents dans la Bible, se
montre ouverte et ne refuse pas a priori tout ce
qui excède sa propre mesure. Du reste, la religion
du Verbe incarné ne pourra que se montrer profondément
raisonnable à l’homme qui cherche
sincèrement la vérité et le sens ultime de sa vie et
de l’histoire.
Sens littéral et sens spirituel
37. Une écoute renouvelée des Pères de l’Église
et de leur approche exégétique contribuera de façon
signifi cative à revaloriser une herméneutique
adéquate de l’Écriture, comme l’Assemblée synodale
l’a affi rmé.117 En effet, les Pères de l’Église
nous offrent encore aujourd’hui une théologie
de grande valeur parce que centrée sur l’étude
de l’Écriture Sainte dans son intégralité ; ils sont
d’abord et avant tout des « commentateurs de la
Sainte Écriture ».118 Leur exemple peut « enseigner
aux exégètes modernes une approche vraiment
religieuse de la Sainte Écriture, ainsi qu’une interprétation
qui s’en tienne constamment au critère
de communion avec l’expérience de l’Église, qui
chemine dans l’histoire sous la conduite de l’Esprit
Saint ».119
117 Cf. Proposition 6.
118 Cf. SAINT AUGUSTIN, De libero arbitrio, III, XXI, 59 :
PL 32, 1300 ; De Trinitate, II, I, 2 : PL 42, 845.
119 CONGRÉGATION POUR L’ÉDUCATION CATHOLIQUE, Instr.
Inspectis dierum (10 novembre 1989), n. 26 : AAS 82 (1990), p. 618.
70
Ignorant, bien sûr, les ressources d’ordre philologique
et historique qui sont à la disposition
de l’exégèse moderne, la Tradition patristique et
médiévale savait reconnaître les divers sens de
l’Écriture en commençant par le sens littéral, celui
qui est « signifi é par les paroles de l’Écriture
et découvert par l’exégèse qui suit les règles de la
juste interprétation ».120 Par exemple, saint Thomas
d’Aquin affi rme : « tous les sens de la Sainte
Écriture se basent sur le sens littéral ».121 Il est
nécessaire, cependant, de rappeler qu’au temps
patristique et médiéval, toute forme d’exégèse, y
compris littérale, était conduite sur la base de la
foi et ne faisait pas nécessairement la distinction
entre sens littéral et sens spirituel. Rappelons ici la distinction
classique qui établit la relation entre les
divers sens de l’Écriture :
« Littera gesta docet, quid credas allegoria,
Moralis quid agas, quo tendas anagogia.
Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie
ce qu’il faut croire,
le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie
vers quoi il faut tendre ».122
Notons ici l’unité et l’articulation entre sens
littéral et sens spirituel, lequel se subdivise en trois
sens, avec lesquels sont décrits les contenus de la
foi, de la morale et de la tension eschatologique.
En défi nitive, en reconnaissant la valeur et la
nécessité, même avec ses limites, de la méthode
120 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 116.
121 Summa Theologiae, I, q.1, a.10, ad 1.
122 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 118.
71
historico-critique, nous apprenons de l’exégèse
patristique que « on n’est fi dèle à l’intentionnalité
des textes bibliques que dans la mesure où l’on essaie
de retrouver, au coeur de leur formulation, la
réalité de foi qu’ils expriment et où l’on relie cette
réalité à l’expérience croyante de notre monde ».123
C’est seulement dans cette perspective que l’on
peut reconnaître que la Parole de Dieu est vivante
et s’adresse à chacun dans l’actualité de sa vie. En
ce sens, l’affi rmation de la Commission biblique
pontifi cale demeure pleinement valable, qui défi -
nit le sens spirituel selon la foi chrétienne comme
« le sens exprimé par les textes bibliques lorsqu’on
les lit sous l’infl uence de l’Esprit Saint dans le
contexte du Mystère pascal du Christ et de la vie
nouvelle qui en résulte. Ce contexte existe effectivement.
Le Nouveau Testament y reconnaît l’accomplissement
des Écritures. Il est donc normal
de relire les Écritures à la lumière de ce nouveau
contexte, qui est celui de la vie dans l’Esprit ».124
Le nécessaire dépassement de la lettre
38. Dans la saisie de l’articulation entre les différents
sens de l’Écriture, il devient alors décisif de
comprendre le passage de la lettre à l’esprit. Il ne s’agit
pas d’un passage automatique et spontané ; il faut
plutôt un dépassement de la lettre : « la Parole de
Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente
123 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), II, A, 2 : Ench. Vat. N. 2987.
124 Ibid., II, B, 2 : Ench. Vat. 13, n. 3003.
72
dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre,
il faut un dépassement et un processus de compréhension
qui se laisse guider par le mouvement
intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de
là, doit également devenir un processus vital ».125
Nous découvrons ainsi pourquoi le processus
d’interprétation authentique n’est jamais purement
intellectuel mais aussi vital, pour lequel est
requis une pleine implication dans la vie ecclésiale,
en tant que vie « sous la conduite de l’Esprit de
Dieu » (Ga 5, 16). De cette façon, les critères mis
en évidence par le numéro 12 de la Constitution
dogmatique Dei Verbum deviennent plus clairs : un
tel dépassement ne peut être réalisé à partir d’un
seul fragment littéraire mais en lien avec la totalité
de l’Écriture. C’est en effet en direction d’une Parole
unique que nous sommes appelés à opérer ce
dépassement. Un tel processus comporte un caractère
dramatique profond puisque, dans le processus
de dépassement, le passage qui s’accomplit
dans l’Esprit rencontre inévitablement la liberté
de chacun. Saint Paul a pleinement vécu ce passage
dans sa propre existence. Ce que signifi e le
dépassement de la lettre et sa compréhension uniquement
à partir du tout, il l’a exprimé de façon
radicale dans la phrase : « la lettre tue, mais l’Esprit
donne la vie » (2 Co 3, 6). Saint Paul découvre que
« l’Esprit qui rend libre possède un nom et donc
125 BENOÎT XVI, Rencontre avec le monde de la culture au Collège
des Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008),
p. 726.
73
que la liberté a une mesure intérieure : “ Le Seigneur,
c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur
est présent, là est la liberté ” (2 Co 3, 6). L’Esprit
qui rend libre ne se réduit pas à l’idée ou à la vision
personnelle de celui qui interprète. L’Esprit, c’est
le Christ et le Christ est le Seigneur qui nous indique
le chemin ».126 Nous savons aussi combien,
pour saint Augustin, ce passage fut à la fois dramatique
et libérateur ; il crut aux Écritures, qui lui
apparurent dans un premier temps si particulières
et en même temps grossières, uniquement grâce à
ce dépassement qu’il apprit de saint Ambroise à
travers l’interprétation typologique, selon laquelle
tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus-
Christ. Pour saint Augustin, le dépassement de la
lettre a rendu crédible la lettre elle-même et lui a
permis de trouver enfi n la réponse aux profondes
inquiétudes de son âme, assoiffée de la vérité.127
L’unité intrinsèque de la Bible
39. À l’école de la grande Tradition de l’Église,
nous apprenons à saisir également dans le passage
de la lettre à l’esprit l’unité de toute l’Écriture,
puisque unique est la Parole de Dieu qui interpelle
notre vie en l’appelant constamment à la conversion.
128 Les expressions d’Hugues de Saint-Victor
demeurent un guide sûr pour nous : « Toute l’Écri-
126 Ibidem.
127 Cf. BENOÎT XVI, Audience générale (9 janvier 2008) :
L’ORf, 15 janvier 2008, p. 12.
128 Cf. Proposition 29.
74
ture divine constitue un Livre unique et ce Livre
unique, c’est le Christ, il parle du Christ et trouve
dans le Christ son accomplissement ».129 Envisagé
sous l’aspect purement historique ou littéraire,
la Bible n’est certainement pas simplement un
livre, mais un recueil de textes littéraires, dont la
composition s’étend sur plus d’un millénaire et
dont chaque livre n’est pas aisément reconnaissable
comme faisant partie d’un tout ; il existe au
contraire entre ces textes des tensions visibles.
Ceci vaut déjà dans la Bible d’Israël que nous,
Chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Et cela
vaut plus encore quand nous, en tant que Chrétiens,
relions le Nouveau Testament et ses écrits,
presque comme clé herméneutique, avec la Bible
d’Israël, l’interprétant comme un chemin vers le
Christ. Dans le Nouveau Testament, en général, le
terme « l’Écriture » (cf. Rm 4, 3 ; 1 P 2, 6) n’est pas
utilisé, mais plutôt « les Écritures » (cf. Mt 21, 43 ;
Jn 5, 39 ; Rm 1, 2 ; 2 P 3, 16), qui, néanmoins, sont
ensuite considérées dans leur ensemble comme
l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée.130 Il
apparaît ainsi clairement comment la personne du
Christ donne son unité aux « Écritures » en référence
à l’unique « Parole ». Ainsi, on comprend ce
qu’affi rme le numéro 12 de la Constitution dogmatique
Dei Verbum, en indiquant l’unité interne
de la Bible comme le critère décisif pour une herméneutique
correcte de la foi.
129 De arca Noe, 2, 8 : PL 176, 642 C-D.
130 Cf. BENOÎT XVI, Rencontre avec le monde de la culture au
Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100
(2008), p. 725.
75
Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament
40. Dans la perspective de l’unité des Écritures
dans le Christ, il est nécessaire pour les théologiens
comme pour les Pasteurs d’être conscients des relations
qui existent entre l’Ancien et le Nouveau
Testament. Avant tout, il est évident que le Nouveau
Testament lui-même reconnaît l’Ancien Testament
comme Parole de Dieu et c’est pourquoi il accueille
l’autorité des Saintes Écritures du peuple juif.131 Il
le reconnaît implicitement en recourant au même
langage et en faisant fréquemment allusion à des
passages de ces Écritures. Il le reconnaît explicitement
parce qu’il en cite de nombreux extraits et
qu’il s’en sert pour argumenter. Une argumentation
fondée sur des textes de l’Ancien Testament
possède ainsi dans le Nouveau Testament une valeur
décisive, supérieure à celle des raisonnements
purement humains. Dans le quatrième Évangile,
Jésus déclare à ce propos que « l’Écriture ne peut être
abolie » (Jn 10, 35) et saint Paul précise en particulier
que la Révélation de l’Ancien Testament continue
à valoir pour nous Chrétiens (cf. Rm 15, 4 ;
1 Co 10, 11).132 En outre, nous affi rmons que
« Jésus de Nazareth était un Juif et que la Terre
Sainte est la terre-mère de l’Église ».133 La racine
du Christianisme se trouve dans l’Ancien Testa-
131 Cf. Proposition 10 ; COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
Le peuple juif et ses Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai
2001), n. 3-5 : Ench. Vat. 20, nn. 748-755.
132 Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 121-122.
133 Proposition 52.
76
ment et le Christianisme se nourrit toujours de
cette racine. Aussi, la saine doctrine chrétienne
a-t-elle toujours refusé toute forme récurrente de
marcionisme qui tend, de diverses manières, à opposer
l’Ancien et le Nouveau Testament.134
Par ailleurs, le Nouveau Testament lui-même
s’affi rme conforme à l’Ancien et proclame que
dans le Mystère de la vie, de la mort et de la
Résurrection du Christ, les Saintes Écritures du
Peuple juif ont trouvé leur parfait accomplissement.
Il faut observer cependant que le concept
d’accomplissement des Écritures est complexe,
parce qu’il possède une triple dimension : un aspect
fondamental de continuité avec la Révélation
de l’Ancien Testament, un aspect de rupture et un
aspect d’accomplissement et de dépassement. Le Mystère
du Christ est en continuité d’intention avec
le culte sacrifi ciel de l’Ancien Testament ; il s’est
cependant réalisé d’une manière très différente,
qui correspond à plusieurs oracles des prophètes,
et il a atteint ainsi une perfection jamais obtenue
auparavant. L’Ancien Testament, en effet, est
plein de tensions entre ses aspects institutionnels
et ses aspects prophétiques. Le Mystère pascal du
Christ est pleinement conforme – d’une façon qui
toutefois était imprévisible – aux prophéties et à
l’aspect préfi guratif des Écritures ; néanmoins, il
présente des aspects évidents de discontinuité par
rapport aux institutions de l’Ancien Testament.
134 Cf. Préface à COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Le
peuple juif et ses Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai
2001), 19 : Ench. Vat. 20, nn. 799-801 ; cf. ORIGÈNE, Homélies sur
les Nombres 9, 4 : SC 415, p. 238-242.
77
41. Ces considérations manifestent ainsi l’importance
incontournable de l’Ancien Testament
pour les Chrétiens, mais en même temps, mettent
en évidence l’originalité de la lecture christologique.
Depuis les temps apostoliques et ensuite dans la
Tradition vivante, l’Église a mis en lumière l’unité
du plan divin dans les deux Testaments grâce à la
typologie, laquelle n’a pas un caractère arbitraire
mais est intrinsèque aux événements racontés par
le texte sacré et concerne par voie de conséquence
toute l’Écriture. La typologie « discerne dans les
oeuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des
préfi gurations de ce que Dieu a accompli dans la
plénitude des temps, en la personne de son Fils
incarné ».135 Les Chrétiens lisent donc l’Ancien
Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité.
Si la lecture typologique révèle l’inépuisable
contenu de l’Ancien Testament en relation avec
le Nouveau, cela ne doit toutefois pas conduire à
oublier qu’il conserve sa valeur propre de Révélation
que Notre Seigneur lui-même a réaffi rmée
(cf. Mc 12, 29-31). En conséquence, « le Nouveau
Testament demande aussi d’être lu à la lumière
de l’Ancien. La catéchèse chrétienne primitive y
aura constamment recours (1 Co 5, 6-8 ; 1 Co 10,
1-11) ».136 Les Pères synodaux ont pour cette raison
affi rmé que « la compréhension juive de la
Bible peut aider les Chrétiens dans l’intelligence
et l’étude des Écritures ».137
135 Catéchisme de l’Église catholique, 128.
136 Ibidem, 129.
137 Proposition 52.
78
« Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien
et l’Ancien est révélé dans le Nouveau »,138
c’est ainsi qu’avec une profonde sagesse, saint
Augustin s’exprimait sur ce thème. Il est donc important
qu’aussi bien dans la pastorale que dans
le milieu académique, soit bien mise en évidence
la relation intime entre les deux Testaments, en
rappelant avec saint Grégoire-le-Grand que ce
que « l’Ancien Testament a promis, le Nouveau
Testament l’a fait voir ; ce que celui-là annonçait
de façon cachée, celui-ci le proclame ouvertement
comme présent. C’est pourquoi l’Ancien Testament
est prophétie du Nouveau Testament ; et le
meilleur commentaire de l’Ancien Testament est
le Nouveau Testament ».139
Les pages « obscures » de la Bible
42. Dans le contexte de la relation entre l’Ancien
et le Nouveau Testament, le Synode a aussi
abordé le thème des pages de la Bible qui se révèlent
obscures et diffi ciles en raison de la violence
et de l’immoralité qu’elles contiennent parfois.
À ce sujet, il faut avant tout tenir compte du
fait que la Révélation biblique est profondément enracinée
dans l’histoire. Le dessein de Dieu s’y manifeste
progressivement et se réalise lentement à travers des
étapes successives, malgré la résistance des hommes.
Dieu choisit un peuple et l’éduque avec patience.
138 Questiones in Heptateuchum, 2, 73 : PL 34, 623.
139 Homiliae in Ezechielem, I, VI, 15 : PL, 76, 836 B.
79
La Révélation s’adapte au niveau culturel et moral
d’époques lointaines et rapporte par conséquent
des faits et des usages, par exemple des
manoeuvres frauduleuses, des interventions violentes,
l’extermination de populations, sans en dénoncer
explicitement l’immoralité. Cela s’explique
par le contexte historique, mais peut surprendre
le lecteur moderne, surtout lorsqu’on oublie les
nombreux comportements « obscurs » que les
hommes ont toujours eus au long des siècles, et
cela jusqu’à nos jours. Dans l’Ancien Testament,
la prédication des prophètes s’élève vigoureusement
contre tout type d’injustice et de violence,
collective ou individuelle, et elle est de cette façon
l’instrument d’éducation donné par Dieu à
son Peuple pour le préparer à l’Évangile. Il serait
donc erroné de ne pas considérer ces passages
de l’Écriture qui nous apparaissent problématiques.
Il faut plutôt être conscient que la lecture
de ces pages requiert l’acquisition d’une compétence
spécifi que, à travers une formation qui lit
les textes dans leur contexte historico-littéraire et
dans la perspective chrétienne qui a pour ultime
clé herméneutique « l’Évangile et le Commandement
nouveau de Jésus-Christ accompli dans le
Mystère pascal ».140 J’exhorte donc les chercheurs
et les Pasteurs à aider tous les fi dèles à s’approcher
aussi de ces pages à travers une lecture qui
fasse découvrir leur signifi cation à la lumière du
Mystère du Christ.
140 Proposition 29.
80
Chrétiens et Juifs face aux Écritures
43. En considérant les étroites relations qui
lient le Nouveau Testament à l’Ancien, notre attention
se porte spontanément sur le lien particulier
qui en résulte entre Chrétiens et Juifs, un
lien qui ne devrait jamais être oublié. Aux Juifs,
le Pape Jean-Paul II a déclaré : vous êtes « ‘nos
frères préférés’ dans la foi d’Abraham, notre patriarche
».141 Certes, cette déclaration ne signifi e
pas une méconnaissance des ruptures affi rmées
dans le Nouveau Testament à l’égard des institutions
de l’Ancien Testament et encore moins, de
l’accomplissement des Écritures dans le Mystère
de Jésus-Christ, reconnu Messie et Fils de Dieu.
Cependant, cette différence profonde et radicale
n’implique aucunement une hostilité réciproque.
L’exemple de saint Paul (cf. Rm 9-11) démontre,
au contraire, qu’« une attitude de respect, d’estime
et d’amour pour le Peuple juif est la seule attitude
véritablement chrétienne dans cette situation qui
fait mystérieusement partie du dessein, totalement
positif, de Dieu ».142 Saint Paul, en effet, affi rme à
propos des Juifs que « le choix de Dieu en a fait
des bien-aimés, et c’est à cause de leurs pères.
Les dons de Dieu et son appel sont irrévocables »
(Rm 11, 28-29).
141 JEAN-PAUL II, Message au Grand Rabbin de Rome (22 mai
2004). La DC n. 2316, p. 553.
142 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Le peuple juif et ses
Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai 2001), n. 87 : Ench.
Vat. 20, n. 1150.
81
En outre, saint Paul utilise la belle image de
l’olivier pour décrire les relations très étroites
entre Chrétiens et Juifs : l’Église des Gentils est
comme un rameau d’olivier sauvage, greffé sur
l’olivier franc qui est le Peuple de l’Alliance (cf.
Rm 11, 17-24). Nous tirons donc notre nourriture
des mêmes racines spirituelles. Nous nous
rencontrons comme des frères, des frères qui à
certains moments de leur histoire ont eu une relation
tendue, mais qui sont maintenant fermement
engagés dans la construction de ponts sur
la base d’une amitié durable.143 C’est encore le
Pape Jean-Paul II qui disait : « Nous avons beaucoup
en commun. Ensemble, nous pouvons faire
beaucoup pour la paix, pour la justice et pour un
monde plus fraternel et plus humain ».144
Je désire réaffi rmer encore une fois combien
le dialogue avec les Juifs est précieux pour l’Église.
Il est bon que, là où on en voit l’opportunité, se
créent des occasions de rencontre et d’échange, y
compris publiques, qui favorisent l’approfondissement
de la connaissance mutuelle, de l’estime
réciproque et de la collaboration, également dans
l’étude des Saintes Écritures.
L’interprétation fondamentaliste de la Sainte Écriture
44. L’attention que nous avons voulu donner
jusqu’à présent au thème de l’herméneutique bi-
143 Cf. BENOÎT XVI, Discours de congé à l’aéroport international
Ben Gourion de Tel Aviv (15 mai 2009) : L’ORf, 26 mai 2009, p. 13.
144 JEAN-PAUL II, Discours aux grands rabbins d’Israël
(23 mars 2000), La DC n. 2224, p. 372.
82
blique sous ses différents aspects nous permet
d’aborder celui, apparu plusieurs fois au cours du
débat synodal, de l’interprétation fondamentaliste
de la Sainte Écriture.145 Sur ce thème, la Commission
biblique pontifi cale, dans le document sur
L’interprétation de la Bible dans l’Église, a formulé
des indications importantes. Dans ce contexte, je
voudrais attirer l’attention surtout sur ces lectures
qui ne respectent pas la nature authentique du
texte sacré, favorisant des interprétations subjectives
et arbitraires. En effet, le « littéralisme » mis
en avant par la lecture fondamentaliste représente
en réalité une trahison aussi bien du sens littéral
que du sens spirituel, ouvrant la voie à des instrumentalisations
de diverses natures, répandant
par exemple des interprétations anti-ecclésiales
des Écritures elles-mêmes. L’aspect problématique
de la « lecture fondamentaliste est que, en
refusant de tenir compte du caractère historique
de la Révélation biblique, on se rend incapable
d’accepter pleinement la vérité de l’Incarnation
elle-même. Le fondamentalisme fuit l’étroite relation
du divin et de l’humain dans les rapports
avec Dieu (…) Pour cette raison, il tend à traiter
le texte biblique comme s’il avait été dicté mot à
mot par l’Esprit et n’arrive pas à reconnaître que
la Parole de Dieu a été formulée dans un langage
et une phraséologie conditionnés par telle ou telle
époque ».146 Au contraire, le Christianisme perçoit
145 Cf. Propositions 46 et 47.
146 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), I, F ; pp. 62-63 : Ench. Vat. 13,
n. 2974
83
dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui
fait rayonner son Mystère à travers cette multiplicité
et la réalité d’une histoire humaine.147 La véritable
réponse à une lecture fondamentaliste est
« la lecture croyante de l’Écriture Sainte, pratiquée
depuis l’Antiquité dans la Tradition de l’Église,
[Celle-ci] cherche la vérité qui sauve pour la vie de
chaque fi dèle et pour l’Église. Cette lecture reconnaît
la valeur historique de la Tradition biblique.
C’est précisément à cause de cette valeur de témoignage
historique que celle-ci veut redécouvrir
la signifi cation vivante des Écritures Saintes destinées
aussi à la vie du croyant d’aujourd’hui »,148
sans ignorer, donc, la médiation humaine du texte
inspiré et ses genres littéraires.
Le dialogue entre Pasteurs, théologiens et exégètes
45. L’herméneutique authentique de la foi entraîne
avec elle certaines conséquences importantes
dans le domaine de l’activité pastorale de
l’Église. Précisément à ce propos, les Pères synodaux
ont recommandé, par exemple, un lien plus
étroit entre Pasteurs, exégètes et théologiens. Il est
bon que les Conférences épiscopales favorisent
ce type de rencontre « en vue de promouvoir une
plus grande communion au service de la Parole
147 Cf. BENOÎT XVI, Rencontre avec le monde de la culture au
Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100
(2008), p. 726.
148 Proposition 46.
84
de Dieu ».149 Une telle coopération aidera chacun
à mieux remplir sa tâche propre au bénéfi ce de
toute l’Église. En effet, s’inscrire sur l’horizon du
travail pastoral signifi e, également pour les chercheurs,
se trouver face au texte sacré en tant que
communication que le Seigneur fait aux hommes
pour leur salut. C’est pourquoi, comme l’a déclaré
la Constitution dogmatique Dei Verbum, il est recommandé
que « les exégètes catholiques et ceux
qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant avec
zèle leurs forces, s’appliquent, sous la vigilance du
Magistère sacré, et par le recours aux moyens appropriés,
à scruter les divines lettres et à les présenter
si bien que le plus grand nombre possible
des serviteurs de la Parole divine puissent fournir
au Peuple de Dieu, de façon fructueuse, l’aliment
des Écritures, qui éclaire les esprits, affermit les
volontés, enfl amme le coeur des hommes pour
l’amour de Dieu ».150
Bible et oecuménisme
46. Dans la conscience que l’Église a d’être fondée
sur le Christ, le Verbe de Dieu fait chair, le
Synode a voulu souligner le caractère central des
études bibliques dans le dialogue oecuménique en
vue de la pleine expression de l’unité de tous les
croyants dans le Christ.151 Dans l’Écriture elle-
149 Proposition 28.
150 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 23.
151 On rappelle cependant qu’en ce qui concerne les
85
même, en effet, nous trouvons la prière vibrante
de Jésus au Père pour que ses disciples soient
un afi n que le monde croie (cf. Jn 17, 21). Tout
cela nous renforce dans la conviction qu’écouter
et méditer ensemble les Écritures nous fait vivre
une communion réelle même si elle n’est pas encore
pleine ;152 « l’écoute commune des Écritures
nous pousse ainsi au dialogue de la charité et fait
grandir celui de la vérité ».153 En effet, écouter ensemble
la Parole de Dieu, pratiquer la Lectio divina
de la Bible, se laisser surprendre par la nouveauté,
qui jamais ne vieillit ou ne s’épuise, de la Parole
de Dieu, dépasser notre surdité sur ces paroles
qui ne s’accordent pas avec nos opinions et nos
préjugés, écouter et étudier dans la communion
avec les croyants de tous les temps : tout cela
constitue un chemin à parcourir pour atteindre
l’unité de la foi, en tant que réponse à l’écoute
de la Parole.154 Les paroles du Concile Vatican II
étaient véritablement éclairantes : « Les Écritures
Saintes sont, dans le dialogue [oecuménique] luimême,
des instruments insignes entre les mains
puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que
Livres dits deutérocanoniques de l’Ancien Testament et leur
inspiration, les Catholiques et les Orthodoxes n’ont pas exactement
le même canon biblique que les Anglicans et les Protestants.
152 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Relatio post disceptationem, n. 36.
153 Proposition 36.
154 Cf. BENOÎT XVI, Discours au IXe Conseil ordinaire du Secrétariat
général du Synode des Évêques (25 janvier 2007) : AAS 99
(2007), pp. 85-86.
86
le Sauveur offre à tous les hommes ».155 En conséquence,
il est bon de développer l’étude, le débat
et les célébrations oecuméniques de la Parole de
Dieu, dans le respect des règles en vigueur et des
diverses traditions.156 Ces célébrations profi tent à
la cause de l’oecuménisme et, quand elles sont vécues
dans leur sens véritable, elles constituent des
moments intenses d’une authentique prière pour
demander à Dieu de hâter le jour désiré où nous
pourrons tous nous approcher de la même table
et boire à l’unique calice. Cependant, dans la juste
et louable promotion de ces moments, il faut faire
en sorte qu’ils ne soient pas proposés aux fi dèles
en remplacement de la sainte Messe prévue les
jours d’obligation.
Dans ce travail d’étude et de prière, nous
reconnaissons avec sérénité également les aspects
qui demandent à êtres approfondis et sur
lesquels nous sommes encore éloignés, comme
par exemple la compréhension du sujet qui, dans
l’Église, fait autorité pour l’interprétation et le rôle
décisif du Magistère.157
Je voudrais souligner, par ailleurs, ce qu’ont
dit les Pères synodaux au sujet de l’importance,
dans ce labeur oecuménique, des traductions de la
Bible dans les différentes langues. Nous savons en effet
que traduire un texte n’est pas une tâche purement
155 CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur l’oecuménisme Unitatis
redintegratio, n. 21.
156 Cf. Proposition 36.
157 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
87
mécanique mais fait partie en un certain sens du
travail d’interprétation. À ce sujet, le vénérable
Jean-Paul II a affi rmé : « Ceux qui se rappellent
quelle infl uence les débats autour de l’Écriture
ont eue sur les divisions, surtout en Occident,
peuvent comprendre l’avancée notable que représentent
ces traductions communes ».158 En ce
sens, la promotion des traductions communes de
la Bible participe à l’effort oecuménique. Je désire
remercier ici tous ceux qui portent cette grande
responsabilité et les encourager à poursuivre leur
tâche.
Conséquences sur l’organisation des études théologiques
47. Une autre conséquence qui dérive d’une
herméneutique correcte de la foi concerne la
nécessité d’en montrer les implications pour la
formation exégétique et théologique, en particulier
des candidats au sacerdoce. On doit faire en
sorte que l’étude de la Sainte Écriture soit véritablement
l’âme de la théologie dans la mesure
où l’on reconnaît en elle la Parole de Dieu, qui
s’adresse aujourd’hui au monde, à l’Église et à
chacun personnellement. Il est important que les
critères indiqués par le numéro 12 de la Constitution
dogmatique Dei Verbum soient effectivement
pris en considération et fassent l’objet d’un approfondissement.
Qu’on évite de cultiver un concept
158 Lett. enc. Ut unum sint, (25 mai 1995), n. 44 : AAS 87
(1995), p. 947.
88
de recherche scientifi que, que l’on voudrait neutre
face à l’Écriture. C’est pourquoi, en même temps
que l’étude des langues dans lesquelles la Bible a
été écrite et des méthodes d’interprétation qui
conviennent, il est nécessaire que les étudiants aient
une profonde vie spirituelle, de façon à saisir qu’on
ne peut comprendre l’Écriture que si on la vit.
Dans cette perspective, je recommande que
l’étude de la Parole de Dieu, transmise et écrite, ait
lieu dans un esprit profondément ecclésial. Dans
ce but, qu’on tienne justement compte, dans la
formation académique, des interventions du
Magistère sur cette thématique, lequel « n’est pas
au-dessus de la Parole de Dieu, mais est à son service,
n’enseignant que ce qui a été transmis, pour
autant que, par mandat divin et avec l’assistance
du Saint-Esprit, il écoute cette Parole pieusement,
la garde saintement et l’expose fi dèlement ».159 Il
convient donc de veiller à ce que les études se déroulent
dans la conviction que « selon le très sage
dessein de Dieu, la sainte Tradition, la Sainte Écriture
et le Magistère de l’Église sont reliés et associés
entre eux de telle façon qu’aucun d’entre eux
ne subsiste sans les autres ».160 Je souhaite donc
que, selon l’enseignement du Concile Vatican II,
l’étude de l’Écriture Sainte, lue dans la communion
de l’Église universelle, soit réellement
comme l’âme des études théologiques.161
159 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
160 Ibidem.
161 Cf. Ibid., n. 24.
89
Les saints et l’interprétation de l’Écriture
48. L’interprétation de la Sainte Écriture demeurerait
incomplète si on ne se mettait pas à
l’écoute de qui a véritablement vécu la Parole de
Dieu, c’est-à-dire les saints.162 De fait, « viva lectio
est vita bonorum ».163 En effet, l’interprétation la plus
profonde de l’Écriture vient proprement de ceux
qui se sont laissés modeler par la Parole de Dieu, à
travers l’écoute, la lecture et la méditation assidue.
Ce n’est certainement pas un hasard si les
grandes spiritualités qui ont marqué l’histoire de
l’Église sont issues d’une référence explicite à
l’Écriture. Je pense par exemple à saint Antoine
abbé, mu par l’écoute des paroles du Christ : « Si
tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes,
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les
cieux. Puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21).164 Le cas
de saint Basile le Grand n’est pas moins suggestif,
lui qui, dans l’opera Moralia s’interroge : « Qu’estce
qui est le propre de la foi ? C’est la pleine et
indubitable certitude de la vérité des paroles inspirées
par Dieu […] Qu’est-ce qui est le propre du
fi dèle ? De se conformer avec cette totale certitude
à ce qu’expriment les paroles de l’Écriture, et ne
pas oser en retrancher ou en ajouter une seule ».165
Saint Benoît, dans sa Règle, renvoie à l’Écriture en
162 Cf. Proposition 22.
163 S. GRÉGOIRE LE GRAND, Moralia in Job XXIV, VIII, 16 :
PL 76, 295.
164 Cf. SAINT ATHANASE, Vita Antonii, 2, 4 : PL 73, 127.
165 Moralia, Regula : LXXX, XXII, PG 31, 867.
90
tant que « norme parfaitement droite pour la vie
humaine ».166 Saint François d’Assise – écrit Tommaso
de Celano – « en entendant que les disciples
du Christ ne devaient posséder ni or, ni argent,
ni monnaie, ni prendre de besace, ni pain, ni bâton
pour la route, ni avoir de sandales, ni deux
tuniques … aussitôt, exultant dans l’Esprit Saint,
s’exclama : ‘cela je le veux, cela je le demande, cela
je désire le faire de tout mon coeur !’ ».167 Sainte
Claire d’Assise reprend pleinement à son compte
l’expérience de saint François : « La forme de vie
de l’Ordre des Soeurs pauvres (…) est celle-ci : observer
le saint Évangile de notre Seigneur Jésus-
Christ ».168 Saint Dominique de Guzman aussi,
« partout, se présentait comme un homme évangélique,
dans ses paroles comme dans ses oeuvres »169
et il voulait que tels soient ses frères prédicateurs :
« des hommes évangéliques ».170 Sainte Thérèse de
Jésus, carmélite, qui dans ses écrits recourt continuellement
à des images bibliques pour expliquer
son expérience mystique, rappelle que Jésus
lui-même lui révèle que « tout le mal du monde
provient de l’absence de connaissance claire des
166 Règle, n. 73, 3 : SC 182, p. 673.
167 TOMMASO DE CELANO, La vita prima di S. Francesco,
22, 2-3 : FF 670.672.
168 Règle, I, 1-2 : FF 2292.
169 B. GIORDANO DA SASSONIA, Libellus de principiis Ordinis
Praedicatorum, 104 : Monumenta Fratrum Praedicatorum Historica,
Roma 1935, 16, p. 75.
170 ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS, Premières Constitutions
ou Consuetudines, II, XXXI.
91
vérités de l’Écriture Sainte ».171 Sainte Thérèse-del’Enfant-
Jésus découvre l’Amour comme sa vocation
personnelle en scrutant les Écritures, en particulier
les chapitres 12 et 13 de la première Lettre
aux Corinthiens ;172 c’est la même sainte qui décrit
la fascination qu’exercent les Écritures : « Je n’ai
qu’à jeter les yeux dans le saint Évangile, aussitôt
je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais
de quel côté courir ».173 Chaque saint représente
comme un rayon de lumière qui jaillit de la Parole
de Dieu : de même nous pensons à saint Ignace
de Loyola dans sa recherche de la vérité et dans le
discernement spirituel ; à saint Jean Bosco dans sa
passion pour l’éducation des jeunes ; à saint Jean-
Marie Vianney dans sa conscience de la grandeur
du sacerdoce comme don et devoir ; à saint Pio
de Pietrelcina en tant qu’instrument de la miséricorde
divine ; à saint Josemaría Escrivá dans sa
prédication sur l’appel universel à la sainteté ; à
la bienheureuse Teresa de Calcutta, missionnaire
de la charité de Dieu pour les plus délaissés, et
jusqu’aux martyrs du nazisme et du communisme,
représentés, d’une part, par sainte Bénédicte de la
Croix (Édith Stein), moniale carmélite, et, d’autre
part, par le bienheureux Aloys Stepinac, Cardinal
Archevêque de Zagreb.
49. La sainteté dans son rapport à la Parole de
Dieu s’inscrit ainsi d’une certaine façon dans la
171 Vie 40, 1.
172 Cf. Histoire d’une âme, Ms B, foglio 3 recto.
173 Ibidem, Ms C, foglio 35 verso.
92
tradition prophétique, où la Parole de Dieu prend
à son service la vie même du prophète. En ce
sens, la sainteté dans l’Église constitue une herméneutique
de l’Écriture dont personne ne peut
faire abstraction. L’Esprit Saint qui a inspiré les
auteurs sacrés est le même qui conduit les saints
à donner leur vie pour l’Évangile. Se mettre à leur
école représente un chemin sûr pour entreprendre
une interprétation vivante et effi cace de la Parole
de Dieu.
De ce lien entre Parole de Dieu et sainteté,
nous avons eu un témoignage direct pendant la
XIIe Assemblée du Synode, lorsque le 12 octobre,
sur la place saint Pierre, s’est déroulée la canonisation
de quatre nouveaux saints : le prêtre Gaetano
Errico, fondateur de la Congrégation des Missionnaires
des Sacrés Coeurs de Jésus et Marie ; Mère
Maria Bernarda Bütler, née en Suisse et missionnaire
en Équateur et en Colombie ; Soeur Alphonsine
de l’Immaculée Conception, première sainte
canonisée née en Inde ; la jeune laïque équatorienne
Narcisa de Jésus Martillo Morán. Par leur
vie, ils ont rendu témoignage pour le monde et
pour l’Église à la fécondité éternelle de l’Évangile
du Christ. Demandons au Seigneur que, par
l’intercession de ces saints, canonisés précisément
au cours de l’Assemblée synodale sur la Parole
de Dieu, notre vie soit cette « bonne terre » sur
laquelle le divin Semeur puisse semer la Parole
afi n qu’elle porte en nous des fruits de sainteté,
« trente, soixante, cent pour un » (Mc 4, 20).
DEUXIÈME PARTIE
VERBUM IN ECCLESIA
« Mais à tous ceux qui l’ont accueilli,
il a donné pouvoir de devenir
enfants de Dieu » (Jn 1,12)

95
LA PAROLE DE DIEU ET L’ÉGLISE
L’Église accueille la Parole
50. Le Seigneur énonce sa Parole afi n qu’elle soit
accueillie par ceux qui ont été créés « par » le Verbe
lui-même. « Il est venu chez les siens » (Jn 1, 11) :
la Parole ne nous est pas originellement étrangère
et la création a été voulue dans un rapport d’intimité
avec la vie divine. Le Prologue du quatrième
Évangile nous met aussi devant le refus opposé
à la Parole divine par les « siens », qui « ne l’ont
pas accueilli » (Jn 1, 11). Ne pas l’accueillir veut
dire, ne pas écouter sa voix, ne pas se conformer
au Logos. En revanche, là où l’homme, même fragile
et pécheur, s’ouvre sincèrement à la rencontre
avec le Christ, là commence une transformation
radicale : « mais à tous ceux qui l’ont accueilli, il a
donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,
12). Accueillir le Verbe signifi e se laisser modeler
par lui afi n d’être conforme au Christ, au « Fils
unique qui vient du Père » (Jn 1, 13) par la puissance
de l’Esprit Saint. Cela marque le début d’une
nouvelle création. Naît alors la créature nouvelle,
ainsi qu’un peuple nouveau. Ceux qui croient, ou
mieux ceux qui vivent dans l’obéissance de la foi,
« sont nés de Dieu » (Jn 1, 13), et sont rendus par96
ticipants de la vie divine : ils sont fi ls dans le Fils
(cf. Ga 4, 5-6 ; Rm 8, 14-17). En commentant ce
passage de l’Évangile de Jean, saint Augustin dit
d’une manière suggestive : « par le Verbe tu as été
créé, mais il est nécessaire que tu sois recréé par
le Verbe ».174 Nous y voyons prendre forme le visage
de l’Église comme une réalité déterminée par
l’accueil du Verbe de Dieu qui, en se faisant chair,
est venu établir sa tente au milieu de nous (Jn 1, 14).
Cette demeure de Dieu parmi les hommes, cette
shekinah (cf. Ex 26, 1), préfi gurée dans l’Ancien
Testament, se réalise maintenant dans la présence
défi nitive de Dieu avec les hommes dans le Christ.
La Présence actuelle du Christ dans la vie de l’Église
51. Le rapport entre le Christ, Parole du Père,
et l’Église ne peut être compris comme un simple
événement passé ; il s’agit plutôt d’une relation
vitale dans laquelle chaque fi dèle est appelé à entrer
personnellement. En effet, nous parlons de la
présence de la Parole de Dieu qui demeure avec
nous aujourd’hui : « Et moi, je suis avec vous tous
les jours jusqu’à la fi n du monde » (Mt 28, 20).
Comme le Pape Jean-Paul II l’a affi rmé : « La présence
du Christ aux hommes de tous les temps
se réalise dans son Corps qui est l’Église. Pour
cela, le Seigneur a promis à ses disciples l’Esprit
Saint, qui leur “rappellerait” et ferait comprendre
ses Commandements (cf. Jn 14, 26) et serait le
174 In Iohannis Evangelium Tractatus, 1,12 : CCL 36,7.
97
principe et la source d’une vie nouvelle dans le
monde (cf. Jn 3, 5-8 ; Rm 8, 1-13) ».175 La Constitution
dogmatique Dei Verbum exprime ce Mystère
avec la terminologie biblique du dialogue nuptial :
« Dieu, qui a parlé autrefois, converse sans cesse
avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et l’Esprit-
Saint, par qui la voix vivante de l’Évangile retentit
dans l’Église et par l’Église dans le monde, introduit
les croyants dans la vérité tout entière et fait
habiter en eux la Parole du Christ en abondance
(cf. Col 3,16) ».176
L’Épouse du Christ, maîtresse de l’écoute, dit
encore aujourd’hui avec foi : « Parle, Seigneur, que
ton Église t’écoute ».177 C’est pourquoi la Constitution
dogmatique Dei Verbum commence ainsi :
« En se mettant religieusement à l’écoute de la Parole
de Dieu et en la proclamant avec assurance,
le saint Concile… ».178 Il s’agit en effet d’une défi
nition dynamique de la vie de l’Église : « Ce sont
là des mots par lesquels le Concile indique un aspect
qui qualifi e l’Église : elle est une communauté
qui écoute et annonce la Parole de Dieu. L’Église
ne vit pas d’elle-même mais de l’Évangile et, de
cet Évangile, elle tire toujours à nouveau une
orientation pour son chemin. C’est une remarque
que tout chrétien doit recevoir et appliquer à lui-
175 Lett. enc. Veritatis splendor (6 août 1993), n. 25 : AAS
85 (1993) p. 1153.
176 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 8.
177 Relatio post disceptationem, n. 11 : L’ORf, 11 novembre
2008, p. 11.
178 N. 1.
98
même : seul celui qui se met à l’écoute de la Parole
peut ensuite en devenir l’annonciateur ».179 Dans
la Parole de Dieu proclamée et écoutée, dans les
Sacrements, Jésus dit aujourd’hui, ici et maintenant,
à chacun : « Je suis tien, je me donne à toi »
pour que l’homme puisse répondre et dire à son
tour : « Je suis tien ».180 L’Église se manifeste ainsi
comme le lieu où, par la grâce, nous pouvons expérimenter
ce que raconte le Prologue de Saint
Jean : « Mais tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné de
pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).
LA LITURGIE, LIEU PRIVILÉGIÉ DE LA PAROLE DE DIEU
La Parole de Dieu dans la sainte liturgie
52. En considérant l’Église comme « la demeure
de la Parole »,181 on doit avant tout prêter attention
à la sainte liturgie. C’est vraiment le lieu privilégié
où Dieu nous parle dans notre vie présente,
où il parle aujourd’hui à son Peuple qui écoute
et qui répond. Chaque action liturgique est par
nature nourrie par les Saintes Écritures. Comme
l’affi rme la Constitution Sacrosanctum Concilium,
« dans la célébration de la liturgie, la Sainte Écriture
est de la plus grande importance. C’est d’elle
que sont tirés les textes qui sont lus et qui sont
179 BENOÎT XVI, Discours au Congrès International sur « l’Écriture
Sainte dans la vie de l’Église » (16 septembre 2005) : AAS 97
(2005), p. 956 ; La DC n. 2344, p. 948.
180 Cf. Relatio post disceptationem, n. 10 : L’ORf, 11 novembre
2008, p. 14.
181 Message fi nal, III, 6.
99
expliqués dans l’homélie, ainsi que les Psaumes
qui sont chantés ; et c’est sous son inspiration et
sous son impulsion que les prières, les oraisons et
les hymnes liturgiques ont pris naissance et c’est
d’elle que les actions et les symboles reçoivent leur
signifi cation ».182 Mieux encore, on doit dire que
c’est le Christ lui-même qui « est là présent dans sa
Parole, puisque lui-même parle pendant que sont
lues dans l’Église les Saintes Écritures ».183 En effet,
« la célébration liturgique devient elle-même
une proclamation continue, pleine et effi cace de la
Parole de Dieu. C’est pourquoi, la Parole de Dieu,
assidûment proclamée dans la liturgie est toujours
vivante et effi cace par la puissance de l’Esprit
Saint, et manifeste l’amour agissant du Père qui
ne cesse jamais d’agir pour tous les hommes ».184
L’Église a toujours été consciente que durant l’action
liturgique, la Parole de Dieu est accompagnée
par l’action intime de l’Esprit Saint qui la rend
effi cace dans les coeurs des fi dèles. En fait, c’est
grâce au Paraclet que « la Parole de Dieu devient le
fondement de l’action liturgique, la règle et le support
de toute la vie. L’oeuvre de l’Esprit Saint (…)
suggère au coeur de chacun tout ce qui, dans la
proclamation de la Parole de Dieu, est prononcé
pour l’assemblée des fi dèles dans son ensemble ;
et tandis qu’elle renforce l’unité de tous, elle ra-
182 CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 24.
183 Ibidem, n. 7.
184 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 4.
100
vive aussi la diversité des charismes et pousse à
l’action sous des formes multiples ».185
Par conséquent, il faut comprendre et vivre la
valeur essentielle de l’action liturgique par la compréhension
de la Parole de Dieu. En un certain
sens, l’herméneutique de la foi sur la base des Saintes
Écritures, doit toujours avoir comme point de référence la
liturgie, où la Parole de Dieu est célébrée comme
une parole actuelle et vivante : « Ainsi, dans la liturgie,
l’Église suit-elle fi dèlement la manière de lire
et d’interpréter l’Écriture qui fut celle du Christ,
lui qui, depuis l’ ‘aujourd’hui’ de sa venue, exhorte
à scruter attentivement toutes les Écritures ».186
Ici, se manifeste la sage pédagogie de l’Église
qui proclame et écoute la Sainte Écriture en suivant
le rythme de l’année liturgique. Cette dilatation
de la Parole de Dieu dans le temps advient
particulièrement dans la célébration eucharistique
et dans la Liturgie des Heures. Au centre
de tout, resplendit le Mystère pascal auquel sont
liés tous les Mystères du Christ et de l’histoire du
salut, qui s’actualisent sacramentalement : « Tout
en célébrant ainsi les Mystères de la Rédemption,
elle [l’Église] ouvre aux fi dèles les richesses de la
puissance et des mérites de son Seigneur de telle
sorte que ces Mystères sont en quelque sorte rendus
présents tout le temps et que les fi dèles sont
mis en contact avec eux et remplis de la grâce du
185 Ibidem, n. 9.
186 Ibidem, n. 3 ; cf. Lc 4, 16-21 ; 24, 25-35.44-49.
101
salut ».187 J’exhorte les Pasteurs de l’Église et les
assistants pastoraux à faire en sorte que tous les
fi dèles soient éduqués à goûter le sens profond
de la Parole de Dieu qui se déploie dans la liturgie
tout au long de l’année, en manifestant les
Mystères fondamentaux de notre foi. La juste approche
de la Sainte Écriture en dépend aussi.
La Sainte Écriture et les Sacrements
53. En abordant le thème de la valeur de la liturgie
pour la compréhension de la Parole de Dieu,
le Synode des Évêques a voulu souligner aussi la
relation entre la Sainte Écriture et l’action sacramentelle.
Il est très opportun d’approfondir le lien
entre la Parole et le Sacrement, aussi bien dans
l’action pastorale de l’Église que dans la recherche
théologique.188 Il est certain que « la liturgie de la
Parole est un élément décisif dans la célébration
de chacun des Sacrements de l’Église » ;189 néanmoins,
dans l’action pastorale, les fi dèles ne sont
pas toujours conscients de ce lien et ne perçoivent
pas toujours l’unité entre le geste et la parole.
« Il appartient aux prêtres et aux diacres, surtout
lorsqu’ils administrent les Sacrements, de mettre
187 CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 102.
188 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), nn. 44-45 : AAS 99 (2007),
pp. 139-141.
189 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), IV, C, 1 ; p. 110 ; Ench. Vat. 13,
n. 3123.
102
en lumière l’unité que Parole et Sacrement forment
dans le ministère de l’Église ».190 En effet,
dans le rapport entre la Parole et le geste sacramentel,
l’action même de Dieu dans l’histoire est
manifestée sous la forme liturgique à travers le
caractère performatif de la Parole. Dans l’histoire du
salut en effet, il n’existe pas de séparation entre ce
que Dieu dit et fait ; sa Parole même est vivante et
effi cace (cf. He 4, 12), comme le traduit bien l’expression
hébraïque ‘dabar’. De même dans l’action
liturgique, nous sommes mis en présence de sa
Parole qui réalise ce qu’elle dit. En éduquant le
Peuple de Dieu à découvrir le caractère performatif
de la Parole de Dieu dans la liturgie, on l’aide
aussi à percevoir l’action de Dieu dans l’histoire
du salut et dans l’histoire personnelle de chacun
de ses membres.
La Parole de Dieu et l’Eucharistie
54. Ce qui vient d’être affi rmé de façon générale
sur la relation entre la Parole et les Sacrements,
s’approfondit quand nous nous référons à la célébration
eucharistique. D’ailleurs, l’unité intime
entre la Parole et l’Eucharistie se base sur le témoignage
scripturaire (cf. Jn 6 ; Lc 24), attesté par
les Pères de l’Église et réaffi rmé par le Concile
Vatican II.191 À ce sujet, nous pensons au grand
190 Ibidem, III, B, 3 ; p. 89 ; Ench. Vat. 13, n. 3056.
191 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, nn. 48.51.56 ; Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, nn. 21.26 ; Décret sur l’activité mis103
discours de Jésus sur le pain de vie dans la synagogue
de Capharnaüm (cf. Jn 6, 22-69), qui est
sous-tendu par la comparaison entre Moïse et Jésus,
entre celui qui s’est entretenu avec Dieu face
à face (cf. Ex 33, 11) et celui qui révéla Dieu (cf.
Jn 1, 18). Le discours sur le pain, en effet, renvoie
au don de Dieu, que Moïse a obtenu pour son
Peuple avec la manne dans le désert et qui est en
réalité la Torah, la Parole de Dieu qui fait vivre (cf.
Ps 119 ; Pr 9, 5). Jésus accomplit en sa personne
la fi gure antique : « Le pain de Dieu, c’est celui qui
descend du ciel et qui donne la vie au monde…
Moi, je suis le pain de vie » (Jn 6, 33.35). Ici, « la
Loi est devenue Personne. Dans la rencontre avec
Jésus, nous nous nourrissons pour ainsi dire du
Dieu vivant lui-même, nous mangeons vraiment
“le pain venu du ciel” ».192 Le Prologue de Jean
trouve un approfondissement dans le discours de
sionnaire de l’Église Ad gentes, nn. 6.15 ; Décret sur le ministère
et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, n. 18 ; Décret sur la rénovation
et l’adaptation de la vie religieuse Perfectae caritatis, n. 6.
Dans la grande tradition de l’Église, nous trouvons des expressions
signifi catives comme : « Corpus Christi intelligitur etiam […]
Scriptura Dei » (l’Écriture [la Parole] de Dieu est aussi considérée
Corps du Christ) : WALTRAMUS, De unitate Ecclesiae conservanda, 13,
éd. W. Schwenkenbecher, Hannoverae 1883, p. 33 ; « La chair
du Seigneur est une vraie nourriture et son sang est une vraie
boisson ; ce vrai bien qui nous est réservé dans la vie présente,
consiste à manger sa chair et à boire son sang, non seulement
dans l’Eucharistie, mais aussi dans la lecture de la Sainte Écriture.
En effet, la parole de Dieu, puisée dans la connaissance des
Écritures, est une vraie nourriture et une vraie boisson » : SAINT
JÉRÔME, Commentarius in Ecclesiasten, n. 313 : CCL 72,278.
192 J. RATZINGER (BENOÎT XVI), Jésus de Nazareth, Flammarion,
Paris 2007, p. 295.
104
Capharnaüm : si là le Logos de Dieu devient chair,
ici cette chair devient « pain » donné pour la vie
du monde (cf. Jn 6, 51), faisant ainsi allusion au
don que Jésus fera de lui-même dans le Mystère
de la Croix, qui est confi rmé par l’affi rmation sur
son Sang donné « pour être bu » (cf. Jn 6, 53). De
cette manière, est manifesté dans le Mystère de
l’Eucharistie quelle est la vraie manne, le vrai pain
du ciel : c’est le Logos de Dieu qui s’est fait chair, et
qui s’est offert lui-même pour nous dans le Mystère
pascal.
Le récit de Luc sur les disciples d’Emmaüs
nous permet de progresser dans la réfl exion
sur le lien entre la Parole et la fraction du pain
(cf. Lc 24, 13-35). Jésus alla à leur rencontre le
jour après le sabbat, écouta l’expression de leur
espérance déçue, et, devenant leur compagnon
de route, « il leur expliqua, dans toute l’Écriture,
ce qui le concernait » (24, 27). Les deux disciples
commencent à scruter d’une manière nouvelle
les Écritures en présence de ce voyageur qui, de
façon inattendue, se montre si proche de leur vie.
Ce qui est arrivé en ces jours-là n’apparaît plus
comme un échec, mais comme un accomplissement
et un nouveau départ. Toutefois, ces paroles
ne semblent pas encore satisfaire les disciples.
L’Évangile de Luc nous dit que « leurs yeux s’ouvrirent,
et ils le reconnurent » (24, 31), seulement
quand Jésus prit le pain, dit la bénédiction, le rompit
et le leur donna, alors qu’auparavant, « leurs
yeux étaient aveuglés, et ils ne le reconnaissaient
pas » (24, 16). La présence de Jésus, d’abord à
105
travers ses paroles, puis avec le geste de la fraction
du pain, a permis aux disciples de le reconnaître
; ils purent éprouver d’une manière nouvelle
ce qu’ils avaient précédemment vécu avec lui :
« Notre coeur n’était-il pas brûlant en nous, tandis
qu’il nous parlait sur la route, et qu’il nous faisait
comprendre les Écritures ? » (24, 32).
55. Ces récits montrent comment l’Écriture
elle-même conduit à appréhender son lien indissoluble
avec l’Eucharistie. « C’est pourquoi il faut
toujours avoir présent à l’esprit que la Parole de
Dieu, lue et annoncée par l’Église dans la liturgie,
conduit au sacrifi ce de l’Alliance et au banquet de
la grâce, c’est-à-dire à l’Eucharistie ».193 La Parole et
l’Eucharistie sont corrélées intimement au point
de ne pouvoir être comprises l’une sans l’autre :
la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans
l’événement eucharistique. L’Eucharistie nous
ouvre à l’intelligence de la Sainte Écriture, comme
la Sainte Écriture illumine et explique à son tour
le Mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance
de la présence réelle du Seigneur dans
l’Eucharistie, l’intelligence de l’Écriture demeure
incomplète. C’est pourquoi, « la Parole de Dieu et
le Mystère eucharistique ont toujours et partout
reçu de l’Église non pas le même culte mais la
même vénération. C’est ce qu’elle a établi, poussée
par l’exemple de son Fondateur, en ne cessant
193 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 10.
106
jamais de célébrer son Mystère pascal, en se réunissant
pour “lire dans toute l’Écriture, ce qui le
concernait” (Lc 24, 27), et pour réaliser l’oeuvre
du salut par le mémorial du Seigneur et les Sacrements
».194
La sacramentalité de la Parole
56. En rappelant le caractère performatif de la
Parole de Dieu dans l’action sacramentelle et l’approfondissement
de la relation entre la Parole et
l’Eucharistie, nous sommes conduits à poursuivre
avec un thème important, relevé durant l’Assemblée
du Synode, concernant la sacramentalité de la
Parole.195 À ce propos, il est utile de rappeler que
le Pape Jean-Paul II avait fait référence à « la perspective
sacramentelle de la Révélation et, en particulier,
au signe eucharistique dans lequel l’unité indivisible
entre la réalité et sa signifi cation permet de
saisir la profondeur du Mystère ».196 De là, nous
comprenons que le Mystère de l’Incarnation est
vraiment à l’origine de la sacramentalité de la Parole
de Dieu : « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14),
la réalité du Mystère révélé nous est offerte dans
la « chair » du Fils. La Parole de Dieu se rend perceptible
à la foi par le « signe » des paroles et des
gestes humains. La foi, donc, reconnaît le Verbe
de Dieu, en accueillant les gestes et les paroles par
194 Ibidem.
195 Cf. Proposition 7.
196 Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre 1998), n. 13 :
AAS 91 (1999), p. 16.
107
lesquels il se présente lui-même à nous. La perspective
sacramentelle de la Révélation indique,
par conséquent, la modalité historico-salvifi que
par laquelle le Verbe de Dieu entre dans le temps
et l’espace, devenant l’interlocuteur de l’homme,
qui est appelé à accueillir dans la foi le don qui lui
est fait.
La sacramentalité de la Parole se comprend
alors par analogie à la présence réelle du Christ
sous les espèces du pain et du vin consacrés.197 En
nous approchant de l’autel et en prenant part au
banquet eucharistique, nous communions réellement
au Corps et au Sang du Christ. La proclamation
de la Parole de Dieu dans la célébration implique
la reconnaissance que le Christ lui-même
est présent et s’adresse à nous198 pour être écouté.
Sur l’attitude à avoir aussi bien envers l’Eucharistie
qu’envers la Parole de Dieu, saint Jérôme affi
rme : « Nous lisons les Saintes Écritures. Je pense
que l’Évangile est le Corps du Christ ; je pense que
les Saintes Écritures sont son enseignement. Et
quand il dit : si vous ne mangez pas la chair du Fils
de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang (Jn 6, 53),
ses paroles se réfèrent au Mystère [eucharistique],
toutefois, le Corps et le Sang du Christ sont vraiment
la Parole de l’Écriture, c’est l’enseignement
de Dieu. Quand nous nous référons au Mystère
[eucharistique] et qu’une miette de pain tombe,
197 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1373-1374.
198 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 7.
108
nous nous sentons perdus. Et quand nous écoutons
la Parole de Dieu, c’est la Parole de Dieu et
le Corps et le Sang du Christ qui tombent dans
nos oreilles et nous, nous pensons à autre chose.
Pouvons-nous imaginer le grand danger que nous
courons ? ».199 Le Christ, réellement présent dans
les espèces du pain et du vin, est présent analogiquement
dans la Parole proclamée dans la liturgie.
Approfondir le sens de la sacramentalité de la
Parole de Dieu, peut donc favoriser une compréhension
plus unifi ée du Mystère de la Révélation
se réalisant « par des actions et des paroles intrinsèquement
liées entre elles »,200 qui profi tera à la
vie spirituelle des fi dèles et à l’action pastorale de
l’Église.
La Sainte Écriture et le Lectionnaire
57. En soulignant le rapport entre la Parole et
l’Eucharistie, le Synode a voulu justement rappeler
certains aspects de la célébration, qui sont inhérents
au service de la Parole. Je voudrais faire
référence surtout à l’importance du Lectionnaire.
La réforme voulue par le Concile Vatican II201 a
montré ses fruits en élargissant l’accès à la Sainte
Écriture qui est abondamment proposée, surtout
dans la liturgie dominicale. La structure actuelle,
199 In Psalmum. 147 : CCL 78, 337-338.
200 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 2.
201 Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium,
nn. 107-108.
109
en plus de présenter fréquemment les textes les
plus importants de l’Écriture, favorise la compréhension
de l’unité du dessein divin, à travers
la corrélation entre les lectures de l’Ancien et du
Nouveau Testament, « dont le centre est le Christ
célébré dans son Mystère pascal ».202 Les quelques
diffi cultés qui persistent dans la compréhension
des relations entre les lectures des deux Testaments,
doivent être considérées à la lumière de la
lecture canonique, c’est-à-dire à la lumière de l’unité
intrinsèque de toute la Bible. Là où le besoin
s’en fait sentir, les organes compétents peuvent
pourvoir à la publication de matériel didactique
qui facilitera la compréhension du lien entre les
lectures proposées par le Lectionnaire, lesquelles
doivent être toutes proclamées à l’assemblée liturgique,
comme le prévoit la liturgie du jour. Les
autres problèmes éventuels et les diffi cultés doivent
être notifi és à la Congrégation pour le Culte
divin et la Discipline des Sacrements.
En outre, nous ne devons pas oublier que
le Lectionnaire actuel du rite latin revêt aussi un
sens oecuménique, car il est utilisé et apprécié également
par des confessions qui ne sont pas encore
en pleine communion avec l’Église catholique. Le
problème du Lectionnaire dans les liturgies des
Églises catholiques orientales se pose différemment
; le Synode demande qu’il « soit analysé de
202 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 66.
110
manière autorisée »203 selon les traditions propres
et les compétences des Églises sui iuris en tenant
compte, là aussi, du contexte oecuménique.
Proclamation de la Parole et ministère du lectorat
58. Durant l’Assemblée synodale sur l’Eucharistie,
il avait déjà été demandé qu’un plus grand
soin soit apporté dans la proclamation de la Parole
de Dieu.204 Comme on le sait, tandis que
l’Évangile est proclamé par le prêtre ou le diacre,
la première et la seconde lectures, dans la Tradition
latine, sont proclamées par le lecteur choisi,
homme ou femme. Je voudrais ici me référer aux
Pères synodaux qui, encore en cette circonstance,
ont souligné la nécessité de soigner par une formation
adéquate205 l’exercice du munus du lecteur
dans la célébration liturgique206 et, de manière
particulière le ministère du lectorat qui, comme
tel dans le rite latin, est un ministère laïc. Il est nécessaire
que les lecteurs chargés d’un tel service,
même s’ils n’ont pas été institués, soient vraiment
aptes et préparés avec soin. Une telle préparation
doit être aussi bien biblique et liturgique que technique
: « La formation biblique doit permettre aux
lecteurs de situer les lectures dans leur contexte
propre et de comprendre, à la lumière de la foi,
203 Proposition 16.
204 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 45 : AAS 99 (2007), pp. 140-
141.
205 Cf. Proposition 14.
206 Cf. CIC, can. 230 §2 ; 204 §1.
111
le point central du message révélé. La formation
liturgique doit fournir aux lecteurs la possibilité
de saisir le sens et la structure de la liturgie de la
Parole et de comprendre les liens entre celle-ci et
la liturgie eucharistique. La préparation technique
doit rendre les lecteurs toujours plus compétents
dans l’art de lire devant le peuple, soit directement,
soit en utilisant les moyens modernes qui
amplifi ent la voix ».207
L’importance de l’homélie
59. « Les fonctions et les charges qui reviennent
à chacun par rapport à la Parole de Dieu sont également
variées : ainsi, les fi dèles écoutent et méditent
cette Parole, tandis que, seuls, la présentent
ceux qui ont reçu, par l’Ordination, la charge du
Magistère, ou ceux à qui l’exercice de ce même
ministère a été confi é »,208 à savoir les Évêques, les
prêtres et les diacres. À partir de là, on comprend
l’attention que le Synode a donnée au thème de
l’homélie. Déjà dans l’Exhortation apostolique
post-synodale Sacramentum caritatis, je rappelais
qu’ « en relation avec l’importance de la Parole
de Dieu, il est nécessaire d’améliorer la qualité de
l’homélie. Elle “fait partie de l’action” liturgique ;
elle a pour fonction de favoriser une compréhension
plus large et plus effi cace de la Parole de Dieu
207 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 55.
208 Ibidem, n. 8.
112
dans la vie des fi dèles ».209 L’homélie est en effet
une actualisation du message scripturaire, de telle
sorte que les fi dèles soient amenés à découvrir la
présence et l’effi cacité de la Parole de Dieu dans
l’aujourd’hui de leur vie. Elle doit aider à la compréhension
du Mystère qui est célébré, inviter à la
mission, en préparant l’assemblée à la profession
de foi, à la prière universelle et à la liturgie eucharistique.
Par conséquent, que ceux qui, en vertu
de leur ministère spécial, sont députés à la prédication,
prennent à coeur ce devoir. On doit éviter
les homélies vagues et abstraites, qui occultent la
simplicité de la Parole de Dieu, comme aussi les
divagations inutiles qui risquent d’attirer l’attention
plus sur le prédicateur que sur la substance
du message évangélique. Il doit être clair pour les
fi dèles que ce qui tient au coeur du prédicateur,
c’est de montrer le Christ, sur lequel l’homélie est
centrée. Pour ce faire, il convient que les prédicateurs
aient une familiarité et un contact assidu
avec le texte sacré ;210 qu’ils se préparent pour l’homélie
dans la méditation et la prière afi n de pouvoir
prêcher avec conviction et passion. L’Assemblée
synodale a exhorté à considérer les questions
suivantes : « Que disent les lectures proclamées ?
Que me disent-elles à moi personnellement ? Que
dois-je dire à la communauté, en tenant compte
de sa situation concrète ? ».211 Le prédicateur doit
209 N. 46: AAS 99 (2007), p. 141.
210 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 25.
211 Proposition 15.
113
« être le premier à être interpellé par la Parole de
Dieu qu’il annonce »,212 car, comme le dit Saint
Augustin : « qui prêche extérieurement la Parole
de Dieu et ne l’écoute pas intérieurement ne peut
pas porter du fruit ».213 Qu’on prenne particulièrement
soin de l’homélie du dimanche et des solennités
; mais qu’on n’omette pas aussi durant les
Messes cum populo en semaine, si possible, d’offrir
de brèves réfl exions appropriées à la situation,
pour aider les fi dèles à accueillir et faire fructifi er
la Parole qu’ils ont écoutée.
L’opportunité d’un Directoire homilétique
60. Prêcher d’une manière juste en s’appuyant
sur le Lectionnaire est véritablement un art qui
doit être cultivé. C’est pourquoi, dans la continuité
avec ce qui a été demandé par le Synode
précédent,214 je prie les autorités compétentes,
en se référant au Compendium eucharistique,215
de penser aussi aux instruments et aux moyens
appropriés pour aider les Ministres à assurer le
mieux possible leur ministère, en élaborant par
exemple un Directoire sur l’homélie de façon
que les prédicateurs y puissent trouver une aide
précieuse pour se préparer à l’exercice de leur
212 Ibidem.
213 Sermo 179,1 ; PL 38, 966.
214 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 93: AAS 99 (2007), p. 177.
215 CONGREGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Compendium eucharisticum (25 mars 2009), Cité
du Vatican 2009.
114
ministère. Comme nous le rappelle saint Jérôme,
la prédication doit enfi n être accompagnée par le
témoignage de sa propre vie : « Que tes actions
ne trahissent pas tes paroles, pour qu’il n’advienne
pas que, quand tu prêches dans l’église,
quelqu’un commente intérieurement : “Pourquoi
donc n’agis-tu pas toi-même ainsi ?” […] L’esprit
et la parole doivent s’accorder dans le prêtre du
Christ ».216
Parole de Dieu, Réconciliation et Onction des malades
61. Si l’Eucharistie se trouve sans aucun doute
au centre de la relation entre la Parole de Dieu et
les Sacrements, il est bon de souligner aussi l’importance
de la Sainte Écriture pour les autres Sacrements,
en particulier ceux qui apportent une
guérison, le Sacrement de la Réconciliation, ou de
la Pénitence, et le Sacrement de l’Onction des malades.
La référence à la Sainte Écriture y est souvent
négligée, alors qu’il faut lui donner la place qui lui
revient. En effet, on ne doit jamais oublier que « la
Parole de Dieu est parole de réconciliation parce
qu’en elle Dieu réconcilie en lui toute chose (cf.
2 Co 5, 18-20 ; Ep 1, 10). Le pardon miséricordieux
de Dieu, incarné en Jésus, relève le pécheur ».217
La Parole de Dieu « éclaire le croyant pour lui faire
discerner ses péchés, l’invite à la conversion et à la
confi ance en la miséricorde de Dieu ».218 Afi n de
216 Epistula 52,7 ; CSEL 54,426-427.
217 Proposition 8
218 RITUEL DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION.
Orientations doctrinales et pastorale, n. 17.
115
percevoir davantage la puissance de réconciliation
que possède la Parole de Dieu, on recommande à
chaque pénitent de se préparer à la confession en
méditant un passage adapté de la Sainte Écriture
et de commencer sa confession par la lecture ou
l’écoute d’une exhortation biblique, selon ce que
prévoit son rite propre. Puis, quand il manifeste
sa contrition, il est bon que le pénitent prenne
« une prière formée de paroles tirées de la Sainte
Écriture »219 prévue par le rite. Quand cela est possible,
il est bon qu’à certains moments de l’année
ou quand l’occasion s’en présente, la confession
individuelle des pénitents se fasse dans le cadre
de célébrations pénitentielles, selon ce que prévoit
le rituel, dans le respect des différentes traditions
liturgiques, pour pouvoir donner toute sa place à
la célébration de la Parole par l’usage de lectures
appropriées.
En ce qui concerne le Sacrement de l’Onction
des malades, qu’on n’oublie pas que « la force de
guérison de la Parole de Dieu est un appel puissant
à une continuelle conversion personnelle de
celui qui l’écoute ».220 La Sainte Écriture contient
de nombreuses pages qui montrent le réconfort,
le soutien et la guérison donnés par l’intervention
de Dieu. Qu’on se souvienne en particulier de la
proximité de Jésus à l’égard de ceux qui souffrent :
Lui-même, le Verbe de Dieu incarné, s’est chargé
de nos douleurs et il a souffert par amour pour
219 Ibidem, n. 19.
220 Proposition 8.
116
l’homme, en donnant ainsi un sens à la maladie
et à la mort. Il est bon que, dans les paroisses et
surtout dans les hôpitaux, on célèbre en communauté,
selon les circonstances, le Sacrement des
malades. Qu’on donne en ces occasions une large
place à la célébration de la Parole et qu’on aide les
fi dèles malades à vivre avec foi leur état de souffrance,
en union au sacrifi ce rédempteur du Christ
qui nous délivre du mal.
Parole de Dieu et Liturgie des Heures
62. Parmi les formes de prière qui exaltent la
Sainte Écriture, il y a sans aucun doute la Liturgie
des Heures. Les Pères synodaux ont affi rmé
qu’elle constitue « une forme privilégiée d’écoute
de la Parole de Dieu parce qu’elle met en contact
les fi dèles avec l’Écriture Sainte et avec la Tradition
vivante de l’Église ».221 On doit avant tout rappeler
la dignité théologique et ecclésiale de cette prière.
En effet, « dans la Liturgie des Heures, l’Église,
exerçant la fonction sacerdotale de son Chef,
offre à Dieu “incessamment” (1 Th 5, 17) le sacrifi
ce de louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui
confessent son nom (cf. He 13, 15). Cette prière
est “la voix de l’Épouse elle-même qui s’adresse
à son Époux ; et mieux encore, c’est la prière du
Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au
Père” ».222 À ce sujet, le Concile Vatican II avait
221 Proposition 19.
222 Principes et normes de la Liturgie des Heures, III, 15.
117
affi rmé : « Tous ceux qui assurent cette charge accomplissent
l’offi ce de l’Église et, en même temps,
participent de l’honneur suprême de l’Épouse du
Christ, parce qu’en s’acquittant des louanges divines,
ils se tiennent devant le trône de Dieu au
nom de la Mère Église ».223 Dans la Liturgie des
Heures, prière publique de l’Église, apparaît l’idéal
chrétien de sanctifi cation de toute la journée,
rythmée par l’écoute de la Parole de Dieu et par
la prière des Psaumes, si bien que toute activité
trouve son point de référence dans la louange offerte
à Dieu.
Ceux qui sont tenus par leur état de vie à la
récitation de la Liturgie des Heures doivent vivre
cet engagement en faveur de toute l’Église. Les
Évêques, les prêtres et les diacres ordonnés en
vue du sacerdoce, qui ont reçu de l’Église la mission
de la célébrer, ont l’obligation d’acquitter
chaque jour toutes les Heures.224 Dans les Églises
catholiques orientales sui iuris, cette obligation
sera respectée en fonction des indications données
par leur droit propre.225 En outre, j’encourage
les communautés de Vie consacrée à être
exemplaires dans la célébration de la Liturgie des
Heures, au point de constituer une référence et
une source d’inspiration pour la vie spirituelle et
pastorale de toute l’Église.
223 Const. sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium,
n. 85.
224 Cf. CIC, cc. 276 § 3 ; 1174 § 1.
225 Cf. CCEO, cc. 377 ; 473, § 1 et 2, 1°; 538 § 1 ; 881 § 1.
118
Le Synode a exprimé le désir de voir se diffuser
plus largement dans le Peuple de Dieu ce
genre de prière, surtout la récitation des Laudes
et des Vêpres. Un tel développement ne pourra
que faire grandir parmi les fi dèles la familiarité
avec la Parole de Dieu. On doit souligner aussi la
valeur de la Liturgie des Heures prévue pour les
premières Vêpres du dimanche et des solennités,
notamment dans les Églises catholiques orientales.
C’est pourquoi je recommande que, là où
c’est possible, les paroisses et les communautés de
vie religieuse favorisent cette prière en y associant
les fi dèles.
La Parole de Dieu et le Livre des Bénédictions
63. Dans l’usage du Livre des Bénédictions, on prêtera
attention à la place prévue pour la proclamation,
l’écoute et l’explication de la Parole de Dieu,
grâce à de brèves monitions. En effet, dans les cas
prévus par l’Église et à la demande des fi dèles, le
geste de la bénédiction n’est pas à isoler, mais à
relier à la vie liturgique du Peuple de Dieu selon
sa nature propre. En ce sens, la bénédiction, véritable
signe sacré, « puise son sens et son effi cacité
de la proclamation de la Parole de Dieu ».226 Il est
donc important de profi ter aussi de ces occasions
pour raviver chez les fi dèles la faim et la soif de
toute parole qui sort de la bouche de Dieu (cf.
Mt 4, 4).
226 LIVRE DES BÉNÉDICTIONS, Préliminaires généraux, n. 21.
119
Suggestions et propositions concrètes pour l’animation
liturgique
64. Après avoir rappelé quelques éléments fondamentaux
de la relation entre liturgie et Parole
de Dieu, je désire maintenant reprendre et mettre
en valeur quelques propositions et suggestions
faites par les Pères synodaux pour favoriser dans
le Peuple de Dieu une familiarité toujours plus
grande avec la Parole de Dieu dans le cadre des
actions liturgiques ou du moins de ce qui s’y rapporte.
a) Célébrations de la Parole de Dieu
65. Les Pères synodaux ont exhorté tous les
Pasteurs à diffuser dans les communautés qui
leur sont confi ées les moments de célébration de
la Parole.227 Il s’agit d’une occasion privilégiée de
rencontre avec le Seigneur. C’est pourquoi une
telle pratique ne peut qu’apporter une grande
aide aux fi dèles et il faut y voir un élément de
valeur de la pastorale liturgique. Ces célébrations
ont une importance particulière pour la préparation
de l’Eucharistie dominicale, afi n de donner
aux croyants la possibilité de pénétrer davantage
dans la richesse du Lectionnaire pour méditer et
prier la Sainte Écriture, surtout dans les temps
forts de la liturgie, l’Avent et Noël, le Carême et
Pâques. La célébration de la Parole de Dieu est
227 Cf. Proposition 18 ; CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la
Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 35.
120
fortement recommandée dans les communautés
qui, par manque de prêtres, ne peuvent célébrer
le sacrifi ce eucharistique aux fêtes d’obligation.
En tenant compte des indications déjà exprimées
dans l’Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum
caritatis sur les assemblées dominicales
en l’absence de prêtre,228 je recommande que les
autorités compétentes élaborent des rituels, en
valorisant l’expérience des Églises particulières.
C’est ainsi que seront favorisées, dans ces situations,
des célébrations de la Parole qui puissent
nourrir la foi des croyants, en évitant néanmoins
de les confondre avec les célébrations eucharistiques
; « elles devraient plutôt être des occasions
privilégiées de prière adressée à Dieu pour qu’il
envoie de saints prêtres selon son coeur ».229
En outre, les Pères synodaux ont invité à
célébrer aussi la Parole de Dieu à l’occasion des
pèlerinages, des fêtes particulières, des missions
populaires, des retraites spirituelles et des jours
spéciaux de pénitence, de réparation et de pardon.
En ce qui concerne les différentes formes de piété
populaire, bien qu’il ne s’agisse pas d’actes liturgiques
et qu’il faille éviter toute confusion avec
les célébrations liturgiques, il est bon qu’elles s’en
inspirent et, surtout, qu’elles donnent une juste
place à la proclamation et à l’écoute de la Parole
de Dieu ; en effet, « la piété populaire trouvera
228 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 75 : AAS 99 (207), pp. 162-
163.
229 Ibidem.
121
dans la Sainte Écriture une source inépuisable
d’inspiration, des modèles de prière inégalables
et des propositions particulièrement fécondes de
thèmes ».230
b) La Parole et le silence
66. De nombreuses interventions des Pères
synodaux ont insisté sur la valeur du silence en
lien avec la Parole de Dieu et sa réception dans la
vie des fi dèles.231 En effet, la Parole ne peut être
prononcée et entendue que dans le silence, extérieur
et intérieur. Notre temps ne favorise pas le
recueillement et, parfois, on a l’impression qu’il
y a comme une peur à se détacher, même momentanément,
des moyens de communication de
masse. C’est pourquoi il est nécessaire aujourd’hui
d’éduquer le Peuple de Dieu à la valeur du silence.
Redécouvrir le caractère central de la Parole de
Dieu dans la vie de l’Église veut dire redécouvrir
le sens du recueillement et de la paix intérieure.
La grande Tradition patristique nous enseigne que
les Mystères du Christ sont liés au silence ;232 par
lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure,
comme chez Marie, qui est inséparablement la
femme de la Parole et du silence. Nos liturgies
230 CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Directoire sur la piété populaire et la liturgie, Principes
et orientations, n. 87 ; Ench. Vat. 20, n. 2461.
231 Cf. Proposition 14.
232 Cf. SAINT IGNACE D’ANTIOCHE, Ad Ephesios 15, 2 :
Patres Apostolici, éd. F. X. FUNK, Tübingen 1901, I, 224.
122
doivent faciliter cette écoute authentique : Verbo
crescente, verba defi ciunt. 233
Que cette valeur resplendisse particulièrement
dans la liturgie de la Parole, qui « doit se
célébrer de manière à favoriser la méditation ».234
Le silence, quand il est prévu, est à considérer
« comme une partie de la célébration ».235 C’est
pourquoi j’exhorte les Pasteurs à encourager les
moments de recueillement, par le moyen desquels,
avec l’aide de l’Esprit Saint, la Parole de Dieu est
reçue dans le coeur.
c) Proclamation solennelle de la Parole de Dieu
67. Le Synode a fait une autre suggestion : solenniser,
surtout dans les fêtes liturgiques importantes,
la proclamation de la Parole, spécialement
l’Évangile, en utilisant l’évangéliaire porté en procession
pendant le rite d’entrée, puis placé sur
l’ambon par le diacre ou par un prêtre pour être
proclamé. C’est ainsi qu’on aide le Peuple de Dieu
à reconnaître que « la lecture de l’Évangile constitue
le sommet de cette liturgie de la Parole ».236
En suivant les indications de la Présentation générale
du Lectionnaire de la Messe, il est bon de mettre en
valeur la proclamation de la Parole de Dieu par
233 Cf. SAINT AUGUSTIN, Sermo 288, 5 : PL 38, 1307 ; Sermo
120, 2 : PL 38, 677.
234 Présentation générale du Missel Romain, n. 56.
235 Ibidem, n. 45 ; cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la
Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 30.
236 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n.13.
123
le chant, notamment l’Évangile, surtout en certaines
solennités. Il serait bon de chanter le salut,
l’annonce initiale « Évangile de … » et la fi n
« Acclamons la Parole de Dieu », pour souligner
l’importance de ce qui est lu.237
d) La Parole de Dieu dans l’église
68. Pour favoriser l’écoute de la Parole de Dieu,
il ne faut pas négliger les moyens qui peuvent
aider les fi dèles à avoir une plus grande attention.
Il est nécessaire pour cela qu’on ne néglige jamais
l’acoustique des édifi ces sacrés, dans le respect des
normes liturgiques et architectoniques. « Lors de
la construction d’églises, les Évêques, dûment aidés,
doivent être attentifs à ce que celles-ci soient
des lieux adaptés à la proclamation de la Parole, à
la méditation et à la célébration eucharistique. Les
espaces saints, qui présentent le Mystère chrétien
en relation avec la Parole de Dieu, doivent le faire
de manière éloquente, même en dehors des célébrations
liturgiques ».238
Une attention particulière sera réservée à
l’ambon en tant que lieu liturgique depuis lequel
est proclamée la Parole de Dieu. Il doit être placé
en un endroit bien visible qui attire spontanément
l’attention des fi dèles pendant la liturgie de la Parole.
Il est bon qu’il soit fi xe, établi comme un élément
sculpté en harmonie esthétique avec l’autel,
237 Cf. ibidem n. 17.
238 Proposition 40.
124
de manière à représenter visiblement aussi le sens
théologique des deux tables de la Parole et de l’Eucharistie.
Depuis l’ambon, on proclame les lectures, le
Psaume responsorial et l’annonce de la Pâque ; on
peut également y faire l’homélie et y dire la prière
des fi dèles.239
Les Pères synodaux suggèrent en outre que,
dans les églises, il y ait un lieu privilégié où l’on
place la Sainte Écriture même en-dehors de la célébration.
240 En effet, il est bon que le livre qui contient
la Parole de Dieu soit dans un endroit visible et
honorable à l’intérieur du temple chrétien, sans
pour autant priver de sa place centrale le tabernacle
qui contient le Très Saint Sacrement.241
e) Exclusivité des textes bibliques dans la liturgie
69. En outre, le Synode a fortement insisté sur
ce qui, d’ailleurs, a déjà été fi xé par la norme liturgique
de l’Église :242 les lectures tirées de la
Sainte Écriture ne doivent jamais être remplacées
par d’autres textes, aussi signifi catifs soientils
du point de vue pastoral ou spirituel : « Aucun
texte de spiritualité ou de littérature ne peut atteindre
la valeur et la richesse contenues dans les
Saintes Écritures qui sont la Parole de Dieu ».243 Il
239 Présentation générale du Missel Romain, n. 309.
240 Proposition 14.
241 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 69 : AAS 100 (207), p. 157.
242 Présentation générale du Missel Romain, n. 57.
243 Proposition 14.
125
s’agit d’une règle antique de l’Église qui doit être
conservée.244 Face à certains abus, le Pape Jean-
Paul II avait déjà rappelé l’importance du fait de
ne jamais remplacer la Sainte Écriture par d’autres
lectures.245 Souvenons-nous que le Psaume responsorial
est une Parole de Dieu, par laquelle
nous répondons à la voix du Seigneur, et qu’il ne
doit donc pas être remplacé par d’autres textes, et
qu’il est tout à fait opportun de le chanter.
f) Chant liturgique bibliquement inspiré
70. Dans le cadre de la valorisation de la Parole
de Dieu durant la célébration liturgique, on fera
aussi attention au chant retenu pour les moments
prévus selon chaque rite, favorisant celui qui est
clairement inspiré par la Bible et qui exprime, par
l’accord harmonieux des paroles et de la musique,
la beauté de la Parole divine. En ce sens, il est bon
de mettre en valeur les chants que la Tradition de
l’Église nous a livrés et qui respectent ce critère. Je
pense en particulier à l’importance du chant grégorien.
246
244 Cf. le canon 36 du Synode d’Hippone en 393, Denzinger-
Schönmetzer, 186.
245 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. Ap. Vicesimus quintus annus,
4 décembre 1988, n. 13 : AAS 81 (1988), p. 910 ; CONGRÉGATION
POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, Instruction
sur certaines choses à observer ou à éviter au sujet de la
Très Sainte Eucharistie Redemptionis sacramentum (25 mars 2004),
n. 62 : Ench. Vat. 22, n. 2248.
246 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la Sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 116 ; CONGRÉGATION POUR LE CULTE
DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, Présentation générale du
126
g) Attention particulière aux aveugles et aux sourds
71. Dans ce contexte, je voudrais aussi rappeler
que le Synode a recommandé que l’on fasse particulièrement
attention à ceux qui, à cause de leur
état, ont des diffi cultés à participer activement à
la liturgie, comme par exemple ceux qui ne voient
pas ou n’entendent pas. J’encourage les communautés
chrétiennes à prévoir, dans la mesure du
possible, des outils adaptés pour venir en aide aux
frères et aux soeurs qui souffrent de ces diffi cultés,
afi n qu’il leur soit donné, à eux aussi, la possibilité
d’un contact vivant avec la Parole du Seigneur.247
LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE ECCLÉSIALE
Rencontrer la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture
72. S’il est vrai que la liturgie est le lieu privilégié
pour la proclamation, l’écoute et la célébration
de la Parole de Dieu, il est tout aussi vrai que
cette rencontre doit être préparée dans le coeur
des fi dèles et surtout être approfondie et assimilée
par eux. En effet, la vie chrétienne est caractérisée
essentiellement par la rencontre avec Jésus-
Christ qui nous appelle à le suivre. C’est pourquoi
le Synode des Évêques a réaffi rmé plusieurs fois
l’importance de la pastorale dans les communautés
chrétiennes comme cadre dans lequel parcourir
un itinéraire personnel et communautaire
Missel Romain, n. 41.
247 Cf. Proposition 14.
127
par rapport à la Parole de Dieu, de sorte que celleci
soit vraiment au fondement de la vie spirituelle.
Avec les Pères du Synode, j’exprime le vif désir
que fl eurisse « une nouvelle saison de plus grand
amour pour la Sainte Écriture, de la part de tous
les membres du Peuple de Dieu, afi n que la lecture
orante et fi dèle dans le temps leur permette d’approfondir
leur relation avec la personne même de
Jésus ».248
Dans l’histoire de l’Église, les recommandations
des saints sur la nécessité de connaître
l’Écriture pour grandir dans l’amour du Christ
ne manquent pas. C’est un fait particulièrement
évident chez les Pères de l’Église. Saint Jérôme,
grand « amoureux » de la Parole de Dieu se demandait
: « Comment pourrait-on vivre sans la
science des Écritures, à travers lesquelles on apprend
à connaître le Christ lui-même, qui est la
vie des croyants ? ».249 Il était bien conscient que
la Bible est l’instrument « par lequel Dieu parle
chaque jour aux croyants ».250 Il conseille ainsi
Leta, une matrone romaine, pour l’éducation de
sa fi lle : « Assure-toi qu’elle étudie chaque jour un
passage de l’Écriture… À la prière fais suivre la
lecture, et à la lecture, la prière… Plutôt que les
bijoux et les vêtements de soie, qu’elle aime les
Livres divins ».251 Ce que saint Jérôme écrivait au
prêtre Neposianus vaut aussi pour nous : « Lis fré-
248 Proposition 9.
249 Epistula 30, 7 : CSEL 54, 246.
250 ID., Epistula 133, 13 : CSEL 56, 260.
251 ID., Epistula 107, 9.12 : CSEL 55, 300.302
128
quemment les divines Écritures ; et même, que le
Livre Saint ne soit jamais enlevé de tes mains. Apprends-
y ce que tu dois enseigner ».252 À l’exemple
du grand saint qui consacra sa vie à l’étude de la
Bible et qui donna à l’Église sa traduction latine, la
Vulgate, et de tous les saints qui ont placé au centre
de leur vie spirituelle la rencontre avec le Christ,
renouvelons notre engagement à approfondir la
Parole que Dieu a donnée à l’Église. De cette façon
nous pourrons tendre à ce « haut degré de la
vie chrétienne ordinaire »,253 souhaité par le Pape
Jean-Paul II au commencement du troisième millénaire
chrétien, qui se nourrit constamment de
l’écoute de la Parole de Dieu.
L’animation biblique de la pastorale
73. Dans cette ligne, le Synode a invité à un engagement
pastoral particulier pour faire ressortir
la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie
ecclésiale, recommandant « d’intensifi er “ la pastorale
biblique ” non en la juxtaposant à d’autres
formes de la pastorale, mais comme animation biblique
de toute la pastorale ».254 Il ne s’agit donc pas
d’ajouter quelques rencontres dans la paroisse ou
dans le diocèse, mais de s’assurer que, dans les activités
habituelles des communautés chrétiennes,
252 ID., Epistula 52, 7 : CSEL 54, 426.
253 JEAN-PAUL II, Lett. Novo millennio ineunte (6 janvier
2001), n. 31 : AAS 83 (2001), pp. 287-288.
254 Proposition 30 ; cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm.
Sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 24.
129
dans les paroisses, dans les associations et dans les
mouvements, on ait vraiment à coeur la rencontre
personnelle avec le Christ qui se communique
à nous dans sa Parole. Ainsi, si « l’ignorance des
Écritures est ignorance du Christ »,255 l’animation
biblique de toute la pastorale ordinaire et extraordinaire
conduira à une plus grande connaissance
de la personne du Christ, Révélateur du Père et
plénitude de la Révélation divine.
J’exhorte donc les Pasteurs et les fi dèles à tenir
compte de l’importance de cette animation : ce
sera aussi la meilleure façon de faire face à certains
problèmes pastoraux mis en évidence au cours de
l’Assemblée synodale liés, par exemple, à la prolifération
des sectes qui répandent une lecture déformée
et instrumentalisée de la Sainte Écriture. Là où les
fi dèles ne se forment pas à une connaissance de la
Bible selon la foi de l’Église dans le creuset de sa
Tradition vivante, on laisse de fait un vide pastoral
dans lequel des réalités comme les sectes peuvent
trouver un terrain pour prendre pied. C’est
pourquoi il est nécessaire de pourvoir aussi à une
préparation adéquate des prêtres et des laïcs afi n
qu’ils puissent instruire le Peuple de Dieu dans
une approche authentique des Écritures.
En outre, comme cela a été souligné durant
les travaux synodaux, il est bon que dans l’activité
pastorale soit favorisé le développement de petites
communautés, « composées de familles, enracinées
255 SAINT JÉRÔME, Commentariorum. in Isaiam libri, Prol ;
PL 24, 17B.
130
dans les paroisses ou liées aux divers mouvements
ecclésiaux ou nouvelles communautés »,256
dans lesquelles seront encouragées la formation,
la prière et la connaissance de la Bible selon la foi
de l’Église.
Dimension biblique de la catéchèse
74. Un temps important de l’animation pastorale
de l’Église, où l’on peut avec sagesse redécouvrir
le caractère central de la Parole de Dieu, est la
catéchèse qui, dans ses diverses formes et phases,
doit toujours accompagner le Peuple de Dieu. La
rencontre des disciples d’Emmaüs avec Jésus décrite
par l’évangéliste Luc (cf. Lc 24, 13-35) représente,
en un certain sens, le modèle d’une catéchèse
au centre de laquelle se trouve « l’explication
des Écritures », que seul le Christ est en mesure
de donner (cf. Lc 24, 27-28), en montrant leur
accomplissement dans sa personne.257 C’est ainsi
que renaît l’espérance, plus forte que tout échec,
qui fait de ces disciples des témoins convaincus et
crédibles du Ressuscité.
Dans le Directoire général pour la catéchèse, nous
trouvons des indications précieuses pour l’animation
biblique de la catéchèse et j’y renvoie
volontiers.258 Ici, je désire surtout souligner que
256 Proposition 21.
257 Cf. Proposition 23.
258 Cf. CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ, Directoire général
pour la catéchèse (15 août 1997), n. 94 ; JEAN-PAUL II, Exhort.
apost. Catechesi tradendae (16 octobre 1979), n. 27 : AAS 71
(1979), p. 1298.
131
la catéchèse « doit s’imprégner et se pénétrer de
la pensée, de l’esprit et des attitudes bibliques et
évangéliques par un contact assidu avec les textes
eux-mêmes ; ce qui veut aussi rappeler que la catéchèse
sera d’autant plus riche et effi cace qu’elle
lira les textes avec l’intelligence et le coeur de
l’Église »259 et qu’elle s’inspirera de la réfl exion et
de la vie deux fois millénaire de l’Église. On doit
encourager de cette façon la connaissance des
fi gures, des événements et des expressions fondamentaux
du texte sacré ; à cette fi n, une mémorisation
intelligente de certains passages bibliques
– particulièrement ceux qui parlent des Mystères
chrétiens – peut aussi être profi table. L’activité
catéchétique implique toujours de rapprocher les
Écritures de la foi et de la Tradition de l’Église,
de sorte que ces paroles soient perçues comme
vivantes, tout comme le Christ est vivant aujourd’hui
là où deux ou trois se réunissent en son
nom (cf. Mt 18, 20). Elle doit communiquer de
façon vitale l’histoire du salut et les contenus de la
foi de l’Église, afi n que tout fi dèle reconnaisse que
son contexte personnel de vie appartient aussi à
cette histoire.
Dans cette perspective, il est important de
souligner le lien entre la Sainte Écriture et le Catéchisme
de l’Église catholique, comme l’a affi rmé le
Directoire général pour la catéchèse : « En effet, l’Écriture
Sainte, “Parole de Dieu mise par écrit sous
259 Ibidem, n. 127 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. Catechesi
tradendae (16 octobre 1979), n. 27 : AAS 71 (1979), p. 1299.
132
l’inspiration de l’Esprit Saint” et le Catéchisme
de l’Église catholique, expression actuelle de la
Tradition vivante de l’Église et norme sûre pour
l’enseignement de la foi, sont appelés, chacun
à sa façon, et selon son autorité spécifi que, à
féconder la catéchèse dans l’Église contemporaine
».260
Formation biblique des chrétiens
75. Pour atteindre le but souhaité par le Synode
de donner un caractère plus fortement biblique à
toute la pastorale de l’Église, il est nécessaire qu’il
y ait une formation convenable des chrétiens et,
en particulier, des catéchistes. À cet égard, il faut
porter attention à l’apostolat biblique, méthode très
valable pour cette fi nalité, comme le montre l’expérience
ecclésiale. Les Pères synodaux ont, de
plus, recommandé que, si possible par la valorisation
de structures académiques déjà existantes,
soient établis des centres de formation pour laïcs
et pour missionnaires, où l’on apprenne à comprendre,
à vivre et à annoncer la Parole de Dieu,
et que, là où on en voit la nécessité, soient constitués
des instituts spécialisés dans les études bibliques
pour former des exégètes qui aient une
solide compréhension théologique et qui soient
sensibles aux contextes de leur mission.261
260 Ibidem, n. 128 : Ench. Vat. 16, n. 936.
261 Cf. Proposition 33.
133
La Sainte Écriture dans les grands rassemblements ecclésiaux
76. Parmi les multiples initiatives qui peuvent
être prises, le Synode suggère que, dans les rassemblements,
aussi bien au niveau diocésain que
national ou international, l’importance de la Parole
de Dieu, de son écoute et de la lecture croyante et
orante de la Bible soit soulignée le plus possible.
Par conséquent, dans les congrès eucharistiques,
nationaux et internationaux, aux Journées Mondiales
de la Jeunesse et dans les autres rencontres
on pourra avec raison trouver de plus amples espaces
pour des célébrations de la Parole et pour
des moments de formation biblique.262
Parole de Dieu et vocations
77. Le Synode, en soulignant l’exigence intrinsèque
de la foi d’approfondir la relation avec le
Christ, Parole de Dieu parmi nous, a voulu aussi
mettre en évidence le fait que cette Parole appelle
chacun en termes personnels, révélant ainsi que
la vie elle-même est vocation par rapport à Dieu. Cela
veut dire que plus nous approfondissons notre relation
avec le Seigneur Jésus, plus nous nous apercevons
qu’il nous appelle à la sainteté, au moyen
de choix défi nitifs par lesquels notre vie répond à
son amour, assumant des tâches et des ministères
pour édifi er l’Église. Dans cette perspective se
comprennent les invitations faites par le Synode à
262 Cf. Proposition 45.
134
tous les chrétiens d’approfondir leur relation avec
la Parole de Dieu en tant que baptisés, mais aussi
en tant qu’appelés à vivre selon les divers états de
vie. Ici nous touchons l’un des points cardinaux
de la doctrine du Concile Vatican II qui a souligné
la vocation à la sainteté de tout fi dèle, chacun
dans son propre état de vie.263 C’est dans la Sainte
Écriture que se trouve révélée notre vocation à
la sainteté : « Vous serez saints parce que je suis
Saint » (Lv 11, 44 ; 19, 2 ; 20, 7). Saint Paul en souligne,
à son tour, la racine christologique : dans le
Christ, le Père « nous a choisis avant la création
du monde, pour que nous soyons, dans l’amour,
saints et irréprochables sous son regard » (Ep 1, 4).
Ainsi pouvons-nous entendre comme adressé à
chacun de nous son salut aux frères et aux soeurs
de la communauté de Rome : « À tous les bienaimés
de Dieu … aux saints par vocation, à vous
grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur
Jésus-Christ. » (Rm 1, 7).
a) Parole de Dieu et Ministres ordonnés
78. Avant tout, en m’adressant maintenant aux
Ministres ordonnés de l’Église, je leur rappelle ce
qu’a affi rmé le Synode : « La Parole de Dieu est
indispensable pour former le coeur d’un bon Pasteur,
Ministre de la Parole ».264 Évêques, prêtres,
diacres ne peuvent en aucune façon penser vivre
263 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Église
Lumen gentium, chap. 5.
264 Proposition 31.
135
leur vocation et leur mission sans un engagement
ferme et renouvelé de sanctifi cation qui trouve
l’un de ses piliers dans le contact avec la Bible.
79. Pour ceux qui sont appelés à l’épiscopat, et
qui sont les premiers annonciateurs autorisés de
la Parole, je désire réaffi rmer ce qui a été dit par le
Pape Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique
post-synodale Pastores gregis. Pour nourrir et faire
progresser sa vie spirituelle, l’Évêque doit toujours
mettre « à la première place la lecture et la méditation
de la Parole de Dieu. Tout Évêque devra toujours
se confi er et se sentir confi é “à Dieu et à son
message de grâce, qui a le pouvoir de construire
l’édifi ce et de faire participer les hommes à l’héritage
de ceux qui ont été sanctifi és” (Ac 20, 32).
C’est pourquoi, avant d’être un transmetteur de la
Parole, l’Évêque, avec ses prêtres et comme tout
fi dèle, bien plus comme l’Église elle-même, doit
être un auditeur de la Parole. Il doit être comme
“à l’intérieur” de la Parole, pour se laisser garder et
nourrir par elle, comme dans le sein maternel ».265
À l’imitation de Marie, Virgo audiens et Reine des
Apôtres, je recommande à tous mes frères dans
l’épiscopat la lecture personnelle fréquente et
l’étude assidue de la Sainte Écriture.
80. À l’attention des prêtres aussi, je voudrais
rappeler les paroles du Pape Jean-Paul II qui,
dans l’Exhortation apostolique post-synodale Pas-
265 N. 15 : AAS 96 (2004), pp. 846-847.
136
tores dabo vobis, a rappelé que « le prêtre est avant
tout Ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré
et envoyé pour annoncer à tous l’Évangile du
Royaume, appelant tout homme à l’obéissance de
la foi et conduisant les croyants à une connaissance
et à une communion toujours plus profonde du
Mystère de Dieu, à nous révélé et communiqué
par le Christ. C’est pourquoi le prêtre lui-même
doit tout d’abord acquérir une grande familiarité
avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffi t pas d’en
connaître l’aspect linguistique ou exégétique, ce
qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la
Parole avec un coeur docile et priant, pour qu’elle
pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments
et engendre en lui un esprit nouveau, “la pensée
du Christ” (1 Co 2, 16) ».266 Ainsi, ses paroles, et
plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours
plus transparents à l’Évangile, l’annonceront
et en rendront témoignage. « C’est seulement “en
demeurant” dans la Parole que le prêtre deviendra
parfait disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et
sera vraiment libre ».267
En défi nitive, l’appel au sacerdoce demande
d’être consacrés « dans la vérité ». Jésus lui-même
formule cette exigence à l’égard de ses disciples :
« Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De
même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi
je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17, 17-18).
Les disciples sont en un certain sens « attirés
266 N. 26 : AAS 84 (1992), p. 698.
267 Ibidem.
137
dans l’intimité de Dieu par leur immersion dans
la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est, pour
ainsi dire, le bain qui les purifi e, le pouvoir créateur
qui les transforme dans l’être de Dieu ».268 Et
puisque le Christ lui-même est la Parole de Dieu
faite chair (Jn 1, 14), qu’il est « la vérité » (Jn 14, 6),
alors la prière de Jésus au Père « Consacre-les par
la vérité » veut dire au sens le plus profond : « Fais
qu’ils ne soient qu’un avec moi, le Christ. Attacheles
à moi. Attire-les en moi. Et, de fait, il n’existe
qu’un seul prêtre de la Nouvelle Alliance, Jésus-
Christ lui-même ».269 Il est donc nécessaire que les
prêtres renouvellent toujours plus profondément
leur conscience de cette réalité.
81. Je voudrais me référer aussi à la place de la
Parole de Dieu dans la vie de ceux qui sont appelés
au diaconat, non seulement comme degré
précédant l’ordre du presbytérat, mais comme
service permanent. Les Normes fondamentales pour
la formation des diacres permanents affi rment que
de « l’identité théologique du diaconat, dérivent
avec clarté les traits de sa spiritualité spécifi que,
qui se présente essentiellement comme une spiritualité
du service. Le modèle par excellence est
le Christ serviteur, qui a vécu totalement au service
de Dieu pour le bien des hommes ».270 Dans
268 BENOÎT XVI, Homélie, Messe chrismale 2009 ; L’ORf,
14 avril 2009, p. 4.
269 Ibidem.
270 CONGRÉGATION POUR L’ÉDUCATION CATHOLIQUE,
Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents (22 février
1998), n. 11 ; Ench. Vat. 17, n. 174-175 ; La DC, n.2181,
p.411.
138
cette perspective on comprend que, dans les différentes
dimensions du ministère diaconal, « un
élément caractéristique de la spiritualité diaconale
est la Parole de Dieu, dont le diacre est appelé
à être l’annonciateur autorisé, en croyant ce qu’il
proclame, en enseignant ce qu’il croit, en vivant
ce qu’il enseigne ».271 Je recommande donc que les
diacres nourrissent leur vie d’une lecture croyante
de la Sainte Écriture avec l’étude et la prière. Qu’ils
soient introduits à « la Sainte Écriture et à sa juste
interprétation ; à la théologie de l’Ancien et du
Nouveau Testament ; au rapport réciproque entre
l’Écriture et la Tradition ; en particulier à l’usage
de l’Écriture dans la prédication, dans la catéchèse
et dans l’activité pastorale en général ».272
b) La Parole de Dieu et les candidats à l’Ordination
82. Le Synode a accordé une importance particulière
au rôle décisif de la Parole de Dieu dans
la vie spirituelle des candidats au sacerdoce ministériel
: « Les candidats au sacerdoce doivent apprendre
à aimer la Parole de Dieu. Que l’Écriture
soit donc l’âme de leur formation théologique,
en soulignant la circularité indispensable entre
exégèse, théologie, spiritualité et mission ».273 Les
aspirants au sacerdoce ministériel sont appelés à
271 Ibidem, n. 74 : Ench. Vat. 17, n. 263 ; La DC n. 2181,
p. 420.
272 Cf. ibidem, n. 81.a : Ench. Vat. 17, n. 271 : La DC, ibid.,
p. 421.
273 Proposition 32.
139
une profonde relation personnelle avec la Parole
de Dieu, en particulier dans la Lectio divina, pour
que leur vocation elle-même se nourrisse de cette
relation: c’est dans la lumière et dans la force de la
Parole de Dieu que chacun peut découvrir, comprendre,
aimer et suivre sa vocation propre et accomplir
sa mission, faisant grandir dans le coeur
les pensées de Dieu, de sorte que la foi, en tant
que réponse à la Parole, devienne le nouveau critère
de jugement et d’évaluation des hommes et
des choses, des événements et des problèmes.274
Cette attention à la lecture priante de l’Écriture
ne doit en aucune façon alimenter une dichotomie
par rapport à l’étude exégétique demandée
au temps de la formation. Le Synode a recommandé
que les séminaristes soient aidés concrètement
à voir la relation entre l’étude biblique et la prière
avec l’Écriture. Étudier les Écritures doit rendre
plus conscient du Mystère de la Révélation divine
et nourrir une attitude de réponse priante au Seigneur
qui parle. De même, une authentique vie
de prière ne pourra que faire grandir dans l’âme
du candidat le désir de connaître toujours plus le
Dieu qui s’est révélé dans sa Parole comme amour
infi ni. Par conséquent, on devra apporter le plus
grand soin à cultiver dans la vie des séminaristes
cette réciprocité entre étude et prière. Dans ce but, il
faut que les candidats soient initiés à une étude de
la Sainte Écriture par des méthodes qui en favorisent
une telle approche intégrale.
274 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. post-synodale Pastores
dabo vobis (25 mars 1992), n. 47 : AAS 84 (1992), p. 740-742.
140
c) Parole de Dieu et Vie consacrée
83. En ce qui concerne la Vie consacrée, le Synode
a rappelé avant tout qu’elle « naît de l’écoute
de la Parole de Dieu et accueille l’Évangile comme
règle de vie ».275 Vivre à la suite du Christ, chaste,
pauvre et obéissant, est ainsi une « “exégèse” vivante
de la Parole de Dieu ».276 L’Esprit Saint,
grâce auquel la Bible a été écrite, est le même Esprit
qui éclaire « d’une lumière nouvelle la Parole
de Dieu aux fondateurs et aux fondatrices. D’elle
tout charisme est né et d’elle, toute règle veut être
l’expression »,277 en donnant vie à des itinéraires
de vie chrétienne caractérisés par la radicalité
évangélique.
Je voudrais rappeler que la grande Tradition
monastique a toujours considéré la méditation
de l’Écriture Sainte comme un élément constitutif
de sa spiritualité propre, en particulier sous
la forme de la Lectio divina. Aujourd’hui encore,
les anciennes et nouvelles réalités de consécration
particulière sont appelées à être de véritables
écoles de vie spirituelle où les Écritures sont lues
selon l’Esprit Saint dans l’Église, afi n que tout le
275 Proposition 24.
276 BENOÎT XVI, Discours pour la XIe Journée mondiale de la
Vie consacrée, 2 février 2008: AAS 100 (2008) p. 133, L’ORf,
12 février 2008, p. 7 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. postsynodale
Vita consecrata (25 mars 1996), n. 82 : AAS 88 (1996),
pp. 458-460.
277 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE
ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, Instruction Repartir du
Christ : un engagement renouvelé de la Vie consacrée au troisième millénaire
(19 mai 2002), n. 24.
141
Peuple de Dieu puisse en bénéfi cier. Le Synode
recommande donc que dans les communautés de
Vie consacrée, ne manque jamais une formation
solide à la lecture croyante de la Bible.278
Je désire encore me faire l’interprète de la
sollicitude et de la gratitude que le Synode a exprimées
à l’égard des formes de vie contemplative
qui, en vertu de leur charisme spécifi que, consacrent
une grande partie de leurs journées à imiter
la Mère de Dieu, qui méditait assidûment les
paroles et les gestes de son Fils (cf. Lc 2, 19. 51),
et Marie de Béthanie qui, assise aux pieds du Seigneur,
écoutait sa parole (cf. Lc 10, 38). Ma pensée
se tourne en particulier vers les moines et moniales
cloîtrés qui, par leur séparation du monde,
se trouvent plus intimement unis au Christ, coeur
du monde. Plus que jamais, l’Église a besoin du
témoignage de ceux qui s’engagent à « ne rien préférer
à l’amour du Christ ».279 Le monde actuel est
souvent trop absorbé par les activités extérieures
dans lesquelles il risque de se perdre. Les contemplatifs
et les contemplatives, par leur vie de prière,
d’écoute et de méditation de la Parole de Dieu
nous rappellent que l’homme ne vit pas seulement
de pain mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu (cf. Mt 4, 4). Par conséquent, tous
les fi dèles doivent bien se souvenir qu’une telle
forme de vie « indique au monde d’aujourd’hui la
chose la plus importante, et c’est même en fi n de
278 Cf. Proposition 24
279 SAINT BENOÎT, Règle, IV, 21: SC 181, p. 456-458.
142
compte la seule chose décisive : il existe une ultime
raison pour laquelle il vaut la peine de vivre,
qui est Dieu et son amour impénétrable ».280
d) La Parole de Dieu et les fi dèles laïcs
84. Le Synode a très souvent tourné son attention
vers les fi dèles laïcs, les remerciant de leur
généreux engagement dans la diffusion de l’Évangile
dans les différents milieux de leur vie quotidienne,
au travail, à l’école, en famille et dans
l’éducation.281 Cette tâche, qui vient du Baptême,
doit pouvoir se développer à travers une vie chrétienne
toujours plus consciente, capable de rendre
raison de l’espérance qui est en nous (cf. 1 P 3,
15). Jésus, dans l’Évangile de Matthieu, indique que
« le champ c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fi ls du
Royaume » (13, 38). Ces paroles s’appliquent particulièrement
aux laïcs chrétiens qui vivent leur vocation
personnelle à la sainteté dans une existence
selon l’Esprit qui s’exprime « de façon particulière
dans leur insertion dans les réalités temporelles et dans
leur participation aux activités terrestres ».282 Ils ont besoin
d’être formés pour discerner la volonté de
Dieu grâce à une familiarité avec la Parole de Dieu,
lue et étudiée dans l’Église, sous la conduite des
Pasteurs légitimes. Ils peuvent tirer cette forma-
280 BENOÎT XVI, Discours aux moines dans l’abbaye de Heiligenkreuz
(9 septembre 2007), L’ORf, 18 septembre 2007, p. 14.
281 Cf. Proposition 30.
282 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. post-synodale Christifi -
deles laici (30 décembre 1988), n. 17 : AAS 81 (1989), p. 418.
143
tion des écoles de grandes spiritualités ecclésiales,
à la racine desquelles se trouve toujours l’Écriture
Sainte. Que selon leurs possibilités, les diocèses
eux-mêmes fassent, en ce sens, des offres de formation
aux laïcs ayant des responsabilités ecclésiales
particulières.283
e) La Parole de Dieu, le mariage et la famille
85. Le Synode a éprouvé la nécessité de souligner
aussi le rapport entre la Parole de Dieu, le
mariage et la famille chrétienne. En effet, « en
annonçant la Parole de Dieu, l’Église révèle à la
famille chrétienne sa véritable identité, autrement
dit ce qu’elle est et ce qu’elle doit être selon le dessein
du Seigneur ».284 Il faut donc ne jamais perdre
de vue que la Parole de Dieu est à l’origine du mariage
(cf. Gn 2, 24) et que Jésus lui-même a voulu inclure
le mariage parmi les institutions de son Royaume
(cf. Mt 19, 4-8), faisant un Sacrement de ce qui
était inscrit à l’origine dans la nature humaine.
« Dans la célébration sacramentelle, l’homme et
la femme prononcent une parole prophétique de
don mutuel, d’être “ une seule chair ”, signe du
Mystère de l’union du Christ et de l’Église (cf.
Ep 5, 31-32) ».285 La fi délité à la Parole de Dieu
amène également à constater qu’aujourd’hui cette
institution est attaquée sous de nombreux aspects
283 Cf. Proposition 33.
284 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre
1981), n. 49 : AAS 74 (1982), pp. 140-141.
285 Proposition 20.
144
par la mentalité ambiante. Face au désordre général
des sentiments et à l’apparition de modes
de pensée qui banalisent le corps humain et la
différence sexuelle, la Parole de Dieu réaffi rme la
bonté originelle de l’être humain, créé homme et
femme, et appelé à l’amour fi dèle, réciproque et
fécond.
Du grand Mystère nuptial, provient une incontournable
responsabilité des parents à l’égard de
leurs enfants. En effet, c’est à la paternité et à la maternité
vécues de façon authentique qu’il revient
de communiquer et de témoigner du sens de la vie
dans le Christ : à travers leur fi délité et l’unité de
la vie de famille, les époux sont pour leurs enfants
les premiers messagers de la Parole de Dieu. La
communauté ecclésiale doit les soutenir et les aider
à développer la prière en famille, l’écoute de la
Parole et la connaissance de la Bible. C’est pourquoi
le Synode souhaite que chaque foyer ait sa Bible
et la conserve dignement, afi n de pouvoir la lire
et l’utiliser dans la prière. L’aide nécessaire peut
être fournie par les prêtres, les diacres ou les laïcs
bien préparés. Le Synode a recommandé aussi la
création de petites communautés composées de
familles, où l’on pratique la prière et la méditation
commune de passages choisis des Écritures.286
Que les époux se rappellent, en outre, « que la Parole
de Dieu est aussi un précieux soutien dans les
diffi cultés de la vie conjugale et familiale ».287
Dans ce contexte, je désire souligner encore
ce que le Synode a recommandé au sujet de la tâche
286 Cf. Proposition 21.
287 Proposition 20.
145
des femmes à l’égard de la Parole de Dieu. La contribution
du « génie féminin » – comme l’appelait le
Pape Jean-Paul II,288 – à la connaissance de l’Écriture
et à la vie entière de l’Église, est plus grande
aujourd’hui que par le passé et touche aussi désormais
le domaine des études bibliques ellesmêmes.
Le Synode s’est arrêté en particulier sur le
rôle indispensable des femmes dans la famille et
dans l’éducation, dans la catéchèse, dans la transmission
des valeurs. En effet, elles « savent susciter
l’écoute de la Parole, la relation personnelle
avec Dieu et transmettre le sens du pardon et du
partage évangélique »,289 comme elles savent aussi
être porteuses d’amour, modèles de miséricorde
et artisans de paix, communicatrices de chaleur
et d’humanité dans un monde qui, trop souvent,
juge les personnes selon les critères froids de l’exploitation
et du profi t.
La lecture orante de la Sainte Écriture et la ‘Lectio divina’
86. Le Synode a insisté à plusieurs reprises sur
l’exigence d’une approche priante du texte sacré
comme élément fondamental de la vie spirituelle
de tout croyant, dans les divers ministères et états
de vie, en se référant notamment à la Lectio divina.
290 La Parole de Dieu est, en effet, à la base
de toute spiritualité chrétienne authentique. Les
288 Cf. Lett. apost. Mulieris dignitatem (15 août 1988), n. 31 :
AAS 80 (1988), p. 1727-1729.
289 Proposition 17.
290 Cf. Propositions 9 et 22.
146
Pères synodaux se sont ainsi mis en syntonie avec
ce qu’affi rme la Constitution dogmatique Dei Verbum
: « Que les fi dèles (…) approchent de tout leur
coeur le texte sacré lui-même, soit par la sainte liturgie,
qui est remplie des paroles divines, soit par
une pieuse lecture, soit par des cours faits pour
cela ou par d’autres méthodes qui, avec l’approbation
et le soin qu’en prennent les Pasteurs de
l’Église, se répandent de manière louable partout
de notre temps. Mais la prière – qu’on se le rappelle
– doit accompagner la lecture de la Sainte
Écriture ».291 La réfl exion conciliaire entendait
reprendre la grande Tradition patristique qui a
toujours recommandé d’approcher l’Écriture en
établissant un dialogue avec Dieu. Comme le dit
saint Augustin : « Ta prière est ta parole adressée à
Dieu. Quand tu lis, c’est Dieu qui te parle ; quand
tu pries, c’est toi qui parles avec Dieu ».292 Origène,
l’un des maîtres de cette lecture de la Bible,
soutient que l’intelligence des Écritures demande,
plus encore que l’étude, l’intimité avec le Christ
et la prière. Il est convaincu, en effet, que la voie
privilégiée pour connaître Dieu est l’amour, et que
l’on n’acquiert pas une authentique scientia Christi
sans s’éprendre de Lui. Dans la Lettre à Grégoire,
le grand théologien d’Alexandrie recommande :
« Applique-toi principalement à la lecture des divines
Écritures : applique-toi bien à cela (…) En
t’appliquant à les lire avec l’intention de croire et
291 N. 25.
292 Enarrationes in Psalmos 85, 7 : CCL 39, 1177.
147
de plaire à Dieu, frappe, dans ta lecture, à la porte
de ce qui est fermé, et il t’ouvrira, le portier dont
Jésus a dit : “À celui-là le portier ouvre”. En t’appliquant
à cette divine lecture, cherche avec droiture
et avec une confi ance inébranlable en Dieu le
sens des divins Écrits, caché au grand nombre. Ne
te contente pas de frapper et de chercher, car il est
absolument nécessaire de prier pour comprendre
les choses divines. C’est pour nous y exhorter que
le Sauveur a dit non seulement : “Frappez et l’on
vous ouvrira” et “Cherchez et vous trouverez”,
mais aussi : “Demandez et l’on vous donnera” ».293
Toutefois, à ce propos, il faut éviter le risque
d’une approche individualiste, en se rappelant que la
Parole de Dieu nous est précisément donnée pour
construire la communion, pour nous unir dans la
vérité durant notre marche vers Dieu. C’est une
Parole qui s’adresse à chacun personnellement,
mais c’est aussi une Parole qui construit la communauté,
qui construit l’Église. C’est pourquoi le
texte sacré doit toujours être abordé dans la communion
ecclésiale. En effet, « il est très important d’effectuer
une lecture communautaire (…), car le sujet vivant
de l’Écriture Sainte c’est le Peuple de Dieu, c’est
l’Église. (…) L’Écriture n’appartient pas au passé,
car son sujet, le Peuple de Dieu inspiré par Dieu
lui-même, est toujours le même, et la Parole est
donc toujours vivante dans le sujet vivant. C’est
pourquoi il est important de lire l’Écriture Sainte
et d’entendre l’Écriture Sainte dans la commu-
293 ORIGÈNE, Epistola ad Gregorium, 3 : PG 11, 92.
148
nion de l’Église, c’est-à-dire avec tous les grands
témoins de cette Parole, en commençant par les
premiers Pères jusqu’aux saints d’aujourd’hui,
jusqu’au Magistère actuel ».294
Par conséquent, dans la lecture orante de
l’Écriture Sainte, le lieu privilégié est la liturgie, l’Eucharistie
en particulier, durant laquelle, en célébrant
le Corps et le Sang du Christ présent dans
le Sacrement, se rend présente parmi nous la
Parole elle-même. En un certain sens, la lecture
priante, personnelle et communautaire, doit toujours
être vécue en relation avec la célébration
eucharistique. Comme l’adoration eucharistique
prépare, accompagne et continue la célébration
eucharistique,295de même la lecture priante, personnelle
et communautaire, prépare, accompagne
et approfondit ce que l’Église célèbre en proclamant
la Parole, dans le cadre liturgique. En mettant
en aussi étroite relation Lectio et liturgie, on
peut mieux saisir les critères qui doivent guider
cette lecture dans le contexte de la pastorale et de
la vie spirituelle du Peuple de Dieu.
87. Dans les documents qui ont préparé et accompagné
le Synode, on a parlé de diverses méthodes
pour approcher avec fruit et dans la foi
les Écritures Saintes. Toutefois, l’attention la plus
grande a été portée sur la Lectio divina, qui « est
294 BENOÎT XVI, Discours au grand Séminaire pontifi cal romain
(17 février 2007) : AAS 99 (2007), p. 254, L’ORf, 27 février
2007, p. 3.
295 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis, n. 66 : AAS 99 (2007), pp. 155-156.
149
capable d’ouvrir au fi dèle le trésor de la Parole
de Dieu, et de provoquer ainsi la rencontre avec
le Christ, Parole divine vivante. ».296 Je voudrais
rappeler brièvement ici ses étapes fondamentales :
elle s’ouvre par la lecture (lectio) du texte qui provoque
une question portant sur la connaissance
authentique de son contenu : que dit en soi le texte
biblique ? Sans cette étape, le texte risquerait de devenir
seulement un prétexte pour ne jamais sortir
de nos pensées. S’en suit la méditation (meditatio)
qui pose la question suivante : que nous dit le texte
biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi
en tant que réalité communautaire, doit se laisser
toucher et remettre en question, car il ne s’agit
pas de considérer des paroles prononcées dans
le passé mais dans le présent. L’on arrive ainsi à
la prière (oratio) qui suppose cette autre question :
que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? La
prière comme requête, intercession, action de
grâce et louange, est la première manière par laquelle
la Parole nous transforme. Enfi n, la Lectio
divina se termine par la contemplation (contemplatio),
au cours de laquelle nous adoptons, comme
don de Dieu, le même regard que lui pour juger la
réalité, et nous nous demandons : quelle conversion
de l’esprit, du coeur et de la vie le Seigneur nous demandet-
il ? Saint Paul, dans la Lettre aux Romains affi rme :
« Ne prenez pas pour modèle le monde présent,
mais transformez-vous en renouvelant votre façon
de penser pour savoir reconnaître quelle est
296 Message fi nal, n. 9.
150
la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable
de lui plaire, ce qui est parfait » (12, 2). La
contemplation, en effet, tend à créer en nous une
vision sapientielle de la réalité, conforme à Dieu,
et à former en nous « la pensée du Christ » (1 Co
2, 16). La Parole de Dieu se présente ici comme
un critère de discernement : « elle est vivante, (…)
énergique et plus coupante qu’une épée à deux
tranchants ; elle pénètre au plus profond de l’âme,
jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles ; elle juge
des intentions et des pensées du coeur » (He 4, 12).
Il est bon, ensuite, de rappeler que la Lectio divina
ne s’achève pas dans sa dynamique tant qu’elle ne
débouche pas dans l’action (actio), qui porte l’existence
croyante à se faire don pour les autres dans
la charité.
Ces étapes se trouvent synthétisées et résumées
de manière sublime dans la fi gure de la Mère
de Dieu, modèle pour tous les fi dèles de l’accueil
docile de la Parole divine. Elle « conservait avec soin
toutes ces choses, en les méditant dans son coeur » (Lc 2, 19 ;
cf. 2, 51), elle savait trouver le lien profond qui unit
les événements, les faits et les réalités, apparemment
disjoints, dans le grand dessein de Dieu.297
Je voudrais rappeler en outre ce qui a été recommandé
durant le Synode en ce qui concerne
l’importance de la lecture personnelle de l’Écriture,
aussi comme pratique pénitentielle, qui
prévoit la possibilité, selon les dispositions habituelles
de l’Église, d’acquérir l’indulgence, pour
297 Cf. Message fi nal, n. 9.
151
soi ou pour les défunts.298 La pratique de l’indulgence299
implique la doctrine des mérites infi nis
du Christ – que l’Église, comme Ministre de la
Rédemption, dispense et applique, mais implique
également celle de la communion des saints et
nous dit « combien nous sommes unis intimement
dans le Christ les uns avec les autres et combien
la vie surnaturelle de chacun peut bénéfi cier
aux autres ».300 Dans cette perspective, la lecture
de la Parole de Dieu nous soutient dans notre itinéraire
de pénitence et de conversion, nous permet
d’approfondir le sens de notre appartenance
ecclésiale et nous soutient dans une familiarité
plus grande avec Dieu. Comme l’affi rmait saint
Ambroise : lorsque nous prenons en main avec
foi les Écritures Saintes et les lisons avec l’Église,
l’homme revient se promener avec Dieu dans le
paradis.301
La Parole de Dieu et la prière mariale
88. Rappelant le lien indissociable entre la Parole
de Dieu et Marie de Nazareth, j’invite, en
298 « Plenaria indulgentia conceditur christifi deli qui Sacram
Scripturam, iuxta textum a competenti auctoritate adprobatum,
cum veneratione divino eloquio debita et ad modum lectionis
spritalis, per dimidiam saltem horam legerit ; si per minus
tempus id egerit indulgentia erit partialis » : PÉNITENCERIE APOSTOLIQUE,
Enchiridion Indulgentiarum (16 juillet 1999), Alie concessiones,
30, § 1.
299 Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1471-1479.
300 PAUL VI, Const. apost. Indulgentiarum doctrina (1 janvier
1967): AAS 59 (1967), 18-19.
301 Cf. Epistula 49, 3 : PL 16, 1204.
152
union avec les Pères synodaux, à promouvoir parmi
les fi dèles, surtout dans leur vie de famille, les
prières mariales comme une aide pour méditer les
saints Mystères racontés par l’Écriture. Un moyen
très utile est, par exemple, la récitation personnelle
ou communautaire du saint Rosaire,302 qui reprend
avec Marie les Mystères de la vie du Christ,303 que
le Pape Jean-Paul II a voulu enrichir avec les Mystères
lumineux.304 Il est opportun que l’énonciation
des différents Mystères soit accompagnée de
brefs passages de la Bible relatifs au Mystère annoncé,
afi n de favoriser la mémorisation de certaines
expressions signifi catives de l’Écriture relatives
aux Mystères de la vie du Christ.
Par ailleurs, le Synode a recommandé d’encourager
parmi les fi dèles la récitation de la prière
de l’Angelus Domini. Il s’agit d’une prière simple
et profonde qui, en union avec la Mère de Dieu,
nous permet de nous « remémorer chaque jour
le Mystère du Verbe incarné ».305 Il est opportun
que le Peuple de Dieu, les familles et les communautés
de personnes consacrées soient fi dèles
à cette prière mariale que la Tradition nous invite
à réciter à l’aurore, à midi et au coucher du
soleil. Dans la prière de l’Angelus Domini, nous
302 Cf. CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Directoire sur la piété populaire et la liturgie,
Principes et orientations (9 avril 2002), nn. 197-202. Ench. Vat. 20,
n. 2638-2643.
303 Cf. Proposition 55.
304 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. apost. Rosarium Virginis Mariae
(16 octobre 2002) : AAS 95 (2003), pp. 5-36.
305 Proposition 55.
153
demandons à Dieu, par l’intercession de Marie,
qu’il nous soit donné d’accomplir comme elle la
volonté de Dieu et d’accueillir en nous sa Parole.
Cette pratique peut nous aider à approfondir en
nous un authentique amour pour le Mystère de
l’Incarnation.
Diverses prières anciennes de l’Orient chrétien
qui, par leur référence à la Theotokos, à la Mère
de Dieu, retracent toute l’histoire du salut, méritent
d’être connues, appréciées et répandues aussi.
Nous pensons en particulier à l’Akathistos et à
la Paraklesis. Il s’agit d’hymnes de louange chantés
sous forme de litanies, imprégnés de la foi ecclésiale
et de références bibliques, qui aident les fi -
dèles à méditer avec Marie les Mystères du Christ.
En particulier, l’hymne sacré à la Mère de Dieu,
dit Akathistos – c’est-à-dire que l’on chante debout
–, représente l’une des expressions les plus
élevées de la piété mariale de la Tradition byzantine.
306 Prier en utilisant ces mots dilate l’âme et
la dispose à la paix qui vient d’en-haut, de Dieu, à
cette paix qui est le Christ lui-même, né de Marie
pour notre salut.
La Parole de Dieu et la Terre Sainte
89. En nous souvenant du Verbe de Dieu qui
se fait chair dans le sein de Marie de Nazareth,
306 Cf. CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Directoire sur la piété populaire et la liturgie,
Principes et orientations (9 avril 2002), n. 207 ; Ench. Vat. 20,
n. 2656-2657.
154
notre coeur se tourne, à présent, vers cette Terre
où s’est accompli le Mystère de notre Rédemption
et depuis laquelle la Parole de Dieu s’est répandue
jusqu’aux confi ns de la terre. En effet, par l’action
de l’Esprit Saint, le Verbe s’est incarné en un moment
précis et en un lieu déterminé, sur un coin de
terre aux confi ns de l’empire romain. C’est pourquoi,
plus nous voyons l’universalité et l’unicité de
la Personne du Christ, plus nous considérons avec
gratitude cette Terre où Jésus est né, a vécu et
s’est donné lui-même pour nous tous. Les pierres
sur lesquelles notre Rédempteur a marché demeurent
pour nous riches de souvenirs et continuent
à « crier » la Bonne Nouvelle. C’est pourquoi les
Pères synodaux ont rappelé l’heureuse expression
qui désigne la Terre Sainte, « le cinquième
Évangile ».307 Combien il est important qu’en ces
lieux se trouvent des communautés chrétiennes,
malgré les nombreuses diffi cultés ! Le Synode des
Évêques exprime sa profonde proximité à tous les
chrétiens qui vivent sur la Terre de Jésus, en témoignant
leur foi dans le Ressuscité. Là, les chrétiens
sont appelés à servir non seulement comme
« un phare de la foi pour l’Église universelle, mais
aussi comme un levain d’harmonie, de sagesse et
d’équilibre dans la vie d’une société qui, traditionnellement,
a été et continue d’être pluraliste, multiethnique
et multi-religieuse ».308
307 Cf. Proposition 51.
308 BENOÎT XVI, Homélie de la messe dans la Vallée de Josaphat,
Jérusalem (12 mai 2009) : AAS 101 (2009), p. 473, L’ORf, 19 mai
2009, p. 12.
155
La Terre Sainte reste encore aujourd’hui un
but de pèlerinage du Peuple chrétien, comme
démarche de prière et de pénitence, ainsi qu’en
témoignaient, déjà dans l’antiquité, des auteurs
comme saint Jérôme.309 Plus nous tournons notre
regard et notre coeur vers la Jérusalem terrestre,
plus s’embrasent en nous le désir de la Jérusalem
céleste, véritable but de tout pèlerinage, et la passion
pour que le nom de Jésus, en qui seul réside
le salut, soit reconnu par tous (cf. Ac 4, 12).
309 Cf. Epistula 108, 14 : CSEL 55, 324-325.

TROISIÈME PARTIE
VERBUM PRO MUNDO
« Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique,
qui est tourné vers le sein du Père,
lui l’a fait connaître »
( Jn 1,18)

159
LA MISSION DE L’ÉGLISE :
ANNONCER LA PAROLE DE DIEU
La Parole du Père et vers le Père
90. Saint Jean insiste sur le paradoxe fondamental
de la foi chrétienne : d’une part, il affi rme que
« Nul n’a jamais vu Dieu » (Jn 1, 18 ; 1 Jn 4, 12).
En aucune manière, nos images, nos concepts
ou nos mots ne peuvent défi nir ou mesurer la
réalité infi nie du Très-Haut. Il reste le Deus semper
maior. D’autre part, Jean affi rme que réellement
« le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Le Fils
unique qui est tourné vers le sein du Père, a révélé
le Dieu que « personne n’a jamais vu » (Jn 1, 18).
Jésus-Christ vient chez nous, « plein de grâce et
de vérité » (Jn 1, 14) qui à travers lui nous sont
données (Jn 1, 17) ; en effet, « tous nous avons eu
part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après
grâce » (Jn 1, 16). De cette manière, l’évangéliste
Jean, dans son Prologue, contemple le Verbe, de
son habitation en Dieu à son Incarnation, jusqu’à
son retour dans le sein du Père, emportant avec
lui notre humanité qu’il a assumée pour toujours.
Par cette sortie du Père et par ce retour à lui
(cf. Jn 13, 3 ; 16, 28 ; 17, 8.10), il se présente à nous
comme le ‘Narrateur’ de Dieu (cf. Jn 1, 18). Le
160
Fils, en effet, affi rme saint Irénée de Lyon, « est le
Révélateur du Père ».310 Jésus de Nazareth est, pour
ainsi dire, l’‘exégète’ de Dieu que « personne n’a jamais
vu ». « Il est l’image du Dieu invisible » (Col 1,
15). Ici, s’accomplit la prophétie d’Isaïe sur l’effi -
cacité de la Parole du Seigneur : comme la pluie et
la neige qui descendent des cieux pour irriguer et
faire germer la terre, ainsi la Parole de Dieu « ne me
reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je
veux, sans avoir accompli ma mission » (Is 55, 10s).
Jésus-Christ est cette Parole défi nitive et effi cace
qui est venue du Père et qui est retournée à Lui, en
réalisant parfaitement sa volonté dans le monde.
Annoncer au monde le « Logos » de l’espérance
91. Le Verbe de Dieu nous a communiqué la vie
divine qui transfi gure la face de la terre, faisant
toutes choses nouvelles (cf. Ap 21, 5). Sa Parole
fait de nous non seulement les destinataires de la
Révélation divine, mais aussi ses messagers. Lui,
l’envoyé du Père pour faire sa volonté (Jn 5, 36-
38 ; 6, 38-40 ; 7, 16-18), nous attire à lui-même par
sa vie et par sa mission. L’Esprit du Ressuscité
habilite ainsi notre vie à l’annonce effi cace de la
Parole dans le monde entier. C’est l’expérience
de la première communauté chrétienne qui voyait
la Parole se répandre grâce à la prédication et au
témoignage (cf. Ac 6, 7). Je voudrais ici me référer
particulièrement à la vie de l’Apôtre Paul, un
homme totalement saisi par le Seigneur (cf. Ph 3,
310 Adversus haereses, IV, XX, 20, 7 : SC 100, pp. 646-7.
161
12) – « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ
qui vit en moi » (Ga 2, 20) – et par sa mission :
« malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile »
(1 Co 9,16), conscient que tout ce qui est révélé
dans le Christ, est réellement le salut de tous les
Gentils, la libération de l’esclavage du péché pour
entrer dans la liberté des fi ls de Dieu.
En effet, ce que l’Église annonce au monde
est le Logos de l’espérance (cf. 1 P 3, 15) ; l’homme
a besoin de la ‘grande Espérance’ pour vivre
son présent, la grande Espérance qui est « Dieu
qui possède un visage humain et qui nous ‘aima
jusqu’à la fi n’ (Jn 13, 1) ».311 Pour cette raison,
l’Église est missionnaire dans son essence. Nous
ne pouvons pas garder pour nous-mêmes les paroles
de la vie éternelle, qui nous ont été données
dans la rencontre avec Jésus-Christ : elles sont
destinées à tous, à tout homme. Toute personne
de notre temps, qu’elle le sache ou non, a besoin
de cette annonce. Puisse le Seigneur lui-même,
comme au temps du prophète Amos, susciter
dans les hommes une faim et une soif nouvelles
des paroles du Seigneur (cf. Am 8, 11). Notre responsabilité
est de transmettre à notre tour ce que
nous avons reçu par grâce.
De la Parole de Dieu, vient la mission de l’Église
92. Le Synode des Évêques a insisté sur la nécessité
de redonner vigueur dans l’Église à la
311 BENOÎT XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007),
n. 31 : AAS, 99 (2007), p. 1010.
162
conscience missionnaire, présente au sein du
Peuple de Dieu depuis ses origines. Les premiers
Chrétiens ont considéré l’annonce missionnaire
comme une nécessité dérivant de la nature même
de la foi : ils croyaient en un Dieu qui était le Dieu
de tous, l’unique et vrai Dieu qui s’était révélé
dans l’histoire d’Israël et, fi nalement, en son Fils,
donnant ainsi la réponse qu’au fond d’eux-mêmes
tous les hommes attendent. Les premières communautés
chrétiennes ont compris que leur foi
n’appartenait pas à une tradition culturelle particulière
– distincte suivant les peuples –, mais au
domaine de la vérité, qui concerne de manière
égale tous les hommes.
C’est encore saint Paul qui, par sa vie, nous
éclaire sur le sens de la mission chrétienne et sur
son universalité originelle. Pensons à l’épisode des
Actes des Apôtres sur l’Aréopage d’Athènes (cf. 17,
16-34). L’Apôtre des Gentils entre en dialogue
avec des hommes de cultures diverses, en étant
conscient que le Mystère de Dieu, Connu-Inconnu,
dont chaque homme a la perception, quoique
confuse, s’est réellement révélé dans l’histoire : « ce
que vous vénérez sans le connaître, voilà ce que, moi, je viens
vous annoncer » (Ac 17, 23). En effet, la nouveauté
de l’annonce chrétienne est la possibilité de dire
à tous les peuples : « Il s’est montré, lui personnellement.
Et à présent, le chemin qui mène à lui
est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne
ne réside pas dans une pensée, mais dans un fait :
Dieu s’est révélé ».312
312 BENOÎT XVI, Discours aux hommes de culture au Collège des
Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008), p. 730.
163
La Parole et le Règne de Dieu
93. Par conséquent, la mission de l’Église ne
peut être considérée comme une réalité facultative
ou optionnelle de la vie ecclésiale. Il s’agit de laisser
l’Esprit Saint nous confi gurer au Christ même,
en participant ainsi à sa mission : « de même que
le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie »
(Jn 20, 21), de manière à communiquer la Parole
par toute notre vie. La Parole elle-même, nous envoie
vers nos frères : c’est la Parole qui illumine,
purifi e et convertit ; nous ne sommes, nous, que
des serviteurs.
Il est nécessaire donc, de redécouvrir toujours
davantage l’urgence et la beauté d’annoncer
la Parole, en vue de l’avènement du Règne de
Dieu prêché par le Christ lui-même. En ce sens,
renouvelons en nous la conscience, combien familière
chez les Pères de l’Église, que l’annonce
de la Parole a comme contenu le Règne de Dieu
(cf. Mc 1, 14-15), qui est la personne même de Jésus
(l’Autobasileia) comme le rappelle bien Origène.313
Le Seigneur offre le salut à tous les hommes de
toute époque. Nous comprenons tous combien
il est nécessaire que la lumière du Christ illumine
tous les domaines de l’humanité : la famille,
l’école, la culture, le travail, le temps libre et les
autres secteurs de la vie sociale.314 Il ne s’agit pas
313 Cf. In Evangelium secundum Mattheum 17, 7 : PG 13,
1197B ; Hom in Lc 36 : PL 26,324; S. JÉRÔME : Translatio homiliarum
Origenis in Lucam, 36 : PL 26, 324-325.
314 Cf. BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de l’ouverture
de la XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques
(5 octobre 2008) : AAS 100 (2008), p. 757 : La DC n. 2411, p. 948.
164
d’annoncer une parole de consolation, mais une
parole de rupture qui invite à la conversion, qui
rend possible la rencontre avec Dieu, germe d’une
humanité nouvelle.
Tous les baptisés responsables de l’annonce
94. Puisque tout le Peuple de Dieu est un peuple
« envoyé », le Synode a réaffi rmé que « la mission
d’annoncer la Parole de Dieu est le devoir de tous
les disciples de Jésus-Christ, comme conséquence
de leur Baptême ».315 Aucun croyant dans le Christ
ne peut se sentir étranger à cette responsabilité
qui provient de l’appartenance sacramentelle au
Corps du Christ. Cette conscience doit être réveillée
dans chaque famille, paroisse, communauté,
association et mouvement ecclésial. L’Église,
comme Mystère de communion, est donc tout
entière missionnaire et chacun, selon son état de
vie, est appelé à donner une contribution décidée
à l’annonce chrétienne.
Les Évêques et les prêtres, selon la mission qui
est la leur, sont appelés les premiers à une existence
liée par le service de la Parole, à annoncer
l’Évangile, à célébrer les Sacrements et à former
les fi dèles dans la connaissance authentique des
Écritures. Les diacres sont aussi appelés à collaborer,
selon la mission qui leur est propre, à cette
oeuvre d’Évangélisation.
La Vie consacrée brille dans toute l’histoire de
l’Église par la capacité d’assumer explicitement
315 Proposition 38.
165
la tâche de l’annonce et de la prédication de la
Parole de Dieu, dans la mission ad gentes et dans
les situations les plus diffi ciles. Attentive aussi
aux nouvelles conditions de l’Évangélisation, elle
ouvre avec courage et audace de nouvelles voies
et relève de nouveaux défi s pour l’annonce effi -
cace de la Parole de Dieu.316
Les laïcs sont appelés à exercer leur mission
prophétique, qui découle directement de leur
Baptême, et à témoigner de l’Évangile dans la
vie quotidienne partout où ils se trouvent. À ce
propos, les Pères synodaux ont exprimé « la plus
vive estime, la reconnaissance et les encouragements
pour le service de l’Évangélisation que
tant de laïcs, en particulier les femmes, offrent
avec générosité et esprit d’engagement, dans les
communautés dispersées à travers le monde, à
l’exemple de Marie-Madeleine, premier témoin de
la joie pascale ».317 En outre, le Synode reconnaît
avec gratitude que les mouvements ecclésiaux et
les communautés nouvelles sont, dans l’Église,
une grande force pour l’Évangélisation en notre
temps, poussant l’Église à développer de nouvelles
formes d’annonce de l’Évangile.318
316 Cf. CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE
ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, Repartir du Christ : un
engagement renouvelé de la Vie Consacrée pour le 3ème millénaire, n. 36 :
Ench. Vat. 21, n. 488-491.
317 Proposition 30.
318 Cf. Proposition 38.
166
La nécessité de la « missio ad gentes »
95. En exhortant tous les fi dèles à l’annonce
de la Parole divine, les Pères synodaux ont réaffi
rmé la nécessité pour notre temps d’un engagement
décidé dans la « missio ad gentes » En aucune
façon, l’Église ne peut se limiter à une pastorale
de l’« entretien » en faveur de ceux qui connaissent
déjà l’Évangile du Christ. L’élan missionnaire est
un signe clair de la maturité d’une communauté
ecclésiale. Les Pères ont, en outre, exprimé avec
force la conscience que la Parole de Dieu est la
vérité salvatrice dont chaque homme a besoin en
tout temps. À cette fi n, l’annonce doit être explicite.
L’Église doit aller vers tous avec la force de
l’Esprit (cf. 1 Co 2, 5), et continuer de manière
prophétique à défendre le droit des personnes à la
liberté d’entendre la Parole de Dieu, en cherchant
les moyens les plus effi caces pour la proclamer,
même au risque de la persécution.319 L’Église se
sent débitrice envers tous de l’annonce de la Parole
qui sauve (cf. Rm 1, 14).
Annonce et Nouvelle Évangélisation
96. Le Pape Jean-Paul II, dans le sillage de ce
que le Pape Paul VI avait déjà exprimé dans l’Exhortation
apostolique Evangelii nuntiandi, a rappelé
de bien des façons aux fi dèles la nécessité d’une
nouvelle saison missionnaire pour tout le Peuple
319 Cf. Proposition 49.
167
de Dieu.320 À l’aube du troisième millénaire, non
seulement tant de peuples ne connaissent pas encore
la Bonne Nouvelle, mais tant de Chrétiens
ont besoin que leur soit ré-annoncée de façon
persuasive la Parole de Dieu, afi n qu’ils puissent
expérimenter concrètement la force de l’Évangile.
Beaucoup de frères sont « baptisés mais pas suffi
samment évangélisés ».321 Souvent des nations,
auparavant riches de foi et de vocations, perdent
leur propre identité sous l’infl uence d’une culture
sécularisée.322 L’exigence d’une Nouvelle Évangélisation,
ressentie avec tant de force par mon
vénérable Prédécesseur, doit être réaffi rmée sans
peur, dans la certitude de l’effi cacité de la Parole
divine. L’Église, sûre de la fi délité de son Seigneur,
ne se lasse pas d’annoncer la Bonne Nouvelle de
l’Évangile et invite tous les Chrétiens à redécouvrir
combien il est beau de marcher à la suite du
Christ.
Parole de Dieu et témoignage chrétien
97. Les horizons immenses de la mission ecclésiale,
la complexité de la situation présente
320 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Redemptoris missio (7 décembre
1990) : AAS 83 (1991), pp. 149-340 ; et ID., Lett. apost.
Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. 40 : AAS 93 (2001),
pp. 294-295.
321 Proposition 38.
322 Cf. BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de l’ouverture de
la XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques
(5 octobre 2008) : AAS 100 (2008), pp. 753-757 ; L’ORf, 7 octobre
2008, pp. 1 et 9.
168
demandent aujourd’hui des modalités nouvelles
pour communiquer de façon effi cace la Parole de
Dieu. L’Esprit Saint, premier agent de toute Évangélisation,
ne manquera jamais de guider l’Église
du Christ dans cette action. Il est important toutefois
que chaque forme d’annonce soit structurée
par la relation intrinsèque entre communication de la
Parole de Dieu et témoignage chrétien. De cela dépend
la crédibilité même de l’annonce. D’une part, la
Parole est nécessaire pour communiquer ce que
le Seigneur lui-même nous a dit ; d’autre part, il
est indispensable de donner crédibilité à cette Parole
par le témoignage afi n qu’elle n’apparaisse
pas comme une belle philosophie ou une utopie,
mais plutôt comme une réalité que l’on peut vivre
et qui fait vivre. Cette réciprocité entre Parole et
témoignage rappelle la manière par laquelle Dieu
lui-même s’est communiqué dans l’Incarnation de
son Verbe. La Parole de Dieu rejoint les hommes
« à travers la rencontre avec des témoins qui la
rendent présente et vivante ».323 En particulier, les
nouvelles générations ont besoin d’être initiées à
la Parole de Dieu « à travers la rencontre et le témoignage
authentique de l’adulte, l’infl uence positive
des amis et la grande compagnie de la communauté
ecclésiale ».324
Il y a un rapport étroit entre le témoignage
de l’Écriture, comme attestation que la Parole de
Dieu donne d’elle-même, et le témoignage de vie
323 Proposition 38.
324 Message fi nal, n. 12.
169
des croyants. L’un implique l’autre et y conduit.
Le témoignage chrétien communique la Parole
attestée dans les Écritures. Les Écritures, à leur
tour, expliquent le témoignage que les Chrétiens
sont appelés à donner dans leur propre vie. Ceux
qui rencontrent des témoins crédibles de l’Évangile
sont ainsi amenés à constater l’effi cacité de la
Parole de Dieu en ceux qui l’accueillent.
98. Dans ce va-et-vient entre le témoignage et
la Parole, nous comprenons l’affi rmation du Pape
Paul VI dans l’Exhortation apostolique Evangelii
nuntiandi. Notre responsabilité ne se limite pas à
proposer au monde des valeurs communes ; il
faut arriver à l’annonce explicite de la Parole de
Dieu. C’est seulement ainsi que nous serons fi -
dèles à la mission du Christ : « La Bonne Nouvelle,
proclamée par le témoignage de la vie, devra donc
être tôt ou tard proclamée par la Parole de vie. Il
n’y a pas d’Évangélisation vraie si le nom, l’enseignement,
la vie, les promesses, le Règne, le Mystère
de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, ne sont
pas annoncés ».325
Le fait que l’annonce de la Parole de Dieu
demande le témoignage de la vie personnelle est
bien présent dans la conscience chrétienne depuis
l’origine. Le Christ lui-même est le témoin fi dèle
et vrai (cf. Ap 1, 5 ; 3, 14), témoin de la vérité
(cf. Jn 18, 37). Je voudrais ici me faire le porteparole
des innombrables témoignages que nous
325 PAUL VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre
1975), n. 22: AAS 68 (1976), p. 20.
170
avons eu la grâce d’entendre durant l’Assemblée
synodale. Nous avons été profondément touchés
par les récits de ceux qui ont su vivre leur foi et
donner un témoignage lumineux de l’Évangile y
compris sous des régimes hostiles au Christianisme
ou dans des situations de persécution.
Tout ceci ne doit pas nous faire peur. Jésus a
dit lui-même à ses disciples « Le serviteur n’est pas
plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté,
on vous persécutera, vous aussi » (Jn 15, 20). Je
désire donc élever vers Dieu avec toute l’Église
un hymne de louange pour le témoignage de tant
de frères et soeurs qui, encore à notre époque,
ont donné leur vie pour communiquer la vérité
de l’amour de Dieu révélé dans le Christ crucifi é
et ressuscité. J’exprime également la gratitude de
toute l’Église aux Chrétiens qui ne capitulent pas
devant les obstacles et les persécutions à cause de
l’Évangile. En même temps, nous nous tournons
avec une affection profonde et solidaire vers les fi -
dèles de toutes ces communautés chrétiennes, en
Asie et en Afrique en particulier, qui, aujourd’hui,
risquent leur vie ou la marginalisation sociale à
cause de la foi. Nous voyons ainsi réalisé l’esprit
des Béatitudes de l’Évangile pour ceux qui sont
persécutés à cause du Seigneur Jésus (cf. Mt 5, 11).
En même temps, nous ne cessons pas d’élever
notre voix pour que les gouvernants des nations
garantissent à tous la liberté de conscience et de
religion, tout comme celle de pouvoir témoigner
publiquement de sa propre foi.326
326 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Déclaration sur la liberté
religieuse Dignitatis humanae, nn. 2.7.
171
PAROLE DE DIEU ET ENGAGEMENT DANS LE MONDE
Servir Jésus dans ces « petits qui sont ses frères »
(cf. Mt 25, 40)
99. La Parole divine éclaire l’existence humaine
et appelle la conscience de chacun à revoir en profondeur
sa propre vie, car toute l’histoire de l’humanité
est soumise au jugement de Dieu : « Quand
le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous
les anges avec lui, alors il siégera sur son trône
de gloire. Toutes les nations seront rassemblées
devant lui » (Mt 25, 31-32). À notre époque, nous
considérons souvent, de manière superfi cielle, la
valeur de l’instant qui passe, comme s’il était sans
importance pour l’avenir. Au contraire, l’Évangile
nous rappelle que chaque instant de notre existence
est important et doit être vécu avec intensité,
sachant que chacun devra rendre compte de sa
propre vie. Au chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu,
le Fils de l’Homme juge comme fait ou comme
n’étant pas fait envers lui, ce que nous aurons
fait ou n’aurons pas fait à un seul de ces « petits
qui sont mes frères » (25, 40.45) : « J’avais faim, et
vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous
m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous
m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison,
et vous êtes venus jusqu’à moi » (25, 35-36).
C’est donc la Parole de Dieu elle-même qui nous
rappelle la nécessité de notre engagement dans
le monde et notre responsabilité face au Christ,
Seigneur de l’Histoire. En annonçant l’Évangile,
172
encourageons-nous les uns les autres à accomplir
le bien et à agir pour la justice, la réconciliation et
la paix.
La Parole de Dieu et l’engagement dans la société en faveur
de la justice
100. La Parole de Dieu pousse l’homme à des
relations animées par la droiture et par la justice ;
elle atteste la valeur précieuse, face à Dieu, de tous
les efforts de l’homme pour rendre le monde plus
juste et plus habitable.327 C’est la Parole de Dieu
elle-même qui dénonce sans ambiguïté les injustices
et qui promeut la solidarité et l’égalité.328 À
la lumière des paroles du Seigneur, reconnaissons
donc « les signes des temps » présents dans l’histoire,
ne refusons pas de nous engager en faveur de
ceux qui souffrent et sont victimes de l’égoïsme.
Le Synode a rappelé que s’engager pour la justice
et la transformation du monde est une exigence
constitutive de l’Évangélisation. Comme le disait
le Pape Paul VI, il s’agit « d’atteindre et comme de
bouleverser par la force de l’Évangile les critères
de jugement, les valeurs déterminantes, les points
d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices
et les modèles de vie de l’humanité, qui sont
en opposition avec la Parole de Dieu et le dessein
du salut ».329
327 Cf. Proposition 39.
328 Cf. BENOÎT XVI, Message pour la Journée Mondiale de la
Paix 2009 ; L’ORf, 16 décembre 2008, pp. 3-4.
329 Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975),
n. 19 : AAS 68 (1976), p. 18.
173
Dans ce but, les Pères synodaux ont eu une
pensée particulière pour ceux qui sont engagés
dans la vie politique et sociale. L’Évangélisation
et la diffusion de la Parole de Dieu doivent inspirer
leur action dans le monde à la recherche du
véritable bien de tous, dans le respect et dans la
promotion de la dignité de toutes les personnes.
Certes, l’Église n’a pas directement pour mission
de créer une société plus juste, même s’il lui revient
le droit et le devoir d’intervenir sur les questions
éthiques et morales qui concernent le bien
des personnes et des peuples. C’est surtout les
fi dèles laïcs, formés à l’école de l’Évangile, qui
ont la tâche d’intervenir directement dans l’action
sociale et politique. C’est pourquoi le Synode
recommande de promouvoir une formation adéquate
selon les principes de la Doctrine sociale de
l’Église.330
101. De plus, je désire attirer à nouveau l’attention
de tous sur l’importance de défendre et de
promouvoir les droits humains de toutes les personnes,
fondés sur la loi naturelle inscrite dans le coeur de
l’homme et qui, comme tels, sont « universels, inviolables,
inaliénables ».331 L’Église souhaite qu’à
travers l’affi rmation de ces droits, la dignité humaine
soit plus effi cacement reconnue et universellement
promue,332 comme un trait imprimé par
330 Cf. Proposition 39.
331 JEAN XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963),
n. 1 : AAS 55 (1963), p. 259.
332 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991),
174
Dieu créateur sur sa créature que Jésus-Christ a
pris sur lui et rachetée par son Incarnation, sa
mort et sa Résurrection. C’est pourquoi la diffusion
de la Parole de Dieu ne peut que renforcer
l’affi rmation et le respect des droits humains de
toutes les personnes.333
L’annonce de la Parole de Dieu, la réconciliation et la paix
entre les peuples
102. Parmi les nombreux chantiers où s’engager,
le Synode a vivement recommandé la promotion
de la réconciliation et de la paix. Dans le contexte
actuel, il est plus que jamais nécessaire de redécouvrir
la Parole de Dieu comme source de réconciliation
et de paix car, par elle, Dieu réconcilie
toutes choses en lui (cf. 2 Co 5, 18-20 ; Ep 1, 10) :
le Christ « est notre paix » (Ep 2, 14), c’est lui qui
abat les murs de séparation. Au Synode, de nombreux
témoignages ont évoqué les confl its, graves
et sanglants, et les tensions présents sur notre planète.
Parfois ces hostilités semblent se présenter
sous l’aspect d’un confl it interreligieux. Encore
une fois, je désire répéter que la religion ne peut
jamais justifi er les intolérances ou les guerres. On
ne peut pas utiliser la violence au nom de Dieu !334
Toutes les religions devraient inciter à un usage
n. 47 : AAS 83 (1991), pp. 851-852 ; ID., Discours à l’Assemblée
générale des Nations Unies (2 octobre 1979), n. 13 : AAS 71 (1979),
pp. 1152-1153.
333 Cf. Abrégé de la doctrine sociale de l’Église, nn. 152-159.
334 Cf. BENOÎT XVI, Message pour la célébration de la Journée
mondiale de la Paix 2007 : ORf 19-26 décembre 2006, p. 3.
175
correct de la raison et promouvoir des valeurs
éthiques qui construisent la coexistence civile.
Fidèles à l’oeuvre de réconciliation accomplie
par Dieu en Jésus-Christ, crucifi é et ressuscité, les
Catholiques et tous les hommes de bonne volonté
doivent s’engager à donner des exemples de réconciliation
pour construire une société juste et pacifi
ée.335 N’oublions jamais que « là où les paroles
humaines deviennent impuissantes, car domine le
fracas tragique de la violence et des armes, la force
prophétique de la Parole de Dieu est présente et
nous répète que la paix est possible, et que nous
devons être des instruments de réconciliation et
de paix ».336
La Parole de Dieu et la charité agissante
103. L’engagement pour la justice, la réconciliation
et la paix trouve sa racine ultime et son accomplissement
dans l’amour qui nous a été révélé
dans le Christ. En écoutant les témoignages présentés
au Synode, nous sommes devenus plus attentifs
au lien qui existe entre l’écoute bienveillante
de la Parole de Dieu et le service désintéressé des
frères ; tous les croyants doivent comprendre la
nécessité « de traduire en gestes d’amour la parole
écoutée, car ainsi seulement l’annonce de l’Évangile
devient crédible, malgré les fragilités hu-
335 Cf. Proposition 8.
336 BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de la clôture de la
Semaine de prière pour l’unité des Chrétiens à Saint-Paul-horsles-
Murs (25 janvier 2009) : L’ORf, 27 janvier 2009, p. 24.
176
maines qui marquent les personnes ».337 Jésus est
passé en ce monde en faisant le bien (cf. Ac 10,
38). La Parole de Dieu écoutée avec disponibilité
dans l’Église, éveille « la charité et la justice envers
tous, surtout envers les pauvres ».338 Il ne faut jamais
oublier que « l’amour – caritas – sera toujours
nécessaire, même dans la société la plus juste [...].
Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare
à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme ».339
J’encourage donc tous les fi dèles à méditer fréquemment
l’hymne à la charité que l’Apôtre Paul
a écrit, et à se laisser inspirer par lui : « L’amour
prend patience ; l’amour rend service ; l’amour
ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfl e
pas d’orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne
cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il
n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de
ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui
est vrai ; il supporte tout, il fait confi ance en tout,
il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera
jamais » (1 Co 13, 4-8).
L’amour du prochain, enraciné dans l’amour
de Dieu, implique donc que nous soyons constamment
engagés en tant que personnes et en tant
que communauté ecclésiale, locale et universelle.
Saint Augustin affi rme : « Il est fondamental de
337 Id. Homélie à l’occasion de la clôture de la XIIe Assemblée
générale ordinaire du Synode des Évêques (26 octobre
2008) : AAS 100 (2008), p. 779 ; L’ORf, 28 octobre 2008, p. 3.
338 Proposition 11.
339 BENOÎT XVI, Lett. enc. Deux caritas est (25 décembre
2005), n. 28 : AAS 98 (2006), p. 240.
177
comprendre que la plénitude de la Loi, comme
de toutes les Écritures divines, c’est l’amour […].
Par conséquent, ceux qui croient avoir compris
les Écritures, ou au moins une partie quelconque
de celles-ci, sans s’engager à construire, à travers
leur intelligence, ce double amour de Dieu et du
prochain, démontrent qu’ils ne les ont pas encore
comprises ».340
L’annonce de la Parole de Dieu et les jeunes
104. Le Synode a réservé une attention particulière
à l’annonce de la Parole divine aux nouvelles
générations. Les jeunes sont dès à présent des
membres actifs de l’Église et ils en représentent
l’avenir. En eux, nous trouvons souvent une ouverture
spontanée à l’écoute de la Parole de Dieu
et un désir sincère de connaître Jésus. C’est durant la
période de la jeunesse, en effet, qu’émergent de façon
irrépressible et sincère les questions sur le sens
de la vie personnelle et sur l’orientation à donner
à sa propre existence. Seul Dieu sait apporter une
véritable réponse à ces questions. Cette attention
au monde des jeunes implique le courage d’une
annonce claire ; nous devons aider les jeunes à acquérir
une intimité et une familiarité avec la Sainte
Écriture, pour qu’elle soit comme une boussole
qui leur indique la route à suivre.341 C’est pourquoi
ils ont besoin de témoins et de maîtres, qui
340 De doctrina christiana, I, XXXVI, 40 : PL 34, 34.
341 Cf. BENOÎT XVI, Message pour la XXIe Journée Mondiale
de la Jeunesse 2006 : AAS 98 (2006), pp. 282-286 ; La DC n. 2355,
pp. 307-309.
178
marchent avec eux et qui les forment à aimer et
à communiquer à leur tour l’Évangile surtout aux
jeunes de leur âge, devenant ainsi eux-mêmes des
annonciateurs authentiques et crédibles.342
Il faut que la Parole divine soit aussi présentée
dans ses implications vocationnelles afi n
qu’elle aide et oriente les jeunes dans leurs choix
de vie, y compris vers la consécration totale.343
D’authentiques vocations à la Vie consacrée et
au sacerdoce trouvent un terrain propice dans le
contact régulier avec la Parole de Dieu. Je répète
encore aujourd’hui l’invitation, faite au début de
mon pontifi cat, à ouvrir les portes au Christ : « Celui
qui fait entrer le Christ, ne perd rien, rien –
absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle
et grande. Non ! Dans cette amitié seulement,
s’ouvrent largement les portes de la vie. Dans
cette amitié seulement, se libèrent réellement les
grandes potentialités de la condition humaine.
[…] Chers jeunes : n’ayez pas peur du Christ ! Il
n’enlève rien, et il donne tout. Celui qui se donne
à lui, reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout
grand les portes au Christ – et vous trouverez la
vraie vie ».344
L’annonce de la Parole de Dieu et les migrants
105. La Parole de Dieu nous rend attentifs à
l’histoire et à tout ce qui naît en elle de nouveau.
342 Cf. Proposition 34.
343 Cf. Ibidem.
344 BENOÎT XVI, Homélie pour la messe inaugurale du Pontifi cat
(24 avril 2005) : AAS 97 (2005), p. 712 ; La DC n. 2337, p. 549.
179
C’est pourquoi le Synode, au sujet de la mission
évangélisatrice de l’Église, a voulu aussi porter
son attention sur le phénomène complexe des
mouvements migratoires, qui ont pris ces dernières
années des proportions inédites. Surgissent
ici des questions très délicates au sujet de la sécurité
des nations et de l’accueil à réserver à ceux qui
cherchent un refuge, de meilleures conditions de
vie, la santé et un travail. De très nombreuses personnes,
qui ne connaissent pas le Christ ou qui en
ont une image erronée, s’installent dans des pays
de tradition chrétienne. Dans le même temps, des
personnes appartenant à des peuples profondément
imprégnés par la foi chrétienne émigrent
vers des pays où l’annonce du Christ et une Nouvelle
Évangélisation sont nécessaires. Ces situations
offrent de nouvelles possibilités pour la diffusion
de la Parole de Dieu. À ce propos, les Pères
synodaux ont affi rmé que les migrants ont le droit
d’entendre le kérygme, qui leur est proposé et non
imposé. S’ils sont chrétiens, ils ont besoin d’une
assistance pastorale adéquate pour renforcer
leur foi et être eux-mêmes porteurs de l’annonce
évangélique. Conscients de la complexité du phénomène,
il est nécessaire que tous les diocèses intéressés
se mobilisent afi n que les mouvements
migratoires soient aussi considérés comme une
occasion de découvrir de nouvelles modalités de
présence et d’annonce. Ils doivent pourvoir, selon
leurs possibilités, à une animation et à un accueil
adaptés de ces frères, pour que touchés par
la Bonne Nouvelle, ils deviennent eux-mêmes des
180
messagers de la Parole de Dieu et des témoins de
Jésus Ressuscité, espérance du monde.345
L’annonce de la Parole de Dieu et les personnes qui souffrent
106. Durant les travaux synodaux, l’attention
des Pères s’est souvent portée sur la nécessité
d’annoncer la Parole de Dieu à tous ceux qui se
trouvent également dans un état de souffrance
physique, psychique ou spirituelle. En effet, c’est
lorsqu’il connaît la douleur que naissent de manière
plus aiguë dans le coeur de l’homme les questions
ultimes sur le sens de sa propre vie. Si la parole de
l’homme semble devenir muette devant le Mystère
du mal et de la souffrance et si notre société
semble n’accorder de valeur à l’existence que si
elle correspond à certains niveaux d’effi cacité et
de bien-être, la Parole nous révèle que ces circonstances
sont aussi mystérieusement « embrassées
» par la tendresse de Dieu. La foi, qui naît
de la rencontre avec la Parole divine, nous aide
à considérer la vie humaine comme digne d’être pleinement
vécue même lorsqu’elle est brisée par le mal. Dieu
a créé l’homme pour le bonheur et pour la vie,
tandis que la maladie et la mort sont entrées dans
le monde comme conséquence du péché (cf. Sg 2,
23-24). Mais le Père de la vie est le médecin par
excellence de l’homme et il ne cesse de se pencher
avec tendresse sur l’humanité souffrante. Nous
contemplons le sommet de la proximité de Dieu
345 Cf. Proposition 38.
181
avec la souffrance de l’homme en Jésus lui-même
qui est la « Parole incarnée. Il a souffert avec nous
et il est mort. Par sa passion et sa mort, il a assumé
en lui et a transformé jusqu’au bout notre
faiblesse ».346
La proximité de Jésus à l’égard des personnes qui
souffrent ne s’est pas interrompue : elle se prolonge
dans le temps grâce à l’action de l’Esprit Saint
dans la mission de l’Église, dans la Parole et dans
les Sacrements, dans les hommes de bonne volonté,
dans les activités d’assistance que les communautés
promeuvent dans la charité fraternelle, en
dévoilant ainsi le vrai visage de Dieu et son amour.
Le Synode rend grâce à Dieu pour le témoignage
lumineux, et souvent caché, de nombreux Chrétiens
– prêtres, religieux et laïcs – qui ont prêté
et continuent de prêter leurs mains, leurs yeux et
leur coeur au Christ, véritable médecin des corps
et des âmes ! Il exhorte encore à continuer à avoir
soin des personnes malades en leur apportant la
présence vivifi ante du Seigneur Jésus, dans la Parole
et dans l’Eucharistie. Qu’elles soient aidées à
lire l’Écriture et à découvrir que, dans leur condition,
elles peuvent participer d’une façon particulière
aux souffrances rédemptrices du Christ pour
le salut du monde (cf. 2 Co 4, 8-11. 14) !347
346 Cf. BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de la XVIIe Journée
Mondiale des Malades (11 février 2009) : L’ORf, 10 février
2009, p. 4.
347 Cf. Proposition 35.
182
L’annonce de la Parole de Dieu et les pauvres
107. La Sainte Écriture révèle la prédilection de
Dieu pour les pauvres et les nécessiteux (cf. Mt
25, 31-46). Souvent, les Pères synodaux ont rappelé
la nécessité que l’annonce évangélique, l’engagement
des Pasteurs et des communautés soient
orientés vers ces frères. En effet, « les premiers à
avoir droit à l’annonce de l’Évangile sont précisément
les pauvres, qui ont besoin non seulement de
pain, mais aussi de paroles de vie ».348 La diaconie
de l’amour, qui ne doit jamais faire défaut dans nos
Églises, doit toujours être unie à l’annonce de la
Parole et à la célébration des saints Mystères.349 En
même temps, il faut reconnaître et valoriser le fait
que les pauvres eux-mêmes sont aussi des agents
d’Évangélisation. Dans la Bible, le véritable pauvre
est celui qui s’en remet totalement à Dieu et Jésus
lui-même ,dans l’Évangile, appelle bienheureux
ceux à qui « appartient le Royaume des Cieux »
(Mt 5, 3; cf. Lc 6, 20 ). Le Seigneur exalte la simplicité
de coeur de celui qui reconnaît en Dieu sa vraie
richesse, qui met en lui, et non dans les biens de ce
monde, son espérance. L’Église ne peut décevoir
les pauvres : « Les Pasteurs sont appelés à les écouter,
à apprendre d’eux, à les guider dans leur foi et
à les motiver pour qu’ils soient des artisans de leur
propre histoire ».350
348 Proposition 11.
349 Cf. BENOÎT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 25 : AAS 98 (2006), pp. 236-237.
350 Proposition 11.
183
L’Église sait aussi qu’il existe une pauvreté qui
est vertu, à cultiver et à choisir librement, comme
l’ont fait de nombreux saints, et qu’il existe une misère
qui est souvent le résultat d’injustices, qui est
provoquée par l’égoïsme, qui a pour symptôme
l’indigence et la faim et qui alimente les confl its.
Quand l’Église annonce la Parole de Dieu, elle sait
qu’il faut favoriser un « cercle vertueux » entre la
pauvreté « à choisir » et la pauvreté « à combattre »,
redécouvrant « la sobriété et la solidarité, comme
valeurs évangéliques et, en même temps, universelles[…]
Ce qui comporte des choix de justice et
de sobriété ».351
La Parole de Dieu et la sauvegarde de la création
108. L’engagement dans le monde, que requiert
la Parole divine, nous pousse à regarder avec des
yeux nouveaux le cosmos tout entier, créé par
Dieu et qui porte déjà en lui les traces du Verbe,
par lequel tout a été fait (cf. Jn 1, 2). En effet,
nous avons aussi, comme Chrétiens et messagers
de l’Évangile une responsabilité vis-à-vis
de la création. Si, d’un côté, la Révélation nous
fait connaître le dessein de Dieu sur le cosmos,
de l’autre, elle nous amène aussi à dénoncer les
attitudes erronées de l’homme, quand il ne reconnaît
pas toutes les choses comme l’empreinte du
Créateur, mais comme une simple matière à manipuler
sans scrupules. De cette manière, l’homme
351 BENOÎT XVI, Homélie (1er janvier 2009) : L’ORf, 6 janvier
2009, p. 12.
184
manque de l’humilité essentielle qui lui permet de
reconnaître la création comme un don de Dieu
qu’il doit accueillir et utiliser selon son dessein. Au
contraire, l’arrogance de l’homme qui vit ‘comme
si Dieu n’existait pas’, le porte à exploiter et à défi -
gurer la nature, en ne reconnaissant pas en elle une
oeuvre de la Parole créatrice. À partir de cette vision
théologique, je désire répéter les affi rmations
des Pères synodaux, qui ont rappelé « qu’accueillir
la Parole de Dieu témoignée dans l’Écriture Sainte
et dans la Tradition vivante de l’Église, engendre
une nouvelle manière de voir les choses, en promouvant
une authentique écologie, qui plonge sa
racine la plus profonde dans l’obéissance de la foi
[…], en développant une sensibilité théologique
renouvelée à la bonté de toutes les choses créées
dans le Christ ».352 L’homme a besoin d’être à nouveau
éduqué à l’émerveillement et à reconnaître
la beauté authentique qui se manifeste dans les
choses créées.353
LA PAROLE DE DIEU ET LA CULTURE
La valeur de la culture pour la vie de l’homme
109. L’annonce johannique concernant l’Incarnation
du Verbe révèle le lien indissoluble qui
existe entre la Parole divine et les paroles humaines,
à travers lesquelles elle se communique à nous.
352 Proposition 54.
353 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 92 : AAS 99 (2007), pp. 176-
177.
185
C’est à partir de cette considération que le Synode
des Évêques s’est arrêté sur le rapport entre la Parole
de Dieu et la culture. En effet, Dieu ne se
révèle pas à l’homme de façon abstraite, mais en
assumant des langages, des images et des expressions
liés aux différentes cultures. Il s’agit d’un
rapport fécond amplement attesté dans l’histoire
de l’Église. Aujourd’hui, ce rapport entre dans
une nouvelle phase due à l’extension et à l’enracinement
de l’Évangélisation au sein des différentes
cultures et aux développements les plus récents
de la culture occidentale. Ceci implique avant tout
la reconnaissance de l’importance de la culture
comme telle dans la vie de tout homme. Le phénomène
de la culture dans ses multiples aspects se
présente, en effet, comme un élément constitutif
de l’expérience humaine : « L’homme vit toujours
selon une culture qui lui est propre, et qui, à son
tour, crée entre les hommes un lien qui leur est
propre lui aussi, en déterminant le caractère interhumain
et social de l’existence humaine ».354
La Parole de Dieu a inspiré tout au long des
siècles les différentes cultures en engendrant des
valeurs morales fondamentales, des expressions
artistiques de choix et des styles de vie exemplaires.
355 C’est pourquoi, dans la perspective
d’une rencontre renouvelée entre la Bible et les
cultures, je voudrais répéter à tous les acteurs
du monde culturel qu’ils n’ont pas à craindre de
354 JEAN-PAUL II, Discours à l’UNESCO (2 juin 1980), n. 6 :
AAS 72 (1980), p. 738 ; La DC, n. 1788, p. 604.
355 Cf. Proposition 41.
186
s’ouvrir à la Parole de Dieu, qui ne détruit jamais
la vraie culture, mais qui constitue un stimulant
constant dans la recherche d’expressions humaines
toujours plus appropriées et signifi catives.
Toute culture authentique, pour être véritablement
en faveur de l’homme, doit être ouverte à la
transcendance, et fi nalement à Dieu.
La Bible, un grand trésor pour les cultures
110. Les Pères synodaux ont souligné combien
il importe de favoriser chez les hommes de
culture une juste connaissance de la Bible, y compris
dans les milieux sécularisés et parmi les noncroyants
;356 l’Écriture Sainte contient des valeurs
anthropologiques et philosophiques qui ont infl
uencé positivement l’humanité entière.357 Il faut
pleinement retrouver le sens de la Bible comme
un grand trésor pour les cultures.
La connaissance de la Bible dans les écoles et les universités
111. L’école et l’université constituent un cadre
singulier de la rencontre entre la Parole de Dieu
et les cultures. Que les Pasteurs aient une attention
particulière à ces milieux, en promouvant
une connaissance profonde de la Bible de telle
façon que les fécondes implications culturelles, y
compris pour notre temps, puissent être saisies !
356 Cf. Ibidem.
357 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre
1998), n. 80 : AAS 91 (1999), pp. 67-68.
187
Que les centres d’études dépendant des entités
catholiques apportent une contribution originale
– qui doit être reconnue – à la promotion de la
culture et de l’instruction ! Il ne faut pas non plus
négliger l’enseignement de la religion, en formant avec
soin les enseignants. Dans de nombreux cas, celui-
ci représente pour les étudiants une occasion
unique de contact avec le message de la foi. Il est
bon que, dans cet enseignement, soit promue la
connaissance de l’Écriture Sainte, dissipant les
préjugés, anciens et nouveaux, et cherchant à faire
connaître sa vérité.358
La Sainte Écriture à travers les différentes expressions
artistiques
112. La relation entre Parole de Dieu et cultures
a trouvé une expression concrète dans différents
cadres, en particulier dans le monde de l’art. C’est
pourquoi la grande Tradition de l’Orient et de
l’Occident a toujours estimé les manifestations
artistiques inspirées de l’Écriture Sainte, telles que
par exemple les arts fi guratifs, ou encore l’architecture,
la littérature et la musique. Je pense aussi
à l’antique langage exprimé par les icônes qui, à
partir de la Tradition orientale, se diffuse progressivement
partout dans le monde. Avec les Pères
synodaux, toute l’Église exprime sa considération,
son estime et son admiration envers les artistes
« épris de la beauté », qui se sont laissés inspirer
358 Cf. Lineamenta n. 23.
188
par des textes sacrés ; ils ont contribué à la décoration
de nos églises, à la célébration de notre foi,
à l’enrichissement de notre liturgie et, en même
temps, beaucoup d’entre eux ont aidé à rendre de
quelque façon perceptibles, dans le temps et dans
l’espace, les réalités invisibles et éternelles.359 J’exhorte
les organismes compétents à promouvoir
dans l’Église une solide formation des artistes à
l’égard de l’Écriture Sainte à la lumière de la Tradition
vivante de l’Église et du Magistère.
La Parole de Dieu et les moyens de communication sociale
113. Au rapport entre Parole de Dieu et
cultures, est liée aussi l’importance de l’utilisation
attentive et intelligente des moyens de communication
sociale, anciens et nouveaux. Les Pères
synodaux ont recommandé une connaissance
appropriée de ces instruments, en prêtant attention
à leur développement rapide et à leurs différents
niveaux d’interaction et en investissant
plus d’énergies pour acquérir une compétence
dans les différents secteurs, en particulier dans
ce que l’on appelle les nouveaux médias, comme
par exemple internet. Il existe déjà une présence
signifi cative de l’Église dans le monde de la communication
de masse et le Magistère ecclésial s’est
aussi exprimé à plusieurs reprises sur ce thème
depuis le Concile Vatican II.360 L’acquisition de
359 Cf. Proposition 40.
360 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur les moyens de
communication sociale Inter mirifi ca ; CONSEIL PONTIFICAL POUR
189
nouvelles méthodes pour transmettre le message
évangélique fait partie de la tension évangélisatrice
permanente des croyants et, aujourd’hui, la
communication étend un réseau qui enveloppe
tout le globe, donnant un sens renouvelé à l’appel
du Christ : « Ce que je vous dis dans l’ombre,
dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans
le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits »
(Mt 10, 27). La Parole divine, outre sa forme imprimée,
doit résonner aussi à travers les autres
formes de communication.361 C’est pourquoi,
avec les Pères synodaux, je désire remercier les
catholiques qui s’engagent avec compétence en
vue d’une présence signifi cative dans le monde
des médias, en souhaitant un engagement encore
plus large et plus qualifi é.362
Parmi les formes nouvelles de communication
de masse, un rôle croissant est aujourd’hui
reconnu à internet qui constitue un nouveau forum
sur lequel il faut faire résonner l’Évangile, avec
LES COMMUNICATIONS SOCIALES, Instr. pastorale Communio et progressio
sur les moyens de communication sociale publiée selon
les dispositions du Concile OEcuménique Vatican II (23 mai
1971) : AAS 63 (1971), pp. 593-656 ; JEAN-PAUL II, Lett. apost.
Le développement rapide des technologies dans le domaine des médias
(24 janvier 2005) : AAS 97 (2005), pp. 265-274 ; La DC, n. 2333,
pp. 315-320 ; CONSEIL PONTIFICAL POUR LES COMMUNICATIONS
SOCIALES, Instr. pastorale sur les communications sociales pour
le 20e anniversaire de ‘Communio et progressio’ Aetatis novae (22 février
1992) : AAS 84 (1992), pp. 447-468 ; idem, L’Église en internet
(22 février 2002) : Ench. Vat. 66-95 ; idem, Étique en internet
(22 février 2002) : Ench. Vat. 21, n. 96-127.
361 Cf. Message fi nal, n. 11 ; BENOÎT XVI, Message pour la
XLIIIe Journée mondiale des Communications sociales 2009 ; La DC,
n. 2418, pp. 168-170.
362 Cf. Proposition 44.
190
la conscience, toutefois, que le monde virtuel
ne pourra jamais remplacer le monde réel et que
l’Évangélisation ne pourra profi ter de la virtualité
offerte par les nouveaux médias pour instaurer
des relations signifi catives que si l’on arrive à un
contact personnel qui demeure irremplaçable. Dans
le monde d’internet, qui permet à des milliards
d’images d’apparaître sur des millions d’écrans
dans le monde, devra apparaître le visage du Christ
ainsi que la possibilité d’entendre Sa voix, car « s’il
n’y a pas de place pour le Christ, il n’y a pas de
place pour l’homme ».363
La Bible et l’inculturation
114. Le Mystère de l’Incarnation nous fait savoir,
d’une part, que Dieu se communique toujours
dans une histoire concrète, en assumant les
codes culturels inscrits en elle, mais que d’autre
part, la même Parole peut et doit se transmettre
dans des cultures différentes, en les transfi gurant
de l’intérieur, grâce à ce que le Pape Paul VI appelait
l’Évangélisation des cultures.364 La Parole de
Dieu, comme du reste la foi chrétienne, manifeste
ainsi un caractère profondément interculturel,
susceptible de rencontrer et de faire se rencontrer
les différentes cultures.365
363 JEAN-PAUL II, Message pour la XXXVIe Journée mondiale
des Communications sociales 2002, n. 6 ; La DC, n. 2265, p. 203.
364 Cf. Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre
1975), n. 20 : AAS 68 (1976), pp. 18-19.
365 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 78 : AAS 99 (2007), p. 165.
191
Dans ce contexte, on comprend aussi la valeur
de l’inculturation de l’Évangile.366 L’Église est
fermement persuadée de la capacité intrinsèque
de la Parole de Dieu de rejoindre toutes les personnes
quel que soit le contexte culturel qui est
le leur : « cette conviction découle de la Bible ellemême,
qui, dès le Livre de la Genèse, prend une
orientation universelle (Gn 1, 27-28), la maintient
ensuite dans la bénédiction promise à tous
les peuples grâce à Abraham et à sa descendance
(cf. Gn 12, 3 ; 18, 18) et la confi rme défi nitivement
en étendant à “toutes les nations” l’Évangélisation
».367 C’est pourquoi l’inculturation ne doit pas
être confondue avec des processus superfi ciels
d’adaptation et moins encore avec un syncrétisme
confus qui dilue l’originalité de l’Évangile pour
le rendre plus facilement acceptable.368 L’authentique
paradigme de l’inculturation est l’Incarnation
même du Verbe : « une “acculturation”, ou
une “inculturation”, sera réellement un refl et de
l’Incarnation du Verbe, lorsqu’une culture, transformée
et régénérée par l’Évangile, (qui) produit
à partir de sa propre Tradition vivante des expressions
originales de vie, de célébration et de
pensées chrétiennes »,369 en germant à partir de la
366 Cf. Proposition 48.
367 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), IV, B ; p. 107.
368 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur l’activité missionnaire
de l’Église Ad gentes, n. 22 ; COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
L’interprétation de la Bible dans l’Église (15 avril 1993),
IV, B.
369 JEAN-PAUL II, Discours aux Évêques du Kenya (7 mai 1980),
n. 6 : AAS 72 (1980), p. 497 ; La DC, n. 1787, p. 534.
192
culture locale, en valorisant les semina Verbi et tout
ce qui est présent en elle de positif, en l’ouvrant
aux valeurs évangéliques.370
Les traductions et la diffusion de la Bible
115. Si l’inculturation de la Parole de Dieu fait
partie de manière impérative de la mission de
l’Église dans le monde, la diffusion de la Bible à
travers le précieux travail de traduction dans les
différentes langues est un moment important de
ce processus. À ce sujet, on doit toujours avoir
présent à l’esprit que le travail de traduction des
Écritures a commencé « dès le temps de l’Ancien
Testament, lorsqu’on a traduit le texte hébreu de
la Bible oralement en araméen (Ne 8, 8.12) et, plus
tard, par écrit en grec. Une traduction, en effet, est
toujours plus qu’une simple transcription du texte
original. Le passage d’une langue à une autre comporte
nécessairement un changement de contexte
culturel : les concepts ne sont pas identiques et la
portée des symboles est différente, car ils mettent
en rapport avec d’autres traditions de pensée et
d’autres façons de vivre ».371
Pendant les travaux du Synode, on a dû faire
le constat que différentes Églises locales ne disposent
pas encore d’une traduction intégrale de
la Bible dans leurs propres langues. Combien de
peuples ont aujourd’hui faim et soif de la Parole
370 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Instrumentum laboris n. 56.
371 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), IV, B ; p. 107-108.
193
de Dieu, mais malheureusement ne peuvent encore
avoir « un accès largement ouvert à la Sainte
Écriture »372 comme cela avait été souhaité au
Concile Vatican II ! C’est pourquoi le Synode
considère qu’il est important avant tout de former
des experts qui se consacrent à la traduction de
la Bible dans les diverses langues.373 J’encourage
l’investissement de ressources en ce domaine. Je
voudrais en particulier recommander de soutenir
l’engagement de la Fédération biblique catholique
afi n que le nombre de traductions de l’Écriture
puisse s’accroître et leur diffusion progresser.374 Il
est bon que, en vertu de la nature même d’un tel
travail, celui-ci soit réalisé dans la mesure du possible
en collaboration avec les différentes Sociétés
bibliques.
La Parole de Dieu dépasse les limites des cultures
116. L’Assemblée synodale, dans le débat autour
de la relation entre la Parole de Dieu et les
cultures, s’est sentie poussée à réaffi rmer ce que
les premiers Chrétiens ont pu expérimenter à partir
du jour de la Pentecôte (cf. Ac 2, 1-13). La Parole
divine est capable de pénétrer et de s’exprimer
dans des cultures et des langues différentes,
mais cette même Parole dépasse les limites des
cultures particulières en créant une communion
372 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 22.
373 Cf. Proposition 42.
374 Cf. Proposition 43.
194
entre les divers peuples. La Parole du Seigneur
nous invite à aller vers une communion plus large.
« Nous sortons de l’étroitesse de nos expériences
et entrons dans la réalité qui est vraiment universelle.
En entrant dans la communion avec la Parole
de Dieu, nous entrons dans la communion de
l’Église qui vit la Parole de Dieu. […] C’est sortir
des limites de chaque culture dans l’universalité
qui nous relie tous, nous unit tous, nous fait tous
frères ».375 C’est pourquoi, annoncer la Parole de
Dieu demande toujours, à nous les premiers, un
nouvel exode, d’abandonner nos cadres et nos représentations
limitées pour laisser place à la présence
du Christ en nous.
LA PAROLE DE DIEU
ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
La valeur du dialogue interreligieux
117. Conscients que Dieu Père, Fils et Saint-Esprit
entre en dialogue avec l’humanité, l’Église reconnaît
comme une part essentielle de l’annonce
de la Parole, la rencontre avec tous les hommes
de bonne volonté. Aujourd’hui, l’Église, en évitant
toute forme de syncrétisme et de relativisme,
recherche le dialogue avec les personnes appartenant
aux diverses traditions religieuses selon les
lignes indiquées par la Déclaration du Concile
375 BENOÎT XVI, Méditation à l’occasion de l’ouverture du Synode
des Évêques (6 octobre 2008) : ASS 100 (2008), 758-760,
L’ORf, 14 octobre 2008, p. 12.
195
Vatican II Nostra aetate, développée par le Magistère
ultérieur des Souverains Pontifes.376 Le rapide
processus de la mondialisation offre la possibilité
de vivre dans un contact plus étroit avec des personnes
de cultures et de religions diverses. Il s’agit
d’une opportunité providentielle pour manifester
comment un authentique sens religieux peut
promouvoir entre les hommes des relations de
fraternité universelle. Il est d’une grande importance
que les religions puissent favoriser dans nos
sociétés, souvent sécularisées, un regard qui voit
en Dieu Tout-Puissant le fondement de tout bien,
la source inépuisable de la vie morale, le soutien
d’un sens profond de la fraternité universelle.
À titre d’exemple, dans la Tradition judéochrétienne,
on rencontre l’attestation claire de
l’amour de Dieu pour tous les peuples qu’il réunit,
déjà dans l’Alliance étroite avec Noé, en une
grande et unique étreinte symbolisée par l’« arc au
milieu des nuages » (Gn 9, 13.14.16) et que, selon
les paroles des prophètes, il entend rassembler en
une unique famille universelle (cf. Is 2, 2ss ; 42, 6 ;
66, 18-21 ; Jr 4, 2 ; Ps 47). De fait, des témoignages
376 Parmi les nombreuses interventions de diverses natures,
on rappelle : JEAN-PAUL II, Lett. enc. Dominum et vivifi catem
(18 mai 1986) : AAS 78 (1986), pp. 809-900 ; ID. Lett. enc.
Redemptoris missio (7 décembre 1990) : AAS 83 (1991), pp. 249-
340 ; ID., Discours et Homélies à Assise à l’occasion de la Journée
de prière pour la paix du 27 octobre 1986 ; La DC n. 1929,
pp. 1065-1083 et en janvier 2002 en écho aux événements du
11 septembre 2001 : La DC n. 2255, pp. 837.839-840; CONGRÉ-
GATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration sur l’unicité
et l’universalité salvifi que de Jésus Christ et de l’Église Dominus
Iesus (6 août 2000) : AAS 92 (2000), pp. 742-765.
196
du lien intime existant entre le rapport avec Dieu
et l’éthique de l’amour pour tout homme se retrouvent
dans de nombreuses grandes traditions
religieuses.
Le dialogue entre Chrétiens et Musulmans
118. Parmi les différentes religions, l’Église
regarde « aussi avec estime les Musulmans, qui
adorent le Dieu un ».377 Ces derniers se réfèrent à
Abraham et rendent un culte à Dieu surtout par la
prière, l’aumône et le jeûne. Nous reconnaissons
que dans la tradition de l’Islam sont présents de
nombreuses fi gures, des symboles et des thèmes
bibliques. Dans la continuité de l’oeuvre importante
du Vénérable Jean-Paul II, je souhaite que
les rapports inspirés par la confi ance, qui se sont
instaurés depuis plusieurs années entre Chrétiens
et Musulmans, se poursuivent et se développent
dans un esprit de dialogue sincère et respectueux.
378 Dans ce dialogue, le Synode a exprimé le
souhait que puissent être approfondis le thème du
respect de la vie en tant que valeur fondamentale,
et celui des droits inaliénables de l’homme et de la
femme et de leur égale dignité. En tenant compte
de la problématique importante de la distinction
entre l’ordre sociopolitique et l’ordre religieux, les
377 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Déclaration sur les relations
de l’Église avec les religions non-chrétiennes Nostra aetate, n. 3.
378 Cf. BENOÎT XVI, Discours aux Ambassadeurs des Pays à
majorité musulmane accrédités auprès du Saint-Siège et à quelques représentants
de la communauté musulmane en Italie (25 septembre 2006) :
AAS 98 (2006), pp. 704-706 ; La DC n. 2366, pp. 884-885.
197
religions doivent apporter leur contribution au
bien commun. Le Synode demande aux Conférences
épiscopales, là où cela apparaît opportun
et profi table, de favoriser des rencontres pour que
Chrétiens et Musulmans se connaissent mutuellement
afi n de promouvoir les valeurs dont la société
a besoin pour une coexistence pacifi que et
positive.379
Le dialogue avec les autres religions
119. En cette circonstance, je voudrais par
ailleurs manifester le respect de l’Église pour les
religions traditionnelles et les antiques traditions
spirituelles des différents continents qui contiennent
également des valeurs qui peuvent favoriser
la compréhension entre les personnes et les
peuples.380 Nous constatons fréquemment une
syntonie avec des valeurs exprimées aussi dans
leurs Livres religieux, comme par exemple le respect
de la vie, la contemplation, le silence, la simplicité
dans le Bouddhisme ; le sens de la sacralité,
du sacrifi ce et du jeûne dans l’Hindouisme ;
et encore les valeurs familiales et sociales dans le
Confucianisme. Nous découvrons avec satisfaction
aussi dans d’autres expériences religieuses,
une attention sincère pour la transcendance de
Dieu, reconnu comme Créateur, tout comme le
respect de la vie, du mariage et de la famille et le
sens fort de la solidarité.
379 Cf. Proposition 53.
380 Cf. Proposition 50.
198
Le dialogue et la liberté religieuse
120. Cependant, le dialogue ne serait pas fécond
s’il n’incluait pas aussi un respect authentique
envers chaque personne, afi n qu’elle puisse
adhérer librement à sa religion. Le Synode, alors
qu’il encourage la collaboration entre les représentants
des diverses religions, rappelle donc également
« la nécessité que soit assurée de manière
effective à tous les croyants la liberté de professer
leur propre religion en privé et en public, ainsi que
la liberté de conscience » :381 en effet, « le respect et
le dialogue requièrent la réciprocité dans tous les
domaines, surtout en ce qui concerne les libertés
fondamentales et plus particulièrement la liberté
religieuse. Ils favorisent la paix et l’entente entre
les peuples ».382
381 Ibidem.
382 JEAN-PAUL II, Discours aux jeunes Musulmans à Casablanca
au Maroc (19 août 1985), n. 5 : AAS 7 (1986), p. 99 ; La DC,
n. 1903, p. 943.
199
CONCLUSION
La Parole défi nitive de Dieu
121. Au terme de ces réfl exions par lesquelles
j’ai voulu recueillir et approfondir la richesse de
la XIIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode
des Évêques sur la Parole de Dieu dans la vie et la
mission de l’Église, je désire encore une fois exhorter
le Peuple de Dieu tout entier, les Pasteurs,
les personnes consacrées et les laïcs à s’engager
pour devenir toujours plus familiers des Écritures
Saintes. Nous ne devons jamais oublier qu’à la
base de toute spiritualité chrétienne authentique
et vivante, se trouve la Parole de Dieu annoncée, écoutée,
célébrée et méditée dans l’Église. Cette intensifi cation
de la relation avec la Parole divine se réalisera
avec d’autant plus d’élan que nous serons davantage
conscients de nous trouver, dans l’Écriture
comme dans la Tradition vivante de l’Église, face
à la Parole défi nitive de Dieu sur le monde et sur
l’histoire.
Comme nous le fait contempler le Prologue
de l’Évangile de Jean, tout ce qui est se trouve
sous le signe de la Parole. Le Verbe jaillit du Père
et il vient demeurer parmi les siens et puis il re200
tourne dans le sein du Père pour emporter avec lui
toute la création qui, en lui et par lui, a été créée.
Aujourd’hui, l’Église vit sa mission dans l’attente
anxieuse de la manifestation eschatologique de
l’Époux : « L’Esprit et l’Épouse disent : ‘Viens !’ »
(Ap 22, 17). Cette attente n’est jamais passive mais
elle est une tension missionnaire dans l’annonce
de la Parole de Dieu qui purifi e et rachète tout
homme : aujourd’hui encore Jésus ressuscité nous
dit : « Allez dans le monde entier. Proclamez la
Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16, 15).
La Nouvelle Évangélisation et la nouvelle écoute
122. En conséquence, notre temps doit être toujours
davantage le temps d’une nouvelle écoute de
la Parole de Dieu et d’une Nouvelle Évangélisation.
Redécouvrir le caractère central de la Parole divine
dans la vie chrétienne nous fait retrouver aussi le
sens le plus profond de ce que le Pape Jean-Paul II
a rappelé avec force : continuer la missio ad gentes
et entreprendre avec toutes les forces la Nouvelle
Évangélisation, surtout dans les pays où l’Évangile
a été oublié ou souffre de l’indifférence du plus
grand nombre en raison d’un sécularisme diffus.
Que l’Esprit Saint éveille chez les hommes la faim
et la soif de la Parole de Dieu et suscite de zélés
messagers et témoins de l’Évangile !
À l’exemple du grand Apôtre des Nations,
qui fut transformé après avoir entendu la voix du
Seigneur (cf. Ac 9, 1-30), écoutons nous aussi la
Parole divine qui nous interpelle toujours person201
nellement, ici et maintenant. Les Actes des Apôtres
nous racontent que l’Esprit Saint se réserva Paul
et Barnabé en vue de la prédication et de la diffusion
de la Bonne Nouvelle (cf. 13, 2). Ainsi, aujourd’hui,
l’Esprit Saint ne cesse de susciter des
auditeurs et des messagers convaincus et persuasifs
de la Parole du Seigneur !
La Parole et la joie
123. Plus nous saurons être disponibles à la Parole
divine, plus nous pourrons constater que le
Mystère de la Pentecôte est ‘en action’ aujourd’hui
aussi dans l’Église de Dieu. L’Esprit du Seigneur
continue de répandre ses dons sur l’Église afi n
que nous soyons conduits à la vérité tout entière,
nous ouvrant le sens des Écritures et faisant de
nous des messagers crédibles de la Parole du salut.
Nous revenons ainsi à la première Lettre de saint
Jean. À travers la Parole de Dieu, nous aussi, nous
avons entendu, vu et touché le Verbe de vie. Nous
avons écouté par grâce l’annonce que la vie éternelle
s’est manifestée, afi n que nous reconnaissions
que nous sommes en communion les uns
avec les autres, avec ceux qui nous ont précédés
sous le signe de la foi et avec tous ceux qui, répandus
à travers le monde, écoutent la Parole,
célèbrent l’Eucharistie, vivent le témoignage de
la charité. La communication de cette annonce –
nous rappelle l’Apôtre Jean – est donnée pour que
« nous ayons la plénitude de la joie » (1 Jn 1, 4).
L’Assemblée synodale nous a permis d’expérimenter
ce qui est contenu dans le message
202
johannique : l’annonce de la Parole crée la communion
et apporte la joie. Il s’agit d’une joie profonde
qui jaillit du coeur même de la vie trinitaire et qui
se communique à nous dans le Fils. Il s’agit de la
joie, comme don ineffable, que le monde ne peut
donner. On peut organiser des fêtes, mais pas la
joie. Selon l’Écriture, la joie est un fruit de l’Esprit
Saint (cf. Ga 5, 22), qui nous permet de pénétrer
dans la Parole et de faire en sorte que la Parole divine
entre en nous en portant ses fruits pour la vie
éternelle. En annonçant la Parole de Dieu dans la
force de l’Esprit Saint, nous désirons communiquer
aussi la source de la vraie joie, non une joie
superfi cielle et éphémère mais celle qui jaillit de la
conscience que seul le Seigneur Jésus a les paroles
de la vie éternelle (cf. Jn 6, 68).
« Mater Verbi et Mater laetitiae »
124. Cette relation intime entre la Parole de
Dieu et la joie est manifestée avec évidence chez
la Mère de Dieu. Rappelons les paroles de sainte
Élisabeth : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement
des paroles qui lui furent dites de la part
du Seigneur » (Lc 1, 45). Marie est bienheureuse
parce qu’elle a la foi, qu’elle a cru, et que dans
cette foi, elle a accueilli dans son sein le Verbe de
Dieu pour le donner au monde. La joie provenant
de la Parole peut maintenant s’étendre à tous
ceux qui, dans la foi, se laissent transformer par la
Parole de Dieu. L’Évangile de Luc nous présente
à travers deux textes ce Mystère d’écoute et de
203
joie. Jésus affi rme : « Ma mère et mes frères, ce
sont ceux qui entendent la Parole de Dieu, et qui
la mettent en pratique » (8, 21). Et, face à l’exclamation
d’une femme qui, au milieu de la foule,
entend exalter le ventre qui l’a porté et le sein qui
l’a allaité, Jésus révèle le secret de la vraie joie :
« Heureux plutôt ceux qui entendent la parole
de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11, 28). Jésus indique
la vraie grandeur de Marie, en ouvrant ainsi
à chacun de nous la possibilité de cette béatitude
qui naît de la Parole écoutée et mise en pratique.
C’est pourquoi, à tous les Chrétiens, je rappelle
que notre relation personnelle et communautaire
avec Dieu dépend de l’accroissement de notre familiarité
avec la Parole divine. Enfi n, je m’adresse
à tous les hommes, également à ceux qui se sont
éloignés de l’Église, qui ont abandonné la foi ou
qui n’ont jamais entendu l’annonce du salut. À
chacun, le Seigneur dit : « Voici que je me tiens à la
porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et
ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon
repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3, 20).
Que chacune de nos journées soit donc façonnée
par la rencontre renouvelée du Christ, le
Verbe du Père fait chair : il est à l’origine et à la fi n
et « tout subsiste en lui » (Col 1, 17). Faisons silence
pour écouter la Parole du Seigneur et pour la méditer,
afi n que, par l’action effi cace de l’Esprit Saint,
elle continue à demeurer, à vivre et à nous parler
tous les jours de notre vie. De cette façon, l’Église
se renouvelle et rajeunit grâce à la Parole du Seigneur
qui demeure éternellement (cf. 1 P 1, 25 ;
204
Is 40, . Ainsi, nous pourrons nous aussi entrer
dans le grand dialogue nuptial par lequel se clôt
l’Écriture Sainte : « L’Esprit et l’Épouse disent :
‘Viens !’ […] Celui qui témoigne de tout cela déclare
: ‘Oui, je viens sans tarder.’ – Amen ! Viens,
Seigneur Jésus ! » (Ap 22, 17.20).
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le
30 septembre 2010, mémoire de saint Jérôme, en
la sixième année de mon Pontifi cat.
205
TABLE
INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . 3
Pour que notre joie soit parfaite [2] . . . . 4
De Dei Verbum au Synode sur la Parole de
Dieu [3] . . . . . . . . . . . . . . 6
Le Synode des Évêques sur la Parole de Dieu
[4] . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Le Prologue de l’Évangile de Jean comme guide
[5] . . . . . . . . . . . . . . . . 11
PREMIERE PARTIE
VERBUM DEI
LE DIEU QUI PARLE . . . . . . . . . . . 15
Dieu en dialogue [6] . . . . . . . . . . 15
Analogie de la Parole de Dieu [7] . . . . . 16
Dimension cosmique de la Parole [8] . . . 19
La création de l’homme [9] . . . . . . . 21
Le réalisme de la Parole [10] . . . . . . . 22
Christologie de la Parole [11-13] . . . . . 24
Dimension eschatologique de la Parole de
Dieu [14] . . . . . . . . . . . . . 31
La Parole de Dieu et l’Esprit Saint [15-16] . 33
Tradition et Écriture [17-18] . . . . . . . 37
Écriture Sainte, inspiration et vérité [19] . . 41
Dieu Père, source et origine de la Parole [20] 43
206
LA REPONSE DE L’HOMME A DIEU QUI PARLE . . 45
Appelés à entre dans l’Alliance avec Dieu [22] 45
Dieu écoute l’homme et répond à ses
demandes [23] . . . . . . . . . . . 46
Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles [24] 47
La Parole de Dieu et la foi [25] . . . . . . 48
Le péché comme non-écoute de la Parole
de Dieu [26] . . . . . . . . . . . 50
Marie, « Mère du Verbe de Dieu » et « Mère de
la foi » [27-28] . . . . . . . . . . . 51
L’HERMÉNEUTIQUE DE L’ÉCRITURE SAINTE DANS
L’ÉGLISE . . . . . . . . . . . . . . 54
L’Église, lieu originaire de l’herméneutique
de la Bible [29-30] . . . . . . . . . . 54
« L’âme de la théologie sacrée » [31] . . . . 58
Développement de la recherche biblique et
Magistère ecclésial [32-33] . . . . . . 60
L’herméneutique biblique conciliaire : une
indication à recevoir [34] . . . . . . 63
Le péril du dualisme et l’herméneutique
sécularisée [35] . . . . . . . . . . . 65
Foi et raison dans l’approche de l’Écriture [36] 67
Sens littéral et sens spirituel [37] . . . . . 69
Le nécessaire dépassement de la lettre [38] . 71
L’unité intrinsèque de la Bible [39] . . . . 73
Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau
Testament [40-41] . . . . . . . . . 75
Les pages « obscures » de la Bible [42] . . . 78
Chrétiens et Juifs face aux Écritures [43] . . 80
L’interprétation fondamentaliste de la Sainte
Écriture [44] . . . . . . . . . . . . 81
207
Le dialogue entre Pasteurs, théologiens et
exégètes [45] . . . . . . . . . . . . 83
Bible et oecuménisme [46] . . . . . . . . 84
Conséquences sur l’organisation des études
théologiques [47] . . . . . . . . . . 87
Les saints et l’interprétation de l’Écriture
[48-49] . . . . . . . . . . . . . . 89
DEUXIEME PARTIE
VERBUM IN ECCLESIA
LA PAROLE DE DIEU ET L’ÉGLISE . . . . . . 95
L’Église accueille la Parole [50] . . . . . . 95
La présence actuelle du Christ dans la vie de
l’Église [51] . . . . . . . . . . . . 96
LA LITURGIE, LIEU PRIVILÉGIÉ DE LA PAROLE
DE DIEU. . . . . . . . . . . . . . 98
La Parole de Dieu dans la sainte liturgie [52] 98
La Sainte Écriture et les Sacrements [53] . . 101
La Parole de Dieu et l’Eucharistie [54] . . . 102
La sacramentalité de la Parole [56] . . . . 106
La Sainte Écriture et le Lectionnaire [57] . . 108
Proclamation de la Parole et ministère du
lectorat [58] . . . . . . . . . . . . 110
L’importance de l’homélie [59] . . . . . . 111
L’opportunité d’un Directoire homilétique
[60] . . . . . . . . . . . . . . . 113
Parole de Dieu, Réconciliation et Onction
des malades [61] . . . . . . . . . . 114
Parole de Dieu et Liturgie des Heures [62] . 116
La Parole de Dieu et le Livre des Bénédictions
[63] . . . . . . . . . . . . . . . 118
208
Suggestions et propositions concrètes pour
l’animation liturgique [64] . . . . . . . 119
a) Célébrations de la Parole de Dieu [65] . . 119
b) La Parole et le silence [66] . . . . . . 121
c) Proclamation solennelle de la Parole de
Dieu [67] . . . . . . . . . . . . . 122
d) La Parole de Dieu dans l’église [68] . . . 123
e) Exclusivité des textes bibliques dans la
liturgie [69] . . . . . . . . . . . . 124
f) Chant liturgique bibliquement inspiré [70] 125
g) Attention particulière aux aveugles et aux
sourds [71] . . . . . . . . . . . . 126
LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE ECCLÉSIALE . 126
Rencontrer la Parole de Dieu dans la Sainte
Écriture [72] . . . . . . . . . . . . 126
L’animation biblique de la pastorale [73] . . 128
Dimension biblique de la catéchèse [74] . . 130
Formation biblique des chrétiens [75] . . . 132
La Sainte Écriture dans les grands rassemblements
ecclésiaux [76] . . . . . . . 133
Parole de Dieu et vocations [77] . . . . . 133
a) Parole de Dieu et ministres ordonnés
[78-81] . . . . . . . . . . . . . . 134
b) La Parole de Dieu et les candidats à
l’Ordination [82] . . . . . . . . . . 138
c) Parole de Dieu et Vie consacrée [83] . . 140
d) La Parole de Dieu et les fi dèles laïcs [84] . 142
e) La Parole de Dieu, le mariage et la famille
[85] . . . . . . . . . . . . . . . 143
La lecture orante de la Sainte Écriture et la
Lectio divina [86-87] . . . . . . . . . 145
La Parole de Dieu et la prière mariale [88] . 151
La Parole de Dieu et la Terre Sainte [89] . . 153
209
TROISIEME PARTIE
VERBUM PRO MUNDO
LA MISSION DE L’ÉGLISE : ANNONCER LA PAROLE
DE DIEU . . . . . . . . . . . . . . 159
La Parole du Père et vers le Père [90] . . . 159
Annoncer au monde le Logos de l’espérance
[91] . . . . . . . . . . . . . . . 160
De la Parole de Dieu vient la mission de l’Église
[92] . . . . . . . . . . . . . . . 161
La Parole et le Règne de Dieu [93] . . . . 163
Tous les baptisés responsables de l’annonce
[94] . . . . . . . . . . . . . . . 164
La nécessité de la missio ad gentes [95] . . . . 166
Annonce et nouvelle Évangélisation [96] . . 166
Parole de Dieu et témoignage chrétien [97] . 167
PAROLE DE DIEU ET ENGAGEMENT DANS LE
MONDE . . . . . . . . . . . . . . 171
Servir Jésus dans « ces petits qui sont ses
frères » (cf. Mt 25,40) [99] . . . . . . . 171
La Parole de Dieu et l’engagement dans la
société en faveur de la justice [100-101] . 172
L’annonce de la Parole de Dieu, la réconciliation
et la paix entre les peuples [102]. . . 174
La Parole de Dieu et la charité agissante [103] 175
L’annonce de la Parole de Dieu et les jeunes
[104] . . . . . . . . . . . . . . . 177
L’annonce de la Parole de Dieu et les migrants
[105] . . . . . . . . . . . . . . . 178
L’annonce de la Parole de Dieu et les personnes
qui souffrent [106] . . . . . . . . . 180
L’annonce de la Parole de Dieu et les pauvres
[107] . . . . . . . . . . . . . . . 182
La Parole de Dieu et la sauvegarde de la création
[108] . . . . . . . . . . . . . . . 183
210
LA PAROLE DE DIEU ET LA CULTURE. . . . . 184
La valeur de la culture pour la vie de l’homme
[109] . . . . . . . . . . . . . . . 184
La Bible, un grand trésor pour les cultures
[110] . . . . . . . . . . . . . . . 186
La connaissance de la Bible dans les écoles
et les universités [111] . . . . . . . . 186
La Sainte Écriture à travers les différentes
expressions artistiques [112] . . . . . . 187
La Parole de Dieu et les moyens de communication
sociale [113] . . . . . . . . 188
La Bible et l’inculturation [114] . . . . . . 190
Les traductions et la diffusion de la Bible [115] 192
La Parole de Dieu dépasse les limites des
cultures [116] . . . . . . . . . . . 193
LA PAROLE DE DIEU ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
. . . . . . . . . . . . . 194
La valeur du dialogue interreligieux [117] . . 194
Le dialogue entre Chrétiens et Musulmans
[118] . . . . . . . . . . . . . . . 196
Le dialogue avec les autres religions [119] . . 197
Le dialogue et la liberté religieuse [120] . . . 198
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . 199
La Parole défi nitive de Dieu [121] . . . . . 199
La nouvelle Évangélisation et la nouvelle écoute
[122] . . . . . . . . . . . . . . . 200
La Parole et la joie [123] . . . . . . . . 201
« Mater Verbi et Mater laetitiae » [124] . . . . 202

TYPOGRAPHIE VATICANE











                                       
LETTRE ENCYCLIQUE  "DEUS CARITAS EST"
DU SOUVERAIN PONTIFE
BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR L'AMOUR CHRÉTIEN
INTRODUCTION
1. «Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui» (1 Jn 4, 16). Ces paroles de la Première Lettre de saint Jean expriment avec une particulière clarté ce qui fait le centre de la foi chrétienne: l’image chrétienne de Dieu, ainsi que l'image de l'homme et de son chemin, qui en découle.
De plus, dans ce même verset, Jean nous offre pour ainsi dire une formule synthétique de l’existence chrétienne : «Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous».
Nous avons cru à l’amour de Dieu: c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie.
À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. Dans son Évangile, Jean avait exprimé cet événement par ces mots : «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui [...] obtiendra la vie éternelle» (3, 16).
En reconnaissant le caractère central de l’amour, la foi chrétienne a accueilli ce qui était le noyau de la foi d’Israël et, en même temps, elle a donné à ce noyau une profondeur et une ampleur nouvelles. En effet, l’Israélite croyant prie chaque jour avec les mots du Livre du Deutéronome, dans lesquels il sait qu’est contenu le centre de son existence : «Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force» (6, 4-5). Jésus a réuni, en en faisant un unique précepte, le commandement de l’amour de Dieu et le commandement de l’amour du prochain, contenus dans le Livre du Lévitique : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (19, 18 ; cf. Mc 12, 29-31). Comme Dieu nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10), l’amour n’est plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don de l'amour par lequel Dieu vient à notre rencontre.
Dans un monde où l’on associe parfois la vengeance au nom de Dieu, ou même le devoir de la haine et de la violence, c’est un message qui a une grande actualité et une signification très concrète. C’est pourquoi, dans ma première Encyclique, je désire parler de l’amour dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres. Par là sont ainsi indiquées les deux grandes parties de cette Lettre, profondément reliées entre elles. La première aura un caractère plus spéculatif, étant donné que je voudrais y préciser – au début de mon Pontificat – certains éléments essentiels sur l'amour que Dieu, de manière mystérieuse et gratuite, offre à l'homme, de même que le lien intrinsèque de cet Amour avec la réalité de l'amour humain. La seconde partie aura un caractère plus concret, puisqu'elle traitera de la pratique ecclésiale du commandement de l'amour pour le prochain. La question est très vaste, un long développement dépasserait néanmoins le but de cette Encyclique. Je désire insister sur certains éléments fondamentaux, de manière à susciter dans le monde un dynamisme renouvelé pour l'engagement dans la réponse humaine à l'amour divin.
 
PREMIÈRE PARTIE :
L'UNITÉ DE L'AMOUR
DANS LA CRÉATION
ET DANS L'HISTOIRE DU SALUT

 
Un problème de langage
2. L'amour de Dieu pour nous est une question fondamentale pour la vie et pose des interrogations
décisives sur qui est Dieu et sur qui nous sommes. À ce sujet, nous rencontrons avant tout un problème de langage. Le terme «amour» est devenu aujourd'hui un des mots les plus utilisés et aussi un des plus galvaudés, un mot auquel nous donnons des acceptions totalement différentes. Même si le thème de cette encyclique se concentre sur le problème de la compréhension et de la pratique de l’amour dans la Sainte Écriture et dans la Tradition de l’Église, nous ne pouvons pas simplement faire abstraction du sens que possède ce mot dans les différentes cultures et dans le langage actuel.
Rappelons en premier lieu le vaste champ sémantique du mot «amour» : on parle d’amour de la patrie, d’amour pour son métier, d’amour entre amis, d’amour du travail, d’amour entre parents et enfants, entre frères et entre proches, d’amour pour le prochain et d’amour pour Dieu. Cependant, dans toute cette diversité de sens, l’amour entre homme et femme, dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble irrésistible, apparaît comme l’archétype de l’amour par excellence, devant lequel s’estompent, à première vue, toutes les autres formes d’amour. Surgit alors une question : toutes ces formes d’amour s'unifient-elles finalement et, malgré toute la diversité de ses manifestations, l’amour est-il en fin de compte unique, ou bien, au contraire, utilisons-nous simplement un même mot pour indiquer des réalités complètement différentes ?

«Eros» et «agapè» – différence et unité.

À l’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain, la Grèce antique avait donné le nom d’eros. Disons déjà par avance que l'Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot eros, tandis que le Nouveau Testament ne l'utilise jamais: des trois mots grecs relatifs à l’amour – eros, philia (amour d’amitié) et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier, qui dans la langue grecque était plutôt marginal. En ce qui concerne l'amour d'amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples. La mise de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour
qui s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque chose d’essentiel dans la
nouveauté du christianisme concernant précisément la compréhension de l’amour. Dans la critique du christianisme, qui s’est développée avec une radicalité grandissante à partir de la philosophie des
Lumières, cette nouveauté a été considérée d’une manière absolument négative. Selon Friedrich
Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’eros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice[1]. Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ?
 En est-il vraiment ainsi ? Le christianisme a-t-il véritablement détruit l’eros ? Regardons le monde préchrétien.
Comme de manière analogue dans d’autres cultures, les Grecs ont vu dans l’eros avant tout
l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d'une «folie divine» qui arrache l’homme à la finitude de
son existence et qui, dans cet être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire l’expérience de
la plus haute béatitude. Tous les autres pouvoirs entre le ciel et la terre apparaissent de ce fait d’une
http://www.sitedemarie.com/deuscaritasest.html (2 sur 24)19/02/2006 14:49:59
Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
importance secondaire : «Omnia vincit amor», affirme Virgile dans les Bucoliques – l’amour vainc toutes
choses – et il ajoute : «Et nos cedamus amori» – et nous cédons, nous aussi, à l’amour[2]. Dans les
religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes de la fertilité, auxquels appartient la
prostitution «sacrée», qui fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré comme force
divine, comme communion avec le Divin.
L’Ancien Testament s’est opposé avec la plus grande rigueur à cette forme de religion, qui est comme une
tentation très puissante face à la foi au Dieu unique, la combattant comme perversion de la religiosité. En
cela cependant, il n’a en rien refusé l’eros comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation
destructrice, puisque la fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le prive de sa dignité, le
déshumanise. En fait, dans le temple, les prostituées, qui doivent donner l’ivresse du Divin, ne sont pas traitées comme êtres humains ni comme personnes, mais elles sont seulement des instruments pour susciter la «folie divine»: en réalité, ce ne sont pas des déesses, mais des personnes humaines dont on abuse. C’est pourquoi l’eros ivre et indiscipliné n’est pas montée, «extase» vers le Divin, mais chute, dégradation de l’homme. Il devient ainsi évident que l’eros a besoin de discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude vers laquelle tend tout notre être.
De ce regard rapide porté sur la conception de l’eros dans l’histoire et dans le temps présent, deux
aspects apparaissent clairement, et avant tout qu’il existe une certaine relation entre l’amour et le Divin: l’amour promet l’infini, l’éternité – une réalité plus grande et totalement autre que le quotidien de notre existence. Mais il est apparu en même temps que le chemin vers un tel but ne consiste pas simplement à se laisser dominer par l’instinct. Des purifications et des maturations sont nécessaires; elles passent aussi par la voie du renoncement. Ce n’est pas le refus de l’eros, ce n’est pas son «empoisonnement», mais sa guérison en vue de sa vraie grandeur.
Cela dépend avant tout de la constitution de l’être humain, à la fois corps et âme. L’homme devient
vraiment lui-même, quand le corps et l’âme se trouvent dans une profonde unité ; le défi de l’eros est vraiment surmonté lorsque cette unification est réussie. Si l’homme aspire à être seulement esprit et qu’il veut refuser la chair comme étant un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité. Et si, d’autre part, il renie l’esprit et considère donc la matière, le corps, comme la réalité exclusive, il perd également sa grandeur. L’épicurien Gassendi s’adressait en plaisantant à Descartes par le salut: «Ô Âme !». Et Descartes répliquait en disant: «Ô Chair !»[3]. Mais ce n’est pas seulement l’esprit ou le corps qui aime : c’est l’homme, la personne, qui aime comme créature unifiée, dont font partie le corps et l’âme.
C’est seulement lorsque les deux se fondent véritablement en une unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est uniquement de cette façon que l’amour – l'eros – peut mûrir, jusqu’à parvenir à sa vraie grandeur.
Il n’est pas rare aujourd’hui de reprocher au christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité; de fait, il y a toujours eu des tendances en ce sens. Mais la façon d'exalter le corps, à laquelle nous assistons aujourd’hui, est trompeuse. L’eros rabaissé simplement au «sexe» devient une marchandise, une simple «chose» que l’on peut acheter et vendre; plus encore, l'homme devient une marchandise.
En réalité, cela n’est pas vraiment le grand oui de l’homme à son corps. Au contraire, l’homme considère maintenant le corps et la sexualité comme la part seulement matérielle de lui-même, qu’il utilise et exploite de manière calculée. Une part, d’ailleurs, qu'il ne considère pas comme un espace de sa liberté, mais comme quelque chose que lui, à sa manière, tente de rendre à la fois plaisant et inoffensif. En réalité, nous nous trouvons devant une dégradation du corps humain, qui n’est plus intégré dans le tout de la liberté de notre existence, qui n’est plus l’expression vivante de la totalité de notre être, mais qui se trouve comme cantonné au domaine purement biologique. L’apparente exaltation du corps peut bien vite se transformer en haine envers la corporéité. À l'inverse, la foi chrétienne a toujours considéré l’homme comme un être un et duel, dans lequel esprit et matière s’interpénètrent l’un l’autre et font ainsi tous deux l’expérience d’une nouvelle noblesse. Oui, l’eros veut nous élever «en extase» vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes, mais c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de
guérisons.
Comment devons-nous nous représenter concrètement ce chemin de montée et de purification ?
Comment doit être vécu l’amour, pour que se réalise pleinement sa promesse humaine et divine ? Nous pouvons trouver une première indication importante dans le Cantique des Cantiques, un des livres de l’Ancien Testament bien connu des mystiques. Selon l’interprétation qui prévaut aujourd’hui, les poèmes contenus dans ce livre sont à l’origine des chants d’amour, peut-être prévus pour une fête de noces juives où ils devaient exalter l’amour conjugal. Dans ce contexte, le fait que l’on trouve, dans ce livre, deux mots différents pour parler de l'«amour» est très instructif. Nous avons tout d’abord le mot «dodim», un pluriel qui exprime l’amour encore incertain, dans une situation de recherche indéterminée. Ce mot est ensuite remplacé par le mot «ahabà» qui, dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, est rendu par le mot de même consonance «agapè», lequel, comme nous l’avons vu, devint l’expression caractéristique de la conception biblique de l’amour. En opposition à l’amour indéterminé et encore en recherche, ce terme exprime l’expérience de l’amour, qui devient alors une véritable découverte de l’autre, dépassant donc le
caractère égoïste qui dominait clairement auparavant. L’amour devient maintenant soin de l’autre et pour l’autre. Il ne se cherche plus lui-même – l’immersion dans l’ivresse du bonheur – il cherche au contraire le bien de l’être aimé : il devient renoncement, il est prêt au sacrifice, il le recherche même.
Cela fait partie des développements de l'amour vers des degrés plus élevés, vers ses purifications
profondes, de l'amour qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens : dans le sens d’un caractère exclusif – «cette personne seulement» – et dans le sens d’un «pour toujours». L’amour comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif : l’amour vise à l’éternité. Oui, l’amour est «extase», mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu : «Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera» (Lc 17, 33), dit Jésus – une de ses affirmations qu’on retrouve dans les Évangiles avec plusieurs variantes (cf. Mt 10, 39; 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24; Jn 12, 25).
Jésus décrit ainsi son chemin personnel, qui le conduit par la croix jusqu’à la résurrection; c’est le chemin du grain de blé tombé en terre qui meurt et qui porte ainsi beaucoup de fruit. Mais il décrit aussi par ces paroles l’essence de l’amour et de l’existence humaine en général, partant du centre de son sacrifice personnel et de l’amour qui parvient en lui à son accomplissement.
À l’origine plutôt philosophiques, nos réflexions sur l’essence de l’amour nous ont maintenant conduits, par une dynamique interne, jusqu’à la foi biblique. Au point de départ, la question s’est posée de savoir si les différents sens du mot amour, parfois même opposés, ne sous-entendraient pas une certaine unité profonde ou si, au contraire, ils ne devraient pas rester indépendants, l’un à côté de l’autre.
Avant tout cependant, est apparue la question de savoir si le message sur l’amour qui nous est annoncé par la Bible et par la Tradition de l’Église avait quelque chose à voir avec l’expérience humaine commune de l’amour ou s’il ne s’opposait pas plutôt à elle.
À ce propos, nous avons rencontré deux mots fondamentaux : eros, comme le terme désignant l’amour «mondain», et agapè, comme l’expression qui désigne l’amour fondé sur la foi et modelé par elle. On oppose aussi fréquemment ces deux conceptions en amour «ascendant» et amour «descendant». Il y a d’autres classifications similaires, comme par exemple la distinction entre
amour possessif et amour oblatif (amor concupiscentiæ – amor benevolentiæ), à laquelle on ajoute parfois aussi l’amour qui n’aspire qu’à son profit.
Dans le débat philosophique et théologique, ces distinctions ont souvent été radicalisées jusqu'à les mettre en opposition entre elles : l’amour descendant, oblatif, précisément l’agapè, serait typiquement chrétien; à l'inverse, la culture non chrétienne, surtout la culture grecque, serait caractérisée par l’amour ascendant, possessif et sensuel, c’est-à-dire par l’eros. Si on voulait pousser à l’extrême cette antithèse, l’essence du christianisme serait alors coupée des relations vitales et fondamentales de l’existence humaine et constituerait un monde en soi, à considérer peut-être comme admirable mais fortement détaché de la complexité de l’existence humaine. En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre. Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se réalise la véritable
nature de l’amour en général. Même si, initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera «être pour» l’autre. C’est ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l'eros déchoit et perd aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7, 37- 38). Mais pour devenir une telle source, il doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus Christ, du coeur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34).
Dans le récit de l’échelle de Jacob, les Pères ont vu exprimé symboliquement, de différentes manières, le lien inséparable entre montée et descente, entre l’eros qui cherche Dieu et l’agapè qui transmet le don reçu. Dans ce texte biblique, il est dit que le patriarche Jacob vit en songe, sur la pierre qui lui servait d’oreiller, une échelle qui touchait le ciel et sur laquelle des anges de Dieu montaient et descendaient (cf. Gn 28, 12; Jn 1, 51). L’interprétation que le Pape Grégoire le Grand donne de cette vision dans sa Règle pastorale est particulièrement touchante. Le bon pasteur, dit-il, doit être enraciné dans la contemplation.
En effet, c’est seulement ainsi qu’il lui sera possible d’accueillir les besoins d’autrui dans son coeur, de sorte qu’ils deviennent siens: «Per pietatis viscera in se infirmitatem caeterorum transferat»[4]. Dans ce cadre, saint Grégoire fait référence à saint Paul qui est enlevé au ciel jusque dans les plus grands mystères de Dieu et qui, précisément à partir de là, quand il en redescend, est en mesure de se faire tout à tous (cf. 2 Co 12, 2-4; 1 Co 9, 22). D’autre part, il donne encore l’exemple de Moïse, qui entre toujours de nouveau dans la tente sacrée, demeurant en dialogue avec Dieu, pour pouvoir ainsi, à partir de Dieu, être à la disposition de son peuple. «Au-dedans [dans la tente], ravi dans les hauteurs par la contemplation, il se laisse au dehors [de la tente] prendre par le poids des souffrants: Intus in contemplationem rapitur, foris infirmantium negotiis urgetur».[5]
Nous avons ainsi trouvé une première réponse, encore plutôt générale, aux deux questions précédentes : au fond, l’«amour» est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes; tour à tour, l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante. Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour.
D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi biblique ne construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène humain originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme, intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même temps de nouvelles dimensions. Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste surtout en deux points, qui méritent d’être soulignés: l’image de Dieu et l’image de l’homme.

La nouveauté de la foi biblique :

Il s’agit avant tout de la nouvelle image de Dieu. Dans les cultures qui entourent le monde de la Bible, l’image de Dieu et des dieux reste en définitive peu claire et en elle-même contradictoire. Dans le parcours de la foi biblique, à l’inverse, on note que devient toujours plus clair et plus univoque ce que la prière fondamentale d’Israël, le shema, reprend par ces paroles : «Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique» (Dt 6, 4). Il existe un seul Dieu, qui est le Créateur du ciel et de la terre, et qui est donc aussi le Dieu de tous les hommes. Deux éléments sont singuliers dans cette précision : le fait que, en vérité, tous les autres dieux ne sont pas Dieu, et que toute la réalité dans laquelle nous vivons remonte à Dieu, qu’elle est créée par lui. Naturellement, l’idée d’une création existe aussi ailleurs, mais c’est là seulement qu’apparaît de manière absolument claire que ce n’est pas un dieu quelconque, mais l’unique vrai Dieu, luimême, qui est l’auteur de la réalité tout entière; cette dernière provient de la puissance de sa Parole créatrice. Cela signifie que sa créature lui est chère, puisqu’elle a été voulue précisément par Lui-même, qu’elle a été «faite» par Lui. Ainsi apparaît alors le deuxième élément important: ce Dieu aime l’homme. La
puissance divine qu’Aristote, au sommet de la philosophie grecque, chercha à atteindre par la réflexion, est vraiment, pour tout être, objet du désir et de l’amour – en tant que réalité aimée cette divinité met le monde en mouvement[6] –, mais elle-même n’a besoin de rien et n’aime pas; elle est seulement aimée.
Au contraire, le Dieu unique auquel Israël croit aime personnellement. De plus, son amour est un amour d’élection : parmi tous les peuples, il choisit Israël et il l’aime, avec cependant le dessein de guérir par là toute l’humanité. Il aime, et son amour peut être qualifié sans aucun doute comme eros, qui toutefois est en même temps et totalement agapè[7].
Les prophètes Osée et Ézéchiel surtout ont décrit cette passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses. La relation de Dieu avec Israël est illustrée par les métaphores des fiançailles et du mariage; et par conséquent, l’idolâtrie est adultère et prostitution. On vise concrètement par là, comme nous l’avons vu, les cultes de la fertilité, avec leur abus de l’eros, mais, en même temps, on décrit aussi la relation de fidélité entre Israël et son Dieu. L’histoire d’amour de Dieu avec Israël consiste plus profondément dans le fait qu’il lui donne la Torah, qu’il ouvre en réalité les yeux à Israël sur la vraie nature de l’homme et qu’il lui indique la route du véritable humanisme. Cette histoire consiste dans le fait que l’homme, en vivant dans la fidélité au Dieu unique, fait lui-même l’expérience d’être celui qui est aimé de Dieu et qu’il découvre la joie dans la vérité, dans la justice, la joie en Dieu qui devient son bonheur essentiel : «Qui donc est pour moi dans le ciel si je n’ai, même avec toi, aucune joie sur la terre ? ... Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu» (Ps72 [73] , 25.28).
L’eros de Dieu pour l’homme, comme nous l’avons dit, est, en même temps, totalement agapè. Non seulement parce qu’il est donné absolument gratuitement, sans aucun mérite préalable, mais encore parce qu’il est un amour qui pardonne. C’est surtout le prophète Osée qui nous montre la dimension de l’agapè dans l’amour de Dieu pour l’homme, qui dépasse de beaucoup l’aspect de la gratuité. Israël a commis «l’adultère», il a rompu l’Alliance; Dieu devrait le juger et le répudier. C’est précisément là que se révèle cependant que Dieu est Dieu et non pas homme : «Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ? ... Mon coeur se retourne contre moi, et le regret me consume. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car je suis Dieu, et non pas homme: au milieu de vous je suis le Dieu saint» (Os 11, 8-9). L’amour passionné de Dieu pour son peuple – pour l’homme – est en même temps un
amour qui pardonne. Il est si grand qu’il retourne Dieu contre lui-même, son amour contre sa justice. Le
chrétien voit déjà poindre là, de manière voilée, le mystère de la Croix : Dieu aime tellement l’homme que,
en se faisant homme lui-même, il le suit jusqu’à la mort et il réconcilie de cette manière justice et amour.
L’aspect philosophique, historique et religieux qu’il convient de relever dans cette vision de la Bible réside
dans le fait que, d’une part, nous nous trouvons devant une image strictement métaphysique de Dieu: Dieu
est en absolu la source originaire de tout être; mais ce principe créateur de toutes choses – le Logos, la
raison primordiale – est, d’autre part, quelqu’un qui aime avec toute la passion d’un véritable amour. De la
sorte, l’eros est ennobli au plus haut point, mais, en même temps, il est ainsi purifié jusqu’à se fondre avec
l’agapè. À partir de là, nous pouvons ainsi comprendre que le Cantique des Cantiques, reçu dans le canon
de la Sainte Écriture, ait été très vite interprété comme des chants d’amour décrivant, en définitive, la
relation de Dieu avec l’homme et de l’homme avec Dieu. De cette manière, le Cantique des Cantiques est
devenu, dans la littérature chrétienne comme dans la littérature juive, une source de connaissance et
d’expérience mystique, dans laquelle s’exprime l’essence de la foi biblique; oui, il existe une unification de
l’homme avec Dieu – tel est le rêve originaire de l’homme. Mais cette unification ne consiste pas à se
fondre l’un dans l’autre, à se dissoudre dans l’océan anonyme du Divin; elle est une unité qui crée l’amour,
dans lequel les deux, Dieu et l’homme, restent eux-mêmes et pourtant deviennent totalement un: «Celui qui
s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit», dit saint Paul (1 Co 6, 17).
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
11. La première nouveauté de la foi biblique consiste, comme nous l’avons vu, dans l’image de Dieu; la
deuxième, qui lui est essentiellement liée, nous la trouvons dans l’image de l’homme. Le récit biblique de la
création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux côtés duquel Dieu veut placer une aide. Parmi
toutes les créatures, aucune ne peut être pour l’homme l’aide dont il a besoin, bien qu’il ait donné leur nom
à toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les intégrant ainsi dans son milieu de vie. Alors, à
partir d’une côte de l’homme, Dieu modèle la femme. Adam trouve désormais l’aide qu’il lui faut: «Cette foisci,
voilà l’os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2, 23). À l’arrière-plan de ce récit, on peut voir des
conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à
l’origine, l’homme était sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de
son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la recherche de son
autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver son intégrité[8]. Dans le récit biblique, on ne parle pas
de punition; pourtant, l’idée que l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la
recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement dans la
communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir «complet», est sans aucun doute présente. Le récit biblique
se conclut ainsi sur une prophétie concernant Adam : «À cause de cela, l’homme quittera son père et sa
mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un» (Gn 2, 24).
Deux aspects sont ici importants: l’eros est comme enraciné dans la nature même de l’homme; Adam est
en recherche et il «quitte son père et sa mère» pour trouver sa femme; c’est seulement ensemble qu’ils
représentent la totalité de l’humanité, qu’ils deviennent «une seule chair». Le deuxième aspect n’est pas
moins important: selon une orientation qui a son origine dans la création, l’eros renvoie l’homme au
mariage, à un lien caractérisé par l’unicité et le définitif; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée
profonde. À l’image du Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé sur
un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la
façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain. Ce lien étroit entre eros et mariage dans la
Bible ne trouve pratiquement pas de parallèle en dehors de la littérature biblique.
Jésus Christ – l’amour incarné de Dieu
12. Même si nous avons jusque-là parlé surtout de l’Ancien Testament, cependant, la profonde
compénétration des deux Testaments comme unique Écriture de la foi chrétienne s’est déjà rendue visible.
La véritable nouveauté du Nouveau Testament ne consiste pas en des idées nouvelles, mais dans la figure
même du Christ, qui donne chair et sang aux concepts – un réalisme inouï. Déjà dans l’Ancien Testament,
la nouveauté biblique ne résidait pas seulement en des concepts, mais dans l’action imprévisible, et à
certains égards inouïe, de Dieu. Cet agir de Dieu acquiert maintenant sa forme dramatique dans le fait que,
en Jésus Christ, Dieu lui-même recherche la «brebis perdue», l’humanité souffrante et égarée. Quand
Jésus, dans ses paraboles, parle du pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue, de la femme qui
cherche la drachme, du père qui va au devant du fils prodigue et qui l’embrasse, il ne s’agit pas là
seulement de paroles, mais de l’explication de son être même et de son agir. Dans sa mort sur la croix
s’accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever l’homme et le
sauver – tel est l’amour dans sa forme la plus radicale. Le regard tourné vers le côté ouvert du Christ, dont
parle Jean (cf. 19, 37), comprend ce qui a été le point de départ de cette Encyclique : «Dieu est amour» (1
Jn 4, . C’est là que cette vérité peut être contemplée. Et, partant de là, on doit maintenant définir ce
qu’est l’amour. À partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et pour aimer.
13. À cet acte d'offrande, Jésus a donné une présence durable par l’institution de l’Eucharistie au cours de
la dernière Cène. Il anticipe sa mort et sa résurrection en se donnant déjà lui-même, en cette heure-là, à
ses disciples, dans le pain et dans le vin, son corps et son sang comme nouvelle manne (cf. Jn 6, 31-33).
Si le monde antique avait rêvé qu’au fond, la vraie nourriture de l’homme – ce dont il vit comme homme –
était le Logos, la sagesse éternelle, maintenant ce Logos est vraiment devenu nourriture pour nous, comme
amour. L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logos
incarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande. L’image du
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
mariage entre Dieu et Israël devient réalité d’une façon proprement inconcevable: ce qui consistait à se
tenir devant Dieu devient maintenant, à travers la participation à l’offrande de Jésus, participation à son
corps et à son sang, devient union. La «mystique» du Sacrement, qui se fonde sur l’abaissement de Dieu
vers nous, est d’une tout autre portée et entraîne bien plus haut que ce à quoi n’importe quelle élévation
mystique de l’homme pourrait conduire.
14. Mais il faut maintenant faire attention à un autre aspect: la «mystique» du Sacrement a un caractère
social parce que dans la communion sacramentelle je suis uni au Seigneur, comme toutes les autres
personnes qui communient: «Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps,
car nous avons tous part à un seul pain», dit saint Paul (1 Co 10, 17). L’union avec le Christ est en même
temps union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le Christ pour moi seul; je ne peux lui
appartenir qu’en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens. La communion me tire
hors de moi-même vers lui et, en même temps, vers l’unité avec tous les chrétiens. Nous devenons «un
seul corps», fondus ensemble dans une unique existence. L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain
sont maintenant vraiment unis : le Dieu incarné nous attire tous à lui. À partir de là, on comprend
maintenant comment agapè est alors devenue aussi un nom de l’Eucharistie : dans cette dernière, l’agapè
de Dieu vient à nous corporellement pour continuer son oeuvre en nous et à travers nous. C’est seulement
à partir de ce fondement christologique et sacramentel qu’on peut comprendre correctement
l’enseignement de Jésus sur l’amour. Le passage qu’Il fait faire de la Loi et des Prophètes au double
commandement de l’amour envers Dieu et envers le prochain, ainsi que le fait que toute l’existence de foi
découle du caractère central de ce précepte, ne sont pas simplement de la morale qui pourrait exister de
manière autonome à côté de la foi au Christ et de sa réactualisation dans le Sacrement : foi, culte et ethos
se compénètrent mutuellement comme une unique réalité qui trouve sa forme dans la rencontre avec
l’agapè de Dieu. Ici, l’opposition habituelle entre culte et éthique tombe tout simplement. Dans le «culte» luimême,
dans la communion eucharistique, sont contenus le fait d’être aimé et celui d’aimer les autres à son
tour. Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée.
Réciproquement, – comme nous devrons encore l’envisager plus en détail – le «commandement» de
l’amour ne devient possible que parce qu’il n’est pas seulement une exigence: l’amour peut être
«commandé» parce qu’il est d’abord donné.
15. C’est à partir de ce principe que doivent aussi être comprises les grandes paraboles de Jésus. Du lieu
de sa damnation, l’homme riche (cf. Lc 16, 19-31) implore pour que ses frères soient informés de ce qui
arrive à celui qui a, dans sa désinvolture, ignoré le pauvre dans le besoin. Jésus recueille, pour ainsi dire,
cet appel à l’aide et s’en fait l’écho pour nous mettre en garde, pour nous remettre dans le droit chemin. La
parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 25-37) permet surtout de faire deux grandes clarifications. Tandis
que le concept de “prochain” se référait jusqu’alors essentiellement aux membres de la même nation et aux
étrangers qui s’étaient établis dans la terre d’Israël, et donc à la communauté solidaire d’un pays et d’un
peuple, cette limitation est désormais abolie. Celui qui a besoin de moi et que je peux aider, celui-là est
mon prochain. Le concept de prochain est universalisé et reste cependant concret. Bien qu’il soit étendu à
tous les hommes, il ne se réduit pas à l’expression d’un amour générique et abstrait, qui en lui-même
engage peu, mais il requiert mon engagement concret ici et maintenant. Cela demeure une tâche de
l’Église d’interpréter toujours de nouveau le lien entre éloignement et proximité pour la vie pratique de ses
membres. Enfin, il convient particulièrement de rappeler ici la grande parabole du Jugement dernier (cf. Mt
25, 31-46), dans laquelle l’amour devient le critère pour la décision définitive concernant la valeur ou la nonvaleur
d’une vie humaine. Jésus s’identifie à ceux qui sont dans le besoin: les affamés, les assoiffés, les
étrangers, ceux qui sont nus, les malades, les personnes qui sont en prison. «Chaque fois que vous l’avez
fait à l’un de ces petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). L’amour de Dieu
et l’amour du prochain se fondent l’un dans l’autre: dans le plus petit, nous rencontrons Jésus lui-même et
en Jésus nous rencontrons Dieu.
Amour de Dieu et amour du prochain
16. Après avoir réfléchi sur l’essence de l’amour et sur sa signification dans la foi biblique, une double
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
question concernant notre comportement subsiste : Est-il vraiment possible d’aimer Dieu alors qu’on ne le
voit pas ? Et puis: l’amour peut-il se commander ? Au double commandement de l’amour, on peut répliquer
par une double objection, qui résonne dans ces questions. Dieu, nul ne l’a jamais vu – comment pourrionsnous
l’aimer ? Et, d’autre part : l’amour ne peut pas se commander; c’est en définitive un sentiment qui peut
être ou ne pas être, mais qui ne peut pas être créé par la volonté. L’Écriture semble confirmer la première
objection quand elle dit: « Si quelqu’un dit: "J’aime Dieu", alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un
menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas» (1
Jn 4, 20). Mais ce texte n’exclut absolument pas l’amour de Dieu comme quelque chose d’impossible; au
contraire, dans le contexte global de la Première Lettre de Jean, qui vient d’être citée, cet amour est
explicitement requis. C’est le lien inséparable entre amour de Dieu et amour du prochain qui est souligné.
Tous les deux s’appellent si étroitement que l’affirmation de l’amour de Dieu devient un mensonge si
l’homme se ferme à son prochain ou plus encore s’il le hait. On doit plutôt interpréter le verset johannique
dans le sens où aimer son prochain est aussi une route pour rencontrer Dieu, et où fermer les yeux sur son
prochain rend aveugle aussi devant Dieu.
17. En effet, personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est en lui-même. Cependant, Dieu n’est pas pour nous
totalement invisible, il n’est pas resté pour nous simplement inaccessible. Dieu nous a aimés le premier, dit
la Lettre de Jean qui vient d’être citée (cf. 4, 10) et cet amour de Dieu s’est manifesté parmi nous, il s’est
rendu visible car Il «a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui» (1 Jn 4, 9).
Dieu s’est rendu visible: en Jésus nous pouvons voir le Père (cf. Jn 14, 9). En fait, Dieu se rend visible de
multiples manières. Dans l’histoire d’amour que la Bible nous raconte, Il vient à notre rencontre, Il cherche
à nous conquérir – jusqu’à la dernière Cène, jusqu’au Coeur transpercé sur la croix, jusqu’aux apparitions
du Ressuscité et aux grandes oeuvres par lesquelles, à travers l’action des Apôtres, Il a guidé le chemin de
l’Église naissante. Et de même, par la suite, dans l’histoire de l’Église, le Seigneur n’a jamais été absent: il
vient toujours de nouveau à notre rencontre – par des hommes à travers lesquels il transparaît, ainsi que
par sa Parole, dans les Sacrements, spécialement dans l’Eucharistie. Dans la liturgie de l’Église, dans sa
prière, dans la communauté vivante des croyants, nous faisons l’expérience de l’amour de Dieu, nous
percevons sa présence et nous apprenons aussi de cette façon à la reconnaître dans notre vie quotidienne.
Le premier, il nous a aimés et il continue à nous aimer le premier; c’est pourquoi, nous aussi, nous pouvons
répondre par l’amour. Dieu ne nous prescrit pas un sentiment que nous ne pouvons pas susciter en nousmêmes.
Il nous aime, il nous fait voir son amour et nous pouvons l’éprouver, et à partir de cet «amour
premier de Dieu», en réponse, l’amour peut aussi jaillir en nous.
Dans le développement de cette rencontre, il apparaît clairement que l’amour n’est pas seulement un
sentiment. Les sentiments vont et viennent. Le sentiment peut être une merveilleuse étincelle initiale, mais
il n’est pas la totalité de l’amour. Au début, nous avons parlé du processus des purifications et des
maturations, à travers lesquelles l’eros devient pleinement lui-même, devient amour au sens plein du
terme. C’est le propre de la maturité de l’amour d’impliquer toutes les potentialités de l’homme, et d’inclure,
pour ainsi dire, l’homme dans son intégralité. La rencontre des manifestations visibles de l’amour de Dieu
peut susciter en nous un sentiment de joie, qui naît de l’expérience d’être aimé. Mais cette rencontre
requiert aussi notre volonté et notre intelligence. La reconnaissance du Dieu vivant est une route vers
l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de
l’amour. Ce processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour n’est jamais «achevé» ni
complet; il se transforme au cours de l’existence, il mûrit et c’est justement pour cela qu’il demeure fidèle à
lui-même. Idem velle atque idem nolle[9] – vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose; voilà
ce que les anciens ont reconnu comme l’authentique contenu de l’amour: devenir l’un semblable à l’autre,
ce qui conduit à une communauté de volonté et de pensée. L’histoire d’amour entre Dieu et l’homme
consiste justement dans le fait que cette communion de volonté grandit dans la communion de pensée et
de sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu coïncident toujours plus: la volonté de Dieu n’est
plus pour moi une volonté étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma
propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus intime à moi-même que je ne le suis à
moi-même[10]. C’est alors que grandit l’abandon en Dieu et que Dieu devient notre joie (cf. Ps 72 [73], 23-
28).
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
18. L’amour du prochain se révèle ainsi possible au sens défini par la Bible, par Jésus. Il consiste
précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que
je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une
rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors
à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la
perspective de Jésus Christ. Son ami est mon ami. Au-delà de l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son
attente intérieure d’un geste d’amour, d’un geste d’attention, que je ne lui donne pas seulement à travers
des organisations créées à cet effet, l’acceptant peut-être comme une nécessité politique. Je vois avec les
yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires:
je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin. Ici apparaît l’interaction nécessaire entre amour de
Dieu et amour du prochain, sur laquelle insiste tant la Première Lettre de Jean. Si le contact avec Dieu me
fait complètement défaut dans ma vie, je ne peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à
reconnaître en lui l’image divine. Si par contre dans ma vie je néglige complètement l’attention à l’autre,
désirant seulement être «pieux» et accomplir mes «devoirs religieux», alors même ma relation à Dieu se
dessèche. Alors, cette relation est seulement «correcte», mais sans amour. Seule ma disponibilité à aller à
la rencontre du prochain, à lui témoigner de l’amour, me rend aussi sensible devant Dieu. Seul le service
du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour moi et sur sa manière à Lui de m’aimer. Les saints –
pensons par exemple à la bienheureuse Teresa de Calcutta – ont puisé dans la rencontre avec le Seigneur
dans l’Eucharistie leur capacité à aimer le prochain de manière toujours nouvelle, et réciproquement cette
rencontre a acquis son réalisme et sa profondeur précisément grâce à leur service des autres. Amour de
Dieu et amour du prochain sont inséparables, c’est un unique commandement. Tous les deux cependant
vivent de l’amour prévenant de Dieu qui nous a aimés le premier. Ainsi, il n’est plus question d’un
«commandement» qui nous prescrit l’impossible de l’extérieur, mais au contraire d’une expérience de
l’amour, donnée de l’intérieur, un amour qui, de par sa nature, doit par la suite être partagé à d’autres.
L’amour grandit par l’amour. L’amour est «divin» parce qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit à Dieu, et, à
travers ce processus d’unification, il nous transforme en un Nous, qui surpasse nos divisions et qui nous
fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit «tout en tous» (1 Co 15, 28).

 
DEUXIÈME PARTIE
CARITAS
L’EXERCICE DE L’AMOUR
DE LA PART DE L’ÉGLISE
EN TANT QUE «COMMUNAUTÉ D’AMOUR»


 
La charité de l'Église comme manifestation de l'amour trinitaire
19. «Tu vois la Trinité quand tu vois la charité», écrivait saint Augustin.[11] Dans les réflexions qui
précèdent, nous avons pu fixer notre regard sur Celui qui a été transpercé (cf. Jn 19, 37; Za,12, 10),
reconnaissant le dessein du Père qui, mû par l'amour (cf. Jn 3, 16), a envoyé son Fils unique dans le
monde pour racheter l'homme. Mourant sur la croix, Jésus – comme le souligne l’Évangéliste – «remit
l'esprit» (Jn 19, 30), prélude du don de l’Esprit Saint qu’il ferait après la résurrection (cf. Jn 20, 22). Se
réaliserait ainsi la promesse des «fleuves d'eau vive» qui, grâce à l’effusion de l’Esprit, jailliraient du coeur
des croyants (cf. Jn 7, 38-39). En effet, l’Esprit est la puissance intérieure qui met leur coeur au diapason du
coeur du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés quand il s’est penché pour
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
laver les pieds de ses disciples (cf. Jn 13, 1-13) et surtout quand il a donné sa vie pour tous (cf. Jn 13, 1;
15, 13).
L’Esprit est aussi la force qui transforme le coeur de la Communauté ecclésiale, afin qu’elle soit, dans le
monde, témoin de l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité, dans son Fils, une unique famille. Toute
l’activité de l’Église est l’expression d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme: elle cherche son
évangélisation par la Parole et par les Sacrements, entreprise bien souvent héroïque dans ses réalisations
historiques; et elle cherche sa promotion dans les différents domaines de la vie et de l’activité humaines.
L’amour est donc le service que l’Église réalise pour aller constamment au-devant des souffrances et des
besoins, même matériels, des hommes. C’est sur cet aspect, sur ce service de la charité, que je désire
m’arrêter dans cette deuxième partie de l’Encyclique.
La charité comme tâche de l’Église
20. L’amour du prochain, enraciné dans l’amour de Dieu, est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais
il est aussi une tâche pour la communauté ecclésiale entière, et cela à tous les niveaux: de la communauté
locale à l’Église particulière jusqu’à l’Église universelle dans son ensemble. L’Église aussi, en tant que
communauté, doit pratiquer l’amour. En conséquence, l’amour a aussi besoin d’organisation comme
présupposé pour un service communautaire ordonné. La conscience de cette tâche a eu un caractère
constitutif dans l’Église depuis ses origines: «Tous ceux qui étaient devenus croyants vivaient ensemble, et
ils mettaient tout en commun; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre
tous selon les besoins de chacun» (Ac 2, 44-45). Luc nous raconte cela en relation avec une sorte de
définition de l’Église, dont il énumère quelques éléments constitutifs, parmi lesquels l’adhésion à
«l’enseignement des Apôtres», à «la communion» (koinonía), à «la fraction du pain» et à «la prière» (cf. Ac
2, 42). L’élément de la «communion» (koinonía), ici initialement non spécifié, est concrétisé dans les
versets qui viennent d’être cités plus haut: cette communion consiste précisément dans le fait que les
croyants ont tout en commun et qu’entre eux la différence entre riches et pauvres n’existe plus (cf. aussi Ac
4, 32-37). Cette forme radicale de communion matérielle, à vrai dire, n’a pas pu être maintenue avec la
croissance de l’Église. Le noyau essentiel a cependant subsisté: à l’intérieur de la communauté des
croyants il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle que soient refusés à certains les biens
nécessaires à une vie digne.
21. Une étape décisive dans la difficile recherche de solutions pour réaliser ce principe ecclésial
fondamental nous devient visible dans le choix de sept hommes, ce qui fut le commencement du ministère
diaconal (cf. Ac 6, 5-6). Dans l’Église des origines, en effet, s’était créée, dans la distribution quotidienne
aux veuves, une disparité entre le groupe de langue hébraïque et celui de langue grecque. Les Apôtres,
auxquels étaient avant tout confiés la «prière» (Eucharistie et Liturgie) et le «service de la Parole», se
sentirent pris de manière excessive par le «service des tables»; ils décident donc de se réserver le
ministère principal et de créer pour l’autre tâche, tout aussi nécessaire dans l’Église, un groupe de sept
personnes. Cependant, même ce groupe ne devait pas accomplir un service simplement technique de
distribution: ce devait être des hommes «remplis d’Esprit Saint et de sagesse» (cf. Ac 6, 1-6). Cela signifie
que le service social qu’ils devaient effectuer était tout à fait concret, mais en même temps, c’était aussi
sans aucun doute un service spirituel; c’était donc pour eux un véritable ministère spirituel, qui réalisait une
tâche essentielle de l’Église, celle de l’amour bien ordonné du prochain. Avec la formation de ce groupe
des Sept, la «diaconia» – le service de l’amour du prochain exercé d’une manière communautaire et
ordonnée – était désormais instaurée dans la structure fondamentale de l’Église elle-même.
22. Les années passant, avec l’expansion progressive de l’Église, l’exercice de la charité s’est affirmé
comme l’un de ses secteurs essentiels, avec l’administration des Sacrements et l’annonce de la Parole:
pratiquer l’amour envers les veuves et les orphelins, envers les prisonniers, les malades et toutes les
personnes qui, de quelque manière, sont dans le besoin, cela appartient à son essence au même titre que
le service des Sacrements et l’annonce de l’Évangile. L’Église ne peut pas négliger le service de la charité,
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
de même qu’elle ne peut négliger les Sacrements ni la Parole. Quelques références suffisent à le
démontrer. Le martyr Justin ( vers 155) décrit aussi, dans le contexte de la célébration dominicale des
chrétiens, leur activité caritative, reliée à l’Eucharistie comme telle. Les personnes aisées font des
offrandes dans la mesure de leurs possibilités, chacune donnant ce qu’elle veut. L’Évêque s’en sert alors
pour soutenir les orphelins, les veuves et les personnes qui, à cause de la maladie ou pour d’autres motifs,
se trouvent dans le besoin, de même que les prisonniers et les étrangers[12]. Le grand auteur chrétien
Tertullien (après 220) raconte comment l’attention des chrétiens envers toutes les personnes dans le
besoin suscitait l’émerveillement chez les païens [13]. Et quand Ignace d’Antioche (vers 117) qualifie
l’Église de Rome comme celle «qui préside à la charité (agapè)»[14], on peut considérer que, par cette
définition, il entendait aussi en exprimer d’une certaine manière l’activité caritative concrète.
23. Dans ce contexte, il peut être utile de faire référence aux structures juridiques primitives concernant le
service de la charité dans l’Église. Vers le milieu du IV e siècle, prend forme en Égypte ce que l’on appelle
la «diaconie»; dans chaque monastère, elle constitue l’institution responsable de l’ensemble des activités
d’assistance, précisément du service de la charité. Depuis les origines jusqu’à la fin du VI e siècle se
développe en Égypte une corporation avec une pleine capacité juridique, à laquelle les autorités civiles
confient même une partie du blé pour la distribution publique. En Égypte, non seulement chaque monastère
mais aussi chaque diocèse finit par avoir sa diaconie, institution qui se développera ensuite en Orient
comme en Occident. Le Pape Grégoire le Grand ( 604) fait référence à la diaconie de Naples; en ce qui
concerne Rome, les documents font allusion aux diaconies à partir du VII e et du VIII e siècles. Mais
naturellement, déjà auparavant et cela depuis les origines, l’activité d’assistance aux pauvres et aux
personnes qui souffrent faisait partie de manière essentielle de la vie de l’Église de Rome, selon les
principes de la vie chrétienne exposés dans les Actes des Apôtres. Cette tâche trouve une expression
vivante dans la figure du diacre Laurent ( 258). La description dramatique de son martyre était déjà connue
par saint Ambroise ( 397) et elle nous montre véritablement en son centre l’authentique figure du Saint. À
lui, qui était responsable de l’assistance aux pauvres de Rome, a été accordé un laps de temps, après
l’arrestation de ses confrères et du Pape, pour rassembler les trésors de l’Église et les remettre aux
autorités civiles. Laurent distribua l’argent disponible aux pauvres et les présenta alors aux autorités
comme le vrai trésor de l’Église[15]. Quelle que soit la crédibilité historique de ces détails, Laurent est resté
présent dans la mémoire de l’Église comme un grand représentant de la charité ecclésiale.
24. Une référence à la figure de l’empereur Julien l’Apostat (363) peut montrer encore une fois que la
charité organisée et pratiquée par l’Église des premiers siècles est essentielle. Alors qu’il avait six ans,
Julien avait assisté à l’assassinat de son père, de son frère et d’autres de ses proches par des gardes du
palais impérial; il attribua cette brutalité – à tort ou à raison – à l’empereur Constance, qui se faisait passer
pour un grand chrétien. Et de ce fait, la foi chrétienne fut une fois pour toutes discréditée à ses yeux.
Devenu empereur, il décida de restaurer le paganisme, l’antique religion romaine, mais en même temps de
le réformer, de manière qu’il puisse devenir réellement la force entraînante de l’empire. Dans cette
perspective, il s’inspira largement du christianisme. Il instaura une hiérarchie de métropolites et de prêtres.
Les prêtres devaient être attentifs à l’amour pour Dieu et pour le prochain. Dans une de ses lettres[16], il
écrivait que l’unique aspect qui le frappait dans le christianisme était l’activité caritative de l’Église. Pour son
nouveau paganisme, ce fut donc un point déterminant que de créer, à côté du système de charité de
l’Église, une activité équivalente dans sa religion. De cette manière, les «Galiléens» – ainsi disait-il –
avaient conquis leur popularité. On se devait de faire de l’émulation et même de dépasser leur popularité.
De la sorte, l’empereur confirmait donc que la charité était une caractéristique déterminante de la
communauté chrétienne, de l’Église.
25. Arrivés à ce point, nous recueillons deux éléments essentiels de nos réflexions:
a) La nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple tâche: annonce de la Parole de Dieu (kerygmamartyria),
célébration des Sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui
s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Église
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une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa
nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer[17].
b) L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, personne ne doit souffrir par manque
du nécessaire. En même temps, la caritas-agapè dépasse aussi les frontières de l’Église; la parabole du
Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation, elle impose l’universalité de l’amour qui se tourne vers
celui qui est dans le besoin, rencontré «par hasard» (cf. Lc 10, 31), quel qu’il soit. Tout en maintenant cette
universalité du commandement de l’amour, il y a cependant une exigence spécifiquement ecclésiale – celle
qui rappelle justement que, dans l’Église elle-même en tant que famille, aucun membre ne doit souffrir
parce qu’il est dans le besoin. Les mots de l’Épître aux Galates vont dans ce sens: «Puisque nous tenons
le bon moment, travaillons au bien de tous, spécialement dans la famille des croyants» (6,10).
Justice et charité
26. Depuis le dix-neuvième siècle, on a soulevé une objection contre l’activité caritative de l’Église,
objection qui a été développée ensuite avec insistance, notamment par la pensée marxiste. Les pauvres,
dit-on, n’auraient pas besoin d’oeuvres de charité, mais plutôt de justice. Les oeuvres de charité – les
aumônes – seraient en réalité, pour les riches, une manière de se soustraire à l’instauration de la justice et
d’avoir leur conscience en paix, maintenant leurs positions et privant les pauvres de leurs droits. Au lieu de
contribuer, à travers diverses oeuvres de charité, au maintien des conditions existantes, il faudrait créer un
ordre juste, dans lequel tous recevraient leur part des biens du monde et n’auraient donc plus besoin des
oeuvres de charité. Dans cette argumentation, il faut le reconnaître, il y a du vrai, mais aussi beaucoup
d’erreurs. Il est certain que la norme fondamentale de l’État doit être la recherche de la justice et que le but
d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans le respect du principe de subsidiarité, sa part du
bien commun. C’est ce que la doctrine chrétienne sur l’État et la doctrine sociale de l’Église ont toujours
souligné. D’un point de vue historique, la question de l’ordre juste de la collectivité est entrée dans une
nouvelle phase avec la formation de la société industrielle au dix-neuvième siècle. La naissance de
l’industrie moderne a vu disparaître les vieilles structures sociales et, avec la masse des salariés, elle a
provoqué un changement radical dans la composition de la société, dans laquelle le rapport entre capital et
travail est devenu la question décisive, une question qui, sous cette forme, était jusqu’alors inconnue. Les
structures de production et le capital devenaient désormais la nouvelle puissance qui, mise dans les mains
d’un petit nombre, aboutissait pour les masses laborieuses à une privation de droits, contre laquelle il fallait
se rebeller.
27. Il est juste d’admettre que les représentants de l’Église ont perçu, mais avec lenteur, que le problème
de la juste structure de la société se posait de manière nouvelle. Les pionniers ne manquèrent pas: l’un
d’entre eux, par exemple, fut Mgr Ketteler, Évêque de Mayence ( 1877). En réponse aux nécessités
concrètes, naquirent aussi des cercles, des associations, des unions, des fédérations et surtout de
nouveaux Ordres religieux qui, au dix-neuvième siècle, s’engagèrent contre la pauvreté, les maladies et les
situations de carence dans le secteur éducatif. En 1891, le Magistère pontifical intervint par l’Encyclique
Rerum Novarum de Léon XIII. Il y eut ensuite, en 1931, l’Encyclique de Pie XI Quadragesimo anno. Le
bienheureux Pape Jean XXIII publia, en 1961, l’Encyclique Mater et magistra; pour sa part Paul VI, dans
l’encyclique Populorum progressio (1967) et dans la lettre apostolique Octogesima adveniens (1971),
affronta de manière insistante la problématique sociale, qui, dans le même temps, était devenue plus
urgente, surtout en Amérique Latine. Mon grand Prédécesseur Jean-Paul II nous a laissé une trilogie
d’Encycliques sociales : Laborem exercens (1981), Sollicitudo rei socialis (1987) et enfin Centesimus annus
(1991). Ainsi, face à des situations et à des problèmes toujours nouveaux, s’est développée une doctrine
sociale catholique qui, en 2004, a été présentée de manière organique dans le Compendium de la doctrine
sociale de l’Église, rédigé par le Conseil pontifical Justice et Paix. Le marxisme avait présenté la révolution
mondiale et sa préparation comme étant la panacée à la problématique sociale : avec la révolution et la
collectivisation des moyens de production qui s’ensuivit – affirmait-on dans cette doctrine –, tout devait
immédiatement aller de manière différente et meilleure. Ce rêve s’est évanoui. Dans la situation difficile où
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
nous nous trouvons aujourd’hui, à cause aussi de la mondialisation de l’économie, la doctrine sociale de
l’Église est devenue un repère fondamental, qui propose des orientations valables bien au-delà de ses
limites : ces orientations – face au développement croissant – doivent être appréhendées dans le dialogue
avec tous ceux qui se préoccupent sérieusement de l’homme et du monde.
28. Pour définir plus précisément la relation entre l’engagement nécessaire pour la justice et le service de
la charité, il faut prendre en compte deux situations de fait fondamentales:
a) L’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique. Un État qui ne serait pas dirigé
selon la justice se réduirait à une grande bande de vauriens, comme l’a dit un jour saint Augustin: «Remota
itaque iustitia quid sunt regna nisi magna latrocinia ? »[18]. La distinction entre ce qui est à César et ce qui
est à Dieu (cf. Mt 22, 21), à savoir la distinction entre État et Église ou, comme le dit le Concile Vatican II,
l’autonomie des réalités terrestres[19], appartient à la structure fondamentale du christianisme. L’État ne
peut imposer la religion, mais il doit en garantir la liberté, ainsi que la paix entre les fidèles des différentes
religions. De son côté, l’Église comme expression sociale de la foi chrétienne a son indépendance et, en se
fondant sur sa foi, elle vit sa forme communautaire, que l’État doit respecter. Les deux sphères sont
distinctes, mais toujours en relation de réciprocité.
La justice est le but et donc aussi la mesure intrinsèque de toute politique. Le politique est plus qu’une
simple technique pour la définition des ordonnancements publics : son origine et sa finalité se trouvent
précisément dans la justice, et cela est de nature éthique. Ainsi, l’État se trouve de fait inévitablement
confronté à la question : comment réaliser la justice ici et maintenant ? Mais cette question en présuppose
une autre plus radicale: qu’est-ce que la justice ? C’est un problème qui concerne la raison pratique ; mais
pour pouvoir agir de manière droite, la raison doit constamment être purifiée, car son aveuglement éthique,
découlant de la tentation de l’intérêt et du pouvoir qui l’éblouissent, est un danger qu’on ne peut jamais
totalement éliminer.
En ce point, politique et foi se rejoignent. Sans aucun doute, la foi a sa nature spécifique de rencontre avec
le Dieu vivant, rencontre qui nous ouvre de nouveaux horizons bien au-delà du domaine propre de la
raison. Mais, en même temps, elle est une force purificatrice pour la raison elle-même. Partant de la
perspective de Dieu, elle la libère de ses aveuglements et, de ce fait, elle l’aide à être elle-même meilleure.
La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre. C’est là que se
place la doctrine sociale catholique : elle ne veut pas conférer à l’Église un pouvoir sur l’État. Elle ne veut
pas même imposer à ceux qui ne partagent pas sa foi des perspectives et des manières d’être qui lui
appartiennent. Elle veut simplement contribuer à la purification de la raison et apporter sa contribution, pour
faire en sorte que ce qui est juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en oeuvre.
La doctrine sociale de l’Église argumente à partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire à partir de ce
qui est conforme à la nature de tout être humain. Elle sait qu’il ne revient pas à l’Église de faire valoir ellemême
politiquement cette doctrine : elle veut servir la formation des consciences dans le domaine politique
et contribuer à faire grandir la perception des véritables exigences de la justice et, en même temps, la
disponibilité d’agir en fonction d’elles, même si cela est en opposition avec des situations d’intérêt
personnel. Cela signifie que la construction d’un ordre juste de la société et de l’État, par lequel est donné à
chacun ce qui lui revient, est un devoir fondamental, que chaque génération doit à nouveau affronter.
S’agissant d’un devoir politique, cela ne peut pas être à la charge immédiate de l’Église. Mais, puisque
c’est en même temps un devoir humain primordial, l’Église a le devoir d’offrir sa contribution spécifique,
grâce à la purification de la raison et à la formation éthique, afin que les exigences de la justice deviennent
compréhensibles et politiquement réalisables.
L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste
possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à
l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle
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doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut
s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être l’oeuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par
le politique. Toutefois, l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté
aux exigences du bien, intéresse profondément l’Église.
b) L’amour – caritas – sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n’y a aucun ordre
juste de l’État qui puisse rendre superflu le service de l’amour. Celui qui veut s’affranchir de l’amour se
prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme. Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame
consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité
matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le prochain.
[20] L’État qui veut pourvoir à tout, qui absorbe tout en lui, devient en définitive une instance bureaucratique
qui ne peut assurer l’essentiel dont l’homme souffrant – tout homme – a besoin : le dévouement personnel
plein d’amour. Nous n’avons pas besoin d’un État qui régente et domine tout, mais au contraire d’un État
qui reconnaisse généreusement et qui soutienne, dans la ligne du principe de subsidiarité, les initiatives qui
naissent des différentes forces sociales et qui associent spontanéité et proximité avec les hommes ayant
besoin d’aide. L’Église est une de ces forces vives : en elle vit la dynamique de l’amour suscité par l’Esprit
du Christ. Cet amour n’offre pas uniquement aux hommes une aide matérielle, mais également réconfort et
soin de l’âme, aide souvent plus nécessaire que le soutien matériel. L’affirmation selon laquelle les
structures justes rendraient superflues les oeuvres de charité cache en réalité une conception matérialiste
de l’homme : le préjugé selon lequel l’homme vivrait «seulement de pain» (Mt 4,4; cf. Dt 8, 3) est une
conviction qui humilie l’homme et qui méconnaît précisément ce qui est le plus spécifiquement humain.
29. Ainsi nous pouvons maintenant déterminer avec plus de précision, dans la vie de l’Église, la relation
entre l’engagement pour un ordre juste de l’État et de la société, d’une part, et l’activité caritative organisée,
d’autre part. On a vu que la formation de structures justes n’est pas immédiatement du ressort de l’Église,
mais qu’elle appartient à la sphère du politique, c’est-à-dire au domaine de la raison responsable d’ellemême.
En cela, la tâche de l’Église est médiate, en tant qu’il lui revient de contribuer à la purification de la
raison et au réveil des forces morales, sans lesquelles des structures justes ne peuvent ni être construites,
ni être opérationnelles à long terme.
Le devoir immédiat d’agir pour un ordre juste dans la société est au contraire le propre des fidèles laïcs. En
tant que citoyens de l’État, ils sont appelés à participer personnellement à la vie publique. Ils ne peuvent
donc renoncer «à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour
but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun»[21]. Une des missions des
fidèles est donc de configurer de manière droite la vie sociale, en en respectant la légitime autonomie et en
coopérant avec les autres citoyens, selon les compétences de chacun et sous leur propre responsabilité
[22]. Même si les expressions spécifiques de la charité ecclésiale ne peuvent jamais se confondre avec
l’activité de l’État, il reste cependant vrai que la charité doit animer l’existence entière des fidèles laïcs et
donc aussi leur activité politique, vécue comme «charité sociale».[23]
Les organisations caritatives de l’Église constituent au contraire son opus proprium, une tâche conforme à
sa nature, dans laquelle elle ne collabore pas de façon marginale, mais où elle agit comme sujet
directement responsable, faisant ce qui correspond à sa nature. L’Église ne peut jamais se dispenser de
l’exercice de la charité en tant qu’activité organisée des croyants et, d’autre part, il n’y aura jamais une
situation dans laquelle on n’aura pas besoin de la charité de chaque chrétien, car l’homme, au-delà de la
justice, a et aura toujours besoin de l’amour.
Les nombreuses structures de service caritatif dans le contexte social actuel
30. Avant de tenter une définition du profil spécifique des activités ecclésiales au service de l’homme, je
voudrais maintenant considérer la situation générale de l’engagement pour la justice et pour l’amour dans
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le monde d’aujourd’hui.
a) Les moyens de communication de masse ont rendu désormais notre planète plus petite, rapprochant
rapidement hommes et cultures profondément différents. Si ce «vivre ensemble» suscite parfois
incompréhensions et tensions, cependant, le fait d’avoir maintenant connaissance de manière beaucoup
plus immédiate des besoins des hommes représente surtout un appel à partager leur situation et leurs
difficultés. Chaque jour, nous prenons conscience de l’importance de la souffrance dans le monde, causée
par une misère tant matérielle que spirituelle revêtant de multiples formes, en dépit des grands progrès de
la science et de la technique. Notre époque demande donc une nouvelle disponibilité pour secourir le
prochain qui a besoin d’aide. Déjà le Concile Vatican II l’a souligné de manière très claire : «De nos jours,
[...] à cause des facilités plus grandes offertes par les moyens de communication, la distance entre les
hommes est en quelque sorte vaincue [...], l’action caritative peut et doit aujourd’hui avoir en vue
absolument tous les hommes et tous les besoins».[24]
Par ailleurs – et c’est un aspect provocateur et en même temps encourageant du processus de
mondialisation –, le temps présent met à notre disposition d’innombrables instruments pour apporter une
aide humanitaire à nos frères qui sont dans le besoin, et tout spécialement les systèmes modernes pour la
distribution de nourriture et de vêtements, de même que pour la proposition de logements et d’accueil.
Dépassant les confins des communautés nationales, la sollicitude pour le prochain tend ainsi à élargir ses
horizons au monde entier. Le Concile Vatican II a noté avec justesse: «Parmi les signes de notre temps, il
convient de relever spécialement le sens croissant et inéluctable de la solidarité de tous les peuples».[25]
Les organismes de l’État et les associations humanitaires favorisent les initiatives en vue d’atteindre ce but,
par des subsides ou des dégrèvements fiscaux pour les uns, rendant disponibles des ressources
considérables pour les autres. Ainsi la solidarité exprimée par la société civile dépasse de manière
significative celle des individus.
b) Dans cette situation, à travers les instances étatiques et ecclésiales, sont nées et se sont développées
de nombreuses formes de collaboration, qui se sont révélées fructueuses. Les institutions ecclésiales,
grâce à la transparence de leurs moyens d’action et à la fidélité à leur devoir de témoigner de l’amour,
pourront aussi animer chrétiennement les institutions civiles, favorisant une coordination réciproque, dont
ne manquera pas de bénéficier l’efficacité du service caritatif[26]. Dans ce contexte, se sont aussi formées
de multiples organisations à but caritatif ou philanthropique qui, face aux problèmes sociaux et politiques
existants, s’engagent pour parvenir à des solutions satisfaisantes dans le domaine humanitaire. Un
phénomène important de notre temps est l’apparition et l’expansion de diverses formes de bénévolat, qui
prennent en charge une multiplicité de services.[27] Je voudrais ici adresser une parole de reconnaissance
et de remerciement à tous ceux qui participent, d’une manière ou d’une autre, à de telles activités. Le
développement d’un pareil engagement représente pour les jeunes une école de vie qui éduque à la
solidarité, à la disponibilité, en vue de donner non pas simplement quelque chose, mais de se donner soimême.
À l’anti-culture de la mort, qui s’exprime par exemple dans la drogue, s’oppose ainsi l’amour qui ne
se recherche pas lui-même, mais qui, précisément en étant disponible à «se perdre» pour l’autre (cf. Lc 17,
33 et par.), se révèle comme culture de la vie.
De même, dans l’Église catholique et dans d’autres Églises et Communautés ecclésiales ont surgi de
nouvelles formes d’activité caritative, et de plus anciennes sont réapparues avec un élan renouvelé. Ce
sont des formes dans lesquelles on arrive souvent à constituer un lien heureux entre évangélisation et
oeuvres de charité. Je désire confirmer explicitement ici ce que mon grand Prédécesseur Jean-Paul II a
écrit dans son Encyclique Sollicitudo rei socialis[28], lorsqu’il a affirmé la disponibilité de l’Église catholique
à collaborer avec les Organisations caritatives de ces Églises et Communautés, puisque nous sommes
tous animés de la même motivation fondamentale et que nous avons devant les yeux le même but : un
véritable humanisme, qui reconnaît dans l’homme l’image de Dieu et qui veut l’aider à mener une vie
conforme à cette dignité. En vue d’un développement harmonieux du monde, l’Encyclique Ut unum sint a
de nouveau souligné qu’il était nécessaire pour les chrétiens d’unir leur voix et leur engagement «pour le
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
respect des droits et des besoins de tous, spécialement des pauvres, des humiliés et de ceux qui sont sans
défense».[29] Je voudrais exprimer ici ma joie, car ce désir a trouvé dans l’ensemble du monde un large
écho à travers de nombreuses initiatives.
Le profil spécifique de l’activité caritative de l’Église
31. L’augmentation d’organisations diversifiées qui s’engagent en faveur de l’homme dans ses diverses
nécessités s’explique au fond par le fait que l’impératif de l’amour du prochain est inscrit par le Créateur
dans la nature même de l’homme. Cependant, cette croissance est aussi un effet de la présence du
christianisme dans le monde, qui suscite constamment et rend efficace cet impératif, souvent profondément
obscurci au cours de l’histoire. La réforme du paganisme tentée par l’empereur Julien l’Apostat n’est que
l’exemple initial d’une telle efficacité. En ce sens, la force du christianisme s’étend bien au-delà des
frontières de la foi chrétienne. De ce fait, il est très important que l’activité caritative de l’Église maintienne
toute sa splendeur et ne se dissolve pas dans une organisation commune d’assistance, en en devenant
une simple variante. Mais quels sont donc les éléments constitutifs qui forment l’essence de la charité
chrétienne et ecclésiale ?
a) Selon le modèle donné par la parabole du bon Samaritain, la charité chrétienne est avant tout
simplement la réponse à ce qui, dans une situation déterminée, constitue la nécessité immédiate: les
personnes qui ont faim doivent être rassasiées, celles qui sont sans vêtements doivent être vêtues, celles
qui sont malades doivent être soignées en vue de leur guérison, celles qui sont en prison doivent être
visitées, etc. Les Organisations caritatives de l’Église, à commencer par les Caritas (diocésaines,
nationales, internationale), doivent faire tout leur possible pour que soient mis à disposition les moyens
nécessaires, et surtout les hommes et les femmes, pour assumer de telles tâches. En ce qui concerne le
service des personnes qui souffrent, la compétence professionnelle est avant tout nécessaire : les
soignants doivent être formés de manière à pouvoir accomplir le geste juste au moment juste, prenant
aussi l’engagement de poursuivre les soins. La compétence professionnelle est une des premières
nécessités fondamentales, mais à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il s’agit d’êtres humains, et les
êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement corrects. Ils ont
besoin d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du coeur. Les personnes qui oeuvrent dans les Institutions
caritatives de l’Église doivent se distinguer par le fait qu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec
dextérité le geste qui convient sur le moment, mais qu’elles se consacrent à autrui avec des attentions qui
leur viennent du coeur, de manière à ce qu’autrui puisse éprouver leur richesse d’humanité. C’est pourquoi,
en plus de la préparation professionnelle, il est nécessaire pour ces personnes d’avoir aussi et surtout une
«formation du coeur» : il convient de les conduire à la rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en
eux l’amour et qui ouvre leur esprit à autrui, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour
ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans
l’amour (cf. Ga 5, 6).
b) L’activité caritative chrétienne doit être indépendante de partis et d’idéologies. Elle n’est pas un moyen
pour changer le monde de manière idéologique et elle n’est pas au service de stratégies mondaines, mais
elle est la mise en oeuvre ici et maintenant de l’amour dont l’homme a constamment besoin. L’époque
moderne, surtout à partir du dix-neuvième siècle, est dominée par différents courants d’une philosophie du
progrès, dont la forme la plus radicale est le marxisme. Une partie de la stratégie marxiste est la théorie de
l’appauvrissement : celui qui, dans une situation de pouvoir injuste – soutient-elle –, aide l’homme par des
initiatives de charité, se met de fait au service de ce système d’injustice, le faisant apparaître supportable,
au moins jusqu’à un certain point. Le potentiel révolutionnaire est ainsi freiné et donc le retour vers un
monde meilleur est bloqué. Par conséquent, la charité est contestée et attaquée comme système de
conservation du statu quo. En réalité, c’est là une philosophie inhumaine. L’homme qui vit dans le présent
est sacrifié au Moloch de l’avenir – un avenir dont la réalisation effective reste pour le moins douteuse. En
vérité, l’humanisation du monde ne peut être promue en renonçant, pour le moment, à se comporter de
manière humaine. Nous ne contribuons à un monde meilleur qu’en faisant le bien, maintenant et
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personnellement, passionnément, partout où cela est possible, indépendamment de stratégies et de
programmes de partis. Le programme du chrétien – le programme du bon Samaritain, le programme de
Jésus – est «un coeur qui voit». Ce coeur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence.
Naturellement, à la spontanéité de l’individu, lorsque l’activité caritative est assumée par l’Église comme
initiative communautaire, doivent également s'adjoindre des programmes, des prévisions, des
collaborations avec d’autres institutions similaires.
c) De plus, la charité ne doit pas être un moyen au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le prosélytisme.
L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins[30]. Cela ne signifie pas toutefois que
l’action caritative doive laisser de côté, pour ainsi dire, Dieu et le Christ. C’est toujours l’homme tout entier
qui est en jeu. Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la
souffrance. Celui qui pratique la charité au nom de l’Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi
de l’Église. Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu
auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de
Dieu et quand il est juste de Le taire et de ne laisser parler que l’amour. Il sait que Dieu est amour (cf. 1 Jn
4,8) et qu’il se rend présent précisément dans les moments où rien d’autre n’est fait sinon qu’aimer. Il sait –
pour en revenir à la question précédente – que le mépris de l’amour est mépris de Dieu et de l’homme, et
qu’il est la tentative de se passer de Dieu. Par conséquent, la meilleure défense de Dieu et de l’homme
consiste justement dans l’amour. La tâche des Organisations caritatives de l’Église est de renforcer une
telle conscience chez leurs membres, de sorte que, par leurs actions – comme par leurs paroles, leurs
silences, leurs exemples –, ils deviennent des témoins crédibles du Christ.
Les responsables de l’action caritative de l’Église
32. Enfin, nous devons encore porter notre attention vers les responsables de l’action caritative de l’Église,
déjà cités. Dans les réflexions précédentes, il est désormais apparu clairement que le vrai sujet des
différentes Organisations catholiques qui accomplissent un service de charité est l’Église elle-même – et
ce, à tous les niveaux, en commençant par les paroisses, en passant par les Églises particulières, jusqu’à
l’Église universelle. C’est pourquoi il a été plus que jamais opportun que mon vénéré Prédécesseur Paul VI
ait institué le Conseil pontifical Cor unum comme instance du Saint-Siège responsable de l’orientation et de
la coordination entre les organisations et les activités caritatives promues par l’Église universelle. Il découle
donc de la structure épiscopale de l’Église que, dans les Églises particulières, les Évêques, en qualité de
successeurs des Apôtres, portent la responsabilité première de la mise en oeuvre, aujourd’hui encore, du
programme indiqué dans les Actes des Apôtres (cf. 2, 42-44): l’Église, en tant que famille de Dieu, doit être
aujourd’hui comme hier, un lieu d’entraide mutuelle et, en même temps, un lieu de disponibilité pour servir
aussi les personnes qui, hors d’elle, ont besoin d’aide. Au cours du rite de l’Ordination épiscopale, le
moment précis de la consécration est précédé de quelques questions posées au candidat, où sont
exprimés les éléments essentiels de sa charge et où lui sont rappelés les devoirs de son futur ministère.
Dans ce contexte, l’ordinand promet expressément d’être, au nom du Seigneur, accueillant et
miséricordieux envers les pauvres et envers tous ceux qui ont besoin de réconfort et d’aide.[31] Le Code de
Droit canonique, dans les canons concernant le ministère épiscopal, ne traite pas expressément de la
charité comme d’un domaine spécifique de l’activité épiscopale, mais il expose seulement de façon
générale la tâche de l’Évêque, qui est de coordonner les différentes oeuvres d’apostolat dans le respect de
leur caractère propre.[32] Récemment cependant, le Directoire pour le ministère pastoral des Évêques a
approfondi de manière plus concrète le devoir de la charité comme tâche intrinsèque de l’Église entière et
de l’Évêque dans son diocèse,[33] et il a souligné que l’exercice de la charité est un acte de l’Église en tant
que telle et que, au même titre que le service de la Parole et des Sacrements, elle fait partie, elle aussi, de
l’essence de sa mission originaire.[34]
33. En ce qui concerne les collaborateurs qui accomplissent concrètement le travail de la charité dans
l’Église, l’essentiel a déjà été dit : ils ne doivent pas s’inspirer des idéologies de l’amélioration du monde,
mais se laisser guider par la foi qui, dans l’amour, devient agissante (cf. Ga 5,6). Ils doivent donc être des
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
personnes touchées avant tout par l’amour du Christ, des personnes dont le Christ a conquis le coeur par
son amour, en y réveillant l’amour pour le prochain. Le critère qui inspire leur action devrait être l’affirmation
présente dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens: «L’amour du Christ nous pousse» (5, 14). La
conscience qu’en Lui Dieu lui-même s’est donné pour nous jusqu’à la mort doit nous amener à ne plus
vivre pour nous-mêmes, mais pour Lui et avec Lui pour les autres. Celui qui aime le Christ aime l’Église, et
il veut qu’elle soit toujours plus expression et instrument de l’amour qui émane de Lui. Le collaborateur de
toute Organisation caritative catholique veut travailler avec l’Église et donc avec l’Évêque, afin que l’amour
de Dieu se répande dans le monde. En participant à la mise en oeuvre de l’amour de la part de l’Église, il
veut être témoin de Dieu et du Christ et, précisément, pour cela il veut faire gratuitement du bien aux
hommes.
34. L’ouverture intérieure à la dimension catholique de l’Église ne pourra pas ne pas disposer le
collaborateur à vivre en harmonie avec les autres Organisations pour répondre aux différentes formes de
besoin; cela devra cependant se réaliser dans le respect du profil spécifique du service demandé par le
Christ à ses disciples. Dans son hymne à la charité (cf. 1 Co 13), saint Paul nous enseigne que la charité
est toujours plus qu’une simple activité : «J’aurai beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurai beau
me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne sert à rien» (v. 3). Cette hymne doit être la Magna
Charta de l’ensemble du service ecclésial. En elle sont résumées toutes les réflexions qu’au long de cette
Encyclique j’ai développées sur l’amour. L’action concrète demeure insuffisante si, en elle, l’amour pour
l’homme n’est pas perceptible, un amour qui se nourrit de la rencontre avec le Christ. La participation
profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui devient ainsi une façon de m’associer à
lui : pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moimême,
je dois être présent dans le don en tant que personne.
35. Cette juste manière de servir rend humble celui qui agit. Il n’assume pas une position de supériorité
face à l’autre, même si la situation de ce dernier peut à ce moment-là être misérable. Le Christ a pris la
dernière place dans le monde – la croix – et, précisément par cette humilité radicale, il nous a rachetés et il
nous aide constamment. Celui qui peut aider, reconnaît que c’est justement de cette manière qu’il est aidé
lui-aussi. Le fait de pouvoir aider n’est ni son mérite ni un titre d’orgueil. Cette tâche est une grâce. Plus
une personne oeuvre pour les autres, plus elle comprendra et fera sienne la Parole du Christ : «Nous
sommes des serviteurs quelconques» (Lc 17, 10). En effet, elle reconnaît qu’elle agit non pas en fonction
d’une supériorité ou d’une plus grande efficacité personnelle, mais parce que le Seigneur lui en fait don.
Parfois, le surcroît des besoins et les limites de sa propre action pourront l’exposer à la tentation du
découragement. Mais c’est alors justement que l’aidera le fait de savoir qu’elle n’est, en définitive, qu’un
instrument entre les mains du Seigneur ; elle se libérera ainsi de la prétention de devoir réaliser,
personnellement et seule, l’amélioration nécessaire du monde. Humblement, elle fera ce qu’il lui est
possible de faire et, humblement, elle confiera le reste au Seigneur. C’est Dieu qui gouverne le monde et
non pas nous. Nous, nous lui offrons uniquement nos services, pour autant que nous le pouvons, et tant
qu’il nous en donne la force. Faire cependant ce qui nous est possible, avec la force dont nous disposons,
telle est la tâche qui maintient le bon serviteur de Jésus-Christ toujours en mouvement: «L’amour du Christ
nous pousse» (2 Co 5,14).
36. L’expérience de l’immensité des besoins peut, d’un côté, nous pousser vers l’idéologie qui prétend faire
maintenant ce que Dieu, en gouvernant le monde, n’obtient pas, à ce qu’il semble: la solution universelle de
tous les problèmes. D’un autre côté, elle peut devenir une tentation de rester dans l’inertie, s’appuyant sur
l’impression que, quoi qu’il en soit, rien ne peut être fait. Dans cette situation, le contact vivant avec le
Christ est le soutien déterminant pour rester sur la voie droite : ni tomber dans un orgueil qui méprise
l’homme, qui en réalité n’est pas constructif mais plutôt détruit, ni s’abandonner à la résignation, qui
empêcherait de se laisser guider par l’amour et, ainsi, de servir l’homme. La prière comme moyen pour
puiser toujours à nouveau la force du Christ devient ici une urgence tout à fait concrète. Celui qui prie ne
perd pas son temps, même si la situation apparaît réellement urgente et semble pousser uniquement à
l’action. La piété n’affaiblit pas la lutte contre la pauvreté ou même contre la misère du prochain. La
bienheureuse Teresa de Calcutta est un exemple particulièrement manifeste que le temps consacré à Dieu
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
dans la prière non seulement ne nuit pas à l’efficacité ni à l’activité de l’amour envers le prochain, mais en
est en réalité la source inépuisable. Dans sa lettre pour le Carême 1996, la bienheureuse écrivait à ses
collaborateurs laïcs: «Nous avons besoin de ce lien intime avec Dieu dans notre vie quotidienne. Et
comment pouvons-nous l’obtenir ? À travers la prière».
37. Le moment est venu de réaffirmer l’importance de la prière face à l’activisme et au sécularisme
dominant de nombreux chrétiens engagés dans le travail caritatif. Bien sûr, le chrétien qui prie ne prétend
pas changer les plans de Dieu ni corriger ce que Dieu a prévu. Il cherche plutôt à rencontrer le Père de
Jésus Christ, lui demandant d’être présent en lui et dans son action par le secours de son Esprit. La
familiarité avec le Dieu personnel et l’abandon à sa volonté empêchent la dégradation de l’homme,
l’empêchent d’être prisonnier de doctrines fanatiques et terroristes. Une attitude authentiquement religieuse
évite que l’homme s’érige en juge de Dieu, l’accusant de permettre la misère sans éprouver de la
compassion pour ses créatures. Mais celui qui prétend lutter contre Dieu en s’appuyant sur l’intérêt de
l’homme, sur qui pourra-t-il compter quand l’action humaine se montrera impuissante ?
38. Job peut certainement se lamenter devant Dieu pour la souffrance incompréhensible et apparemment
injustifiable qui est présente dans le monde. Il parle ainsi de sa souffrance : «Oh ! si je savais comment
l’atteindre, parvenir à sa demeure …. Je connaîtrais les termes mêmes de sa défense, attentif à ce qu’il me
dirait. Jetterait-il toute sa force dans ce débat avec moi ? … C’est pourquoi, devant lui, je suis terrifié ; plus
j’y songe, plus il me fait peur. Dieu a brisé mon courage, le Tout-Puissant me remplit d’effroi» (23, 3. 5-6.
15-16). Souvent, il ne nous est pas donné de connaître la raison pour laquelle Dieu retient son bras au lieu
d’intervenir. Du reste, il ne nous empêche pas non plus de crier, comme Jésus en croix: «Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Mt 27,46). Dans un dialogue priant, nous devrions rester devant sa
face avec cette question: «Jusques à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu ?» (Ap 6, 10). C’est saint
Augustin qui donne à notre souffrance la réponse de la foi: «Si comprehendis, non est Deus – Si tu le
comprends, alors il n’est pas Dieu»[35]. Notre protestation ne veut pas défier Dieu, ni insinuer qu’en Lui il y
a erreur, faiblesse ou indifférence. Pour le croyant, il est impossible de penser qu’il est impuissant ou bien
qu’ «il dort» (1 R 18, 27). Ou plutôt, il est vrai que même notre cri, comme sur les lèvres de Jésus en croix,
est la manière extrême et la plus profonde d’affirmer notre foi en sa puissance souveraine. En effet, les
chrétiens continuent de croire, malgré toutes les incompréhensions et toutes les confusions du monde qui
les entoure, en la «bonté de Dieu et en sa tendresse pour les hommes» (Tt 3,4). Bien que plongés comme
tous les autres hommes dans la complexité dramatique des événements de l’histoire, ils restent fermes
dans la certitude que Dieu est Père et qu’il nous aime, même si son silence nous demeure
incompréhensible.
39. Foi, espérance et charité vont de pair. L’espérance s’enracine en pratique dans la vertu de patience, qui
ne fait pas défaut dans le bien, pas même face à l’échec apparent, et dans celle d’humilité, qui accepte le
mystère de Dieu et qui Lui fait confiance même dans l’obscurité. La foi nous montre le Dieu qui a donné
son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est
Amour. De cette façon, elle transforme notre impatience et nos doutes en une espérance assurée que Dieu
tient le monde entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il triomphe, comme l’Apocalypse le
révèle à la fin, de façon lumineuse, à travers ses images bouleversantes. La foi, qui prend conscience de
l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le coeur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour. Il
est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui
nous donne le courage de vivre et d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en mesure de le mettre en
pratique parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Par la présente Encyclique, voici à quoi je
voudrais vous inviter: vivre l’amour et de cette manière faire entrer la lumière de Dieu dans le monde.
CONCLUSION :


40. Considérons enfin les Saints, ceux qui ont exercé de manière exemplaire la charité. La pensée se
tourne en particulier vers Martin de Tours († 397), d’abord soldat, puis moine et évêque: presque comme
une icône, il montre la valeur irremplaçable du témoignage individuel de la charité. Aux portes d’Amiens,
Martin partage en deux son manteau avec un pauvre: Jésus lui-même, dans la nuit, lui apparaît en songe
revêtu de ce manteau, pour confirmer la valeur permanente de la parole évangélique: «J’étais nu, et vous
m’avez habillé.... Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que
vous l’avez fait» (Mt 25, 36. 40).[36] Dans l’histoire de l’Église, combien d’autres témoignages de charité
peuvent être cités ! En particulier, tout le mouvement monastique, depuis ses origines avec saint Antoine,
Abbé († 356), fait apparaître un service de charité considérable envers le prochain. Dans le «face à face»
avec le Dieu qui est Amour, le moine perçoit l’exigence impérieuse de transformer en service du prochain,
en plus du service de Dieu, toute sa vie. On peut expliquer ainsi les grandes structures d’accueil,
d’assistance et de soins nées à côté des monastères. Cela explique aussi les initiatives de promotion
humaine et de formation chrétienne considérables, destinées avant tout aux plus pauvres, tout d’abord pris
en charge par les Ordres monastiques et mendiants, puis par les différents Instituts religieux masculins et
féminins, tout au long de l’histoire de l’Église. Des figures de saints comme François d’Assise, Ignace de
Loyola, Jean de Dieu, Camille de Lellis, Vincent de Paul, Louise de Marillac, Joseph B. Cottolengo, Jean
Bosco, Louis Orione, Teresa de Calcutta – pour ne prendre que quelques noms –, demeurent des modèles
insignes de charité sociale pour tous les hommes de bonne volonté. Les saints sont les vrais porteurs de
lumière dans l’histoire, parce qu’ils sont des hommes et des femmes de foi, d’espérance et d’amour.
41. Parmi les saints, il y a par excellence Marie, Mère du Seigneur et miroir de toute sainteté. Dans
l’Évangile de Luc, nous la trouvons engagée dans un service de charité envers sa cousine Élisabeth,
auprès de laquelle elle demeure «environ trois mois» (1, 56), pour l’assister dans la phase finale de sa
grossesse. «Magnificat anima mea Dominum», dit-elle à l’occasion de cette visite – «Mon âme exalte le
Seigneur» – (Lc 1, 46). Elle exprime ainsi tout le programme de sa vie: ne pas se mettre elle-même au
centre, mais faire place à Dieu, rencontré tant dans la prière que dans le service du prochain – alors
seulement le monde devient bon. Marie est grande précisément parce qu’elle ne veut pas se rendre ellemême
grande, mais elle veut rendre Dieu grand. Elle est humble: elle ne veut être rien d’autre que la
servante du Seigneur (cf. Lc 1, 38. 48). Elle sait qu’elle contribue au salut du monde, non pas en
accomplissant son oeuvre, mais seulement en se mettant pleinement à la disposition des initiatives de Dieu.
Elle est une femme d’espérance: uniquement parce qu’elle croit aux promesses de Dieu et qu’elle attend le
salut d’Israël; l’ange peut venir chez elle et l’appeler au service décisif de ces promesses. C’est une femme
de foi: «Heureuse celle qui a cru», lui dit Élisabeth (Lc 1, 45). Le Magnificat – portrait, pour ainsi dire, de
son âme – est entièrement brodé de fils de l’Écriture Sainte, de fils tirés de la Parole de Dieu. On voit ainsi
apparaître que, dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y rentre avec un
grand naturel. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa
parole naît de la Parole de Dieu. De plus, se manifeste ainsi que ses pensées sont au diapason des
pensées de Dieu, que sa volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément pénétrée par la Parole
de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée. Enfin, Marie est une femme qui aime. Comment
pourrait-il en être autrement ? Comme croyante qui, dans la foi, pense avec les pensées de Dieu et veut
avec la volonté de Dieu, elle ne peut qu’être une femme qui aime. Nous le percevons à travers ses gestes
silencieux, auxquels se réfèrent les récits des Évangiles de l’enfance. Nous le voyons à travers la
délicatesse avec laquelle, à Cana, elle perçoit les besoins dans lesquels sont pris les époux et elle les
présente à Jésus. Nous le voyons dans l’humilité avec laquelle elle accepte d’être délaissée durant la
période de la vie publique de Jésus, sachant que son Fils doit fonder une nouvelle famille et que l’heure de
sa Mère arrivera seulement au moment de la croix, qui sera l’heure véritable de Jésus (cf. Jn 2, 4; 13, 1).
Alors, quand les disciples auront fui, elle demeurera sous la croix (cf. Jn 19, 25-27); plus tard, à l’heure de
la Pentecôte, ce seront les disciples qui se rassembleront autour d’elle dans l’attente de l’Esprit Saint (cf.
Ac 1, 14).
42. La vie des Saints ne comporte pas seulement leur biographie terrestre, mais aussi leur vie et leur agir
en Dieu après leur mort. Chez les Saints, il devient évident que celui qui va vers Dieu ne s’éloigne pas des
hommes, mais qu’il se rend au contraire vraiment proche d’eux. Nous ne le voyons mieux en personne
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Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
d’autre qu’en Marie. La parole du Crucifié au disciple – à Jean, et à travers lui, à tous les disciples de
Jésus: «Voici ta mère» (Jn 19, 27) – devient, au fil des générations, toujours nouvellement vraie. De fait,
Marie est devenue Mère de tous les croyants. C’est vers sa bonté maternelle comme vers sa pureté et sa
beauté virginales que se tournent les hommes de tous les temps et de tous les coins du monde, dans leurs
besoins et leurs espérances, dans leurs joies et leurs souffrances, dans leurs solitudes comme aussi dans
le partage communautaire. Et ils font sans cesse l’expérience du don de sa bonté, l’expérience de l’amour
inépuisable qu’elle déverse du plus profond de son coeur. Les témoignages de gratitude qui lui sont
attribués dans tous les continents et dans toutes les cultures expriment la reconnaissance de cet amour pur
qui ne se cherche pas lui-même, mais qui veut simplement le bien. De même, la dévotion des fidèles
manifeste l’intuition infaillible de la manière dont un tel amour devient possible: il le devient grâce à la plus
intime union avec Dieu, en vertu de laquelle elle s’est totalement laissé envahir par Lui – condition qui
permet à celui qui a bu à la source de l’amour de Dieu de devenir lui-même une source d’où «jailliront des
fleuves d’eau vive» (Jn 7, 38). Marie, la Vierge, la Mère, nous montre ce qu’est l’amour et d’où il tire son
origine, sa force toujours renouvelée. C’est à elle que nous confions l’Église, sa mission au service de l’Amour :
Sainte Marie, Mère de Dieu,
tu as donné au monde la vraie lumière,
Jésus, ton fils – Fils de Dieu.
Tu t’es abandonnée complètement
à l’appel de Dieu
et tu es devenue ainsi la source
de la bonté qui jaillit de Lui.
Montre-nous Jésus. Guide-nous vers Lui.
Enseigne-nous à Le connaître et à L’aimer,
afin que nous puissions, nous aussi,
devenir capables d’un amour vrai
et être sources d’eau vive
au milieu d’un monde assoiffé.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 décembre 2005, solennité de la Nativité du Seigneur, en la première année de mon Pontificat.
BENEDICTUS PP. XVI

[1] Cf. Jenseits von Gut und Böse, IV, 168 (Par delà le bien et le mal).
[2] X, 69: Les Belles Lettres, Paris (1942), p. 71.
[3] Cf. René Descartes, OEuvres XII: V. Cousin éd., Paris (1824), pp. 95 ss.
[4] II, 5: SCh 381, p. 196.
[5] Ibid., p. 198.
[6] Cf. Métaphysique, XII, 7.
http://www.sitedemarie.com/deuscaritasest.html (22 sur 24)19/02/2006 14:49:59
Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
[7] Cf. Pseudo-Denys l’Aréopagite qui, dans Sur les noms divins IV, 12-14: PG 3, 709-713:OEuvres
complètes, Paris (1943), pp. 106-109, appelle Dieu en même temps eros et agapè.
[8] Cf. Le Banquet, XIV-XV, 189c-192d: Les Belles Lettres, Paris (1984), pp. 29-36.
[9] Salluste, Conjuration de Catilina, XX, 4.
[10] Cf. Saint Augustin, Confessions, III, 6, 11: CCL, 27, 32: Bibliothèque augustinienne 13, Paris (1962), p.
383.
[11] De Trinitate, VIII, 8, 12: CCL 50, 287: Bibliothèque augustinienne 16, Paris (1955), p. 65.
[12] Cf. Apologie I, 67: PG 6, 429: Les Pères dans la foi, Paris (1982), pp. 91-92.
[13] Cf. Apologeticum 39,7: PL 1, 468: Les Belles Lettres, Paris (1929), p. 83.
[14] Épître aux Romains, titre: PG, 5, 801: SCh 10, p. 108.
[15] Cf. Saint Ambroise, De officiis ministrorum, II, 28, 140: PL 16, 141.
[16] Cf. Ep. 83: L’empereur Julien, OEuvres complètes, J. Bidez éd., Les Belles Lettres, Paris (1960), vol I, 2
a , p. 145.
[17] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum
Successores (22 février 2004), n. 194: Cité du Vatican (2004), pp. 215-216.
[18] La Cité de Dieu, IV, 4: CCL 47, 102: La Pléiade, Paris (2000), p. 138.
[19] Cf. Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 36.
[20] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum
Successores (22 février 2004), n. 197: Cité du Vatican (2004), p. 219.
[21] Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 42: AAS 81
(1989), p. 472: La Documentation catholique 86 (1989), p. 177.
[22] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certaines questions sur l’engagement
des chrétiens dans la vie politique (24 novembre 2002), n. 1: La Documentation catholique 100 (2003), pp.
130-131.
[23] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1939.
[24] Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 8.
[25] Ibid., n. 14.
http://www.sitedemarie.com/deuscaritasest.html (23 sur 24)19/02/2006 14:49:59
Lettre Encyclique "Deus Caritas Est"
[26] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum
Successores (22 février 2004), n. 195: Cité du Vatican (2004), pp. 217-218.
[27] Cf. Jean-Paul II, Exhor. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 41: AAS 81
(1989), pp. 470-472: La Documentation catholique 86 (1989), p. 177.
[28] Cf. n. 32; AAS 80 (1988), p. 556; La Documentation catholique 85 (1988), pp. 246-247.
[29] N. 43; AAS 87 (1995), p. 946: La Documentation catholique 92 (1995), p. 579.
[30] Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum
Successores (22 février 2004), n. 196: Cité du Vatican (2004), pp. 218-219.
[31] Cf. Pontificale Romanum, De ordinatione episcopi, n. 43: Paris (1996), n. 40, p. 34.
[32] Cf. can. 394: Code des Canons des Églises orientales, can. 203.
[33] Cf. nn. 193-198: l.c., pp. 214-221.
[34] Cf. ibid., n. 194: l.c., pp. 215-216.
[35] Sermon 52, 16: PL 38, 360.
[36] Cf. Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, 3, 1-3: SCh 133, 256-258.

© Copyright 2005 - Libreria Editrice Vaticana.






 
EXHORTATION APOSTOLIQUE
POST-SYNODALE
VERBUM DOMINI
DU PAPE
BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES, AU CLERGÉ,
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET AUX FIDÈLES LAÏCS
SUR LA PAROLE DE DIEU
DANS LA VIE ET DANS LA MISSION
DE L’ÉGLISE
LIBRERIA EDITRICE VATICANA
CITE DU VATICAN
3
INTRODUCTION
 
1. LA PAROLE DU SEIGNEUR demeure pour
toujours. Or cette Parole, c’est l’Évangile
qui vous a été annoncé » (1 P 1, 25 ; cf. Is 40, .
Avec cette expression de la première Lettre de
saint Pierre, qui reprend les paroles du prophète
Isaïe, nous sommes placés face au Mystère de
Dieu qui se communique lui-même par le don
de sa Parole. Cette Parole, qui demeure pour toujours,
est entrée dans le temps. Dieu a prononcé
sa Parole éternelle de façon humaine ; son Verbe
« s’est fait chair » (Jn 1, 14). C’est cela la Bonne Nouvelle.
C’est l’annonce qui traverse les siècles, pour
arriver jusqu’à nous aujourd’hui. La XIIe Assemblée
générale ordinaire du Synode des Évêques,
célébrée au Vatican du 5 au 26 octobre 2008, a
eu pour thème La Parole de Dieu dans la vie et dans
la mission de l’Église. Ce fut une profonde expérience
de rencontre avec le Christ, Verbe du Père,
qui est présent là où deux ou trois sont réunis en
son nom (cf. Mt 18, 20). Par cette Exhortation
apostolique post-synodale, j’accueille volontiers la
demande des Pères de faire connaître au Peuple
de Dieu tout entier la richesse ressortie des assises
vaticanes et les indications exprimées dans
«
4
le travail commun.1 Dans cette perspective, j’entends
reprendre tout ce qui a été élaboré par le
Synode, tenant compte des documents présentés :
les Lineamenta, l’Instrumentum laboris, les Relations
ante et post disceptationem et le texte des interventions,
lues en séance et in scriptis, les comptes rendus
des groupes de travail et de leurs échanges, le
Message de conclusion adressé au Peuple de Dieu
et surtout certaines propositions spécifi ques (Propositiones)
que les Pères ont retenues comme étant
d’un intérêt particulier. De cette façon, je désire
indiquer quelques lignes fondamentales pour une
redécouverte, dans la vie de l’Église, de la Parole
divine, source de renouvellement constant, souhaitant
en même temps qu’elle devienne toujours
plus le coeur de toute activité ecclésiale.
Pour que notre joie soit parfaite
2. Je voudrais avant tout faire mémoire de la
beauté attrayante de la rencontre renouvelée avec
le Seigneur Jésus expérimentée au cours de l’Assemblée
synodale. Pour cela, faisant écho à la voix
des Pères, je m’adresse à tous les fi dèles avec les
paroles de saint Jean dans sa première Lettre :
« Nous vous annonçons cette vie éternelle qui était
auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. Ce
que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu,
nous vous l’annonçons à vous aussi, pour
que, vous aussi, vous soyez en communion avec
1 Cf. Proposition 1.
5
nous. Et nous, nous sommes en communion avec
le Père et avec son Fils, Jésus-Christ » (1 Jn 1, 2-3).
L’Apôtre utilise les verbes entendre, voir, toucher et
contempler (cf. 1 Jn 1, 1) le Verbe de Vie, puisque la
Vie elle-même s’est manifestée dans le Christ. Et
nous qui sommes appelés à la communion avec
Dieu et entre nous, nous devons être des messagers
de ce don. Dans cette perspective kérygmatique,
l’Assemblée synodale a été pour l’Église et
pour le monde un témoignage de la beauté de la
rencontre avec la Parole de Dieu dans la communion
ecclésiale. Par conséquent, j’exhorte tous les
fi dèles à refaire l’expérience de la rencontre personnelle
et communautaire avec le Christ, Verbe
de Vie qui s’est rendu visible, et à s’en faire les
messagers pour que le don de la vie divine, la
communion, s’étende toujours davantage dans le
monde entier. En effet, participer à la vie de Dieu,
Trinité d’Amour, est plénitude de joie (cf. 1 Jn 1, 4).
Et c’est un don et une tâche incontournable de
l’Église de communiquer la joie qui vient de la
rencontre avec la Personne du Christ, Parole de
Dieu présente au milieu de nous. Dans un monde
qui souvent considère Dieu comme superfl u ou
lointain, nous confessons comme Pierre que lui
seul a « les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68).
Il n’existe pas de priorité plus grande que celle-ci :
ouvrir à nouveau à l’homme d’aujourd’hui l’accès
à Dieu, au Dieu qui parle et qui nous communique
son amour pour que nous ayons la vie en
abondance (cf. Jn 10, 10).
6
De « Dei Verbum » au Synode sur la Parole de Dieu
3. Avec la XIIe Assemblée générale ordinaire du
Synode des Évêques sur la Parole de Dieu, nous
sommes conscients d’avoir pris pour thème, en
un certain sens, le coeur même de la vie chrétienne,
en continuité avec la précédente Assemblée synodale
sur l’Eucharistie source et sommet de la vie et de la
mission de l’Église. En effet, l’Église est fondée sur
la Parole de Dieu, elle en naît et en vit.2 Tout au
long des siècles de son histoire, le Peuple de Dieu
a toujours trouvé en elle sa force et aujourd’hui
encore la communauté ecclésiale grandit dans
l’écoute, dans la célébration et dans l’étude de la
Parole de Dieu. On doit reconnaître qu’au cours
des dernières décennies la sensibilité de la vie ecclésiale
sur ce thème s’est accrue, avec une attention
particulière à la Révélation chrétienne, à la
Tradition vivante et à la Sainte Écriture. À partir
du pontifi cat du Pape Léon XIII, il y a eu un
crescendo d’interventions tendant à faire prendre
une plus grande conscience de l’importance de
la Parole de Dieu et des études bibliques dans la
vie de l’Église,3 et qui a culminé avec le Concile
Vatican II, de façon particulière avec la promulgation
de la Constitution dogmatique sur la Ré-
2 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Instrumentum laboris, n. 27.
3 Cf. LÉON XIII, Lett. enc. Providentissimus Deus (18 novembre
1893) : ASS (1893-94), 269-292 ; BENOÎT XV, Lett. enc.
Spiritus Paraclitus (15 septembre 1920) : AAS 12 (1920), pp.
385-422 ; PIE XII, Lett. enc. Divino affl ante Spiritu (30 septembre
1943) : AAS 35 (1943), pp. 297-325.
7
vélation divine Dei Verbum. Elle représente une
borne milliaire sur le chemin ecclésial : « Les Pères
synodaux reconnaissent avec gratitude les grands
bénéfi ces apportés par ce document à la vie de
l’Église, au point de vue exégétique, théologique,
spirituel, pastoral et oecuménique ».4 Au cours de
ces années, la conscience de « l’horizon trinitaire,
historique et salvifi que de la Révélation »5 et la reconnaissance
de Jésus-Christ, comme « le médiateur
et la plénitude de toute la Révélation »6 ont
particulièrement grandi. L’Église confesse sans
cesse à toutes les générations que le Christ, « par
toute sa présence et par toute la manifestation de
lui-même, par ses paroles et ses oeuvres, par ses
signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et
sa Résurrection glorieuse d’entre les morts, enfi n
par l’envoi de l’Esprit de vérité, achève la Révélation
en l’accomplissant ».7
La grande impulsion que la Constitution
dogmatique Dei Verbum a donnée à la redécouverte
de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église, à
la réfl exion théologique sur la Révélation divine et
à l’étude de la Sainte Écriture, est connue de tous.
Nombreuses ont aussi été les interventions du
Magistère ecclésial en ces matières au cours des
quarante dernières années.8 Avec la célébration de
4 Proposition 2.
5 Ibidem.
6 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 2 (Traduction française tirée de Les Conciles
oecuméniques, tome 2, Cerf, Paris, 1994).
7 Ibidem, n. 4.
8 Cf. Parmi les interventions de diverses natures on rap8
ce Synode, l’Église, dans la conscience de la continuité
de son propre parcours sous la conduite de
l’Esprit Saint, s’est sentie appelée à approfondir
davantage le thème de la Parole divine, à la fois
pour vérifi er la mise en oeuvre des indications
conciliaires, et pour faire face aux nouveaux défi s
que le temps présent lance à ceux qui croient dans
le Christ.
Le Synode des Évêques sur la Parole de Dieu
4. Durant la XIIe Assemblée synodale, des Pasteurs
provenant du monde entier se sont réunis autour
de la Parole de Dieu et ont symboliquement
mis au centre de l’Assemblée le texte de la Bible
pour redécouvrir ce que dans le quotidien nous
risquons de considérer comme allant de soi : le fait
pellera : PAUL VI, Lett. Apost. Summi Dei Verbum (4 novembre
1963) : AAS 55 (1963), pp. 979-995 ; idem, Motu proprio Sedula
cura (27 juin 1971) AAS 63 (1971), pp. 665-669; JEAN-PAUL II,
Audience générale (1° mai 1985) : L’Osservatore Romano en langue
française (par la suite L’ORf ), 2-3 mai 1985, p. 12 ; ID.,
Discours sur l’interprétation de la Bible dans l’Église (23 avril 1993)
AAS 86 (1994), pp. 232-242 : La Documentation catholique (par
la suite La DC ) n. 2073, p. 503 ; BENOÎT XVI, Audience au
Congrès pour le 40ème anniversaire de la Constitution dogmatique
sur la Révélation divine (16 septembre 2005) : AAS 97
(2005), p. 957, L’ORf, 20 septembre 2005, p. 3 ; ID., Angelus
(6 novembre 2005) : L’ORf, 8 novembre 2005, p. 1. Il faut aussi
rappeler les interventions de la COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
De sacra Scriptura et christologia (1984) : Ench. Vat. 9.
n. 1208-1339 ; Unité et diversité dans l’Église (11 avril 1988) : Ench.
Vat. 11. n. 544-643 ; L’interprétation de la Bible dans l’Église (15 avril
1993) : Ench. Vat. 13. n. 2846-3150 ; Le peuple juif et ses Saintes
Écritures dans la Bible chrétienne (24 mai 2001) : Ench. Vat. 20.
n. 733-1150 ; Bible et morale. Racines bibliques de l’agir chrétien
(11 mai 2008), Città del Vaticano 2008.
9
que Dieu nous parle et répond à nos demandes.9 Nous
avons écouté et célébré ensemble la Parole du Seigneur.
Nous nous sommes raconté mutuellement
ce que le Seigneur accomplit au sein du Peuple de
Dieu, partageant ses espérances et ses préoccupations.
Tout cela nous a rendus conscients que
nous ne pouvons approfondir notre relation avec
la Parole de Dieu qu’à partir du « nous » de l’Église,
dans l’écoute et dans l’accueil réciproque. De là,
jaillit la gratitude pour les témoignages sur la vie
ecclésiale dans les diverses régions du monde, qui
ressortent des différentes interventions dans l’aula.
De la même manière, il fut émouvant d’écouter
les Délégués fraternels, qui ont accueilli l’invitation
à participer à la rencontre synodale. Je pense
en particulier à la méditation que nous a offerte
Sa Sainteté Bartholoméos Ier, Patriarche oecuménique
de Constantinople, pour laquelle les Pères
synodaux ont exprimé une profonde reconnaissance.
10 En outre, pour la première fois, le Synode
des Évêques a voulu inviter un Rabbin pour
qu’il nous donne un précieux témoignage sur les
Saintes Écritures juives, qui justement font partie
de nos Saintes Écritures.11
Nous avons pu ainsi constater avec joie et
gratitude que « dans l’Église, il existe une Pente-
9 Cf. BENOÎT XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre
2008) : AAS 101 (2009), p. 49 ; L’ORf, 23/30 décembre 2008,
p. 3.
10 Cf. Proposition 37.
11 Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Le peuple juif et
ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (24 mai 2001) : Ench.
Vat. 20. n. 733-1150.
10
côte également aujourd’hui – c’est-à-dire qu’elle
parle dans plusieurs langues. Non seulement extérieurement
toutes les grandes langues du monde
sont représentées en son sein, mais il y existe un
sens plus profond encore : en elle, sont présents
les multiples modes de l’expérience de Dieu et du
monde, la richesse des cultures. Ce n’est qu’ainsi
qu’apparaît toute l’étendue de l’existence humaine
et, à partir d’elle, l’étendue de la Parole de Dieu ».12
Nous avons pu constater aussi que la Pentecôte
est encore ‘en chemin’ ; différents peuples attendent
encore que la Parole de Dieu soit annoncée
dans leur langue et dans leur culture.
Ensuite, comment ne pas se souvenir que,
durant tout le Synode, le témoignage de l’Apôtre
Paul nous a accompagnés ! Il a été providentiel, en
effet, que la XIIe Assemblée générale ordinaire se
soit tenue au cours de l’année consacrée à la fi gure
du grand Apôtre des Gentils, à l’occasion du bimillénaire
de sa naissance. Son existence a été totalement
caractérisée par le zèle pour la diffusion de
la Parole de Dieu. Comment ne pas entendre dans
notre coeur l’écho de ses paroles vibrantes se référant
à sa mission de messager de la Parole divine :
« tout cela, je le fais à cause de l’Évangile » (1Co 9, 23);
« Je n’ai pas honte d’être au service de l’Évangile
– écrit-il dans la Lettre aux Romains – car il est la
puissance de Dieu pour le salut de tout homme
12 BENOÎT XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre
2008) : AAS 101 (2009) p. 50 ; L’ORf, 23/30 décembre 2008,
p. 4.
11
qui est devenu croyant » (1, 16). Quand nous réfl échissons
sur la Parole de Dieu dans la vie et dans
la mission de l’Église, nous ne pouvons pas ne pas
penser à saint Paul et à sa vie donnée pour faire
entendre à tous l’annonce du salut du Christ.
Le Prologue de l’Évangile de Jean comme guide
5. Par cette Exhortation apostolique, je désire
que les acquis du Synode infl uencent effi cacement
la vie de l’Église : dans la relation personnelle avec
les Saintes Écritures, dans leur interprétation au
cours de la liturgie et dans la catéchèse, de même
que dans la recherche scientifi que, afi n que la Bible
ne demeure pas une Parole du passé, mais une
Parole vivante et actuelle. Dans ce but j’entends
présenter et approfondir les résultats du Synode
en faisant une référence constante au Prologue de
l’Évangile de Jean (Jn 1, 1-18), dans lequel nous est
communiqué le fondement de notre vie : le Verbe,
qui depuis le commencement est auprès de Dieu,
s’est fait chair et a habité parmi nous (cf. Jn 1,
14). Il s’agit d’un texte admirable, qui offre une
synthèse de toute la foi chrétienne. De cette expérience
personnelle que fut pour lui la rencontre
du Christ et l’engagement à sa suite, Jean, que la
Tradition identifi e au « disciple que Jésus aimait »
(Jn 13, 23 ; 20, 2 ; 21, 7.20), « a tiré une certitude intime
: Jésus est la Sagesse de Dieu incarnée, il est
sa Parole éternelle qui s’est faite homme sujet à la
12
mort ».13 Que celui qui « vit et crut » (Jn 20, nous
aide nous aussi à appuyer notre tête sur la poitrine
du Christ (cf. Jn 13, 25), d’où ont jailli du sang et
de l’eau (cf. Jn 19, 34), symboles des Sacrements
de l’Église. Suivant l’exemple de l’Apôtre Jean et
des autres auteurs inspirés, laissons-nous guider
par l’Esprit Saint afi n de pouvoir aimer toujours plus
la Parole de Dieu.
13 Cf. BENOÎT XVI, Angelus (4 janvier 2009) : L’ORf, 6 janvier
2009, p. 7.
PREMIÈRE PARTIE
VERBUM DEI
« Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu. […]
Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 1. 14)

15
LE DIEU QUI PARLE
Dieu en dialogue
6. La nouveauté de la Révélation biblique vient
du fait que Dieu se fait connaître dans le dialogue
qu’il désire instaurer avec nous.14 La Constitution
dogmatique Dei Verbum avait exposé cette réalité
en reconnaissant que « Dieu invisible dans l’immensité
de sa charité, (…) s’adresse aux hommes
comme à des amis, et converse avec eux pour les
inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir
en cette communion ».15 Mais nous ne comprendrions
pas encore pleinement le message du
Prologue de saint Jean si nous nous arrêtions à
la constatation que Dieu se communique à nous
avec amour. En fait, le Verbe de Dieu, par lequel
« tout s’est fait » (Jn 1, 3) et qui « s’est fait chair »
(Jn 1, 14), est le même Dieu qui est « au commencement
» (Jn 1, 1). Si nous reconnaissons ici une
allusion au début du Livre de la Genèse (cf. Gn 1,
1), nous nous trouvons, en réalité, face à un principe
de caractère absolu, qui nous dévoile la vie intime
14 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Relatio ante disceptationem, I : L’ORf, 4 novembre
2008, p. 9.
15 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 2.
16
de Dieu. Le Prologue johannique nous met en face
du fait que le Logos est réellement depuis toujours,
et depuis toujours il est Dieu lui-même. Par conséquent,
il n’y a jamais eu en Dieu un temps où le
Logos n’était pas. Le Verbe préexiste à la création.
C’est pourquoi, au coeur de la vie divine existe la
communion, le don absolu. « Dieu est amour »
(1 Jn 4, 16) dira à un autre endroit le même
Apôtre, en indiquant par là « l’image chrétienne
de Dieu ainsi que l’image de l’homme et de son
chemin, qui en découle ».16 Dieu se fait connaître
à nous comme Mystère d’amour infi ni dans lequel
le Père depuis l’éternité exprime sa Parole dans
l’Esprit Saint. Par conséquent le Verbe, qui depuis
le commencement est auprès de Dieu et est
Dieu, nous révèle Dieu lui-même dans le dialogue
d’amour des Personnes divines et il nous invite à
y participer. C’est pourquoi, créés à l’image et à la
ressemblance de Dieu amour, nous ne pouvons
nous comprendre nous-mêmes que dans l’accueil
du Verbe et dans la docilité à l’oeuvre de l’Esprit
Saint. C’est à la lumière de la Révélation opérée
par le Verbe divin que se clarifi e défi nitivement
l’énigme de la condition humaine.
Analogie de la Parole de Dieu
7. À partir de ces considérations, qui naissent de
la méditation du Mystère chrétien exprimé dans
le Prologue de Jean, il est nécessaire à présent de
16 BENOÎT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 1 : AAS 98 (2006), pp. 217-218.
17
souligner ce qu’ont affi rmé les Pères synodaux
concernant les diverses modalités avec lesquelles
nous utilisons l’expression « Parole de Dieu ». On
a parlé avec justesse d’une symphonie de la Parole,
d’une Parole unique qui s’exprime de différentes
manières : « comme un chant à plusieurs
voix ».17 Les Pères synodaux ont parlé à ce propos,
en référence à la Parole de Dieu, d’une utilisation
analogique du langage humain. En effet, si
d’un côté cette expression concerne la communication
que Dieu fait de lui-même, de l’autre, elle
assume des signifi cations diverses qui doivent être
considérées avec attention et mises en relation les
unes avec les autres, aussi bien du point de vue de
la réfl exion théologique que de l’usage pastoral.
Comme nous le montre de manière claire le Prologue
de Jean, le Logos désigne à l’origine le Verbe
éternel, c’est-à-dire, le Fils unique engendré par le
Père avant tous les siècles et qui lui est consubstantiel
: le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était
Dieu. Mais ce même Verbe, affi rme saint Jean,
« s’est fait chair » (Jn 1, 14) ; c’est pourquoi Jésus-
Christ, né de la Vierge Marie, est réellement le
Verbe de Dieu qui s’est fait consubstantiel à nous.
Par conséquent, l’expression « Parole de Dieu » indique
ici la Personne de Jésus-Christ, le Fils éternel
du Père, fait homme.
Par ailleurs, si au centre de la Révélation divine
se situe l’événement du Christ, on doit aussi
reconnaître que la création elle-même, le liber
17 XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE DES
ÉVÊQUES, Instrumentum laboris, n. 9.
18
naturae, fait aussi essentiellement partie de cette
symphonie à plusieurs voix dans laquelle le Verbe
unique s’exprime. En même temps, nous affi rmons
que Dieu a communiqué sa Parole dans
l’histoire du salut, qu’il a fait entendre sa voix ;
par la puissance de son Esprit, « il a parlé par les
prophètes ».18 La Parole divine se révèle donc au
cours de l’histoire du salut et elle parvient à sa
plénitude dans le Mystère de l’Incarnation, de la
mort et de la Résurrection du Fils de Dieu. La
Parole de Dieu est encore celle qui est prêchée
par les Apôtres, dans l’obéissance au Commandement
de Jésus ressuscité : « Allez dans le monde
entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la
création » (Mc 16, 15). La Parole de Dieu est donc
transmise dans la Tradition vivante de l’Église.
Enfi n, la Parole divine, attestée et divinement inspirée,
c’est l’Écriture Sainte, l’Ancien et le Nouveau
Testament. Tout cela nous fait comprendre
pourquoi, dans l’Église, nous vénérons beaucoup
les Saintes Écritures, bien que la foi chrétienne ne
soit pas une « religion du Livre » : le Christianisme
est la « religion de la Parole de Dieu », non d’« une
parole écrite et muette, mais du Verbe incarné et
vivant ».19 L’Écriture doit donc être proclamée,
écoutée, lue, accueillie et vécue comme la Parole
de Dieu, dans le sillage de la Tradition apostolique
dont elle est inséparable.20
18 Credo de Nicée Constantinople : DS 150.
19 SAINT BERNARD DE CLAIRVAUX, Homelia super Missus est,
IV, 11 : PL 183, 86 B.
20 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
19
Comme l’ont affi rmé les Pères synodaux,
nous nous trouvons réellement face à une utilisation
analogique de l’expression « Parole de Dieu »,
dont nous devons être conscients. Il faut donc
que les fi dèles soient davantage préparés à en saisir
les différents sens et à en comprendre l’unité.
De même, du point de vue théologique, il est
nécessaire d’approfondir l’articulation des différentes
signifi cations de cette expression pour que
resplendissent davantage l’unité du dessein divin
et son centre : la Personne du Christ.21
Dimension cosmique de la Parole
8. Conscients de la signifi cation essentielle de la
Parole de Dieu en référence au Verbe éternel de
Dieu fait chair, unique sauveur et médiateur entre
Dieu et l’homme,22 et en écoutant cette Parole,
nous sommes amenés par la Révélation biblique
à reconnaître qu’elle est le fondement de toute la
réalité. Le Prologue de saint Jean affi rme, en référence
au Logos divin, que « par lui tout s’est fait
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui »
(Jn 1, 3) ; de même, dans la Lettre aux Colossiens, il
est affi rmé en ce qui concerne le Christ, « premierné
par rapport à toute créature » (1, 15), que « tout
est créé par lui et pour lui » (1, 16). Et l’auteur de
21 Cf. Proposition 3.
22 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration
sur l’unicité et l’universalité salvifi que de Jésus Christ
et de l’Église Dominus Iesus (6 août 2000) nn. 13-15 : AAS 92
(2000), pp. 754-756.
20
la Lettre aux Hébreux rappelle aussi que « grâce à
la foi, nous comprenons que les mondes ont été
organisés par la Parole de Dieu, si bien que l’univers
visible provient de ce qui n’apparaît pas au
regard » (11, 3).
Cette annonce est pour nous une parole libératrice.
En effet, les affi rmations de l’Écriture
indiquent que tout ce qui existe n’est pas le fruit
d’un hasard irrationnel, mais est voulu par Dieu,
fait partie de son dessein, au sommet duquel il
nous est offert de participer, dans le Christ, à la vie
divine. La création naît du Logos et porte de façon
indélébile la marque de la Raison créatrice qui ordonne
et guide. Les Psaumes chantent cette joyeuse certitude
: « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffl e de sa bouche » (Ps 33, 6) ; et
encore : « il parla, et ce qu’il dit exista ; il commanda,
et ce qu’il dit survint » (Ps 33, 9). Toute la réalité
exprime ce Mystère : « Les cieux proclament la
gloire de Dieu, le fi rmament raconte l’ouvrage de
ses mains » (Ps 19, 2). Par conséquent, c’est l’Écriture
Sainte elle-même qui nous invite à connaître
le Créateur en observant la création (cf. Ps 13, 5 ;
Rm 1, 19-20). La tradition de la pensée chrétienne
a su approfondir cet élément-clé de la symphonie
de la Parole, quand, par exemple, saint Bonaventure
qui, avec la grande tradition des Pères grecs,
a vu toutes les possibilités de la création dans le
Logos,23 affi rme que « toute créature est parole de Dieu,
23 Cf. In Hexaemeron, XX, 5: Opera Omnia, V, Quaracchi
1891, pp. 425-426 ; Breviloquium I, 8: Opera Omnia, V, Quaracchi
1891, pp. 216-217.
21
puisqu’elle proclame Dieu ».24 La Constitution dogmatique
Dei Verbum avait résumé cet élément en
déclarant qu’« en créant (cf. Jn 1, 3) et en conservant
toutes choses par le Verbe, Dieu offre aux
hommes dans les choses créées un témoignage
durable de lui-même ».25
La création de l’homme
9. La réalité naît donc de la Parole, comme creatura
Verbi et tout est appelé à servir la Parole. La
création, en effet, est le lieu où se développe toute
l’histoire de l’amour entre Dieu et sa créature.
Par conséquent, le salut de l’homme est la raison
de tout. En contemplant le cosmos dans la perspective
de l’histoire du salut, nous sommes amenés
à découvrir la position unique et singulière
qu’occupe l’homme dans la création : « Dieu créa
l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa,
il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cela nous
permet de reconnaître pleinement les dons précieux
reçus du Créateur : la valeur de notre propre
corps, le don de la raison, de la liberté et de la
conscience. En cela, nous trouvons aussi tout ce
que la tradition philosophique appelle la « loi na-
24 SAINT BONAVENTURE, Itinerarium mentis in Deum, II, 12 :
Opera Omnia, V, Quaracchi, 1891, pp. 302-303 ; cf. Commentarius
in librum Ecclesiastes, Chap. 1, vers. 11; Quaestiones, II, 3, Quaracchi
1891, p. 16.
25 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 3 ; cf. CONC. OECUM. VAT. I, Const. dogm.
sur la foi catholique Dei Filius, chap. 2, De revelatione : DS 3004.
22
turelle ».26 En effet, « tout être humain qui accède
à la conscience et à la responsabilité fait l’expérience
d’un appel intérieur à accomplir le bien »27
et, donc, à éviter le mal. Comme le rappelle saint
Thomas d’Aquin, tous les autres préceptes de la
loi naturelle se fondent également sur ce principe.
28 L’écoute de la Parole de Dieu nous porte
avant tout à apprécier l’exigence de vivre selon
cette loi « écrite dans notre coeur » (cf. Rm 2, 15 ;
7, 23).29 De plus, Jésus-Christ donne aux hommes
la nouvelle Loi, la Loi de l’Évangile, qui assume
et réalise de manière éminente la loi naturelle, en
nous affranchissant de la loi du péché qui fait que,
comme le dit saint Paul, « ce qui est à ma portée,
c’est d’avoir envie de faire le bien, mais pas de
l’accomplir » (Rm 7, 18) et, par la grâce, il permet
aux hommes la participation à la vie divine et leur
donne la capacité de dépasser leur égoïsme.30
Le réalisme de la Parole
10. Celui qui connaît la Parole divine connaît
aussi pleinement la signifi cation de toute créature.
Si toutes les choses, en effet, « subsistent » en Celui
26 Cf. Proposition 13.
27 COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, À la recherche
d’une éthique universelle : un regard nouveau sur la loi naturelle,
n. 39.
28 Cf. Summa Theologiae, Ia-IIae, q. 94, a. 2.
29 Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Bible et morale,
Racines bibliques de l’agir chrétien (11 mai 2008), nn. 13, 32 et 109.
30 Cf. COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, À la
recherche d’une éthique universelle : un regard nouveau sur la loi naturelle,
n. 102.
23
qui est « avant toutes choses » (cf. Col 1, 17), alors
celui qui construit sa propre vie sur sa Parole bâtit
vraiment de manière solide et durable. La Parole
de Dieu nous pousse à changer notre idée du réalisme
: la personne réaliste est celle qui reconnaît
dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout.31
Nous en avons particulièrement besoin à notre
époque, où de nombreuses choses sur lesquelles
nous nous appuyons pour construire notre vie, sur
lesquelles nous sommes tentés de mettre notre espérance,
se révèlent éphémères. L’avoir, le plaisir
et le pouvoir se manifestent tôt ou tard incapables
de réaliser les aspirations les plus profondes du
coeur de l’homme. En effet, pour construire sa
vie, celui-ci a besoin de fondements solides, qui
demeurent même lorsque les certitudes humaines
s’estompent. En réalité, puisque « pour toujours,
ta parole, Seigneur, se dresse dans les cieux » et
que la fi délité du Seigneur dure « d’âge en âge »
(cf. Ps 119, 89-90), celui qui bâtit sur cette Parole
construit la maison de sa vie sur le roc (cf. Mt 7,
24). Que notre coeur puisse dire tous les jours à
Dieu : « Toi mon abri, mon bouclier, j’espère en ta
parole » (Ps 119, 114) et, comme saint Pierre, que
nous puissions agir tous les jours en nous en remettant
au Seigneur Jésus : « sur ton ordre, je vais
jeter les fi lets » (Lc 5, 5) !
31 Cf. BENOÎT XVI, Méditation à l’occasion de l’ouverture du
Synode des Évêques (6 octobre 2008) : ASS 100 (2008), 758-761,
L’ORf, 14 octobre 2008, p. 11.
24
Christologie de la Parole
11. À partir de ce regard sur la réalité comme
oeuvre de la Sainte Trinité, à travers le Verbe divin,
nous pouvons comprendre les paroles de l’auteur
de la Lettre aux Hébreux : « Souvent, dans le passé,
Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous
des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les
derniers temps, dans ces jours où nous sommes,
il nous a parlé par ce Fils qu’il a établi héritier
de toutes choses et par qui il a créé les mondes »
(1, 1-2). Il est beau de noter que tout l’Ancien Testament
se présente déjà à nous comme l’histoire
dans laquelle Dieu communique sa Parole : « En
effet, après avoir conclu une alliance avec Abraham
(cf. Gn 15, 18) et, par Moïse, avec le Peuple
d’Israël (cf. Ex 24, , il se révéla au Peuple qu’il
s’était acquis, par des paroles et par des actions,
comme le Dieu unique, vivant et vrai, de sorte
qu’Israël fi t l’expérience des voies de Dieu avec
les hommes, qu’il en acquit une intelligence de
jour en jour plus profonde et plus claire grâce
à Dieu parlant lui-même par la bouche des prophètes,
et qu’il manifesta toujours plus largement
parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2,
1-4 ; Jr 3, 17) ».32
Cette complaisance de Dieu se réalise de manière
indépassable au moment de l’Incarnation du
Verbe. La Parole éternelle qui s’exprime dans la
création et qui se communique dans l’histoire du
32 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 14.
25
salut est devenue dans le Christ un homme, « né
d’une femme » (Ga 4, 4). La Parole ne s’exprime
plus ici d’abord à travers un discours, fait de
concepts ou de règles. Ici, nous sommes mis face
à la Personne même de Jésus. Son histoire unique
et singulière est la Parole défi nitive que Dieu dit à
l’humanité. On comprend alors pourquoi « à l’origine
du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision
éthique ou une grande idée, mais la rencontre
avec un événement, avec une Personne, qui donne
à la vie un nouvel horizon et par là son orientation
décisive ».33 Le renouvellement de cette rencontre
et de cette conscience génère dans le coeur
des croyants l’émerveillement devant l’initiative
divine que l’homme, avec ses seules facultés rationnelles
et avec son imagination n’aurait jamais
pu concevoir. Il s’agit d’une nouveauté incroyable
et humainement inconcevable : « Le Verbe s’est
fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14a). Ces
expressions n’indiquent pas une fi gure rhétorique
mais une expérience vécue ! C’est saint Jean, témoin
oculaire, qui la rapporte : « nous avons vu sa
gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils
unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14b). La
foi apostolique témoigne que la Parole éternelle
s’est faite Un de nous. La Parole divine s’exprime
vraiment à travers des paroles humaines.
12. En contemplant cette « Christologie de la
Parole », la tradition patristique médiévale a utilisé
33 BENOÎT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 1 : AAS 98 (2006), pp. 217-218.
26
une expression suggestive : le Verbe s’est abrégé.34
Dans leur traduction grecque de l’Ancien Testament,
les Pères de l’Église ont trouvé une parole
du prophète Isaïe - que saint Paul cite aussi - pour
montrer que les voies nouvelles de Dieu étaient
déjà annoncées dans l’Ancien Testament. On
pouvait y lire : « Dieu a rendu brève sa Parole, il l’a
abrégée » (Is 10, 23 ; Rm 9, 28). Le Fils, lui-même,
est la Parole de Dieu, il est le « Logos : la Parole éternelle
s’est faite petite – si petite qu’elle peut entrer
dans une mangeoire. Elle s’est faite enfant, afi n
que la Parole devienne pour nous saisissable ».35 À
présent, la Parole n’est pas seulement audible, elle
ne possède pas seulement une voix, maintenant la
Parole a un visage, qu’en conséquence nous pouvons
voir : Jésus de Nazareth.36
En suivant le récit des Évangiles, nous relevons
que l’humanité même de Jésus apparaît dans
toute son originalité dans sa référence à la Parole
de Dieu. En effet, il réalise heure par heure,
dans son humanité parfaite, la volonté du Père.
Jésus écoute sa voix et il lui obéit de tout son
coeur. Il connaît le Père et il observe sa Parole (cf.
Jn 8, 55). Il nous raconte les choses du Père (cf.
Jn 12, 50). « Je leur ai donné les paroles que tu
34 « Ho Logos pachynetai (ou brachynetai) ». Cf. ORIGÈNE, Péri
Archon, I, 2, 8 : Sources Chrétiennes (par la suite SC ) 252, p. 127-
129.
35 BENOÎT XVI, Homélie au cours de la Messe de la Nativité du
Seigneur (24 décembre 2006) : AAS 99 (2007), p. 12, L’ORf, 2
janvier 2007, p. 2.
36 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Message fi nal, II, 4-6.
27
m’as données » (Jn 17, . Jésus montre donc qu’il
est le Logos divin qui se donne à nous, mais aussi
le nouvel Adam, l’homme vrai, celui qui accomplit
à chaque instant non sa propre volonté mais
celle du Père. Il « grandissait en sagesse, en taille et
en grâce sous le regard de Dieu et des hommes »
(Lc 2, 52). De manière parfaite, il écoute, il réalise
en lui-même et il nous communique la Parole divine
(cf. Lc 5, 1).
La mission de Jésus trouve enfi n son accomplissement
dans le Mystère pascal : nous nous
trouvons ici face au « langage de la croix » (1 Co 1, 18).
Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il
s’est « dit » jusqu’à se taire, ne conservant rien de
ce qu’il devait communiquer. De manière suggestive,
les Pères de l’Église, contemplant ce Mystère,
mettent sur les lèvres de la Mère de Dieu cette
expression : « Sans parole est la parole du Père, laquelle
a créé toute la nature parlante, sans mouvement
sont les yeux éteints de celui par la parole et
le geste de qui est mû tout ce qui se meut ».37 Ici,
nous est vraiment révélé l’amour le « plus grand »,
celui qui donne sa vie pour ses propres amis (cf.
Jn 15, 13).
Dans ce grand Mystère, Jésus se manifeste
comme la Parole de l’Alliance Nouvelle et Éternelle :
la liberté de Dieu et la liberté de l’homme se sont
défi nitivement rencontrées dans sa chair crucifi
ée, en un pacte indissoluble, à jamais valable.
37 SAINT MAXIME LE CONFESSEUR, La vie de Marie, n. 89 :
CSCO 479, p. 77.
28
Au cours de l’institution de l’Eucharistie, Jésus
lui-même - à la dernière Cène - avait parlé de « la
Nouvelle et Éternelle Alliance », scellée par son
Sang versé (cf. Mt 26, 28 ; Mc 14, 24 ; Lc 22, 20),
se montrant comme le véritable Agneau immolé,
en qui s’accomplit la libération défi nitive de l’esclavage.
38
Dans le Mystère lumineux de la Résurrection,
ce silence de la Parole se manifeste dans sa signifi -
cation authentique et défi nitive. Le Christ, Parole
de Dieu incarnée, crucifi ée et ressuscitée, est le
Seigneur de toutes choses ; il est le Vainqueur, le
Pantokrátor, et tout est récapitulé pour toujours en
lui (cf. Ep 1, 10). Le Christ est donc « la lumière du
monde » (Jn 8, 12), cette lumière qui « brille dans
les ténèbres » (Jn 1, 5) et que les ténèbres n’ont pas
arrêtée (cf. Jn 1, 5). Nous comprenons pleinement
ici le sens du Psaume 119 : « ta parole est la lumière
de mes pas, la lampe de ma route » (v. 105) ; la
Parole qui ressuscite est cette lumière défi nitive
sur notre route. Dès le début, les Chrétiens ont
eu conscience que, dans le Christ, la Parole de
Dieu est présente en tant que Personne. La Parole
de Dieu est la véritable lumière dont l’homme
a besoin. Oui, au moment de la Résurrection, le
Fils de Dieu s’est manifesté comme Lumière du
monde. À présent, en vivant avec lui et par lui,
nous pouvons vivre dans la lumière.
38 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 9-10 : AAS 99 (2007),
pp. 111- 112.
29
13. Parvenus, si l’on peut s’exprimer ainsi, au
coeur de la « Christologie de la Parole », il est important
de souligner l’unité du dessein divin dans
le Verbe incarné : c’est pour cela que le Nouveau
Testament nous présente le Mystère pascal en
accord avec les Saintes Écritures, comme leur
accomplissement parfait. Saint Paul, dans la première
Lettre aux Corinthiens, affi rme que Jésus-
Christ est mort pour nos péchés « conformément
aux Écritures » (15, 3) et qu’il est ressuscité le troisième
jour « conformément aux Écritures » (15, 4).
De cette manière, l’Apôtre place l’événement de la
mort et de la Résurrection du Seigneur en relation
avec l’histoire de l’antique Alliance de Dieu avec
son Peuple. Bien plus, il nous fait comprendre que
c’est de cet événement que cette histoire tire sa logique
et sa véritable signifi cation. Dans le Mystère
pascal s’accomplissent « les paroles de l’Écriture ;
c’est-à-dire que – cette mort réalisée “ conformément
aux Écritures ” – est un événement qui porte
en soi un Logos, une logique : la mort du Christ
témoigne que la Parole de Dieu s’est faite pleinement
“ chair ”, “ histoire ” humaine ».39 La Résurrection
de Jésus se produit aussi « le troisième jour
conformément aux Écritures » : puisque, suivant
l’interprétation juive, la décomposition commençait
après le troisième jour, la Parole de l’Écriture
s’accomplit en Jésus qui ressuscite avant que ne
commence la décomposition. Ainsi, en transmet-
39 Cf. BENOÎT XVI, Audience Générale (15 avril 2009) :
L’ORf, 21 avril 2009, p. 2.
30
tant fi dèlement l’enseignement des Apôtres (cf.
1 Co 15, 3), saint Paul souligne que la victoire du
Christ sur la mort advient par la puissance créatrice
de la Parole de Dieu. Cette puissance divine
apporte l’espérance et la joie : c’est là, en défi nitive,
le contenu libérateur de la Révélation pascale.
À Pâques, Dieu se révèle lui-même ainsi que
la puissance de l’Amour trinitaire qui anéantit les
forces destructrices du mal et de la mort.
En rappelant ces éléments essentiels de notre
foi, nous pouvons contempler la profonde unité
entre la création et la nouvelle création et celle de
toute l’histoire du salut dans le Christ. En recourant
à une image, nous pouvons comparer l’univers
à un « livre » – comme le disait également
Galilée – le considérant comme « l’oeuvre d’un
Auteur qui s’exprime à travers la “ symphonie ”
de la création. Au sein de cette symphonie, on
trouve, à un certain moment, ce que l’on appellerait
en langage musical un “ solo ”, un thème
confi é à un seul instrument ou à une voix unique ;
et celui-ci est tellement important que la signifi -
cation de toute l’oeuvre dépend de lui. Ce “ solo ”,
c’est Jésus ... Le Fils de l’homme résume en lui la
terre et le ciel, la création et le Créateur, la chair et
l’Esprit. Il est le centre de l’univers et de l’histoire,
parce qu’en lui s’unissent sans se confondre l’Auteur
et son oeuvre ».40
40 Cf. BENOÎT XVI, Homélie en la solennité de l’Épiphanie du
Seigneur (6 janvier 2009) : L’ORf, 13 janvier 2009, p. 6.
31
Dimension eschatologique de la Parole de Dieu
14. À travers tout cela, l’Église exprime qu’elle
est consciente de se trouver, avec Jésus-Christ,
face à la Parole défi nitive de Dieu ; il est « le Premier
et le Dernier » (Ap 1, 17). Il a donné à la
création et à l’histoire son sens défi nitif ; c’est
pourquoi nous sommes appelés à vivre le temps, à
habiter la création de Dieu selon le rythme eschatologique
de la Parole ; « l’économie chrétienne, du
fait qu’elle est l’Alliance nouvelle et défi nitive, ne
passera jamais et aucune nouvelle révélation publique
ne doit plus être attendue avant la glorieuse
manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ (cf.
1 Tm 6, 14 et Tt 2, 13) ».41 En effet, comme l’ont
rappelé les Pères durant le Synode, « la spécifi cité
du Christianisme se manifeste dans l’événement
Jésus-Christ, sommet de la Révélation, accomplissement
des promesses de Dieu et médiateur de la
rencontre entre l’homme et Dieu. Lui “ qui nous
a révélé Dieu ” (cf. Jn 1, 18) est la Parole unique et
défi nitive donnée à l’humanité ».42 Saint Jean de la
Croix a exprimé cette vérité de façon admirable :
« Dès lors qu’il nous a donné son Fils, qui est sa
Parole – unique et défi nitive –, il nous a tout dit à
la fois et d’un seul coup en cette seule Parole et il
n’a rien de plus à dire. […] Car ce qu’il disait par
parties aux prophètes, il l’a dit tout entier dans son
Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà
41 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. Sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 4.
42 Proposition 4.
32
pourquoi celui qui voudrait maintenant interroger
le Seigneur et lui demander des visions ou révélations,
non seulement ferait une folie, mais il ferait
injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement
sur le Christ et en cherchant autre chose ou
quelque nouveauté ».43
Par conséquent, le Synode a recommandé
d’« aider les fi dèles à bien distinguer la Parole de
Dieu des révélations privées »,44 dont le rôle « n’est
pas de (…) “ compléter ” la Révélation défi nitive
du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement
à une certaine époque de l’histoire ».45 La
valeur des révélations privées est foncièrement
différente de l’unique Révélation publique : celleci
exige notre foi ; en effet, en elle, au moyen de
paroles humaines et par la médiation de la communauté
vivante de l’Église, Dieu lui-même nous
parle. Le critère pour établir la vérité d’une révélation
privée est son orientation vers le Christ luimême.
Quand celle-ci nous éloigne de Lui, alors
elle ne vient certainement pas de l’Esprit Saint,
qui nous conduit à l’Évangile et non hors de lui.
La révélation privée est une aide pour la foi, et elle
se montre crédible précisément parce qu’elle renvoie
à l’unique Révélation publique. C’est pourquoi
l’approbation ecclésiastique d’une révélation
privée indique essentiellement que le message s’y
rapportant ne contient rien qui s’oppose à la foi
43 Cf. SAINT JEAN DE LA CROIX, Montée du Carmel, II, 22.
44 Proposition 47.
45 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 67.
33
et aux bonnes moeurs. Il est permis de le rendre
public, et les fi dèles sont autorisés à y adhérer de
manière prudente. Une révélation privée peut introduire
de nouvelles expressions, faire émerger
de nouvelles formes de piété ou en approfondir
d’anciennes. Elle peut avoir un certain caractère
prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et elle peut être
une aide valable pour comprendre et pour mieux
vivre l’Évangile à l’heure actuelle. Elle ne doit
donc pas être négligée. C’est une aide, qui nous est
offerte, mais il n’est pas obligatoire de s’en servir.
Dans tous les cas, il doit s’agir de quelque chose
qui nourrit la foi, l’espérance et la charité, qui sont
pour tous le chemin permanent du salut.46
La Parole de Dieu et l’Esprit Saint
15. Après nous être arrêtés sur la Parole dernière
et défi nitive de Dieu au monde, nous devons
parler à présent de la mission de l’Esprit Saint en
lien avec la Parole divine. En effet, aucune compréhension
authentique de la Révélation chrétienne
ne peut être atteinte en dehors de l’action
du Paraclet. Et ce, parce que la communication
que Dieu fait de lui-même implique toujours la
relation entre le Fils et l’Esprit Saint, qu’Irénée de
Lyon appelle, de fait, « les deux mains du Père ».47
De plus, c’est l’Écriture Sainte qui nous montre
46 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Le
message de Fatima, (26 juin 2000) : Ench. Vat. 19, n. 974-1021.
47 Adversus haereses, IV, 7, 4 ; SC 100, p. 465 ; V, 1, 3 : SC
153, p. 73 ; V, 28,4 : SC 153, p. 361.
34
la présence de l’Esprit Saint dans l’histoire du salut
et en particulier dans la vie de Jésus, qui a été
conçu de la Vierge Marie par l’action de l’Esprit
Saint (cf. Mt 1, 18 ; Lc 1, 35) ; au début de son
ministère public, sur les rives du Jourdain, Jésus
le voit descendre sur lui sous la forme d’une colombe
(cf. Mt 3, 16 et par.) ; par ce même Esprit,
il agit, il parle et il exulte (cf. Lc 10, 21) ; et c’est
en lui qu’il peut s’offrir lui-même (cf. He 9,14).
Alors que sa mission s’achève, suivant le récit de
l’Évangéliste Jean, c’est Jésus lui-même qui met
clairement en relation le don de sa vie avec l’envoi
de l’Esprit aux siens (cf. Jn 16, 7). Ensuite, Jésus
ressuscité, portant dans sa chair les signes de sa
passion, répand l’Esprit (cf. Jn 20, 22), rendant
les siens participants de sa propre mission (cf.
Jn 20, 21). Ce sera alors l’Esprit Saint qui enseignera
toutes choses aux disciples et qui leur rappellera
tout ce que le Christ a dit (cf. Jn 14, 26),
parce qu’il lui revient, en tant qu’Esprit de vérité
(cf. Jn 15, 26), d’introduire les disciples dans la vérité
tout entière (cf. Jn 16, 13). Enfi n, comme on
lit dans les Actes des Apôtres, l’Esprit descend sur
les Douze réunis en prière avec Marie, au jour de
la Pentecôte (cf. 2, 1-4), et il les remplit de force
en vue de leur mission d’annoncer la Bonne Nouvelle
à tous les peuples. 48
La Parole de Dieu s’exprime donc en paroles
humaines grâce à l’action de l’Esprit Saint.
48 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 12 : AAS 99 (2007), pp. 113-
114.
35
La mission du Fils et celle de l’Esprit Saint sont
inséparables et constituent une unique économie
du salut. L’Esprit, qui agit au moment de l’Incarnation
du Verbe dans le sein de la Vierge Marie,
est le même Esprit qui guide Jésus au cours de sa
mission et qui est promis aux disciples. Le même
Esprit, qui a parlé par l’intermédiaire des prophètes,
soutient et inspire l’Église dans sa tâche
d’annoncer la Parole de Dieu et dans la prédication
des Apôtres. Enfi n, c’est cet Esprit qui inspire
les auteurs des Saintes Écritures.
16. Attentifs à cet horizon pneumatologique,
les Pères synodaux ont voulu rappeler l’importance
de l’action de l’Esprit Saint dans la vie de
l’Église et dans le coeur des croyants par rapport
à l’Écriture Sainte.49 En effet, sans l’action effi -
cace de « l’Esprit de vérité » (Jn 14, 16) on ne peut
comprendre les paroles du Seigneur. Comme le
rappelle saint Irénée : « Ceux qui ne participent
pas à l’Esprit ne puisent pas au sein de leur Mère
(l’Église) la nourriture de Vie, ils ne reçoivent
rien de la source très pure qui coule du Corps du
Christ ».50 Comme la Parole de Dieu vient à nous
dans le Corps du Christ, dans le Corps eucharistique
et dans le Corps des Écritures par l’action de
l’Esprit Saint, de même elle ne peut être accueillie
et comprise pleinement que grâce à ce même Esprit.
49 Cf. Proposition 5.
50 Adversus haereses, III 24, 1 : SC 34, p. 401.
36
Les grands écrivains de la Tradition chrétienne
prennent unanimement en considération
le rôle de l’Esprit Saint dans le rapport que les
croyants doivent avoir avec les Écritures. Saint Jean
Chrysostome affi rme que l’Écriture « a besoin de
la Révélation de l’Esprit, afi n qu’en découvrant le
véritable sens des choses qui s’y trouvent, nous en
tirions abondamment profi t ».51 Saint Jérôme est
lui aussi fermement convaincu que « nous ne pouvons
arriver à comprendre l’Écriture sans l’aide de
l’Esprit Saint qui l’a inspirée ».52 Saint Grégoire le
Grand souligne à son tour de manière suggestive
l’oeuvre du même Esprit dans la formation et dans
l’interprétation de la Bible : « Il a lui-même créé les
paroles des Saints Testaments, c’est lui-même qui
les ouvre ».53 Richard de Saint-Victor rappelle qu’il
faut des « yeux de colombe », illuminés et instruits
par l’Esprit, pour comprendre le texte sacré.54
Je voudrais souligner encore toute l’importance
du témoignage que nous trouvons, à propos
de la relation entre l’Esprit Saint et l’Écriture,
dans les textes liturgiques, où la Parole de Dieu est
proclamée, écoutée et expliquée aux fi dèles. C’est
le cas d’anciennes prières qui, sous forme d’épiclèses,
invoquent l’Esprit avant la proclamation
51 Homeliae in Genesim, XXI, n. 1 ; PG 53, 175.
52 Epistula 120, 10 : CSEL 55, pp. 500-506.
53 Homiliae Ezechielem I. VII. 17 : CC 142, p. 94.
54 « Oculi ergo devotae animae sunt columbarum quia
sensus eius per Spiritum sanctum sunt illuminati et edocti, spiritualia
sapientes… Nunc quidem aperitur animae talis sensus,
ut intellegat Scripturas » : RICHARD DE SAINT-VICTOR, Explicatio in
Cantica canticorum, 15 : PL 196, 450 B et D.
37
des lectures : « Envoie ton Esprit Saint Paraclet
dans nos âmes et fais-nous comprendre les Écritures
qu’il a inspirées ; et concède-moi de les interpréter
de manière digne, pour que les fi dèles ici
réunis en tirent avantage ». De même, nous trouvons
des prières qui, au terme de l’homélie, invoquent
à nouveau Dieu pour le don de l’Esprit sur
les fi dèles : « Dieu sauveur (…) nous t’implorons
pour ce peuple : envoie sur lui l’Esprit Saint ; que
le Seigneur Jésus vienne le visiter, qu’il parle aux
consciences de tous et qu’il prépare les coeurs à la
foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des Miséricordes
».55 Tout cela nous permet de comprendre
pourquoi l’on ne peut pas arriver à saisir le sens de
la Parole si l’action du Paraclet n’est pas accueillie
dans l’Église et dans le coeur des croyants.
Tradition et Écriture
17. En réaffi rmant le lien profond entre l’Esprit
Saint et la Parole de Dieu, nous avons aussi posé
les fondations pour comprendre le sens et la valeur
déterminante de la Tradition vivante et des
Écritures Saintes dans l’Église. En effet, puisque
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils
unique » (Jn 3, 16), la Parole divine, prononcée
dans le temps, s’est donnée et « livrée » à l’Église
de manière défi nitive, afi n que l’annonce du salut
puisse être communiquée de manière effi cace à
55 Sacramentum Serapionis, II (XX), Didascalia et Constitutiones
apostolorum, ed. F. X. FUNK II, Paderborn 1906, p. 161.
38
toutes les époques et en tous lieux. Comme nous
le rappelle la Constitution dogmatique Dei Verbum,
Jésus-Christ « ayant accompli lui-même et
proclamé de sa propre bouche l’Évangile d’abord
promis par les prophètes, ordonna à ses Apôtres
de le prêcher à tous comme la source de toute
vérité salutaire et de toute règle morale, en leur
communiquant les dons divins. Ce qui fut fi dèlement
accompli tantôt par les Apôtres, qui, dans
la prédication orale, dans les exemples et les institutions
transmirent, soit ce qu’ils avaient appris
de la bouche du Christ en vivant avec lui et en le
voyant agir, soit ce qu’ils tenaient des suggestions
du Saint-Esprit, tantôt par ces Apôtres et des
hommes de leur entourage, qui, sous l’inspiration
du même Esprit- Saint, consignèrent par écrit le
message de salut ».56
Le Concile Vatican II rappelle, par ailleurs,
que cette Tradition d’origine apostolique est une
réalité vivante et dynamique : elle progresse dans
l’Église sous l’assistance du Saint-Esprit, non dans
le sens qu’elle change dans sa vérité, qui est éternelle,
mais plutôt par le fait que « la perception des
réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît
», par la contemplation et par l’étude, avec
l’intelligence que donne une expérience spirituelle
plus profonde, et par « la prédication de ceux qui,
avec la succession dans l’épiscopat, ont reçu un
charisme certain de vérité ».57
56 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 7.
57 Ibidem, n. 8.
39
La Tradition vivante est essentielle afi n que
l’Église puisse grandir au fi l du temps dans la compréhension
de la vérité révélée dans les Écritures ;
en effet, « par cette même Tradition, le Canon intégral
des Livres Saints se fait connaître à l’Église,
et en elle aussi les Saintes Écritures elles-mêmes
sont comprises plus à fond et sans cesse rendues
agissantes ».58 En fi n de compte, c’est la Tradition
vivante de l’Église qui nous fait comprendre de
manière adéquate la Sainte Écriture comme Parole
de Dieu. Même si le Verbe de Dieu précède
et transcende la Sainte Écriture, toutefois, dans la
mesure où elle est inspirée par Dieu, elle contient
la Parole divine (cf. 2 Tm 3, 16) « d’une manière
tout à fait particulière ».59
18. D’où l’importance d’éduquer et de former
de façon claire le Peuple de Dieu à s’approcher des
Saintes Écritures en lien avec la Tradition vivante
de l’Église, en reconnaissant en elles la Parole
même de Dieu. Faire grandir cette attitude chez
les fi dèles est très important du point de vue de
la vie spirituelle. Il peut être utile de rappeler à ce
propos une analogie développée par les Pères de
l’Église entre le Verbe de Dieu qui se fait « chair »
et la Parole qui se fait « Livre ».60 La Constitution
dogmatique Dei Verbum, recueillant cette ancienne
tradition selon laquelle « son Corps (celui
58 Ibidem.
59 Cf. Proposition 3.
60 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Message fi nal, n. 5.
40
du Fils), ce sont les enseignements des Écritures »
– comme le disait saint Ambroise,61 – affi rme :
« les paroles de Dieu, exprimées en langues humaines,
sont devenues semblables au langage humain,
de même que jadis le Verbe du Père éternel,
ayant assumé la chair humaine avec ses faiblesses,
est devenu semblable aux hommes ».62 Comprise
ainsi, l’Écriture Sainte se présente à nous, bien
que dans la multiplicité de ses formes et de ses
contenus, comme une réalité unifi ée. En effet,
« à travers toutes les paroles de l’Écriture Sainte,
Dieu ne dit qu’une seule Parole, son Verbe unique
en qui il se dit tout entier (cf. He 1, 1-3) »,63 comme
l’affi rmait saint Augustin avec clarté : « Rappelezvous
que le discours de Dieu, qui est développé
dans toute la Sainte Écriture, est un seul et qu’un
seul est le Verbe qui résonne sur la bouche de tous
les auteurs sacrés ».64
En fi n de compte, à travers l’action de l’Esprit
Saint et sous la conduite du Magistère, l’Église
transmet à toutes les générations tout ce qui a été
révélé dans le Christ. L’Église vit dans la certitude
que son Seigneur, qui a parlé dans le passé,
ne cesse de communiquer sa Parole, aujourd’hui,
dans la Tradition vivante de l’Église et dans l’Écri-
61 Expositio Evangelii secundum Lucam 6, 33 : SC 45, p. 240.
62 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 13.
63 Catéchisme de l’Église Catholique n. 102. Cf. aussi RUPERT
DE DEUTZ, De operibus Spiritus Sancti, I, 6 : SC 131, pp. 72-74.
64 Enarrationes in Psalmos, 103, IV, 1 : PL 37, 1378. Affi rmations
analogues chez ORIGÈNE, In Ioannem V, 5-6 : SC 120,
pp. 380-384.
41
ture Sainte. En effet, la Parole de Dieu se donne
à nous dans l’Écriture Sainte comme témoignage
inspiré de la Révélation qui, avec la Tradition vivante
de l’Église, constitue la règle suprême de la
foi.65
Écriture Sainte, inspiration et vérité
19. Un concept clé pour accueillir le texte sacré,
en tant que Parole de Dieu faite paroles humaines,
est indubitablement celui de l’inspiration. Ici aussi,
nous pouvons suggérer une analogie : comme
le Verbe de Dieu s’est fait chair par l’action de
l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie, de
même l’Écriture Sainte naît du sein de l’Église
par l’action du même Esprit. L’Écriture Sainte est
« Parole de Dieu en tant que, sous le souffl e de
l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ».66 On
reconnaît de cette manière toute l’importance de
l’auteur humain qui a écrit les textes inspirés et, en
même temps, de Dieu reconnu comme son auteur
véritable.
Comme les Pères synodaux l’ont affi rmé, il
apparaît avec force combien le thème de l’inspiration
est décisif pour s’approcher de façon
juste des Écritures et pour en faire une exégèse
correcte,67 qui, à son tour, doit s’effectuer dans
65 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 21.
66 Ibidem n. 9.
67 Cf. Propositions 5 et 12.
42
l’Esprit même dans lequel elles ont été écrites.68
Lorsque s’affaiblit en nous la conscience de son
inspiration, on risque de lire l’Écriture comme un
objet de curiosité historique et non plus comme
l’oeuvre de l’Esprit Saint, par laquelle nous pouvons
entendre la voix même du Seigneur et
connaître sa présence dans l’histoire.
En outre, les Pères synodaux ont souligné
avec justesse que le thème de l’inspiration est aussi
lié au thème de la vérité des Écritures.69 C’est pourquoi,
un approfondissement de la compréhension
de l’inspiration portera sans aucun doute aussi à
une plus grande intelligence de la vérité contenue
dans les Livres Saints. Comme l’affi rmait la doctrine
conciliaire sur ce thème, les Livres inspirés
enseignent la vérité : « Dès lors, puisque tout ce
que les auteurs inspirés ou hagiographes affi rment
doit être tenu pour affi rmé par l’Esprit Saint, il
faut par conséquent professer que les Livres de
l’Écriture enseignent fermement, fi dèlement et
sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée
dans les saintes Lettres en vue de notre salut.
C’est pourquoi “ toute Écriture inspirée de Dieu
est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former
à la justice afi n que l’homme de Dieu se trouve accompli,
équipé pour toute oeuvre bonne ” (2 Tm 3,
16-17, gr.) ».70
68 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 12.
69 Cf. Proposition 12.
70 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 11.
43
La réfl exion théologique a certainement toujours
considéré l’inspiration et la vérité comme
deux concepts clé pour une herméneutique ecclésiale
des Saintes Écritures. Toutefois, nous devons
reconnaître la nécessité actuelle d’approfondir de
façon adéquate ces réalités, afi n de pouvoir mieux
répondre aux exigences relatives à l’interprétation
des textes sacrés selon leur nature. Dans
cette perspective, je souhaite ardemment que la
recherche dans ce domaine puisse progresser et
qu’elle porte du fruit pour la science biblique et
pour la vie spirituelle des fi dèles.
Dieu Père, source et origine de la Parole
20. L’économie de la Révélation a donc son
commencement et son origine en Dieu le Père.
Par sa Parole « il a fait les cieux, l’univers par le
souffl e de sa bouche » (Ps 33, 6). C’est lui qui fait
« resplendir la connaissance de la gloire de Dieu
qui rayonne sur le visage du Christ » (cf. 2 Co 4, 6 ;
cf. Mt 16, 17 ; Lc 9, 29).
Dans le Fils, Logos fait chair (cf. Jn 1, 14), venu
accomplir la volonté de Celui qui l’a envoyé (cf.
Jn 4, 34), Dieu, source de la Révélation, se manifeste
en tant que Père et porte à sa pleine réalisation
la divinisation de l’homme, déjà assurée
auparavant par les paroles des prophètes et par les
merveilles qu’il a réalisées dans la création et dans
l’histoire de son Peuple et de tous les hommes.
Le sommet de la Révélation de Dieu le Père est
offert par le Fils à travers le don du Paraclet
44
(cf. Jn 14, 16), Esprit du Père et de son Fils, qui
nous « guide vers la vérité tout entière » (cf. Jn 16, 13).
C’est ainsi que toutes les promesses de Dieu
deviennent « oui » en Jésus-Christ (cf. 2 Co 1, 20).
S’ouvre ainsi à l’homme la possibilité de parcourir
le chemin qui le conduit au Père (cf. Jn 14, 6), pour
qu’à la fi n « Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 28).
21. Comme le montre la croix du Christ, Dieu
parle aussi à travers son silence. Le silence de
Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puissant
et du Père est une étape décisive du parcours
terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu
au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel
silence lui causait : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; Mt 27, 46).
Persévérant dans l’obéissance jusqu’à son dernier
souffl e de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus
a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au
moment du passage, à travers la mort, à la vie
éternelle : « Père, entre tes mains je remets mon
esprit » (Lc 23, 46).
Cette expérience de Jésus est comparable à
la situation de l’homme qui, après avoir écouté et
reconnu la Parole de Dieu, doit aussi se mesurer
avec son silence. Bien des saints et des mystiques
ont vécu une telle expérience qui aujourd’hui encore
fait partie du cheminement de nombreux
chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles
précédemment énoncées. Dans ces moments
obscurs, il parle dans le mystère de son silence.
C’est pourquoi, dans la dynamique de la Révé45
lation chrétienne, le silence apparaît comme une
expression importante de la Parole de Dieu.
LA RÉPONSE DE L’HOMME À DIEU QUI PARLE
Appelés à entrer dans l’Alliance avec Dieu
22. Soulignant la multiplicité des formes de
la Parole, nous avons pu contempler, à travers
toutes ces modalités, Dieu qui parle et qui vient à
la rencontre de l’homme, en se faisant connaître
dans un dialogue. Bien sûr, comme l’ont affi rmé
les Pères synodaux, « quand il se réfère à la Révélation,
le dialogue comporte le primat de la Parole
de Dieu adressée à l’homme ».71 Le Mystère
de l’Alliance exprime cette relation entre Dieu
qui appelle par sa Parole et l’homme qui répond,
dans la claire conscience qu’il ne s’agit pas d’une
rencontre entre deux parties contractantes situées
sur un pied d’égalité ; ce que nous appelons l’Ancienne
et la Nouvelle Alliance n’est pas un acte
d’entente entre deux parties égales, mais un pur
don de Dieu. Par ce don de son amour, dépassant
toute distance, Dieu fait vraiment de nous ses
« partenaires », réalisant ainsi le Mystère nuptial
de l’amour entre le Christ et l’Église. Dans cette
perspective, chaque homme apparaît comme destinataire
de la Parole, interpellé et appelé à entrer
dans ce dialogue d’amour par une réponse libre.
Chacun de nous est ainsi rendu par Dieu capable
71 Proposition 4.
46
d’écouter et de répondre à la Parole divine. L’homme
est créé dans la Parole et il vit en elle ; il ne peut
se comprendre lui-même s’il ne s’ouvre à ce dialogue.
La Parole de Dieu révèle la nature fi liale et
relationnelle de notre vie. Nous sommes vraiment
appelés par grâce à nous conformer au Christ, le
Fils du Père, et à être transformés en Lui.
Dieu écoute l’homme et répond à ses demandes
23. Dans ce dialogue avec Dieu, nous nous
comprenons nous-mêmes et nous trouvons la réponse
aux interrogations les plus profondes qui
habitent notre coeur. Car la Parole de Dieu ne
s’oppose pas à l’homme, ne mortifi e pas ses désirs
authentiques, bien au contraire, elle les illumine,
les purifi e et les mène à leur accomplissement.
Comme il est important pour notre temps de découvrir
que seul Dieu répond à la soif qui est dans le
coeur de tout homme ! À notre époque et surtout en
Occident, s’est malheureusement diffusée l’idée
que Dieu est étranger à la vie et aux problèmes
de l’homme et, plus encore, que sa présence peut
être une menace pour son autonomie. En réalité,
toute l’économie du Salut nous montre que
Dieu parle et intervient dans l’histoire en faveur
de l’homme et de son salut intégral. Il est donc
important, d’un point de vue pastoral, de présenter
la Parole de Dieu dans sa capacité de répondre
aux problèmes que l’homme doit affronter dans
la vie quotidienne. Jésus se présente justement
à nous comme celui qui est venu pour que nous
47
puissions avoir la vie en abondance (cf. Jn 10, 10).
Pour cela, nous devons déployer tous nos efforts
pour que la Parole de Dieu apparaisse à chacun
comme une ouverture à ses problèmes, une réponse
à ses questions, un élargissement des valeurs
et en même temps comme une satisfaction
apportée à ses aspirations. La pastorale de l’Église
doit être attentive à illustrer avec soin comment
Dieu écoute les besoins de l’homme et son cri.
Saint Bonaventure affi rme dans le Breviloquium :
« Le fruit de l’Écriture Sainte n’est pas quelconque,
c’est la plénitude de l’éternelle félicité. Car elle
est l’Écriture Sainte dans laquelle sont les paroles
de la vie éternelle ; elle est donc écrite, non seulement
pour que nous croyions, mais aussi pour
que nous possédions la vie éternelle dans laquelle
nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront
universellement comblés ».72
Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles
24. La Parole divine introduit chacun de nous
dans un dialogue avec le Seigneur. Le Dieu qui
parle, nous apprend comment nous pouvons parler
avec lui. Spontanément vient à l’esprit le Livre
des Psaumes, dans lequel Dieu nous donne les paroles
avec lesquelles nous pouvons nous adresser
à lui, lui présenter notre vie dans un colloque avec
lui, transformant ainsi la vie même en un mou-
72 Prol. Opera omnia V, Quaracchi 1891, pp. 201-202.
48
vement vers Dieu.73 Dans les Psaumes, en effet,
nous trouvons toute la gamme des sentiments
que l’homme peut éprouver dans son existence
et qui sont présentés avec sagesse à Dieu : la joie
et la douleur, l’angoisse et l’espérance, la peur
et l’anxiété trouvent ici leur expression. Avec
les Psaumes, nous pensons aussi aux nombreux
autres textes de la Sainte Écriture qui expriment
la manière dont l’homme s’adresse à Dieu sous
la forme d’une prière d’intercession (cf. Is 33,
12-16), d’un chant de joie pour la victoire (cf.
Is 15), ou d’une lamentation pour la mission à
remplir (cf. Jr 20, 7-18). De cette façon, la parole
que l’homme adresse à Dieu devient à son tour
Parole de Dieu, confi rmant le caractère de dialogue
de toute la révélation chrétienne.74 L’existence
tout entière de l’homme devient, dans cette perspective,
un dialogue avec Dieu qui parle et écoute,
qui appelle et engage notre vie. La Parole de Dieu
révèle que toute l’existence de l’homme se situe
dans le champ de l’appel divin.75
La Parole de Dieu et la foi
25. « À Dieu qui révèle il faut apporter ‘l’obéissance
de la foi’ (Rm 16, 26 ; cf. Rm 1, 5 ; 2 Co 10,
5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier
73 Cf. BENOÎT XVI, Discours au monde de la Culture au Collège
des Bernardins à Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008),
pp. 721-730.
74 Cf. Proposition 4.
75 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Relatio post disceptationem, n. 12.
49
librement à Dieu, en présentant ‘à Dieu qui révèle
la pleine soumission de l’intelligence et de la volonté’
et en donnant de plein gré son assentiment
à la Révélation qu’il a faite ».76 Avec ces paroles, la
Constitution dogmatique Dei Verbum a exprimé,
de manière précise, l’attitude de l’homme devant
Dieu. La réponse propre de l’homme à Dieu qui parle
est la foi. En cela il est évident que « pour accueillir
la Révélation, l’homme doit ouvrir sa conscience
et son coeur à l’action de l’Esprit Saint qui lui fait
comprendre la Parole de Dieu présente dans les
Écritures Saintes ».77 En effet, c’est précisément la
prédication de la Parole divine qui fait surgir la
foi, par laquelle nous adhérons de tout notre coeur
à la vérité révélée et nous nous confi ons totalement
au Christ : « la foi naît de ce qu’on entend,
et ce qu’on entend, c’est l’annonce de la parole
du Christ » (Rm 10, 17). C’est toute l’histoire du
salut qui, de façon progressive, nous montre ce
lien intime entre la Parole de Dieu et la foi qui
s’accomplit dans la rencontre avec le Christ. Avec
Lui, la foi prend la forme de la rencontre avec une
personne à laquelle on confi e sa propre vie. Le
Christ Jésus demeure aujourd’hui dans l’histoire,
dans son Corps qui est l’Église ; ainsi, notre acte
de foi est simultanément un acte personnel et ecclésial.
76 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. Sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 5.
77 Proposition 4.
50
Le péché comme non-écoute de la Parole de Dieu
26. La Parole de Dieu révèle inévitablement
aussi la possibilité dramatique, de la part de la liberté
de l’homme, de se soustraire à ce dialogue
d’alliance avec Dieu pour lequel nous avons été
créés. La Parole divine, en effet, dévoile aussi le
péché qui habite le coeur de l’homme. Nous trouvons
très souvent, aussi bien dans l’Ancien que
dans le Nouveau Testament, la description du péché
comme non-écoute de la Parole, comme rupture de
l’Alliance et donc comme fermeture à l’égard de
Dieu qui appelle à la communion avec lui.78 En
effet, l’Écriture Sainte nous montre comment le
péché de l’homme est essentiellement désobéissance
et ‘non-écoute’. C’est vraiment l’obéissance
radicale de Jésus jusqu’à la mort de la croix (cf.
Ph 2, qui démasquera totalement ce péché.
Dans son obéissance s’accomplit la Nouvelle Alliance
entre Dieu et l’homme et nous est donnée
la possibilité de la réconciliation. Jésus, en effet, a
été envoyé par le Père comme victime d’expiation
pour nos péchés et pour ceux du monde entier
(cf. 1 Jn 2, 2 ; 4, 10 ; Hb 7, 27). Ainsi, la possibilité
miséricordieuse de la Rédemption nous est offerte
et le début d’une vie nouvelle dans le Christ. C’est
pourquoi, il est important que les fi dèles soient
formés à reconnaître la racine du péché dans la
non-écoute de la Parole du Seigneur et à accueillir
78 Par exemple Dt 28,1-2.15.45 ; 32,1 ; dans les prophètes
cf. Jr 7,22-28 ; Is 2,8 ; 3,10 ; 6,3 ; 13,2 ; jusqu’aux derniers : cf.
Za 3,8. Chez saint Paul cf. Rm 10,14-18 ; 1Th 2,13.
51
en Jésus, le Verbe de Dieu, le pardon qui nous
ouvre au salut.
Marie, « Mère du Verbe de Dieu » et « Mère de la foi »
27. Les Pères synodaux ont déclaré que le but
fondamental de la XIIe Assemblée était avant tout
de « renouveler la foi de l’Église dans la Parole de
Dieu » ; c’est pourquoi, il est nécessaire de regarder
là où la réciprocité entre la Parole de Dieu et
la foi s’est accomplie parfaitement, c’est-à-dire en
la Vierge Marie, « qui par son ‘oui’ à la Parole de
l’Alliance et à sa mission, accomplit parfaitement
la vocation divine de l’humanité ».79 La réalité humaine,
créée par le Verbe, trouve vraiment son
plein accomplissement dans la foi obéissante de
Marie. De l’Annonciation à la Pentecôte, elle se
présente à nous comme la femme totalement disponible
à la volonté de Dieu. Elle est l’Immaculée
Conception, celle qui est « pleine de la grâce » de
Dieu (cf. Lc 1, 28), docile à la Parole divine de
façon inconditionnelle (cf. Lc 1, 38). Sa foi obéissante
place son existence à chaque instant face à
l’initiative de Dieu. Vierge à l’écoute, elle vit en
pleine syntonie avec la volonté divine ; elle garde
dans son coeur les événements de la vie de son
Fils, en les ordonnant en une seule mosaïque (cf.
Lc 2, 19.51).80
79 Proposition 55.
80 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 33 : AAS 99 (2007), pp. 132-
133).
52
À notre époque, il est nécessaire que les fi -
dèles soient initiés à mieux découvrir le lien entre
Marie de Nazareth et l’écoute croyante de la Parole
divine. J’exhorte aussi les chercheurs à approfondir
le plus possible le rapport entre la mariologie et
la théologie de la Parole. On pourra en tirer un grand
bénéfi ce autant pour la vie spirituelle que pour
les études théologiques et bibliques. En effet, ce
que l’intelligence de la foi a saisi concernant Marie
se situe au centre le plus intime de la vérité chrétienne.
En réalité, l’Incarnation du Verbe ne peut
être pensée en faisant abstraction de la liberté de
cette jeune fi lle qui, par son assentiment, coopère
de façon décisive à l’entrée de l’Eternel dans le
temps. Elle est la fi gure de l’Église à l’écoute de la
Parole de Dieu qui, en elle, s’est faite chair. Marie
est aussi le symbole de l’ouverture à Dieu et aux
autres ; de l’écoute active qui intériorise, qui assimile
et où la Parole divine devient la matrice de
la vie.
28. À ce point, je désire attirer l’attention sur la
familiarité de Marie avec la Parole de Dieu. C’est
ce qui resplendit avec une force particulière dans
le Magnifi cat. Ici, en un certain sens, on voit comment
elle s’identifi e à la Parole, comment elle
entre en elle ; dans ce merveilleux cantique de foi,
la Vierge exalte le Seigneur avec sa propre Parole :
« Le Magnifi cat, – portrait, pour ainsi dire, de son
âme – est entièrement tissé de fi ls de l’Écriture
Sainte, de fi ls extraits de la Parole de Dieu. On
voit ainsi apparaître que, dans la Parole de Dieu,
53
Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y
rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense
au moyen de la Parole de Dieu ; la Parole de Dieu
devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de
Dieu. De plus, se manifeste ainsi que ses pensées
sont au diapason des pensées de Dieu, que sa volonté
consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément
pénétrée par la Parole de Dieu, elle peut
devenir la mère de la Parole incarnée ».81
En outre, la référence à la Mère de Dieu nous
montre comment l’agir de Dieu dans le monde
implique toujours notre liberté parce que, dans la
foi, la Parole divine nous transforme. De même,
notre action apostolique et pastorale ne pourra jamais
être effi cace si nous n’apprenons pas de Marie
à nous laisser modeler par l’oeuvre de Dieu en
nous : « l’attention pleine d’amour et de dévotion
à la fi gure de Marie comme modèle et archétype
de la foi de l’Église, est d’une importance capitale
pour opérer aujourd’hui aussi un changement
concret de paradigme dans la relation de l’Église
avec la Parole, aussi bien dans l’attitude d’écoute
orante qu’à travers la générosité de l’engagement
pour la mission et l’annonce ».82
Contemplant chez la Mère de Dieu une existence
totalement modelée par la Parole, nous découvrons
que nous sommes, nous aussi, appelés
à entrer dans le Mystère de la foi par laquelle le
81 Idem, Deus caritas est (25 décembre 2005), 41 : AAS 98
(2006), p. 251.
82 Proposition 55.
54
Christ vient demeurer dans notre vie. Chaque
chrétien qui croit, nous rappelle saint Ambroise,
conçoit et engendre en un certain sens, le Verbe
de Dieu en lui-même : s’il n’y a qu’une seule Mère
du Christ selon la chair, en revanche, selon la foi,
le Christ est le fruit de tous.83 Donc ce qui est arrivé
à Marie peut arriver en chacun de nous, chaque
jour, dans l’écoute de la Parole et dans la célébration
des Sacrements.
L’HERMÉNEUTIQUE DE L’ÉCRITURE SAINTE
DANS L’ÉGLISE
L’Église, lieu originaire de l’herméneutique de la Bible
29. Un autre grand sujet s’est imposé lors du Synode,
sur lequel j’entends maintenant attirer l’attention,
c’est l’interprétation de l’Écriture Sainte dans
l’Église. Le lien intrinsèque entre la Parole et la foi
met bien en évidence que l’authentique herméneutique
de la Bible ne peut se situer que dans la
foi ecclésiale qui a, dans le ‘oui’ de Marie, son paradigme.
Saint Bonaventure affi rme à ce sujet que,
sans la foi, on n’a pas la clé d’accès au texte sacré
: « C’est de cette connaissance de Jésus-Christ
que découle, telle une source, la certitude et l’intelligence
contenue dans toute l’Écriture Sainte.
En conséquence, il est impossible d’entrer dans
la connaissance de l’Écriture Sainte sans cette foi
83 Cf. Expositio Evangelii secundum Lucam 2, 19 : PL 15,
pp. 1559-1560.
55
venant du Christ. Cette foi est lumière, porte et
aussi fondement de toute l’Écriture ».84 Et saint
Thomas d’Aquin, en mentionnant saint Augustin,
insiste avec force : « Même la lettre de l’Évangile
tue s’il manque, à l’intérieur de l’homme, la grâce
de la foi qui guérit ».85
Cela nous permet de rappeler un critère fondamental
de l’herméneutique biblique : le lieu originaire
de l’interprétation scripturaire est la vie de l’Église.
Cette affi rmation n’indique pas la référence ecclésiale
comme un critère extrinsèque auquel les exégètes
doivent se plier, mais elle est demandée par la
réalité même des Écritures et par la manière dont
elles se sont formées dans le temps. En effet, « les
traditions de la foi formaient le milieu vital dans
lequel s’est insérée l’activité littéraire des auteurs
de l’Écriture Sainte. Cette insertion comprenait
aussi la participation à la vie liturgique et à l’activité
extérieure des communautés, à leur monde
spirituel, à leur culture et aux péripéties de leur
destinée historique. L’interprétation de l’Écriture
Sainte exige donc, de manière semblable, la participation
des exégètes à toute la vie et à toute la
foi de la communauté croyante de leur temps ».86
Par conséquent, « puisque la Sainte Écriture doit
aussi être lue et interprétée à la lumière du même
84 Breviloquium, Prol. Opera Omnia, V, Quaracchi 1891,
pp. 201-202.
85 Somme Théologique, Ia-IIae, q.106, art.2.
86 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), III, A, 3 : Ench. Vat. 13, n. 3035.
Dans l’édition du Cerf, Paris, 2010 (citée par la suite), p. 83.
56
Esprit que celui qui la fi t rédiger »,87 il convient
que les exégètes, les théologiens et tout le Peuple
de Dieu la considèrent pour ce qu’elle est réellement,
la Parole de Dieu qui se communique à
nous à travers une parole humaine (cf. 1 Th 2, 13).
Ceci est une donnée constante contenue implicitement
dans la Bible même : « aucune prophétie
de l’Écriture ne vient d’une intuition personnelle.
En effet, ce n’est jamais la volonté d’un homme
qui a porté une prophétie : c’est portés par l’Esprit
Saint que des hommes ont parlé de la part
de Dieu » (2 P 1, 20-21). Du reste, c’est le propre
de la foi de l’Église de reconnaître dans la Bible
la Parole de Dieu ; comme le dit admirablement
saint Augustin, « je ne croirais pas en l’Évangile si
l’autorité de l’Église ne m’y entraînait pas ».88 C’est
l’Esprit Saint qui anime la vie de l’Église et qui
la rend capable d’interpréter authentiquement les
Écritures. La Bible est le Livre de l’Église et, de
son immanence dans la vie ecclésiale, jaillit aussi
sa véritable herméneutique.
30. Saint Jérôme rappelle que nous ne pouvons
jamais lire seuls l’Écriture. Nous trouvons trop de
portes fermées et nous glissons facilement dans
l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu
et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de
l’Esprit Saint. C’est seulement dans cette com-
87 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 12.
88 Contra epistulam Manichaei quam vocant fundamenti, V, 6:
PL 42,176.
57
munion avec le Peuple de Dieu, dans ce ‘nous’
que nous pouvons réellement entrer dans le coeur
de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire.89
Le grand savant, pour qui « l’ignorance des Écritures
est l’ignorance du Christ »,90 affi rme que
l’ecclésialité de l’interprétation biblique n’est pas
une exigence imposée de l’extérieur ; le Livre est
vraiment la voix du Peuple de Dieu pérégrinant,
et c’est seulement dans la foi de ce Peuple que
nous sommes, pour ainsi dire, dans la tonalité
juste pour comprendre la Sainte Écriture. Une authentique
interprétation de la Bible doit toujours
être dans une harmonieuse concordance avec la
foi de l’Église catholique. Saint Jérôme s’adressait
ainsi à un prêtre : « Reste fermement attaché à la
doctrine traditionnelle qui t’a été enseignée, afi n
que tu puisses exhorter selon la saine doctrine et
réfuter ceux qui la contredisent ».91
Les approches du texte sacré qui font abstraction
de la foi peuvent suggérer des éléments
intéressants, en s’arrêtant sur la structure du texte
et sur ses formes, cependant, une telle tentative ne
pourrait être qu’un préliminaire, structurellement
incomplet. En effet, comme l’a affi rmé la Commission
biblique pontifi cale, faisant écho à un
principe partagé par l’herméneutique moderne,
« le juste sens d’un texte ne peut être donné pleinement
que s’il est actualisé dans le vécu de lecteurs qui se l’appro-
89 Cf. BENOÎT XVI, Audience générale (14 novembre 2007) :
L’ORf, 20 novembre 2007, p. 12.
90 Commentariorum in Isaiam libri, Prol. : PL 24,17.
91 Epistula 52, 7 : CSEL 54, p. 426.
58
prient ».92 Tout cela met en relief la relation entre
la vie spirituelle et l’herméneutique de l’Écriture.
En effet, « avec la croissance de la vie dans l’Esprit
grandit, chez le lecteur, la compréhension des
réalités dont parle le texte biblique ».93 L’intensité
d’une authentique expérience ecclésiale ne peut
que développer une intelligence de la foi authentique
à l’égard de la Parole de Dieu ; réciproquement,
on doit dire que lire dans la foi les Écritures
fait grandir la vie ecclésiale même. De là, nous
pouvons comprendre d’une façon nouvelle l’affi rmation
bien connue de saint Grégoire le Grand :
« les paroles divines grandissent avec celui qui les
lit ».94 De cette façon, l’écoute de la Parole de Dieu
introduit et accroît la communion ecclésiale entre
ceux qui cheminent dans la foi.
« L’âme de la théologie sacrée »
31. « Que l’étude de la Sainte Écriture soit
comme l’âme de la théologie sacrée » :95 cette expression
de la Constitution dogmatique Dei Verbum
nous est devenue au cours des ans toujours
plus familière. On peut dire que l’époque qui a
92 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), II, A, 2 : Ench. Vat. 13, n. 2988.
93 Ibidem, II, A, 2 : Ench. Vat. 13, n. 2991.
94 Homiliae in Ezechielem, I, VII, 8: CCL 142, 87 (PL 76,
843 D).
95 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 24 ; cf. LEON XIII, Lett. enc. Providentissimus
Deus (18 novembre 1893), Pars II, sub fi ne : AAS 26
(1893-94), pp. 269-292 ; BENOÎT XV, Lett.enc. Spiritus Paraclitus
(15 septembre 1920), Pars III : AAS 12(1920), pp. 285-422.
59
suivi le Concile Vatican II, en ce qui concerne les
études théologiques et exégétiques, a fréquemment
fait référence à cette expression comme
signe de l’intérêt renouvelé pour la Sainte Écriture.
La XIIe Assemblée du Synode des Évêques
s’est souvent référée à cette affi rmation pour indiquer
la relation entre la recherche historique et
l’herméneutique de la foi en référence au texte sacré.
Dans cette perspective, les Pères ont constaté
avec joie la réalité de l’étude accrue de la Parole
de Dieu dans l’Église au long des dernières décennies
et ont exprimé avec conviction une vive
reconnaissance aux nombreux exégètes et théologiens qui,
avec dévouement, engagement et compétence
ont donné et donnent une contribution essentielle
à l’approfondissement du sens de l’Écriture,
en affrontant les problèmes complexes que notre
temps pose à la recherche biblique.96 Ils ont également
manifesté des sentiments de sincère gratitude à
l’égard des membres de la Commission biblique pontifi cale
qui se sont succédé au cours de ces années et qui,
en lien étroit avec la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi, continuent à offrir leur apport qualifi
é pour aborder les questions particulières inhérentes
à l’étude de la Sainte Écriture. Le Synode
a voulu, en outre, s’interroger sur le statut actuel
des études bibliques et sur leur importance dans le
domaine théologique. En effet, du rapport fécond
entre exégèse et théologie dépend pour une large
part l’effi cacité pastorale de l’action de l’Église
96 Cf. Proposition 26.
60
et la vie spirituelle des fi dèles. C’est pourquoi, je
crois important de reprendre certaines réfl exions
apparues dans les échanges sur ce thème au cours
des travaux du Synode.
Développement de la recherche biblique et Magistère ecclésial
32. Avant tout, il est nécessaire de reconnaître
dans la vie de l’Église le bénéfi ce provenant de
l’exégèse historico-critique et des autres méthodes
d’analyse du texte développées récemment.97
Dans l’approche catholique de la Sainte Écriture,
l’attention à ces méthodes est indispensable et elle
est liée au réalisme de l’Incarnation : « Cette nécessité
est la conséquence du principe chrétien formulé
dans l’Évangile selon saint Jean 1,14 : le Verbe
s’est fait chair. Le fait historique est une dimension
constitutive de la foi chrétienne. L’histoire du salut
n’est pas une mythologie, mais une véritable
histoire et pour cela elle est à étudier avec les
méthodes de la recherche historique sérieuse ».98
Cependant, l’étude de la Bible exige la connaissance
et l’utilisation appropriée de ces méthodes
de recherche. S’il est vrai que cette sensibilité dans
les études s’est développée plus intensément à
l’époque moderne, bien que de façon inégale suivant
les lieux, il y a toujours eu cependant dans la
97 Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation
de la Bible dans l’Église (15 avril 1993), A-B : Ench. Vat. 13,
nn. 2846-3150.
98 BENOÎT XVI, Intervention orale durant la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
p. 1015 ; cf. Proposition 25.
61
saine tradition ecclésiale un amour pour l’étude
de « la lettre ». Il suffi t ici de rappeler la culture
monastique, à laquelle nous devons en dernière
instance le fondement de la culture européenne à
la racine de laquelle se trouve l’intérêt pour la parole.
Le désir de Dieu comprend l’amour pour la
parole dans toutes ses dimensions : « puisque dans
la parole biblique, Dieu est en chemin vers nous
et nous vers Lui, il faut apprendre à pénétrer le
secret de la langue, à la comprendre dans sa structure
et dans ses usages. Ainsi, en raison même de
la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui
nous indiquent les chemins vers la langue, deviennent
importantes ».99
33. Le Magistère vivant de l’Église, auquel il
appartient « d’interpréter de façon authentique la
Parole de Dieu, écrite ou transmise »,100 est intervenu
avec un sage équilibre par rapport à la juste
position à avoir face à l’introduction des nouvelles
méthodes d’analyse historique. Je me réfère particulièrement
aux encycliques Providentissimus Deus
du Pape Léon XIII et Divino affl ante Spiritu du
Pape Pie XII. Ce fut mon vénérable prédécesseur
Jean-Paul II qui rappela l’importance de ces documents
pour l’exégèse et la théologie à l’occasion
des célébrations respectivement du centenaire et
99 Idem BENOÎT XVI, Discours au monde de la Culture au Collège
des Bernardins à Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008),
pp. 721-730.
100 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
62
du cinquantenaire de leur promulgation.101 L’intervention
du Pape Léon XIII eut le mérite de
protéger l’interprétation catholique de la Bible
des attaques du rationalisme, mais sans se réfugier
dans un sens spirituel détaché de l’histoire. Ne reculant
pas devant la critique scientifi que, il se méfi
ait seulement « des idées préconçues qui prétendent
se fonder sur la science mais qui, en réalité,
font subrepticement sortir la science de son domaine
».102 Le Pape Pie XII, à l’inverse, se trouvait
face aux attaques des partisans d’une exégèse soidisant
mystique qui refusait toute approche scientifi
que. L’encyclique Divino affl ante Spiritu, avec une
grande fi nesse, a évité d’engendrer l’idée d’une
dichotomie entre l’« exégèse scientifi que » pour
l’usage apologétique et l’« interprétation spirituelle
réservée à l’usage interne », affi rmant au
contraire aussi bien la « portée théologique du
sens littéral méthodiquement défi ni », que l’appartenance
de la « détermination du sens spirituel…
au domaine de la science exégétique ».103 De cette
façon, les deux documents refusaient « la rupture
entre l’humain et le divin, entre la recherche scientifi
que et le regard de la foi, entre le sens littéral
et le sens spirituel ».104 Cet équilibre a ensuite
101 Cf. JEAN-PAUL II, Discours à l’occasion du 100e anniversaire
de Providentissimus Deus et du 50e anniversaire de Divino affl ante
Spiritu (23 avril 1993) : AAS 86 (1994), pp. 232-243.
102 Ibid. n. 4 : AAS 86 (1994), p. 235 ; La DC n. 2073,
p. 504.
103 Ibid. n. 5 : AAS 86 (1994), p. 235 ; La DC n. 2073, p. 505.
104 Ibid. n. 5 : AAS 86 (1994), p. 236 ; La DC n. 2073, p. 505.
63
été repris dans le document de la Commission
biblique pontifi cale de 1993 : « Dans leur travail
d’interprétation, les exégètes catholiques ne doivent
jamais oublier que ce qu’ils interprètent est
la Parole de Dieu. Leur tâche commune n’est
pas terminée lorsqu’ils ont distingué les sources,
défi ni les formes ou expliqué les procédés littéraires.
Le but de leur travail n’est atteint que
lorsqu’ils ont éclairé le sens du texte biblique
comme parole actuelle de Dieu ».105
L’herméneutique biblique conciliaire : une indication à recevoir
34. Sur cet horizon, il est possible de mieux
apprécier les grands principes d’interprétation
propre à l’exégèse catholique exprimés au Concile
Vatican II, particulièrement dans la Constitution
dogmatique Dei Verbum : « Puisque Dieu, dans la
Sainte Écriture, a parlé par des hommes à la manière
des hommes, l’interprète de la Sainte Écriture,
pour percevoir ce que Dieu Lui-même a
voulu nous communiquer, doit chercher attentivement
ce que les hagiographes ont réellement
eu l’intention de dire et ce qu’il a plu à Dieu de
faire savoir par leurs paroles ».106 D’une part, le
Concile indique l’étude des genres littéraires et du
contexte, comme éléments fondamentaux pour
saisir la signifi cation de l’hagiographe. D’autre
105 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), III, C, 1: Ench. Vat. 13, n. 3065.
106 N. 12.
64
part, la Sainte Écriture devant être interprétée
dans le même Esprit que celui dans lequel elle
a été écrite, la Constitution dogmatique indique
trois critères de base pour tenir compte de la
dimension divine de la Bible : 1) interpréter le texte
en tenant compte de l’unité de l’ensemble de l’Écriture
– on parle aujourd’hui d’exégèse canonique ;
2) tenir compte ensuite de la Tradition vivante de toute
l’Église, et 3) respecter enfi n l’analogie de la foi. « Seulement
dans le cas où les deux niveaux méthodologiques,
celui de nature historique et critique
et celui de nature théologique, sont observés, on
peut alors parler d’une exégèse théologique, d’une
exégèse adaptée à ce Livre ».107
Les Père synodaux ont affi rmé avec raison
que le fruit positif apporté par l’usage de la
recherche historico-critique moderne est incontestable.
Toutefois, alors que l’exégèse académique
actuelle, y compris catholique, travaille
à un haut niveau sur le plan de la méthodologie
historico-critique en intégrant les apports les plus
récents, il convient d’exiger une étude similaire de
la dimension théologique des textes bibliques afi n
que progresse l’approfondissement selon les trois
éléments indiqués par la Constitution dogmatique
Dei Verbum.108
107 BENOÎT XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
p. 1015 ; cf. Proposition 25.
108 Cf. Proposition 26.
65
Le péril du dualisme et l’herméneutique sécularisée
35. Il convient de signaler à ce sujet le risque
grave d’un dualisme qui apparaît aujourd’hui dans
l’approche des Saintes Écritures. En effet, en distinguant
les deux niveaux d’approche, il ne s’agit
pas de les séparer, ni de les opposer, ni simplement
de les juxtaposer. Ils sont liés l’un à l’autre.
Malheureusement, il n’est pas rare qu’une séparation
infructueuse des deux engendre une hétérogénéité
entre exégèse et théologie, qui « touche
aussi les niveaux académiques les plus élevés ».109
Je voudrais ici rappeler les conséquences les plus
préoccupantes qu’il convient d’éviter.
a) Avant tout, si l’activité exégétique se réduit
seulement au premier niveau, cela a pour conséquence
de faire de l’Écriture même un texte du passé
: « On peut en tirer des conséquences morales,
on peut en apprendre l’histoire, mais le livre en
tant que tel, parle seulement du passé et l’exégèse
n’est plus véritablement théologique, mais devient
une pure historiographie, une histoire de la littérature
».110 Il est clair qu’avec une telle réduction,
on ne peut en aucune façon comprendre l’événement
de la Révélation de Dieu par sa Parole qui se
transmet à nous dans la Tradition vivante et dans
l’Écriture.
109 Proposition 27.
110 BENOÎT XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
pp. 1015-1016 ; Proposition 26.
66
b) Le défi cit d’une herméneutique de la foi à
l’égard de l’Écriture ne se résume pas seulement
en termes d’absence ; à sa place s’inscrit inévitablement
une autre herméneutique, une herméneutique
sécularisée, positiviste, dont la clé fondamentale
est la conviction que le divin n’apparaît pas
dans l’histoire humaine. Selon cette herméneutique,
lorsqu’il semble qu’existe un élément divin,
on doit l’expliquer d’une autre façon et tout ramener
à la dimension humaine. En conséquence, on
propose des interprétations qui nient l’historicité
des éléments divins.111
c) Une telle position ne peut que produire des
dégâts dans la vie de l’Église, répandant un doute
sur les Mystères fondamentaux du Christianisme
et sur leur valeur historique, comme par exemple
l’institution de l’Eucharistie et la Résurrection du
Christ. On impose alors une herméneutique philosophique,
qui nie la possibilité de l’entrée et de
la présence du divin dans l’histoire. L’acceptation
d’une telle herméneutique dans les études théologiques
introduit inévitablement un dualisme
pesant entre l’exégèse, qui s’établit uniquement
sur le premier niveau et la théologie qui s’ouvre
à la dérive d’une spiritualisation du sens des Écritures
qui ne respecte pas le caractère historique de
la Révélation.
Cette position ne peut qu’avoir un résultat
négatif tant sur la vie spirituelle que sur l’activité
111 Cf. Ibid.
67
pastorale ; « la conséquence de l’absence du second
niveau méthodologique est qu’il s’est créé un profond
fossé entre exégèse scientifi que et Lectio divina
; il en ressort parfois une forme de perplexité
également dans la préparation des homélies ».112
On doit aussi signaler qu’un tel dualisme produit
parfois incertitude et manque de solidité dans le
chemin de formation intellectuelle de certains
candidats aux ministères ordonnés.113 En défi nitive,
« là où l’exégèse n’est pas théologie, l’Écriture
ne peut être l’âme de la théologie, et vice versa,
là où la théologie n’est pas essentiellement interprétation
de l’Écriture dans l’Église, cette théologie
n’a plus de fondement ».114 Il est donc nécessaire
de se décider fermement à considérer avec
davantage d’attention les indications données par
la Constitution dogmatique Dei Verbum sur ce
point.
Foi et raison dans l’approche de l’Écriture
36. Je crois que ce qu’a écrit le Pape Jean-Paul II
à ce sujet dans l’encyclique Fides et ratio peut
contribuer à une compréhension plus complète
de l’exégèse et, donc, de son rapport avec toute
la théologie. Il affi rmait qu’il ne faut pas sousestimer
« le danger inhérent à la volonté de faire
112 Ibid.
113 Cf. Proposition 27.
114 BENOÎT XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation
Générale du Synode des Évêques (14 octobre 2008) ; La DC n. 2412,
pp. 1015-1016.
68
découler la vérité de l’Écriture Sainte de l’application
d’une méthodologie unique, oubliant la
nécessité d’une exégèse plus large qui permet
d’accéder, avec toute l’Église, au sens plénier des
textes. Ceux qui se consacrent à l’étude des Saintes
Écritures doivent toujours avoir présent à l’esprit
que les diverses méthodologies herméneutiques
ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique
: il convient de l’examiner avec discernement
avant de l’appliquer aux textes sacrés ».115
Cette réfl exion clairvoyante nous permet
d’observer comment, dans l’approche herméneutique
de la Sainte Écriture, se joue inévitablement
le rapport correct entre foi et raison. En effet,
l’herméneutique sécularisée de la Sainte Écriture
se place comme l’acte d’une raison qui veut structuralement
exclure la possibilité que Dieu entre
dans la vie des hommes et qu’il parle aux hommes
en une parole humaine. Dans ce cas, il est donc
nécessaire d’inviter à élargir les espaces de la rationalité
elle-même.116 C’est pourquoi dans l’utilisation des
méthodes d’analyse historique, on devra éviter de
prendre à son compte, là où ils se présentent, des
critères qui, au préalable, se ferment à la Révélation
de Dieu dans la vie des hommes. L’unité
des deux niveaux du travail d’interprétation de la
Sainte Écriture présuppose, en défi nitive, une harmonie
entre la foi et la raison. D’une part, il faut une
115 JEAN-PAUL II, Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre
1998), n. 55 : AAS 91 (1999), pp. 49-50.
116 Cf. BENOÎT XVI, Discours au 4eme Congrès national ecclésial
d’Italie (19 octobre 2006) : AAS 98 (2006), pp. 804-815 ; L’ORf,
24 octobre 2006, p. 3-4.
69
foi qui, maintenant un rapport adéquat avec la
droite raison, ne dégénère jamais en fi déisme, fauteur
d’une lecture fondamentaliste de l’Écriture.
D’autre part, il faut une raison qui, en recherchant
les éléments historiques présents dans la Bible, se
montre ouverte et ne refuse pas a priori tout ce
qui excède sa propre mesure. Du reste, la religion
du Verbe incarné ne pourra que se montrer profondément
raisonnable à l’homme qui cherche
sincèrement la vérité et le sens ultime de sa vie et
de l’histoire.
Sens littéral et sens spirituel
37. Une écoute renouvelée des Pères de l’Église
et de leur approche exégétique contribuera de façon
signifi cative à revaloriser une herméneutique
adéquate de l’Écriture, comme l’Assemblée synodale
l’a affi rmé.117 En effet, les Pères de l’Église
nous offrent encore aujourd’hui une théologie
de grande valeur parce que centrée sur l’étude
de l’Écriture Sainte dans son intégralité ; ils sont
d’abord et avant tout des « commentateurs de la
Sainte Écriture ».118 Leur exemple peut « enseigner
aux exégètes modernes une approche vraiment
religieuse de la Sainte Écriture, ainsi qu’une interprétation
qui s’en tienne constamment au critère
de communion avec l’expérience de l’Église, qui
chemine dans l’histoire sous la conduite de l’Esprit
Saint ».119
117 Cf. Proposition 6.
118 Cf. SAINT AUGUSTIN, De libero arbitrio, III, XXI, 59 :
PL 32, 1300 ; De Trinitate, II, I, 2 : PL 42, 845.
119 CONGRÉGATION POUR L’ÉDUCATION CATHOLIQUE, Instr.
Inspectis dierum (10 novembre 1989), n. 26 : AAS 82 (1990), p. 618.
70
Ignorant, bien sûr, les ressources d’ordre philologique
et historique qui sont à la disposition
de l’exégèse moderne, la Tradition patristique et
médiévale savait reconnaître les divers sens de
l’Écriture en commençant par le sens littéral, celui
qui est « signifi é par les paroles de l’Écriture
et découvert par l’exégèse qui suit les règles de la
juste interprétation ».120 Par exemple, saint Thomas
d’Aquin affi rme : « tous les sens de la Sainte
Écriture se basent sur le sens littéral ».121 Il est
nécessaire, cependant, de rappeler qu’au temps
patristique et médiéval, toute forme d’exégèse, y
compris littérale, était conduite sur la base de la
foi et ne faisait pas nécessairement la distinction
entre sens littéral et sens spirituel. Rappelons ici la distinction
classique qui établit la relation entre les
divers sens de l’Écriture :
« Littera gesta docet, quid credas allegoria,
Moralis quid agas, quo tendas anagogia.
Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie
ce qu’il faut croire,
le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie
vers quoi il faut tendre ».122
Notons ici l’unité et l’articulation entre sens
littéral et sens spirituel, lequel se subdivise en trois
sens, avec lesquels sont décrits les contenus de la
foi, de la morale et de la tension eschatologique.
En défi nitive, en reconnaissant la valeur et la
nécessité, même avec ses limites, de la méthode
120 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 116.
121 Summa Theologiae, I, q.1, a.10, ad 1.
122 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 118.
71
historico-critique, nous apprenons de l’exégèse
patristique que « on n’est fi dèle à l’intentionnalité
des textes bibliques que dans la mesure où l’on essaie
de retrouver, au coeur de leur formulation, la
réalité de foi qu’ils expriment et où l’on relie cette
réalité à l’expérience croyante de notre monde ».123
C’est seulement dans cette perspective que l’on
peut reconnaître que la Parole de Dieu est vivante
et s’adresse à chacun dans l’actualité de sa vie. En
ce sens, l’affi rmation de la Commission biblique
pontifi cale demeure pleinement valable, qui défi -
nit le sens spirituel selon la foi chrétienne comme
« le sens exprimé par les textes bibliques lorsqu’on
les lit sous l’infl uence de l’Esprit Saint dans le
contexte du Mystère pascal du Christ et de la vie
nouvelle qui en résulte. Ce contexte existe effectivement.
Le Nouveau Testament y reconnaît l’accomplissement
des Écritures. Il est donc normal
de relire les Écritures à la lumière de ce nouveau
contexte, qui est celui de la vie dans l’Esprit ».124
Le nécessaire dépassement de la lettre
38. Dans la saisie de l’articulation entre les différents
sens de l’Écriture, il devient alors décisif de
comprendre le passage de la lettre à l’esprit. Il ne s’agit
pas d’un passage automatique et spontané ; il faut
plutôt un dépassement de la lettre : « la Parole de
Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente
123 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), II, A, 2 : Ench. Vat. N. 2987.
124 Ibid., II, B, 2 : Ench. Vat. 13, n. 3003.
72
dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre,
il faut un dépassement et un processus de compréhension
qui se laisse guider par le mouvement
intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de
là, doit également devenir un processus vital ».125
Nous découvrons ainsi pourquoi le processus
d’interprétation authentique n’est jamais purement
intellectuel mais aussi vital, pour lequel est
requis une pleine implication dans la vie ecclésiale,
en tant que vie « sous la conduite de l’Esprit de
Dieu » (Ga 5, 16). De cette façon, les critères mis
en évidence par le numéro 12 de la Constitution
dogmatique Dei Verbum deviennent plus clairs : un
tel dépassement ne peut être réalisé à partir d’un
seul fragment littéraire mais en lien avec la totalité
de l’Écriture. C’est en effet en direction d’une Parole
unique que nous sommes appelés à opérer ce
dépassement. Un tel processus comporte un caractère
dramatique profond puisque, dans le processus
de dépassement, le passage qui s’accomplit
dans l’Esprit rencontre inévitablement la liberté
de chacun. Saint Paul a pleinement vécu ce passage
dans sa propre existence. Ce que signifi e le
dépassement de la lettre et sa compréhension uniquement
à partir du tout, il l’a exprimé de façon
radicale dans la phrase : « la lettre tue, mais l’Esprit
donne la vie » (2 Co 3, 6). Saint Paul découvre que
« l’Esprit qui rend libre possède un nom et donc
125 BENOÎT XVI, Rencontre avec le monde de la culture au Collège
des Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008),
p. 726.
73
que la liberté a une mesure intérieure : “ Le Seigneur,
c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur
est présent, là est la liberté ” (2 Co 3, 6). L’Esprit
qui rend libre ne se réduit pas à l’idée ou à la vision
personnelle de celui qui interprète. L’Esprit, c’est
le Christ et le Christ est le Seigneur qui nous indique
le chemin ».126 Nous savons aussi combien,
pour saint Augustin, ce passage fut à la fois dramatique
et libérateur ; il crut aux Écritures, qui lui
apparurent dans un premier temps si particulières
et en même temps grossières, uniquement grâce à
ce dépassement qu’il apprit de saint Ambroise à
travers l’interprétation typologique, selon laquelle
tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus-
Christ. Pour saint Augustin, le dépassement de la
lettre a rendu crédible la lettre elle-même et lui a
permis de trouver enfi n la réponse aux profondes
inquiétudes de son âme, assoiffée de la vérité.127
L’unité intrinsèque de la Bible
39. À l’école de la grande Tradition de l’Église,
nous apprenons à saisir également dans le passage
de la lettre à l’esprit l’unité de toute l’Écriture,
puisque unique est la Parole de Dieu qui interpelle
notre vie en l’appelant constamment à la conversion.
128 Les expressions d’Hugues de Saint-Victor
demeurent un guide sûr pour nous : « Toute l’Écri-
126 Ibidem.
127 Cf. BENOÎT XVI, Audience générale (9 janvier 2008) :
L’ORf, 15 janvier 2008, p. 12.
128 Cf. Proposition 29.
74
ture divine constitue un Livre unique et ce Livre
unique, c’est le Christ, il parle du Christ et trouve
dans le Christ son accomplissement ».129 Envisagé
sous l’aspect purement historique ou littéraire,
la Bible n’est certainement pas simplement un
livre, mais un recueil de textes littéraires, dont la
composition s’étend sur plus d’un millénaire et
dont chaque livre n’est pas aisément reconnaissable
comme faisant partie d’un tout ; il existe au
contraire entre ces textes des tensions visibles.
Ceci vaut déjà dans la Bible d’Israël que nous,
Chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Et cela
vaut plus encore quand nous, en tant que Chrétiens,
relions le Nouveau Testament et ses écrits,
presque comme clé herméneutique, avec la Bible
d’Israël, l’interprétant comme un chemin vers le
Christ. Dans le Nouveau Testament, en général, le
terme « l’Écriture » (cf. Rm 4, 3 ; 1 P 2, 6) n’est pas
utilisé, mais plutôt « les Écritures » (cf. Mt 21, 43 ;
Jn 5, 39 ; Rm 1, 2 ; 2 P 3, 16), qui, néanmoins, sont
ensuite considérées dans leur ensemble comme
l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée.130 Il
apparaît ainsi clairement comment la personne du
Christ donne son unité aux « Écritures » en référence
à l’unique « Parole ». Ainsi, on comprend ce
qu’affi rme le numéro 12 de la Constitution dogmatique
Dei Verbum, en indiquant l’unité interne
de la Bible comme le critère décisif pour une herméneutique
correcte de la foi.
129 De arca Noe, 2, 8 : PL 176, 642 C-D.
130 Cf. BENOÎT XVI, Rencontre avec le monde de la culture au
Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100
(2008), p. 725.
75
Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament
40. Dans la perspective de l’unité des Écritures
dans le Christ, il est nécessaire pour les théologiens
comme pour les Pasteurs d’être conscients des relations
qui existent entre l’Ancien et le Nouveau
Testament. Avant tout, il est évident que le Nouveau
Testament lui-même reconnaît l’Ancien Testament
comme Parole de Dieu et c’est pourquoi il accueille
l’autorité des Saintes Écritures du peuple juif.131 Il
le reconnaît implicitement en recourant au même
langage et en faisant fréquemment allusion à des
passages de ces Écritures. Il le reconnaît explicitement
parce qu’il en cite de nombreux extraits et
qu’il s’en sert pour argumenter. Une argumentation
fondée sur des textes de l’Ancien Testament
possède ainsi dans le Nouveau Testament une valeur
décisive, supérieure à celle des raisonnements
purement humains. Dans le quatrième Évangile,
Jésus déclare à ce propos que « l’Écriture ne peut être
abolie » (Jn 10, 35) et saint Paul précise en particulier
que la Révélation de l’Ancien Testament continue
à valoir pour nous Chrétiens (cf. Rm 15, 4 ;
1 Co 10, 11).132 En outre, nous affi rmons que
« Jésus de Nazareth était un Juif et que la Terre
Sainte est la terre-mère de l’Église ».133 La racine
du Christianisme se trouve dans l’Ancien Testa-
131 Cf. Proposition 10 ; COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
Le peuple juif et ses Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai
2001), n. 3-5 : Ench. Vat. 20, nn. 748-755.
132 Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 121-122.
133 Proposition 52.
76
ment et le Christianisme se nourrit toujours de
cette racine. Aussi, la saine doctrine chrétienne
a-t-elle toujours refusé toute forme récurrente de
marcionisme qui tend, de diverses manières, à opposer
l’Ancien et le Nouveau Testament.134
Par ailleurs, le Nouveau Testament lui-même
s’affi rme conforme à l’Ancien et proclame que
dans le Mystère de la vie, de la mort et de la
Résurrection du Christ, les Saintes Écritures du
Peuple juif ont trouvé leur parfait accomplissement.
Il faut observer cependant que le concept
d’accomplissement des Écritures est complexe,
parce qu’il possède une triple dimension : un aspect
fondamental de continuité avec la Révélation
de l’Ancien Testament, un aspect de rupture et un
aspect d’accomplissement et de dépassement. Le Mystère
du Christ est en continuité d’intention avec
le culte sacrifi ciel de l’Ancien Testament ; il s’est
cependant réalisé d’une manière très différente,
qui correspond à plusieurs oracles des prophètes,
et il a atteint ainsi une perfection jamais obtenue
auparavant. L’Ancien Testament, en effet, est
plein de tensions entre ses aspects institutionnels
et ses aspects prophétiques. Le Mystère pascal du
Christ est pleinement conforme – d’une façon qui
toutefois était imprévisible – aux prophéties et à
l’aspect préfi guratif des Écritures ; néanmoins, il
présente des aspects évidents de discontinuité par
rapport aux institutions de l’Ancien Testament.
134 Cf. Préface à COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Le
peuple juif et ses Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai
2001), 19 : Ench. Vat. 20, nn. 799-801 ; cf. ORIGÈNE, Homélies sur
les Nombres 9, 4 : SC 415, p. 238-242.
77
41. Ces considérations manifestent ainsi l’importance
incontournable de l’Ancien Testament
pour les Chrétiens, mais en même temps, mettent
en évidence l’originalité de la lecture christologique.
Depuis les temps apostoliques et ensuite dans la
Tradition vivante, l’Église a mis en lumière l’unité
du plan divin dans les deux Testaments grâce à la
typologie, laquelle n’a pas un caractère arbitraire
mais est intrinsèque aux événements racontés par
le texte sacré et concerne par voie de conséquence
toute l’Écriture. La typologie « discerne dans les
oeuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des
préfi gurations de ce que Dieu a accompli dans la
plénitude des temps, en la personne de son Fils
incarné ».135 Les Chrétiens lisent donc l’Ancien
Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité.
Si la lecture typologique révèle l’inépuisable
contenu de l’Ancien Testament en relation avec
le Nouveau, cela ne doit toutefois pas conduire à
oublier qu’il conserve sa valeur propre de Révélation
que Notre Seigneur lui-même a réaffi rmée
(cf. Mc 12, 29-31). En conséquence, « le Nouveau
Testament demande aussi d’être lu à la lumière
de l’Ancien. La catéchèse chrétienne primitive y
aura constamment recours (1 Co 5, 6-8 ; 1 Co 10,
1-11) ».136 Les Pères synodaux ont pour cette raison
affi rmé que « la compréhension juive de la
Bible peut aider les Chrétiens dans l’intelligence
et l’étude des Écritures ».137
135 Catéchisme de l’Église catholique, 128.
136 Ibidem, 129.
137 Proposition 52.
78
« Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien
et l’Ancien est révélé dans le Nouveau »,138
c’est ainsi qu’avec une profonde sagesse, saint
Augustin s’exprimait sur ce thème. Il est donc important
qu’aussi bien dans la pastorale que dans
le milieu académique, soit bien mise en évidence
la relation intime entre les deux Testaments, en
rappelant avec saint Grégoire-le-Grand que ce
que « l’Ancien Testament a promis, le Nouveau
Testament l’a fait voir ; ce que celui-là annonçait
de façon cachée, celui-ci le proclame ouvertement
comme présent. C’est pourquoi l’Ancien Testament
est prophétie du Nouveau Testament ; et le
meilleur commentaire de l’Ancien Testament est
le Nouveau Testament ».139
Les pages « obscures » de la Bible
42. Dans le contexte de la relation entre l’Ancien
et le Nouveau Testament, le Synode a aussi
abordé le thème des pages de la Bible qui se révèlent
obscures et diffi ciles en raison de la violence
et de l’immoralité qu’elles contiennent parfois.
À ce sujet, il faut avant tout tenir compte du
fait que la Révélation biblique est profondément enracinée
dans l’histoire. Le dessein de Dieu s’y manifeste
progressivement et se réalise lentement à travers des
étapes successives, malgré la résistance des hommes.
Dieu choisit un peuple et l’éduque avec patience.
138 Questiones in Heptateuchum, 2, 73 : PL 34, 623.
139 Homiliae in Ezechielem, I, VI, 15 : PL, 76, 836 B.
79
La Révélation s’adapte au niveau culturel et moral
d’époques lointaines et rapporte par conséquent
des faits et des usages, par exemple des
manoeuvres frauduleuses, des interventions violentes,
l’extermination de populations, sans en dénoncer
explicitement l’immoralité. Cela s’explique
par le contexte historique, mais peut surprendre
le lecteur moderne, surtout lorsqu’on oublie les
nombreux comportements « obscurs » que les
hommes ont toujours eus au long des siècles, et
cela jusqu’à nos jours. Dans l’Ancien Testament,
la prédication des prophètes s’élève vigoureusement
contre tout type d’injustice et de violence,
collective ou individuelle, et elle est de cette façon
l’instrument d’éducation donné par Dieu à
son Peuple pour le préparer à l’Évangile. Il serait
donc erroné de ne pas considérer ces passages
de l’Écriture qui nous apparaissent problématiques.
Il faut plutôt être conscient que la lecture
de ces pages requiert l’acquisition d’une compétence
spécifi que, à travers une formation qui lit
les textes dans leur contexte historico-littéraire et
dans la perspective chrétienne qui a pour ultime
clé herméneutique « l’Évangile et le Commandement
nouveau de Jésus-Christ accompli dans le
Mystère pascal ».140 J’exhorte donc les chercheurs
et les Pasteurs à aider tous les fi dèles à s’approcher
aussi de ces pages à travers une lecture qui
fasse découvrir leur signifi cation à la lumière du
Mystère du Christ.
140 Proposition 29.
80
Chrétiens et Juifs face aux Écritures
43. En considérant les étroites relations qui
lient le Nouveau Testament à l’Ancien, notre attention
se porte spontanément sur le lien particulier
qui en résulte entre Chrétiens et Juifs, un
lien qui ne devrait jamais être oublié. Aux Juifs,
le Pape Jean-Paul II a déclaré : vous êtes « ‘nos
frères préférés’ dans la foi d’Abraham, notre patriarche
».141 Certes, cette déclaration ne signifi e
pas une méconnaissance des ruptures affi rmées
dans le Nouveau Testament à l’égard des institutions
de l’Ancien Testament et encore moins, de
l’accomplissement des Écritures dans le Mystère
de Jésus-Christ, reconnu Messie et Fils de Dieu.
Cependant, cette différence profonde et radicale
n’implique aucunement une hostilité réciproque.
L’exemple de saint Paul (cf. Rm 9-11) démontre,
au contraire, qu’« une attitude de respect, d’estime
et d’amour pour le Peuple juif est la seule attitude
véritablement chrétienne dans cette situation qui
fait mystérieusement partie du dessein, totalement
positif, de Dieu ».142 Saint Paul, en effet, affi rme à
propos des Juifs que « le choix de Dieu en a fait
des bien-aimés, et c’est à cause de leurs pères.
Les dons de Dieu et son appel sont irrévocables »
(Rm 11, 28-29).
141 JEAN-PAUL II, Message au Grand Rabbin de Rome (22 mai
2004). La DC n. 2316, p. 553.
142 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Le peuple juif et ses
Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai 2001), n. 87 : Ench.
Vat. 20, n. 1150.
81
En outre, saint Paul utilise la belle image de
l’olivier pour décrire les relations très étroites
entre Chrétiens et Juifs : l’Église des Gentils est
comme un rameau d’olivier sauvage, greffé sur
l’olivier franc qui est le Peuple de l’Alliance (cf.
Rm 11, 17-24). Nous tirons donc notre nourriture
des mêmes racines spirituelles. Nous nous
rencontrons comme des frères, des frères qui à
certains moments de leur histoire ont eu une relation
tendue, mais qui sont maintenant fermement
engagés dans la construction de ponts sur
la base d’une amitié durable.143 C’est encore le
Pape Jean-Paul II qui disait : « Nous avons beaucoup
en commun. Ensemble, nous pouvons faire
beaucoup pour la paix, pour la justice et pour un
monde plus fraternel et plus humain ».144
Je désire réaffi rmer encore une fois combien
le dialogue avec les Juifs est précieux pour l’Église.
Il est bon que, là où on en voit l’opportunité, se
créent des occasions de rencontre et d’échange, y
compris publiques, qui favorisent l’approfondissement
de la connaissance mutuelle, de l’estime
réciproque et de la collaboration, également dans
l’étude des Saintes Écritures.
L’interprétation fondamentaliste de la Sainte Écriture
44. L’attention que nous avons voulu donner
jusqu’à présent au thème de l’herméneutique bi-
143 Cf. BENOÎT XVI, Discours de congé à l’aéroport international
Ben Gourion de Tel Aviv (15 mai 2009) : L’ORf, 26 mai 2009, p. 13.
144 JEAN-PAUL II, Discours aux grands rabbins d’Israël
(23 mars 2000), La DC n. 2224, p. 372.
82
blique sous ses différents aspects nous permet
d’aborder celui, apparu plusieurs fois au cours du
débat synodal, de l’interprétation fondamentaliste
de la Sainte Écriture.145 Sur ce thème, la Commission
biblique pontifi cale, dans le document sur
L’interprétation de la Bible dans l’Église, a formulé
des indications importantes. Dans ce contexte, je
voudrais attirer l’attention surtout sur ces lectures
qui ne respectent pas la nature authentique du
texte sacré, favorisant des interprétations subjectives
et arbitraires. En effet, le « littéralisme » mis
en avant par la lecture fondamentaliste représente
en réalité une trahison aussi bien du sens littéral
que du sens spirituel, ouvrant la voie à des instrumentalisations
de diverses natures, répandant
par exemple des interprétations anti-ecclésiales
des Écritures elles-mêmes. L’aspect problématique
de la « lecture fondamentaliste est que, en
refusant de tenir compte du caractère historique
de la Révélation biblique, on se rend incapable
d’accepter pleinement la vérité de l’Incarnation
elle-même. Le fondamentalisme fuit l’étroite relation
du divin et de l’humain dans les rapports
avec Dieu (…) Pour cette raison, il tend à traiter
le texte biblique comme s’il avait été dicté mot à
mot par l’Esprit et n’arrive pas à reconnaître que
la Parole de Dieu a été formulée dans un langage
et une phraséologie conditionnés par telle ou telle
époque ».146 Au contraire, le Christianisme perçoit
145 Cf. Propositions 46 et 47.
146 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), I, F ; pp. 62-63 : Ench. Vat. 13,
n. 2974
83
dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui
fait rayonner son Mystère à travers cette multiplicité
et la réalité d’une histoire humaine.147 La véritable
réponse à une lecture fondamentaliste est
« la lecture croyante de l’Écriture Sainte, pratiquée
depuis l’Antiquité dans la Tradition de l’Église,
[Celle-ci] cherche la vérité qui sauve pour la vie de
chaque fi dèle et pour l’Église. Cette lecture reconnaît
la valeur historique de la Tradition biblique.
C’est précisément à cause de cette valeur de témoignage
historique que celle-ci veut redécouvrir
la signifi cation vivante des Écritures Saintes destinées
aussi à la vie du croyant d’aujourd’hui »,148
sans ignorer, donc, la médiation humaine du texte
inspiré et ses genres littéraires.
Le dialogue entre Pasteurs, théologiens et exégètes
45. L’herméneutique authentique de la foi entraîne
avec elle certaines conséquences importantes
dans le domaine de l’activité pastorale de
l’Église. Précisément à ce propos, les Pères synodaux
ont recommandé, par exemple, un lien plus
étroit entre Pasteurs, exégètes et théologiens. Il est
bon que les Conférences épiscopales favorisent
ce type de rencontre « en vue de promouvoir une
plus grande communion au service de la Parole
147 Cf. BENOÎT XVI, Rencontre avec le monde de la culture au
Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100
(2008), p. 726.
148 Proposition 46.
84
de Dieu ».149 Une telle coopération aidera chacun
à mieux remplir sa tâche propre au bénéfi ce de
toute l’Église. En effet, s’inscrire sur l’horizon du
travail pastoral signifi e, également pour les chercheurs,
se trouver face au texte sacré en tant que
communication que le Seigneur fait aux hommes
pour leur salut. C’est pourquoi, comme l’a déclaré
la Constitution dogmatique Dei Verbum, il est recommandé
que « les exégètes catholiques et ceux
qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant avec
zèle leurs forces, s’appliquent, sous la vigilance du
Magistère sacré, et par le recours aux moyens appropriés,
à scruter les divines lettres et à les présenter
si bien que le plus grand nombre possible
des serviteurs de la Parole divine puissent fournir
au Peuple de Dieu, de façon fructueuse, l’aliment
des Écritures, qui éclaire les esprits, affermit les
volontés, enfl amme le coeur des hommes pour
l’amour de Dieu ».150
Bible et oecuménisme
46. Dans la conscience que l’Église a d’être fondée
sur le Christ, le Verbe de Dieu fait chair, le
Synode a voulu souligner le caractère central des
études bibliques dans le dialogue oecuménique en
vue de la pleine expression de l’unité de tous les
croyants dans le Christ.151 Dans l’Écriture elle-
149 Proposition 28.
150 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 23.
151 On rappelle cependant qu’en ce qui concerne les
85
même, en effet, nous trouvons la prière vibrante
de Jésus au Père pour que ses disciples soient
un afi n que le monde croie (cf. Jn 17, 21). Tout
cela nous renforce dans la conviction qu’écouter
et méditer ensemble les Écritures nous fait vivre
une communion réelle même si elle n’est pas encore
pleine ;152 « l’écoute commune des Écritures
nous pousse ainsi au dialogue de la charité et fait
grandir celui de la vérité ».153 En effet, écouter ensemble
la Parole de Dieu, pratiquer la Lectio divina
de la Bible, se laisser surprendre par la nouveauté,
qui jamais ne vieillit ou ne s’épuise, de la Parole
de Dieu, dépasser notre surdité sur ces paroles
qui ne s’accordent pas avec nos opinions et nos
préjugés, écouter et étudier dans la communion
avec les croyants de tous les temps : tout cela
constitue un chemin à parcourir pour atteindre
l’unité de la foi, en tant que réponse à l’écoute
de la Parole.154 Les paroles du Concile Vatican II
étaient véritablement éclairantes : « Les Écritures
Saintes sont, dans le dialogue [oecuménique] luimême,
des instruments insignes entre les mains
puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que
Livres dits deutérocanoniques de l’Ancien Testament et leur
inspiration, les Catholiques et les Orthodoxes n’ont pas exactement
le même canon biblique que les Anglicans et les Protestants.
152 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Relatio post disceptationem, n. 36.
153 Proposition 36.
154 Cf. BENOÎT XVI, Discours au IXe Conseil ordinaire du Secrétariat
général du Synode des Évêques (25 janvier 2007) : AAS 99
(2007), pp. 85-86.
86
le Sauveur offre à tous les hommes ».155 En conséquence,
il est bon de développer l’étude, le débat
et les célébrations oecuméniques de la Parole de
Dieu, dans le respect des règles en vigueur et des
diverses traditions.156 Ces célébrations profi tent à
la cause de l’oecuménisme et, quand elles sont vécues
dans leur sens véritable, elles constituent des
moments intenses d’une authentique prière pour
demander à Dieu de hâter le jour désiré où nous
pourrons tous nous approcher de la même table
et boire à l’unique calice. Cependant, dans la juste
et louable promotion de ces moments, il faut faire
en sorte qu’ils ne soient pas proposés aux fi dèles
en remplacement de la sainte Messe prévue les
jours d’obligation.
Dans ce travail d’étude et de prière, nous
reconnaissons avec sérénité également les aspects
qui demandent à êtres approfondis et sur
lesquels nous sommes encore éloignés, comme
par exemple la compréhension du sujet qui, dans
l’Église, fait autorité pour l’interprétation et le rôle
décisif du Magistère.157
Je voudrais souligner, par ailleurs, ce qu’ont
dit les Pères synodaux au sujet de l’importance,
dans ce labeur oecuménique, des traductions de la
Bible dans les différentes langues. Nous savons en effet
que traduire un texte n’est pas une tâche purement
155 CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur l’oecuménisme Unitatis
redintegratio, n. 21.
156 Cf. Proposition 36.
157 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
87
mécanique mais fait partie en un certain sens du
travail d’interprétation. À ce sujet, le vénérable
Jean-Paul II a affi rmé : « Ceux qui se rappellent
quelle infl uence les débats autour de l’Écriture
ont eue sur les divisions, surtout en Occident,
peuvent comprendre l’avancée notable que représentent
ces traductions communes ».158 En ce
sens, la promotion des traductions communes de
la Bible participe à l’effort oecuménique. Je désire
remercier ici tous ceux qui portent cette grande
responsabilité et les encourager à poursuivre leur
tâche.
Conséquences sur l’organisation des études théologiques
47. Une autre conséquence qui dérive d’une
herméneutique correcte de la foi concerne la
nécessité d’en montrer les implications pour la
formation exégétique et théologique, en particulier
des candidats au sacerdoce. On doit faire en
sorte que l’étude de la Sainte Écriture soit véritablement
l’âme de la théologie dans la mesure
où l’on reconnaît en elle la Parole de Dieu, qui
s’adresse aujourd’hui au monde, à l’Église et à
chacun personnellement. Il est important que les
critères indiqués par le numéro 12 de la Constitution
dogmatique Dei Verbum soient effectivement
pris en considération et fassent l’objet d’un approfondissement.
Qu’on évite de cultiver un concept
158 Lett. enc. Ut unum sint, (25 mai 1995), n. 44 : AAS 87
(1995), p. 947.
88
de recherche scientifi que, que l’on voudrait neutre
face à l’Écriture. C’est pourquoi, en même temps
que l’étude des langues dans lesquelles la Bible a
été écrite et des méthodes d’interprétation qui
conviennent, il est nécessaire que les étudiants aient
une profonde vie spirituelle, de façon à saisir qu’on
ne peut comprendre l’Écriture que si on la vit.
Dans cette perspective, je recommande que
l’étude de la Parole de Dieu, transmise et écrite, ait
lieu dans un esprit profondément ecclésial. Dans
ce but, qu’on tienne justement compte, dans la
formation académique, des interventions du
Magistère sur cette thématique, lequel « n’est pas
au-dessus de la Parole de Dieu, mais est à son service,
n’enseignant que ce qui a été transmis, pour
autant que, par mandat divin et avec l’assistance
du Saint-Esprit, il écoute cette Parole pieusement,
la garde saintement et l’expose fi dèlement ».159 Il
convient donc de veiller à ce que les études se déroulent
dans la conviction que « selon le très sage
dessein de Dieu, la sainte Tradition, la Sainte Écriture
et le Magistère de l’Église sont reliés et associés
entre eux de telle façon qu’aucun d’entre eux
ne subsiste sans les autres ».160 Je souhaite donc
que, selon l’enseignement du Concile Vatican II,
l’étude de l’Écriture Sainte, lue dans la communion
de l’Église universelle, soit réellement
comme l’âme des études théologiques.161
159 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 10.
160 Ibidem.
161 Cf. Ibid., n. 24.
89
Les saints et l’interprétation de l’Écriture
48. L’interprétation de la Sainte Écriture demeurerait
incomplète si on ne se mettait pas à
l’écoute de qui a véritablement vécu la Parole de
Dieu, c’est-à-dire les saints.162 De fait, « viva lectio
est vita bonorum ».163 En effet, l’interprétation la plus
profonde de l’Écriture vient proprement de ceux
qui se sont laissés modeler par la Parole de Dieu, à
travers l’écoute, la lecture et la méditation assidue.
Ce n’est certainement pas un hasard si les
grandes spiritualités qui ont marqué l’histoire de
l’Église sont issues d’une référence explicite à
l’Écriture. Je pense par exemple à saint Antoine
abbé, mu par l’écoute des paroles du Christ : « Si
tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes,
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les
cieux. Puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21).164 Le cas
de saint Basile le Grand n’est pas moins suggestif,
lui qui, dans l’opera Moralia s’interroge : « Qu’estce
qui est le propre de la foi ? C’est la pleine et
indubitable certitude de la vérité des paroles inspirées
par Dieu […] Qu’est-ce qui est le propre du
fi dèle ? De se conformer avec cette totale certitude
à ce qu’expriment les paroles de l’Écriture, et ne
pas oser en retrancher ou en ajouter une seule ».165
Saint Benoît, dans sa Règle, renvoie à l’Écriture en
162 Cf. Proposition 22.
163 S. GRÉGOIRE LE GRAND, Moralia in Job XXIV, VIII, 16 :
PL 76, 295.
164 Cf. SAINT ATHANASE, Vita Antonii, 2, 4 : PL 73, 127.
165 Moralia, Regula : LXXX, XXII, PG 31, 867.
90
tant que « norme parfaitement droite pour la vie
humaine ».166 Saint François d’Assise – écrit Tommaso
de Celano – « en entendant que les disciples
du Christ ne devaient posséder ni or, ni argent,
ni monnaie, ni prendre de besace, ni pain, ni bâton
pour la route, ni avoir de sandales, ni deux
tuniques … aussitôt, exultant dans l’Esprit Saint,
s’exclama : ‘cela je le veux, cela je le demande, cela
je désire le faire de tout mon coeur !’ ».167 Sainte
Claire d’Assise reprend pleinement à son compte
l’expérience de saint François : « La forme de vie
de l’Ordre des Soeurs pauvres (…) est celle-ci : observer
le saint Évangile de notre Seigneur Jésus-
Christ ».168 Saint Dominique de Guzman aussi,
« partout, se présentait comme un homme évangélique,
dans ses paroles comme dans ses oeuvres »169
et il voulait que tels soient ses frères prédicateurs :
« des hommes évangéliques ».170 Sainte Thérèse de
Jésus, carmélite, qui dans ses écrits recourt continuellement
à des images bibliques pour expliquer
son expérience mystique, rappelle que Jésus
lui-même lui révèle que « tout le mal du monde
provient de l’absence de connaissance claire des
166 Règle, n. 73, 3 : SC 182, p. 673.
167 TOMMASO DE CELANO, La vita prima di S. Francesco,
22, 2-3 : FF 670.672.
168 Règle, I, 1-2 : FF 2292.
169 B. GIORDANO DA SASSONIA, Libellus de principiis Ordinis
Praedicatorum, 104 : Monumenta Fratrum Praedicatorum Historica,
Roma 1935, 16, p. 75.
170 ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS, Premières Constitutions
ou Consuetudines, II, XXXI.
91
vérités de l’Écriture Sainte ».171 Sainte Thérèse-del’Enfant-
Jésus découvre l’Amour comme sa vocation
personnelle en scrutant les Écritures, en particulier
les chapitres 12 et 13 de la première Lettre
aux Corinthiens ;172 c’est la même sainte qui décrit
la fascination qu’exercent les Écritures : « Je n’ai
qu’à jeter les yeux dans le saint Évangile, aussitôt
je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais
de quel côté courir ».173 Chaque saint représente
comme un rayon de lumière qui jaillit de la Parole
de Dieu : de même nous pensons à saint Ignace
de Loyola dans sa recherche de la vérité et dans le
discernement spirituel ; à saint Jean Bosco dans sa
passion pour l’éducation des jeunes ; à saint Jean-
Marie Vianney dans sa conscience de la grandeur
du sacerdoce comme don et devoir ; à saint Pio
de Pietrelcina en tant qu’instrument de la miséricorde
divine ; à saint Josemaría Escrivá dans sa
prédication sur l’appel universel à la sainteté ; à
la bienheureuse Teresa de Calcutta, missionnaire
de la charité de Dieu pour les plus délaissés, et
jusqu’aux martyrs du nazisme et du communisme,
représentés, d’une part, par sainte Bénédicte de la
Croix (Édith Stein), moniale carmélite, et, d’autre
part, par le bienheureux Aloys Stepinac, Cardinal
Archevêque de Zagreb.
49. La sainteté dans son rapport à la Parole de
Dieu s’inscrit ainsi d’une certaine façon dans la
171 Vie 40, 1.
172 Cf. Histoire d’une âme, Ms B, foglio 3 recto.
173 Ibidem, Ms C, foglio 35 verso.
92
tradition prophétique, où la Parole de Dieu prend
à son service la vie même du prophète. En ce
sens, la sainteté dans l’Église constitue une herméneutique
de l’Écriture dont personne ne peut
faire abstraction. L’Esprit Saint qui a inspiré les
auteurs sacrés est le même qui conduit les saints
à donner leur vie pour l’Évangile. Se mettre à leur
école représente un chemin sûr pour entreprendre
une interprétation vivante et effi cace de la Parole
de Dieu.
De ce lien entre Parole de Dieu et sainteté,
nous avons eu un témoignage direct pendant la
XIIe Assemblée du Synode, lorsque le 12 octobre,
sur la place saint Pierre, s’est déroulée la canonisation
de quatre nouveaux saints : le prêtre Gaetano
Errico, fondateur de la Congrégation des Missionnaires
des Sacrés Coeurs de Jésus et Marie ; Mère
Maria Bernarda Bütler, née en Suisse et missionnaire
en Équateur et en Colombie ; Soeur Alphonsine
de l’Immaculée Conception, première sainte
canonisée née en Inde ; la jeune laïque équatorienne
Narcisa de Jésus Martillo Morán. Par leur
vie, ils ont rendu témoignage pour le monde et
pour l’Église à la fécondité éternelle de l’Évangile
du Christ. Demandons au Seigneur que, par
l’intercession de ces saints, canonisés précisément
au cours de l’Assemblée synodale sur la Parole
de Dieu, notre vie soit cette « bonne terre » sur
laquelle le divin Semeur puisse semer la Parole
afi n qu’elle porte en nous des fruits de sainteté,
« trente, soixante, cent pour un » (Mc 4, 20).
DEUXIÈME PARTIE
VERBUM IN ECCLESIA
« Mais à tous ceux qui l’ont accueilli,
il a donné pouvoir de devenir
enfants de Dieu » (Jn 1,12)

95
LA PAROLE DE DIEU ET L’ÉGLISE
L’Église accueille la Parole
50. Le Seigneur énonce sa Parole afi n qu’elle soit
accueillie par ceux qui ont été créés « par » le Verbe
lui-même. « Il est venu chez les siens » (Jn 1, 11) :
la Parole ne nous est pas originellement étrangère
et la création a été voulue dans un rapport d’intimité
avec la vie divine. Le Prologue du quatrième
Évangile nous met aussi devant le refus opposé
à la Parole divine par les « siens », qui « ne l’ont
pas accueilli » (Jn 1, 11). Ne pas l’accueillir veut
dire, ne pas écouter sa voix, ne pas se conformer
au Logos. En revanche, là où l’homme, même fragile
et pécheur, s’ouvre sincèrement à la rencontre
avec le Christ, là commence une transformation
radicale : « mais à tous ceux qui l’ont accueilli, il a
donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,
12). Accueillir le Verbe signifi e se laisser modeler
par lui afi n d’être conforme au Christ, au « Fils
unique qui vient du Père » (Jn 1, 13) par la puissance
de l’Esprit Saint. Cela marque le début d’une
nouvelle création. Naît alors la créature nouvelle,
ainsi qu’un peuple nouveau. Ceux qui croient, ou
mieux ceux qui vivent dans l’obéissance de la foi,
« sont nés de Dieu » (Jn 1, 13), et sont rendus par96
ticipants de la vie divine : ils sont fi ls dans le Fils
(cf. Ga 4, 5-6 ; Rm 8, 14-17). En commentant ce
passage de l’Évangile de Jean, saint Augustin dit
d’une manière suggestive : « par le Verbe tu as été
créé, mais il est nécessaire que tu sois recréé par
le Verbe ».174 Nous y voyons prendre forme le visage
de l’Église comme une réalité déterminée par
l’accueil du Verbe de Dieu qui, en se faisant chair,
est venu établir sa tente au milieu de nous (Jn 1, 14).
Cette demeure de Dieu parmi les hommes, cette
shekinah (cf. Ex 26, 1), préfi gurée dans l’Ancien
Testament, se réalise maintenant dans la présence
défi nitive de Dieu avec les hommes dans le Christ.
La Présence actuelle du Christ dans la vie de l’Église
51. Le rapport entre le Christ, Parole du Père,
et l’Église ne peut être compris comme un simple
événement passé ; il s’agit plutôt d’une relation
vitale dans laquelle chaque fi dèle est appelé à entrer
personnellement. En effet, nous parlons de la
présence de la Parole de Dieu qui demeure avec
nous aujourd’hui : « Et moi, je suis avec vous tous
les jours jusqu’à la fi n du monde » (Mt 28, 20).
Comme le Pape Jean-Paul II l’a affi rmé : « La présence
du Christ aux hommes de tous les temps
se réalise dans son Corps qui est l’Église. Pour
cela, le Seigneur a promis à ses disciples l’Esprit
Saint, qui leur “rappellerait” et ferait comprendre
ses Commandements (cf. Jn 14, 26) et serait le
174 In Iohannis Evangelium Tractatus, 1,12 : CCL 36,7.
97
principe et la source d’une vie nouvelle dans le
monde (cf. Jn 3, 5-8 ; Rm 8, 1-13) ».175 La Constitution
dogmatique Dei Verbum exprime ce Mystère
avec la terminologie biblique du dialogue nuptial :
« Dieu, qui a parlé autrefois, converse sans cesse
avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et l’Esprit-
Saint, par qui la voix vivante de l’Évangile retentit
dans l’Église et par l’Église dans le monde, introduit
les croyants dans la vérité tout entière et fait
habiter en eux la Parole du Christ en abondance
(cf. Col 3,16) ».176
L’Épouse du Christ, maîtresse de l’écoute, dit
encore aujourd’hui avec foi : « Parle, Seigneur, que
ton Église t’écoute ».177 C’est pourquoi la Constitution
dogmatique Dei Verbum commence ainsi :
« En se mettant religieusement à l’écoute de la Parole
de Dieu et en la proclamant avec assurance,
le saint Concile… ».178 Il s’agit en effet d’une défi
nition dynamique de la vie de l’Église : « Ce sont
là des mots par lesquels le Concile indique un aspect
qui qualifi e l’Église : elle est une communauté
qui écoute et annonce la Parole de Dieu. L’Église
ne vit pas d’elle-même mais de l’Évangile et, de
cet Évangile, elle tire toujours à nouveau une
orientation pour son chemin. C’est une remarque
que tout chrétien doit recevoir et appliquer à lui-
175 Lett. enc. Veritatis splendor (6 août 1993), n. 25 : AAS
85 (1993) p. 1153.
176 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 8.
177 Relatio post disceptationem, n. 11 : L’ORf, 11 novembre
2008, p. 11.
178 N. 1.
98
même : seul celui qui se met à l’écoute de la Parole
peut ensuite en devenir l’annonciateur ».179 Dans
la Parole de Dieu proclamée et écoutée, dans les
Sacrements, Jésus dit aujourd’hui, ici et maintenant,
à chacun : « Je suis tien, je me donne à toi »
pour que l’homme puisse répondre et dire à son
tour : « Je suis tien ».180 L’Église se manifeste ainsi
comme le lieu où, par la grâce, nous pouvons expérimenter
ce que raconte le Prologue de Saint
Jean : « Mais tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné de
pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).
LA LITURGIE, LIEU PRIVILÉGIÉ DE LA PAROLE DE DIEU
La Parole de Dieu dans la sainte liturgie
52. En considérant l’Église comme « la demeure
de la Parole »,181 on doit avant tout prêter attention
à la sainte liturgie. C’est vraiment le lieu privilégié
où Dieu nous parle dans notre vie présente,
où il parle aujourd’hui à son Peuple qui écoute
et qui répond. Chaque action liturgique est par
nature nourrie par les Saintes Écritures. Comme
l’affi rme la Constitution Sacrosanctum Concilium,
« dans la célébration de la liturgie, la Sainte Écriture
est de la plus grande importance. C’est d’elle
que sont tirés les textes qui sont lus et qui sont
179 BENOÎT XVI, Discours au Congrès International sur « l’Écriture
Sainte dans la vie de l’Église » (16 septembre 2005) : AAS 97
(2005), p. 956 ; La DC n. 2344, p. 948.
180 Cf. Relatio post disceptationem, n. 10 : L’ORf, 11 novembre
2008, p. 14.
181 Message fi nal, III, 6.
99
expliqués dans l’homélie, ainsi que les Psaumes
qui sont chantés ; et c’est sous son inspiration et
sous son impulsion que les prières, les oraisons et
les hymnes liturgiques ont pris naissance et c’est
d’elle que les actions et les symboles reçoivent leur
signifi cation ».182 Mieux encore, on doit dire que
c’est le Christ lui-même qui « est là présent dans sa
Parole, puisque lui-même parle pendant que sont
lues dans l’Église les Saintes Écritures ».183 En effet,
« la célébration liturgique devient elle-même
une proclamation continue, pleine et effi cace de la
Parole de Dieu. C’est pourquoi, la Parole de Dieu,
assidûment proclamée dans la liturgie est toujours
vivante et effi cace par la puissance de l’Esprit
Saint, et manifeste l’amour agissant du Père qui
ne cesse jamais d’agir pour tous les hommes ».184
L’Église a toujours été consciente que durant l’action
liturgique, la Parole de Dieu est accompagnée
par l’action intime de l’Esprit Saint qui la rend
effi cace dans les coeurs des fi dèles. En fait, c’est
grâce au Paraclet que « la Parole de Dieu devient le
fondement de l’action liturgique, la règle et le support
de toute la vie. L’oeuvre de l’Esprit Saint (…)
suggère au coeur de chacun tout ce qui, dans la
proclamation de la Parole de Dieu, est prononcé
pour l’assemblée des fi dèles dans son ensemble ;
et tandis qu’elle renforce l’unité de tous, elle ra-
182 CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 24.
183 Ibidem, n. 7.
184 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 4.
100
vive aussi la diversité des charismes et pousse à
l’action sous des formes multiples ».185
Par conséquent, il faut comprendre et vivre la
valeur essentielle de l’action liturgique par la compréhension
de la Parole de Dieu. En un certain
sens, l’herméneutique de la foi sur la base des Saintes
Écritures, doit toujours avoir comme point de référence la
liturgie, où la Parole de Dieu est célébrée comme
une parole actuelle et vivante : « Ainsi, dans la liturgie,
l’Église suit-elle fi dèlement la manière de lire
et d’interpréter l’Écriture qui fut celle du Christ,
lui qui, depuis l’ ‘aujourd’hui’ de sa venue, exhorte
à scruter attentivement toutes les Écritures ».186
Ici, se manifeste la sage pédagogie de l’Église
qui proclame et écoute la Sainte Écriture en suivant
le rythme de l’année liturgique. Cette dilatation
de la Parole de Dieu dans le temps advient
particulièrement dans la célébration eucharistique
et dans la Liturgie des Heures. Au centre
de tout, resplendit le Mystère pascal auquel sont
liés tous les Mystères du Christ et de l’histoire du
salut, qui s’actualisent sacramentalement : « Tout
en célébrant ainsi les Mystères de la Rédemption,
elle [l’Église] ouvre aux fi dèles les richesses de la
puissance et des mérites de son Seigneur de telle
sorte que ces Mystères sont en quelque sorte rendus
présents tout le temps et que les fi dèles sont
mis en contact avec eux et remplis de la grâce du
185 Ibidem, n. 9.
186 Ibidem, n. 3 ; cf. Lc 4, 16-21 ; 24, 25-35.44-49.
101
salut ».187 J’exhorte les Pasteurs de l’Église et les
assistants pastoraux à faire en sorte que tous les
fi dèles soient éduqués à goûter le sens profond
de la Parole de Dieu qui se déploie dans la liturgie
tout au long de l’année, en manifestant les
Mystères fondamentaux de notre foi. La juste approche
de la Sainte Écriture en dépend aussi.
La Sainte Écriture et les Sacrements
53. En abordant le thème de la valeur de la liturgie
pour la compréhension de la Parole de Dieu,
le Synode des Évêques a voulu souligner aussi la
relation entre la Sainte Écriture et l’action sacramentelle.
Il est très opportun d’approfondir le lien
entre la Parole et le Sacrement, aussi bien dans
l’action pastorale de l’Église que dans la recherche
théologique.188 Il est certain que « la liturgie de la
Parole est un élément décisif dans la célébration
de chacun des Sacrements de l’Église » ;189 néanmoins,
dans l’action pastorale, les fi dèles ne sont
pas toujours conscients de ce lien et ne perçoivent
pas toujours l’unité entre le geste et la parole.
« Il appartient aux prêtres et aux diacres, surtout
lorsqu’ils administrent les Sacrements, de mettre
187 CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 102.
188 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), nn. 44-45 : AAS 99 (2007),
pp. 139-141.
189 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), IV, C, 1 ; p. 110 ; Ench. Vat. 13,
n. 3123.
102
en lumière l’unité que Parole et Sacrement forment
dans le ministère de l’Église ».190 En effet,
dans le rapport entre la Parole et le geste sacramentel,
l’action même de Dieu dans l’histoire est
manifestée sous la forme liturgique à travers le
caractère performatif de la Parole. Dans l’histoire du
salut en effet, il n’existe pas de séparation entre ce
que Dieu dit et fait ; sa Parole même est vivante et
effi cace (cf. He 4, 12), comme le traduit bien l’expression
hébraïque ‘dabar’. De même dans l’action
liturgique, nous sommes mis en présence de sa
Parole qui réalise ce qu’elle dit. En éduquant le
Peuple de Dieu à découvrir le caractère performatif
de la Parole de Dieu dans la liturgie, on l’aide
aussi à percevoir l’action de Dieu dans l’histoire
du salut et dans l’histoire personnelle de chacun
de ses membres.
La Parole de Dieu et l’Eucharistie
54. Ce qui vient d’être affi rmé de façon générale
sur la relation entre la Parole et les Sacrements,
s’approfondit quand nous nous référons à la célébration
eucharistique. D’ailleurs, l’unité intime
entre la Parole et l’Eucharistie se base sur le témoignage
scripturaire (cf. Jn 6 ; Lc 24), attesté par
les Pères de l’Église et réaffi rmé par le Concile
Vatican II.191 À ce sujet, nous pensons au grand
190 Ibidem, III, B, 3 ; p. 89 ; Ench. Vat. 13, n. 3056.
191 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, nn. 48.51.56 ; Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, nn. 21.26 ; Décret sur l’activité mis103
discours de Jésus sur le pain de vie dans la synagogue
de Capharnaüm (cf. Jn 6, 22-69), qui est
sous-tendu par la comparaison entre Moïse et Jésus,
entre celui qui s’est entretenu avec Dieu face
à face (cf. Ex 33, 11) et celui qui révéla Dieu (cf.
Jn 1, 18). Le discours sur le pain, en effet, renvoie
au don de Dieu, que Moïse a obtenu pour son
Peuple avec la manne dans le désert et qui est en
réalité la Torah, la Parole de Dieu qui fait vivre (cf.
Ps 119 ; Pr 9, 5). Jésus accomplit en sa personne
la fi gure antique : « Le pain de Dieu, c’est celui qui
descend du ciel et qui donne la vie au monde…
Moi, je suis le pain de vie » (Jn 6, 33.35). Ici, « la
Loi est devenue Personne. Dans la rencontre avec
Jésus, nous nous nourrissons pour ainsi dire du
Dieu vivant lui-même, nous mangeons vraiment
“le pain venu du ciel” ».192 Le Prologue de Jean
trouve un approfondissement dans le discours de
sionnaire de l’Église Ad gentes, nn. 6.15 ; Décret sur le ministère
et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, n. 18 ; Décret sur la rénovation
et l’adaptation de la vie religieuse Perfectae caritatis, n. 6.
Dans la grande tradition de l’Église, nous trouvons des expressions
signifi catives comme : « Corpus Christi intelligitur etiam […]
Scriptura Dei » (l’Écriture [la Parole] de Dieu est aussi considérée
Corps du Christ) : WALTRAMUS, De unitate Ecclesiae conservanda, 13,
éd. W. Schwenkenbecher, Hannoverae 1883, p. 33 ; « La chair
du Seigneur est une vraie nourriture et son sang est une vraie
boisson ; ce vrai bien qui nous est réservé dans la vie présente,
consiste à manger sa chair et à boire son sang, non seulement
dans l’Eucharistie, mais aussi dans la lecture de la Sainte Écriture.
En effet, la parole de Dieu, puisée dans la connaissance des
Écritures, est une vraie nourriture et une vraie boisson » : SAINT
JÉRÔME, Commentarius in Ecclesiasten, n. 313 : CCL 72,278.
192 J. RATZINGER (BENOÎT XVI), Jésus de Nazareth, Flammarion,
Paris 2007, p. 295.
104
Capharnaüm : si là le Logos de Dieu devient chair,
ici cette chair devient « pain » donné pour la vie
du monde (cf. Jn 6, 51), faisant ainsi allusion au
don que Jésus fera de lui-même dans le Mystère
de la Croix, qui est confi rmé par l’affi rmation sur
son Sang donné « pour être bu » (cf. Jn 6, 53). De
cette manière, est manifesté dans le Mystère de
l’Eucharistie quelle est la vraie manne, le vrai pain
du ciel : c’est le Logos de Dieu qui s’est fait chair, et
qui s’est offert lui-même pour nous dans le Mystère
pascal.
Le récit de Luc sur les disciples d’Emmaüs
nous permet de progresser dans la réfl exion
sur le lien entre la Parole et la fraction du pain
(cf. Lc 24, 13-35). Jésus alla à leur rencontre le
jour après le sabbat, écouta l’expression de leur
espérance déçue, et, devenant leur compagnon
de route, « il leur expliqua, dans toute l’Écriture,
ce qui le concernait » (24, 27). Les deux disciples
commencent à scruter d’une manière nouvelle
les Écritures en présence de ce voyageur qui, de
façon inattendue, se montre si proche de leur vie.
Ce qui est arrivé en ces jours-là n’apparaît plus
comme un échec, mais comme un accomplissement
et un nouveau départ. Toutefois, ces paroles
ne semblent pas encore satisfaire les disciples.
L’Évangile de Luc nous dit que « leurs yeux s’ouvrirent,
et ils le reconnurent » (24, 31), seulement
quand Jésus prit le pain, dit la bénédiction, le rompit
et le leur donna, alors qu’auparavant, « leurs
yeux étaient aveuglés, et ils ne le reconnaissaient
pas » (24, 16). La présence de Jésus, d’abord à
105
travers ses paroles, puis avec le geste de la fraction
du pain, a permis aux disciples de le reconnaître
; ils purent éprouver d’une manière nouvelle
ce qu’ils avaient précédemment vécu avec lui :
« Notre coeur n’était-il pas brûlant en nous, tandis
qu’il nous parlait sur la route, et qu’il nous faisait
comprendre les Écritures ? » (24, 32).
55. Ces récits montrent comment l’Écriture
elle-même conduit à appréhender son lien indissoluble
avec l’Eucharistie. « C’est pourquoi il faut
toujours avoir présent à l’esprit que la Parole de
Dieu, lue et annoncée par l’Église dans la liturgie,
conduit au sacrifi ce de l’Alliance et au banquet de
la grâce, c’est-à-dire à l’Eucharistie ».193 La Parole et
l’Eucharistie sont corrélées intimement au point
de ne pouvoir être comprises l’une sans l’autre :
la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans
l’événement eucharistique. L’Eucharistie nous
ouvre à l’intelligence de la Sainte Écriture, comme
la Sainte Écriture illumine et explique à son tour
le Mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance
de la présence réelle du Seigneur dans
l’Eucharistie, l’intelligence de l’Écriture demeure
incomplète. C’est pourquoi, « la Parole de Dieu et
le Mystère eucharistique ont toujours et partout
reçu de l’Église non pas le même culte mais la
même vénération. C’est ce qu’elle a établi, poussée
par l’exemple de son Fondateur, en ne cessant
193 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 10.
106
jamais de célébrer son Mystère pascal, en se réunissant
pour “lire dans toute l’Écriture, ce qui le
concernait” (Lc 24, 27), et pour réaliser l’oeuvre
du salut par le mémorial du Seigneur et les Sacrements
».194
La sacramentalité de la Parole
56. En rappelant le caractère performatif de la
Parole de Dieu dans l’action sacramentelle et l’approfondissement
de la relation entre la Parole et
l’Eucharistie, nous sommes conduits à poursuivre
avec un thème important, relevé durant l’Assemblée
du Synode, concernant la sacramentalité de la
Parole.195 À ce propos, il est utile de rappeler que
le Pape Jean-Paul II avait fait référence à « la perspective
sacramentelle de la Révélation et, en particulier,
au signe eucharistique dans lequel l’unité indivisible
entre la réalité et sa signifi cation permet de
saisir la profondeur du Mystère ».196 De là, nous
comprenons que le Mystère de l’Incarnation est
vraiment à l’origine de la sacramentalité de la Parole
de Dieu : « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14),
la réalité du Mystère révélé nous est offerte dans
la « chair » du Fils. La Parole de Dieu se rend perceptible
à la foi par le « signe » des paroles et des
gestes humains. La foi, donc, reconnaît le Verbe
de Dieu, en accueillant les gestes et les paroles par
194 Ibidem.
195 Cf. Proposition 7.
196 Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre 1998), n. 13 :
AAS 91 (1999), p. 16.
107
lesquels il se présente lui-même à nous. La perspective
sacramentelle de la Révélation indique,
par conséquent, la modalité historico-salvifi que
par laquelle le Verbe de Dieu entre dans le temps
et l’espace, devenant l’interlocuteur de l’homme,
qui est appelé à accueillir dans la foi le don qui lui
est fait.
La sacramentalité de la Parole se comprend
alors par analogie à la présence réelle du Christ
sous les espèces du pain et du vin consacrés.197 En
nous approchant de l’autel et en prenant part au
banquet eucharistique, nous communions réellement
au Corps et au Sang du Christ. La proclamation
de la Parole de Dieu dans la célébration implique
la reconnaissance que le Christ lui-même
est présent et s’adresse à nous198 pour être écouté.
Sur l’attitude à avoir aussi bien envers l’Eucharistie
qu’envers la Parole de Dieu, saint Jérôme affi
rme : « Nous lisons les Saintes Écritures. Je pense
que l’Évangile est le Corps du Christ ; je pense que
les Saintes Écritures sont son enseignement. Et
quand il dit : si vous ne mangez pas la chair du Fils
de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang (Jn 6, 53),
ses paroles se réfèrent au Mystère [eucharistique],
toutefois, le Corps et le Sang du Christ sont vraiment
la Parole de l’Écriture, c’est l’enseignement
de Dieu. Quand nous nous référons au Mystère
[eucharistique] et qu’une miette de pain tombe,
197 Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1373-1374.
198 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 7.
108
nous nous sentons perdus. Et quand nous écoutons
la Parole de Dieu, c’est la Parole de Dieu et
le Corps et le Sang du Christ qui tombent dans
nos oreilles et nous, nous pensons à autre chose.
Pouvons-nous imaginer le grand danger que nous
courons ? ».199 Le Christ, réellement présent dans
les espèces du pain et du vin, est présent analogiquement
dans la Parole proclamée dans la liturgie.
Approfondir le sens de la sacramentalité de la
Parole de Dieu, peut donc favoriser une compréhension
plus unifi ée du Mystère de la Révélation
se réalisant « par des actions et des paroles intrinsèquement
liées entre elles »,200 qui profi tera à la
vie spirituelle des fi dèles et à l’action pastorale de
l’Église.
La Sainte Écriture et le Lectionnaire
57. En soulignant le rapport entre la Parole et
l’Eucharistie, le Synode a voulu justement rappeler
certains aspects de la célébration, qui sont inhérents
au service de la Parole. Je voudrais faire
référence surtout à l’importance du Lectionnaire.
La réforme voulue par le Concile Vatican II201 a
montré ses fruits en élargissant l’accès à la Sainte
Écriture qui est abondamment proposée, surtout
dans la liturgie dominicale. La structure actuelle,
199 In Psalmum. 147 : CCL 78, 337-338.
200 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 2.
201 Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium,
nn. 107-108.
109
en plus de présenter fréquemment les textes les
plus importants de l’Écriture, favorise la compréhension
de l’unité du dessein divin, à travers
la corrélation entre les lectures de l’Ancien et du
Nouveau Testament, « dont le centre est le Christ
célébré dans son Mystère pascal ».202 Les quelques
diffi cultés qui persistent dans la compréhension
des relations entre les lectures des deux Testaments,
doivent être considérées à la lumière de la
lecture canonique, c’est-à-dire à la lumière de l’unité
intrinsèque de toute la Bible. Là où le besoin
s’en fait sentir, les organes compétents peuvent
pourvoir à la publication de matériel didactique
qui facilitera la compréhension du lien entre les
lectures proposées par le Lectionnaire, lesquelles
doivent être toutes proclamées à l’assemblée liturgique,
comme le prévoit la liturgie du jour. Les
autres problèmes éventuels et les diffi cultés doivent
être notifi és à la Congrégation pour le Culte
divin et la Discipline des Sacrements.
En outre, nous ne devons pas oublier que
le Lectionnaire actuel du rite latin revêt aussi un
sens oecuménique, car il est utilisé et apprécié également
par des confessions qui ne sont pas encore
en pleine communion avec l’Église catholique. Le
problème du Lectionnaire dans les liturgies des
Églises catholiques orientales se pose différemment
; le Synode demande qu’il « soit analysé de
202 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 66.
110
manière autorisée »203 selon les traditions propres
et les compétences des Églises sui iuris en tenant
compte, là aussi, du contexte oecuménique.
Proclamation de la Parole et ministère du lectorat
58. Durant l’Assemblée synodale sur l’Eucharistie,
il avait déjà été demandé qu’un plus grand
soin soit apporté dans la proclamation de la Parole
de Dieu.204 Comme on le sait, tandis que
l’Évangile est proclamé par le prêtre ou le diacre,
la première et la seconde lectures, dans la Tradition
latine, sont proclamées par le lecteur choisi,
homme ou femme. Je voudrais ici me référer aux
Pères synodaux qui, encore en cette circonstance,
ont souligné la nécessité de soigner par une formation
adéquate205 l’exercice du munus du lecteur
dans la célébration liturgique206 et, de manière
particulière le ministère du lectorat qui, comme
tel dans le rite latin, est un ministère laïc. Il est nécessaire
que les lecteurs chargés d’un tel service,
même s’ils n’ont pas été institués, soient vraiment
aptes et préparés avec soin. Une telle préparation
doit être aussi bien biblique et liturgique que technique
: « La formation biblique doit permettre aux
lecteurs de situer les lectures dans leur contexte
propre et de comprendre, à la lumière de la foi,
203 Proposition 16.
204 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 45 : AAS 99 (2007), pp. 140-
141.
205 Cf. Proposition 14.
206 Cf. CIC, can. 230 §2 ; 204 §1.
111
le point central du message révélé. La formation
liturgique doit fournir aux lecteurs la possibilité
de saisir le sens et la structure de la liturgie de la
Parole et de comprendre les liens entre celle-ci et
la liturgie eucharistique. La préparation technique
doit rendre les lecteurs toujours plus compétents
dans l’art de lire devant le peuple, soit directement,
soit en utilisant les moyens modernes qui
amplifi ent la voix ».207
L’importance de l’homélie
59. « Les fonctions et les charges qui reviennent
à chacun par rapport à la Parole de Dieu sont également
variées : ainsi, les fi dèles écoutent et méditent
cette Parole, tandis que, seuls, la présentent
ceux qui ont reçu, par l’Ordination, la charge du
Magistère, ou ceux à qui l’exercice de ce même
ministère a été confi é »,208 à savoir les Évêques, les
prêtres et les diacres. À partir de là, on comprend
l’attention que le Synode a donnée au thème de
l’homélie. Déjà dans l’Exhortation apostolique
post-synodale Sacramentum caritatis, je rappelais
qu’ « en relation avec l’importance de la Parole
de Dieu, il est nécessaire d’améliorer la qualité de
l’homélie. Elle “fait partie de l’action” liturgique ;
elle a pour fonction de favoriser une compréhension
plus large et plus effi cace de la Parole de Dieu
207 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n. 55.
208 Ibidem, n. 8.
112
dans la vie des fi dèles ».209 L’homélie est en effet
une actualisation du message scripturaire, de telle
sorte que les fi dèles soient amenés à découvrir la
présence et l’effi cacité de la Parole de Dieu dans
l’aujourd’hui de leur vie. Elle doit aider à la compréhension
du Mystère qui est célébré, inviter à la
mission, en préparant l’assemblée à la profession
de foi, à la prière universelle et à la liturgie eucharistique.
Par conséquent, que ceux qui, en vertu
de leur ministère spécial, sont députés à la prédication,
prennent à coeur ce devoir. On doit éviter
les homélies vagues et abstraites, qui occultent la
simplicité de la Parole de Dieu, comme aussi les
divagations inutiles qui risquent d’attirer l’attention
plus sur le prédicateur que sur la substance
du message évangélique. Il doit être clair pour les
fi dèles que ce qui tient au coeur du prédicateur,
c’est de montrer le Christ, sur lequel l’homélie est
centrée. Pour ce faire, il convient que les prédicateurs
aient une familiarité et un contact assidu
avec le texte sacré ;210 qu’ils se préparent pour l’homélie
dans la méditation et la prière afi n de pouvoir
prêcher avec conviction et passion. L’Assemblée
synodale a exhorté à considérer les questions
suivantes : « Que disent les lectures proclamées ?
Que me disent-elles à moi personnellement ? Que
dois-je dire à la communauté, en tenant compte
de sa situation concrète ? ».211 Le prédicateur doit
209 N. 46: AAS 99 (2007), p. 141.
210 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 25.
211 Proposition 15.
113
« être le premier à être interpellé par la Parole de
Dieu qu’il annonce »,212 car, comme le dit Saint
Augustin : « qui prêche extérieurement la Parole
de Dieu et ne l’écoute pas intérieurement ne peut
pas porter du fruit ».213 Qu’on prenne particulièrement
soin de l’homélie du dimanche et des solennités
; mais qu’on n’omette pas aussi durant les
Messes cum populo en semaine, si possible, d’offrir
de brèves réfl exions appropriées à la situation,
pour aider les fi dèles à accueillir et faire fructifi er
la Parole qu’ils ont écoutée.
L’opportunité d’un Directoire homilétique
60. Prêcher d’une manière juste en s’appuyant
sur le Lectionnaire est véritablement un art qui
doit être cultivé. C’est pourquoi, dans la continuité
avec ce qui a été demandé par le Synode
précédent,214 je prie les autorités compétentes,
en se référant au Compendium eucharistique,215
de penser aussi aux instruments et aux moyens
appropriés pour aider les Ministres à assurer le
mieux possible leur ministère, en élaborant par
exemple un Directoire sur l’homélie de façon
que les prédicateurs y puissent trouver une aide
précieuse pour se préparer à l’exercice de leur
212 Ibidem.
213 Sermo 179,1 ; PL 38, 966.
214 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 93: AAS 99 (2007), p. 177.
215 CONGREGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Compendium eucharisticum (25 mars 2009), Cité
du Vatican 2009.
114
ministère. Comme nous le rappelle saint Jérôme,
la prédication doit enfi n être accompagnée par le
témoignage de sa propre vie : « Que tes actions
ne trahissent pas tes paroles, pour qu’il n’advienne
pas que, quand tu prêches dans l’église,
quelqu’un commente intérieurement : “Pourquoi
donc n’agis-tu pas toi-même ainsi ?” […] L’esprit
et la parole doivent s’accorder dans le prêtre du
Christ ».216
Parole de Dieu, Réconciliation et Onction des malades
61. Si l’Eucharistie se trouve sans aucun doute
au centre de la relation entre la Parole de Dieu et
les Sacrements, il est bon de souligner aussi l’importance
de la Sainte Écriture pour les autres Sacrements,
en particulier ceux qui apportent une
guérison, le Sacrement de la Réconciliation, ou de
la Pénitence, et le Sacrement de l’Onction des malades.
La référence à la Sainte Écriture y est souvent
négligée, alors qu’il faut lui donner la place qui lui
revient. En effet, on ne doit jamais oublier que « la
Parole de Dieu est parole de réconciliation parce
qu’en elle Dieu réconcilie en lui toute chose (cf.
2 Co 5, 18-20 ; Ep 1, 10). Le pardon miséricordieux
de Dieu, incarné en Jésus, relève le pécheur ».217
La Parole de Dieu « éclaire le croyant pour lui faire
discerner ses péchés, l’invite à la conversion et à la
confi ance en la miséricorde de Dieu ».218 Afi n de
216 Epistula 52,7 ; CSEL 54,426-427.
217 Proposition 8
218 RITUEL DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION.
Orientations doctrinales et pastorale, n. 17.
115
percevoir davantage la puissance de réconciliation
que possède la Parole de Dieu, on recommande à
chaque pénitent de se préparer à la confession en
méditant un passage adapté de la Sainte Écriture
et de commencer sa confession par la lecture ou
l’écoute d’une exhortation biblique, selon ce que
prévoit son rite propre. Puis, quand il manifeste
sa contrition, il est bon que le pénitent prenne
« une prière formée de paroles tirées de la Sainte
Écriture »219 prévue par le rite. Quand cela est possible,
il est bon qu’à certains moments de l’année
ou quand l’occasion s’en présente, la confession
individuelle des pénitents se fasse dans le cadre
de célébrations pénitentielles, selon ce que prévoit
le rituel, dans le respect des différentes traditions
liturgiques, pour pouvoir donner toute sa place à
la célébration de la Parole par l’usage de lectures
appropriées.
En ce qui concerne le Sacrement de l’Onction
des malades, qu’on n’oublie pas que « la force de
guérison de la Parole de Dieu est un appel puissant
à une continuelle conversion personnelle de
celui qui l’écoute ».220 La Sainte Écriture contient
de nombreuses pages qui montrent le réconfort,
le soutien et la guérison donnés par l’intervention
de Dieu. Qu’on se souvienne en particulier de la
proximité de Jésus à l’égard de ceux qui souffrent :
Lui-même, le Verbe de Dieu incarné, s’est chargé
de nos douleurs et il a souffert par amour pour
219 Ibidem, n. 19.
220 Proposition 8.
116
l’homme, en donnant ainsi un sens à la maladie
et à la mort. Il est bon que, dans les paroisses et
surtout dans les hôpitaux, on célèbre en communauté,
selon les circonstances, le Sacrement des
malades. Qu’on donne en ces occasions une large
place à la célébration de la Parole et qu’on aide les
fi dèles malades à vivre avec foi leur état de souffrance,
en union au sacrifi ce rédempteur du Christ
qui nous délivre du mal.
Parole de Dieu et Liturgie des Heures
62. Parmi les formes de prière qui exaltent la
Sainte Écriture, il y a sans aucun doute la Liturgie
des Heures. Les Pères synodaux ont affi rmé
qu’elle constitue « une forme privilégiée d’écoute
de la Parole de Dieu parce qu’elle met en contact
les fi dèles avec l’Écriture Sainte et avec la Tradition
vivante de l’Église ».221 On doit avant tout rappeler
la dignité théologique et ecclésiale de cette prière.
En effet, « dans la Liturgie des Heures, l’Église,
exerçant la fonction sacerdotale de son Chef,
offre à Dieu “incessamment” (1 Th 5, 17) le sacrifi
ce de louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui
confessent son nom (cf. He 13, 15). Cette prière
est “la voix de l’Épouse elle-même qui s’adresse
à son Époux ; et mieux encore, c’est la prière du
Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au
Père” ».222 À ce sujet, le Concile Vatican II avait
221 Proposition 19.
222 Principes et normes de la Liturgie des Heures, III, 15.
117
affi rmé : « Tous ceux qui assurent cette charge accomplissent
l’offi ce de l’Église et, en même temps,
participent de l’honneur suprême de l’Épouse du
Christ, parce qu’en s’acquittant des louanges divines,
ils se tiennent devant le trône de Dieu au
nom de la Mère Église ».223 Dans la Liturgie des
Heures, prière publique de l’Église, apparaît l’idéal
chrétien de sanctifi cation de toute la journée,
rythmée par l’écoute de la Parole de Dieu et par
la prière des Psaumes, si bien que toute activité
trouve son point de référence dans la louange offerte
à Dieu.
Ceux qui sont tenus par leur état de vie à la
récitation de la Liturgie des Heures doivent vivre
cet engagement en faveur de toute l’Église. Les
Évêques, les prêtres et les diacres ordonnés en
vue du sacerdoce, qui ont reçu de l’Église la mission
de la célébrer, ont l’obligation d’acquitter
chaque jour toutes les Heures.224 Dans les Églises
catholiques orientales sui iuris, cette obligation
sera respectée en fonction des indications données
par leur droit propre.225 En outre, j’encourage
les communautés de Vie consacrée à être
exemplaires dans la célébration de la Liturgie des
Heures, au point de constituer une référence et
une source d’inspiration pour la vie spirituelle et
pastorale de toute l’Église.
223 Const. sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium,
n. 85.
224 Cf. CIC, cc. 276 § 3 ; 1174 § 1.
225 Cf. CCEO, cc. 377 ; 473, § 1 et 2, 1°; 538 § 1 ; 881 § 1.
118
Le Synode a exprimé le désir de voir se diffuser
plus largement dans le Peuple de Dieu ce
genre de prière, surtout la récitation des Laudes
et des Vêpres. Un tel développement ne pourra
que faire grandir parmi les fi dèles la familiarité
avec la Parole de Dieu. On doit souligner aussi la
valeur de la Liturgie des Heures prévue pour les
premières Vêpres du dimanche et des solennités,
notamment dans les Églises catholiques orientales.
C’est pourquoi je recommande que, là où
c’est possible, les paroisses et les communautés de
vie religieuse favorisent cette prière en y associant
les fi dèles.
La Parole de Dieu et le Livre des Bénédictions
63. Dans l’usage du Livre des Bénédictions, on prêtera
attention à la place prévue pour la proclamation,
l’écoute et l’explication de la Parole de Dieu,
grâce à de brèves monitions. En effet, dans les cas
prévus par l’Église et à la demande des fi dèles, le
geste de la bénédiction n’est pas à isoler, mais à
relier à la vie liturgique du Peuple de Dieu selon
sa nature propre. En ce sens, la bénédiction, véritable
signe sacré, « puise son sens et son effi cacité
de la proclamation de la Parole de Dieu ».226 Il est
donc important de profi ter aussi de ces occasions
pour raviver chez les fi dèles la faim et la soif de
toute parole qui sort de la bouche de Dieu (cf.
Mt 4, 4).
226 LIVRE DES BÉNÉDICTIONS, Préliminaires généraux, n. 21.
119
Suggestions et propositions concrètes pour l’animation
liturgique
64. Après avoir rappelé quelques éléments fondamentaux
de la relation entre liturgie et Parole
de Dieu, je désire maintenant reprendre et mettre
en valeur quelques propositions et suggestions
faites par les Pères synodaux pour favoriser dans
le Peuple de Dieu une familiarité toujours plus
grande avec la Parole de Dieu dans le cadre des
actions liturgiques ou du moins de ce qui s’y rapporte.
a) Célébrations de la Parole de Dieu
65. Les Pères synodaux ont exhorté tous les
Pasteurs à diffuser dans les communautés qui
leur sont confi ées les moments de célébration de
la Parole.227 Il s’agit d’une occasion privilégiée de
rencontre avec le Seigneur. C’est pourquoi une
telle pratique ne peut qu’apporter une grande
aide aux fi dèles et il faut y voir un élément de
valeur de la pastorale liturgique. Ces célébrations
ont une importance particulière pour la préparation
de l’Eucharistie dominicale, afi n de donner
aux croyants la possibilité de pénétrer davantage
dans la richesse du Lectionnaire pour méditer et
prier la Sainte Écriture, surtout dans les temps
forts de la liturgie, l’Avent et Noël, le Carême et
Pâques. La célébration de la Parole de Dieu est
227 Cf. Proposition 18 ; CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la
Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 35.
120
fortement recommandée dans les communautés
qui, par manque de prêtres, ne peuvent célébrer
le sacrifi ce eucharistique aux fêtes d’obligation.
En tenant compte des indications déjà exprimées
dans l’Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum
caritatis sur les assemblées dominicales
en l’absence de prêtre,228 je recommande que les
autorités compétentes élaborent des rituels, en
valorisant l’expérience des Églises particulières.
C’est ainsi que seront favorisées, dans ces situations,
des célébrations de la Parole qui puissent
nourrir la foi des croyants, en évitant néanmoins
de les confondre avec les célébrations eucharistiques
; « elles devraient plutôt être des occasions
privilégiées de prière adressée à Dieu pour qu’il
envoie de saints prêtres selon son coeur ».229
En outre, les Pères synodaux ont invité à
célébrer aussi la Parole de Dieu à l’occasion des
pèlerinages, des fêtes particulières, des missions
populaires, des retraites spirituelles et des jours
spéciaux de pénitence, de réparation et de pardon.
En ce qui concerne les différentes formes de piété
populaire, bien qu’il ne s’agisse pas d’actes liturgiques
et qu’il faille éviter toute confusion avec
les célébrations liturgiques, il est bon qu’elles s’en
inspirent et, surtout, qu’elles donnent une juste
place à la proclamation et à l’écoute de la Parole
de Dieu ; en effet, « la piété populaire trouvera
228 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 75 : AAS 99 (207), pp. 162-
163.
229 Ibidem.
121
dans la Sainte Écriture une source inépuisable
d’inspiration, des modèles de prière inégalables
et des propositions particulièrement fécondes de
thèmes ».230
b) La Parole et le silence
66. De nombreuses interventions des Pères
synodaux ont insisté sur la valeur du silence en
lien avec la Parole de Dieu et sa réception dans la
vie des fi dèles.231 En effet, la Parole ne peut être
prononcée et entendue que dans le silence, extérieur
et intérieur. Notre temps ne favorise pas le
recueillement et, parfois, on a l’impression qu’il
y a comme une peur à se détacher, même momentanément,
des moyens de communication de
masse. C’est pourquoi il est nécessaire aujourd’hui
d’éduquer le Peuple de Dieu à la valeur du silence.
Redécouvrir le caractère central de la Parole de
Dieu dans la vie de l’Église veut dire redécouvrir
le sens du recueillement et de la paix intérieure.
La grande Tradition patristique nous enseigne que
les Mystères du Christ sont liés au silence ;232 par
lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure,
comme chez Marie, qui est inséparablement la
femme de la Parole et du silence. Nos liturgies
230 CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Directoire sur la piété populaire et la liturgie, Principes
et orientations, n. 87 ; Ench. Vat. 20, n. 2461.
231 Cf. Proposition 14.
232 Cf. SAINT IGNACE D’ANTIOCHE, Ad Ephesios 15, 2 :
Patres Apostolici, éd. F. X. FUNK, Tübingen 1901, I, 224.
122
doivent faciliter cette écoute authentique : Verbo
crescente, verba defi ciunt. 233
Que cette valeur resplendisse particulièrement
dans la liturgie de la Parole, qui « doit se
célébrer de manière à favoriser la méditation ».234
Le silence, quand il est prévu, est à considérer
« comme une partie de la célébration ».235 C’est
pourquoi j’exhorte les Pasteurs à encourager les
moments de recueillement, par le moyen desquels,
avec l’aide de l’Esprit Saint, la Parole de Dieu est
reçue dans le coeur.
c) Proclamation solennelle de la Parole de Dieu
67. Le Synode a fait une autre suggestion : solenniser,
surtout dans les fêtes liturgiques importantes,
la proclamation de la Parole, spécialement
l’Évangile, en utilisant l’évangéliaire porté en procession
pendant le rite d’entrée, puis placé sur
l’ambon par le diacre ou par un prêtre pour être
proclamé. C’est ainsi qu’on aide le Peuple de Dieu
à reconnaître que « la lecture de l’Évangile constitue
le sommet de cette liturgie de la Parole ».236
En suivant les indications de la Présentation générale
du Lectionnaire de la Messe, il est bon de mettre en
valeur la proclamation de la Parole de Dieu par
233 Cf. SAINT AUGUSTIN, Sermo 288, 5 : PL 38, 1307 ; Sermo
120, 2 : PL 38, 677.
234 Présentation générale du Missel Romain, n. 56.
235 Ibidem, n. 45 ; cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la
Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 30.
236 MISSEL ROMAIN, Présentation générale du Lectionnaire de la
Messe, n.13.
123
le chant, notamment l’Évangile, surtout en certaines
solennités. Il serait bon de chanter le salut,
l’annonce initiale « Évangile de … » et la fi n
« Acclamons la Parole de Dieu », pour souligner
l’importance de ce qui est lu.237
d) La Parole de Dieu dans l’église
68. Pour favoriser l’écoute de la Parole de Dieu,
il ne faut pas négliger les moyens qui peuvent
aider les fi dèles à avoir une plus grande attention.
Il est nécessaire pour cela qu’on ne néglige jamais
l’acoustique des édifi ces sacrés, dans le respect des
normes liturgiques et architectoniques. « Lors de
la construction d’églises, les Évêques, dûment aidés,
doivent être attentifs à ce que celles-ci soient
des lieux adaptés à la proclamation de la Parole, à
la méditation et à la célébration eucharistique. Les
espaces saints, qui présentent le Mystère chrétien
en relation avec la Parole de Dieu, doivent le faire
de manière éloquente, même en dehors des célébrations
liturgiques ».238
Une attention particulière sera réservée à
l’ambon en tant que lieu liturgique depuis lequel
est proclamée la Parole de Dieu. Il doit être placé
en un endroit bien visible qui attire spontanément
l’attention des fi dèles pendant la liturgie de la Parole.
Il est bon qu’il soit fi xe, établi comme un élément
sculpté en harmonie esthétique avec l’autel,
237 Cf. ibidem n. 17.
238 Proposition 40.
124
de manière à représenter visiblement aussi le sens
théologique des deux tables de la Parole et de l’Eucharistie.
Depuis l’ambon, on proclame les lectures, le
Psaume responsorial et l’annonce de la Pâque ; on
peut également y faire l’homélie et y dire la prière
des fi dèles.239
Les Pères synodaux suggèrent en outre que,
dans les églises, il y ait un lieu privilégié où l’on
place la Sainte Écriture même en-dehors de la célébration.
240 En effet, il est bon que le livre qui contient
la Parole de Dieu soit dans un endroit visible et
honorable à l’intérieur du temple chrétien, sans
pour autant priver de sa place centrale le tabernacle
qui contient le Très Saint Sacrement.241
e) Exclusivité des textes bibliques dans la liturgie
69. En outre, le Synode a fortement insisté sur
ce qui, d’ailleurs, a déjà été fi xé par la norme liturgique
de l’Église :242 les lectures tirées de la
Sainte Écriture ne doivent jamais être remplacées
par d’autres textes, aussi signifi catifs soientils
du point de vue pastoral ou spirituel : « Aucun
texte de spiritualité ou de littérature ne peut atteindre
la valeur et la richesse contenues dans les
Saintes Écritures qui sont la Parole de Dieu ».243 Il
239 Présentation générale du Missel Romain, n. 309.
240 Proposition 14.
241 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 69 : AAS 100 (207), p. 157.
242 Présentation générale du Missel Romain, n. 57.
243 Proposition 14.
125
s’agit d’une règle antique de l’Église qui doit être
conservée.244 Face à certains abus, le Pape Jean-
Paul II avait déjà rappelé l’importance du fait de
ne jamais remplacer la Sainte Écriture par d’autres
lectures.245 Souvenons-nous que le Psaume responsorial
est une Parole de Dieu, par laquelle
nous répondons à la voix du Seigneur, et qu’il ne
doit donc pas être remplacé par d’autres textes, et
qu’il est tout à fait opportun de le chanter.
f) Chant liturgique bibliquement inspiré
70. Dans le cadre de la valorisation de la Parole
de Dieu durant la célébration liturgique, on fera
aussi attention au chant retenu pour les moments
prévus selon chaque rite, favorisant celui qui est
clairement inspiré par la Bible et qui exprime, par
l’accord harmonieux des paroles et de la musique,
la beauté de la Parole divine. En ce sens, il est bon
de mettre en valeur les chants que la Tradition de
l’Église nous a livrés et qui respectent ce critère. Je
pense en particulier à l’importance du chant grégorien.
246
244 Cf. le canon 36 du Synode d’Hippone en 393, Denzinger-
Schönmetzer, 186.
245 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. Ap. Vicesimus quintus annus,
4 décembre 1988, n. 13 : AAS 81 (1988), p. 910 ; CONGRÉGATION
POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, Instruction
sur certaines choses à observer ou à éviter au sujet de la
Très Sainte Eucharistie Redemptionis sacramentum (25 mars 2004),
n. 62 : Ench. Vat. 22, n. 2248.
246 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. sur la Sainte Liturgie
Sacrosanctum Concilium, n. 116 ; CONGRÉGATION POUR LE CULTE
DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, Présentation générale du
126
g) Attention particulière aux aveugles et aux sourds
71. Dans ce contexte, je voudrais aussi rappeler
que le Synode a recommandé que l’on fasse particulièrement
attention à ceux qui, à cause de leur
état, ont des diffi cultés à participer activement à
la liturgie, comme par exemple ceux qui ne voient
pas ou n’entendent pas. J’encourage les communautés
chrétiennes à prévoir, dans la mesure du
possible, des outils adaptés pour venir en aide aux
frères et aux soeurs qui souffrent de ces diffi cultés,
afi n qu’il leur soit donné, à eux aussi, la possibilité
d’un contact vivant avec la Parole du Seigneur.247
LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE ECCLÉSIALE
Rencontrer la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture
72. S’il est vrai que la liturgie est le lieu privilégié
pour la proclamation, l’écoute et la célébration
de la Parole de Dieu, il est tout aussi vrai que
cette rencontre doit être préparée dans le coeur
des fi dèles et surtout être approfondie et assimilée
par eux. En effet, la vie chrétienne est caractérisée
essentiellement par la rencontre avec Jésus-
Christ qui nous appelle à le suivre. C’est pourquoi
le Synode des Évêques a réaffi rmé plusieurs fois
l’importance de la pastorale dans les communautés
chrétiennes comme cadre dans lequel parcourir
un itinéraire personnel et communautaire
Missel Romain, n. 41.
247 Cf. Proposition 14.
127
par rapport à la Parole de Dieu, de sorte que celleci
soit vraiment au fondement de la vie spirituelle.
Avec les Pères du Synode, j’exprime le vif désir
que fl eurisse « une nouvelle saison de plus grand
amour pour la Sainte Écriture, de la part de tous
les membres du Peuple de Dieu, afi n que la lecture
orante et fi dèle dans le temps leur permette d’approfondir
leur relation avec la personne même de
Jésus ».248
Dans l’histoire de l’Église, les recommandations
des saints sur la nécessité de connaître
l’Écriture pour grandir dans l’amour du Christ
ne manquent pas. C’est un fait particulièrement
évident chez les Pères de l’Église. Saint Jérôme,
grand « amoureux » de la Parole de Dieu se demandait
: « Comment pourrait-on vivre sans la
science des Écritures, à travers lesquelles on apprend
à connaître le Christ lui-même, qui est la
vie des croyants ? ».249 Il était bien conscient que
la Bible est l’instrument « par lequel Dieu parle
chaque jour aux croyants ».250 Il conseille ainsi
Leta, une matrone romaine, pour l’éducation de
sa fi lle : « Assure-toi qu’elle étudie chaque jour un
passage de l’Écriture… À la prière fais suivre la
lecture, et à la lecture, la prière… Plutôt que les
bijoux et les vêtements de soie, qu’elle aime les
Livres divins ».251 Ce que saint Jérôme écrivait au
prêtre Neposianus vaut aussi pour nous : « Lis fré-
248 Proposition 9.
249 Epistula 30, 7 : CSEL 54, 246.
250 ID., Epistula 133, 13 : CSEL 56, 260.
251 ID., Epistula 107, 9.12 : CSEL 55, 300.302
128
quemment les divines Écritures ; et même, que le
Livre Saint ne soit jamais enlevé de tes mains. Apprends-
y ce que tu dois enseigner ».252 À l’exemple
du grand saint qui consacra sa vie à l’étude de la
Bible et qui donna à l’Église sa traduction latine, la
Vulgate, et de tous les saints qui ont placé au centre
de leur vie spirituelle la rencontre avec le Christ,
renouvelons notre engagement à approfondir la
Parole que Dieu a donnée à l’Église. De cette façon
nous pourrons tendre à ce « haut degré de la
vie chrétienne ordinaire »,253 souhaité par le Pape
Jean-Paul II au commencement du troisième millénaire
chrétien, qui se nourrit constamment de
l’écoute de la Parole de Dieu.
L’animation biblique de la pastorale
73. Dans cette ligne, le Synode a invité à un engagement
pastoral particulier pour faire ressortir
la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie
ecclésiale, recommandant « d’intensifi er “ la pastorale
biblique ” non en la juxtaposant à d’autres
formes de la pastorale, mais comme animation biblique
de toute la pastorale ».254 Il ne s’agit donc pas
d’ajouter quelques rencontres dans la paroisse ou
dans le diocèse, mais de s’assurer que, dans les activités
habituelles des communautés chrétiennes,
252 ID., Epistula 52, 7 : CSEL 54, 426.
253 JEAN-PAUL II, Lett. Novo millennio ineunte (6 janvier
2001), n. 31 : AAS 83 (2001), pp. 287-288.
254 Proposition 30 ; cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm.
Sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 24.
129
dans les paroisses, dans les associations et dans les
mouvements, on ait vraiment à coeur la rencontre
personnelle avec le Christ qui se communique
à nous dans sa Parole. Ainsi, si « l’ignorance des
Écritures est ignorance du Christ »,255 l’animation
biblique de toute la pastorale ordinaire et extraordinaire
conduira à une plus grande connaissance
de la personne du Christ, Révélateur du Père et
plénitude de la Révélation divine.
J’exhorte donc les Pasteurs et les fi dèles à tenir
compte de l’importance de cette animation : ce
sera aussi la meilleure façon de faire face à certains
problèmes pastoraux mis en évidence au cours de
l’Assemblée synodale liés, par exemple, à la prolifération
des sectes qui répandent une lecture déformée
et instrumentalisée de la Sainte Écriture. Là où les
fi dèles ne se forment pas à une connaissance de la
Bible selon la foi de l’Église dans le creuset de sa
Tradition vivante, on laisse de fait un vide pastoral
dans lequel des réalités comme les sectes peuvent
trouver un terrain pour prendre pied. C’est
pourquoi il est nécessaire de pourvoir aussi à une
préparation adéquate des prêtres et des laïcs afi n
qu’ils puissent instruire le Peuple de Dieu dans
une approche authentique des Écritures.
En outre, comme cela a été souligné durant
les travaux synodaux, il est bon que dans l’activité
pastorale soit favorisé le développement de petites
communautés, « composées de familles, enracinées
255 SAINT JÉRÔME, Commentariorum. in Isaiam libri, Prol ;
PL 24, 17B.
130
dans les paroisses ou liées aux divers mouvements
ecclésiaux ou nouvelles communautés »,256
dans lesquelles seront encouragées la formation,
la prière et la connaissance de la Bible selon la foi
de l’Église.
Dimension biblique de la catéchèse
74. Un temps important de l’animation pastorale
de l’Église, où l’on peut avec sagesse redécouvrir
le caractère central de la Parole de Dieu, est la
catéchèse qui, dans ses diverses formes et phases,
doit toujours accompagner le Peuple de Dieu. La
rencontre des disciples d’Emmaüs avec Jésus décrite
par l’évangéliste Luc (cf. Lc 24, 13-35) représente,
en un certain sens, le modèle d’une catéchèse
au centre de laquelle se trouve « l’explication
des Écritures », que seul le Christ est en mesure
de donner (cf. Lc 24, 27-28), en montrant leur
accomplissement dans sa personne.257 C’est ainsi
que renaît l’espérance, plus forte que tout échec,
qui fait de ces disciples des témoins convaincus et
crédibles du Ressuscité.
Dans le Directoire général pour la catéchèse, nous
trouvons des indications précieuses pour l’animation
biblique de la catéchèse et j’y renvoie
volontiers.258 Ici, je désire surtout souligner que
256 Proposition 21.
257 Cf. Proposition 23.
258 Cf. CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ, Directoire général
pour la catéchèse (15 août 1997), n. 94 ; JEAN-PAUL II, Exhort.
apost. Catechesi tradendae (16 octobre 1979), n. 27 : AAS 71
(1979), p. 1298.
131
la catéchèse « doit s’imprégner et se pénétrer de
la pensée, de l’esprit et des attitudes bibliques et
évangéliques par un contact assidu avec les textes
eux-mêmes ; ce qui veut aussi rappeler que la catéchèse
sera d’autant plus riche et effi cace qu’elle
lira les textes avec l’intelligence et le coeur de
l’Église »259 et qu’elle s’inspirera de la réfl exion et
de la vie deux fois millénaire de l’Église. On doit
encourager de cette façon la connaissance des
fi gures, des événements et des expressions fondamentaux
du texte sacré ; à cette fi n, une mémorisation
intelligente de certains passages bibliques
– particulièrement ceux qui parlent des Mystères
chrétiens – peut aussi être profi table. L’activité
catéchétique implique toujours de rapprocher les
Écritures de la foi et de la Tradition de l’Église,
de sorte que ces paroles soient perçues comme
vivantes, tout comme le Christ est vivant aujourd’hui
là où deux ou trois se réunissent en son
nom (cf. Mt 18, 20). Elle doit communiquer de
façon vitale l’histoire du salut et les contenus de la
foi de l’Église, afi n que tout fi dèle reconnaisse que
son contexte personnel de vie appartient aussi à
cette histoire.
Dans cette perspective, il est important de
souligner le lien entre la Sainte Écriture et le Catéchisme
de l’Église catholique, comme l’a affi rmé le
Directoire général pour la catéchèse : « En effet, l’Écriture
Sainte, “Parole de Dieu mise par écrit sous
259 Ibidem, n. 127 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. Catechesi
tradendae (16 octobre 1979), n. 27 : AAS 71 (1979), p. 1299.
132
l’inspiration de l’Esprit Saint” et le Catéchisme
de l’Église catholique, expression actuelle de la
Tradition vivante de l’Église et norme sûre pour
l’enseignement de la foi, sont appelés, chacun
à sa façon, et selon son autorité spécifi que, à
féconder la catéchèse dans l’Église contemporaine
».260
Formation biblique des chrétiens
75. Pour atteindre le but souhaité par le Synode
de donner un caractère plus fortement biblique à
toute la pastorale de l’Église, il est nécessaire qu’il
y ait une formation convenable des chrétiens et,
en particulier, des catéchistes. À cet égard, il faut
porter attention à l’apostolat biblique, méthode très
valable pour cette fi nalité, comme le montre l’expérience
ecclésiale. Les Pères synodaux ont, de
plus, recommandé que, si possible par la valorisation
de structures académiques déjà existantes,
soient établis des centres de formation pour laïcs
et pour missionnaires, où l’on apprenne à comprendre,
à vivre et à annoncer la Parole de Dieu,
et que, là où on en voit la nécessité, soient constitués
des instituts spécialisés dans les études bibliques
pour former des exégètes qui aient une
solide compréhension théologique et qui soient
sensibles aux contextes de leur mission.261
260 Ibidem, n. 128 : Ench. Vat. 16, n. 936.
261 Cf. Proposition 33.
133
La Sainte Écriture dans les grands rassemblements ecclésiaux
76. Parmi les multiples initiatives qui peuvent
être prises, le Synode suggère que, dans les rassemblements,
aussi bien au niveau diocésain que
national ou international, l’importance de la Parole
de Dieu, de son écoute et de la lecture croyante et
orante de la Bible soit soulignée le plus possible.
Par conséquent, dans les congrès eucharistiques,
nationaux et internationaux, aux Journées Mondiales
de la Jeunesse et dans les autres rencontres
on pourra avec raison trouver de plus amples espaces
pour des célébrations de la Parole et pour
des moments de formation biblique.262
Parole de Dieu et vocations
77. Le Synode, en soulignant l’exigence intrinsèque
de la foi d’approfondir la relation avec le
Christ, Parole de Dieu parmi nous, a voulu aussi
mettre en évidence le fait que cette Parole appelle
chacun en termes personnels, révélant ainsi que
la vie elle-même est vocation par rapport à Dieu. Cela
veut dire que plus nous approfondissons notre relation
avec le Seigneur Jésus, plus nous nous apercevons
qu’il nous appelle à la sainteté, au moyen
de choix défi nitifs par lesquels notre vie répond à
son amour, assumant des tâches et des ministères
pour édifi er l’Église. Dans cette perspective se
comprennent les invitations faites par le Synode à
262 Cf. Proposition 45.
134
tous les chrétiens d’approfondir leur relation avec
la Parole de Dieu en tant que baptisés, mais aussi
en tant qu’appelés à vivre selon les divers états de
vie. Ici nous touchons l’un des points cardinaux
de la doctrine du Concile Vatican II qui a souligné
la vocation à la sainteté de tout fi dèle, chacun
dans son propre état de vie.263 C’est dans la Sainte
Écriture que se trouve révélée notre vocation à
la sainteté : « Vous serez saints parce que je suis
Saint » (Lv 11, 44 ; 19, 2 ; 20, 7). Saint Paul en souligne,
à son tour, la racine christologique : dans le
Christ, le Père « nous a choisis avant la création
du monde, pour que nous soyons, dans l’amour,
saints et irréprochables sous son regard » (Ep 1, 4).
Ainsi pouvons-nous entendre comme adressé à
chacun de nous son salut aux frères et aux soeurs
de la communauté de Rome : « À tous les bienaimés
de Dieu … aux saints par vocation, à vous
grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur
Jésus-Christ. » (Rm 1, 7).
a) Parole de Dieu et Ministres ordonnés
78. Avant tout, en m’adressant maintenant aux
Ministres ordonnés de l’Église, je leur rappelle ce
qu’a affi rmé le Synode : « La Parole de Dieu est
indispensable pour former le coeur d’un bon Pasteur,
Ministre de la Parole ».264 Évêques, prêtres,
diacres ne peuvent en aucune façon penser vivre
263 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Église
Lumen gentium, chap. 5.
264 Proposition 31.
135
leur vocation et leur mission sans un engagement
ferme et renouvelé de sanctifi cation qui trouve
l’un de ses piliers dans le contact avec la Bible.
79. Pour ceux qui sont appelés à l’épiscopat, et
qui sont les premiers annonciateurs autorisés de
la Parole, je désire réaffi rmer ce qui a été dit par le
Pape Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique
post-synodale Pastores gregis. Pour nourrir et faire
progresser sa vie spirituelle, l’Évêque doit toujours
mettre « à la première place la lecture et la méditation
de la Parole de Dieu. Tout Évêque devra toujours
se confi er et se sentir confi é “à Dieu et à son
message de grâce, qui a le pouvoir de construire
l’édifi ce et de faire participer les hommes à l’héritage
de ceux qui ont été sanctifi és” (Ac 20, 32).
C’est pourquoi, avant d’être un transmetteur de la
Parole, l’Évêque, avec ses prêtres et comme tout
fi dèle, bien plus comme l’Église elle-même, doit
être un auditeur de la Parole. Il doit être comme
“à l’intérieur” de la Parole, pour se laisser garder et
nourrir par elle, comme dans le sein maternel ».265
À l’imitation de Marie, Virgo audiens et Reine des
Apôtres, je recommande à tous mes frères dans
l’épiscopat la lecture personnelle fréquente et
l’étude assidue de la Sainte Écriture.
80. À l’attention des prêtres aussi, je voudrais
rappeler les paroles du Pape Jean-Paul II qui,
dans l’Exhortation apostolique post-synodale Pas-
265 N. 15 : AAS 96 (2004), pp. 846-847.
136
tores dabo vobis, a rappelé que « le prêtre est avant
tout Ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré
et envoyé pour annoncer à tous l’Évangile du
Royaume, appelant tout homme à l’obéissance de
la foi et conduisant les croyants à une connaissance
et à une communion toujours plus profonde du
Mystère de Dieu, à nous révélé et communiqué
par le Christ. C’est pourquoi le prêtre lui-même
doit tout d’abord acquérir une grande familiarité
avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffi t pas d’en
connaître l’aspect linguistique ou exégétique, ce
qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la
Parole avec un coeur docile et priant, pour qu’elle
pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments
et engendre en lui un esprit nouveau, “la pensée
du Christ” (1 Co 2, 16) ».266 Ainsi, ses paroles, et
plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours
plus transparents à l’Évangile, l’annonceront
et en rendront témoignage. « C’est seulement “en
demeurant” dans la Parole que le prêtre deviendra
parfait disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et
sera vraiment libre ».267
En défi nitive, l’appel au sacerdoce demande
d’être consacrés « dans la vérité ». Jésus lui-même
formule cette exigence à l’égard de ses disciples :
« Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De
même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi
je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17, 17-18).
Les disciples sont en un certain sens « attirés
266 N. 26 : AAS 84 (1992), p. 698.
267 Ibidem.
137
dans l’intimité de Dieu par leur immersion dans
la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est, pour
ainsi dire, le bain qui les purifi e, le pouvoir créateur
qui les transforme dans l’être de Dieu ».268 Et
puisque le Christ lui-même est la Parole de Dieu
faite chair (Jn 1, 14), qu’il est « la vérité » (Jn 14, 6),
alors la prière de Jésus au Père « Consacre-les par
la vérité » veut dire au sens le plus profond : « Fais
qu’ils ne soient qu’un avec moi, le Christ. Attacheles
à moi. Attire-les en moi. Et, de fait, il n’existe
qu’un seul prêtre de la Nouvelle Alliance, Jésus-
Christ lui-même ».269 Il est donc nécessaire que les
prêtres renouvellent toujours plus profondément
leur conscience de cette réalité.
81. Je voudrais me référer aussi à la place de la
Parole de Dieu dans la vie de ceux qui sont appelés
au diaconat, non seulement comme degré
précédant l’ordre du presbytérat, mais comme
service permanent. Les Normes fondamentales pour
la formation des diacres permanents affi rment que
de « l’identité théologique du diaconat, dérivent
avec clarté les traits de sa spiritualité spécifi que,
qui se présente essentiellement comme une spiritualité
du service. Le modèle par excellence est
le Christ serviteur, qui a vécu totalement au service
de Dieu pour le bien des hommes ».270 Dans
268 BENOÎT XVI, Homélie, Messe chrismale 2009 ; L’ORf,
14 avril 2009, p. 4.
269 Ibidem.
270 CONGRÉGATION POUR L’ÉDUCATION CATHOLIQUE,
Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents (22 février
1998), n. 11 ; Ench. Vat. 17, n. 174-175 ; La DC, n.2181,
p.411.
138
cette perspective on comprend que, dans les différentes
dimensions du ministère diaconal, « un
élément caractéristique de la spiritualité diaconale
est la Parole de Dieu, dont le diacre est appelé
à être l’annonciateur autorisé, en croyant ce qu’il
proclame, en enseignant ce qu’il croit, en vivant
ce qu’il enseigne ».271 Je recommande donc que les
diacres nourrissent leur vie d’une lecture croyante
de la Sainte Écriture avec l’étude et la prière. Qu’ils
soient introduits à « la Sainte Écriture et à sa juste
interprétation ; à la théologie de l’Ancien et du
Nouveau Testament ; au rapport réciproque entre
l’Écriture et la Tradition ; en particulier à l’usage
de l’Écriture dans la prédication, dans la catéchèse
et dans l’activité pastorale en général ».272
b) La Parole de Dieu et les candidats à l’Ordination
82. Le Synode a accordé une importance particulière
au rôle décisif de la Parole de Dieu dans
la vie spirituelle des candidats au sacerdoce ministériel
: « Les candidats au sacerdoce doivent apprendre
à aimer la Parole de Dieu. Que l’Écriture
soit donc l’âme de leur formation théologique,
en soulignant la circularité indispensable entre
exégèse, théologie, spiritualité et mission ».273 Les
aspirants au sacerdoce ministériel sont appelés à
271 Ibidem, n. 74 : Ench. Vat. 17, n. 263 ; La DC n. 2181,
p. 420.
272 Cf. ibidem, n. 81.a : Ench. Vat. 17, n. 271 : La DC, ibid.,
p. 421.
273 Proposition 32.
139
une profonde relation personnelle avec la Parole
de Dieu, en particulier dans la Lectio divina, pour
que leur vocation elle-même se nourrisse de cette
relation: c’est dans la lumière et dans la force de la
Parole de Dieu que chacun peut découvrir, comprendre,
aimer et suivre sa vocation propre et accomplir
sa mission, faisant grandir dans le coeur
les pensées de Dieu, de sorte que la foi, en tant
que réponse à la Parole, devienne le nouveau critère
de jugement et d’évaluation des hommes et
des choses, des événements et des problèmes.274
Cette attention à la lecture priante de l’Écriture
ne doit en aucune façon alimenter une dichotomie
par rapport à l’étude exégétique demandée
au temps de la formation. Le Synode a recommandé
que les séminaristes soient aidés concrètement
à voir la relation entre l’étude biblique et la prière
avec l’Écriture. Étudier les Écritures doit rendre
plus conscient du Mystère de la Révélation divine
et nourrir une attitude de réponse priante au Seigneur
qui parle. De même, une authentique vie
de prière ne pourra que faire grandir dans l’âme
du candidat le désir de connaître toujours plus le
Dieu qui s’est révélé dans sa Parole comme amour
infi ni. Par conséquent, on devra apporter le plus
grand soin à cultiver dans la vie des séminaristes
cette réciprocité entre étude et prière. Dans ce but, il
faut que les candidats soient initiés à une étude de
la Sainte Écriture par des méthodes qui en favorisent
une telle approche intégrale.
274 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. post-synodale Pastores
dabo vobis (25 mars 1992), n. 47 : AAS 84 (1992), p. 740-742.
140
c) Parole de Dieu et Vie consacrée
83. En ce qui concerne la Vie consacrée, le Synode
a rappelé avant tout qu’elle « naît de l’écoute
de la Parole de Dieu et accueille l’Évangile comme
règle de vie ».275 Vivre à la suite du Christ, chaste,
pauvre et obéissant, est ainsi une « “exégèse” vivante
de la Parole de Dieu ».276 L’Esprit Saint,
grâce auquel la Bible a été écrite, est le même Esprit
qui éclaire « d’une lumière nouvelle la Parole
de Dieu aux fondateurs et aux fondatrices. D’elle
tout charisme est né et d’elle, toute règle veut être
l’expression »,277 en donnant vie à des itinéraires
de vie chrétienne caractérisés par la radicalité
évangélique.
Je voudrais rappeler que la grande Tradition
monastique a toujours considéré la méditation
de l’Écriture Sainte comme un élément constitutif
de sa spiritualité propre, en particulier sous
la forme de la Lectio divina. Aujourd’hui encore,
les anciennes et nouvelles réalités de consécration
particulière sont appelées à être de véritables
écoles de vie spirituelle où les Écritures sont lues
selon l’Esprit Saint dans l’Église, afi n que tout le
275 Proposition 24.
276 BENOÎT XVI, Discours pour la XIe Journée mondiale de la
Vie consacrée, 2 février 2008: AAS 100 (2008) p. 133, L’ORf,
12 février 2008, p. 7 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. postsynodale
Vita consecrata (25 mars 1996), n. 82 : AAS 88 (1996),
pp. 458-460.
277 CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE
ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, Instruction Repartir du
Christ : un engagement renouvelé de la Vie consacrée au troisième millénaire
(19 mai 2002), n. 24.
141
Peuple de Dieu puisse en bénéfi cier. Le Synode
recommande donc que dans les communautés de
Vie consacrée, ne manque jamais une formation
solide à la lecture croyante de la Bible.278
Je désire encore me faire l’interprète de la
sollicitude et de la gratitude que le Synode a exprimées
à l’égard des formes de vie contemplative
qui, en vertu de leur charisme spécifi que, consacrent
une grande partie de leurs journées à imiter
la Mère de Dieu, qui méditait assidûment les
paroles et les gestes de son Fils (cf. Lc 2, 19. 51),
et Marie de Béthanie qui, assise aux pieds du Seigneur,
écoutait sa parole (cf. Lc 10, 38). Ma pensée
se tourne en particulier vers les moines et moniales
cloîtrés qui, par leur séparation du monde,
se trouvent plus intimement unis au Christ, coeur
du monde. Plus que jamais, l’Église a besoin du
témoignage de ceux qui s’engagent à « ne rien préférer
à l’amour du Christ ».279 Le monde actuel est
souvent trop absorbé par les activités extérieures
dans lesquelles il risque de se perdre. Les contemplatifs
et les contemplatives, par leur vie de prière,
d’écoute et de méditation de la Parole de Dieu
nous rappellent que l’homme ne vit pas seulement
de pain mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu (cf. Mt 4, 4). Par conséquent, tous
les fi dèles doivent bien se souvenir qu’une telle
forme de vie « indique au monde d’aujourd’hui la
chose la plus importante, et c’est même en fi n de
278 Cf. Proposition 24
279 SAINT BENOÎT, Règle, IV, 21: SC 181, p. 456-458.
142
compte la seule chose décisive : il existe une ultime
raison pour laquelle il vaut la peine de vivre,
qui est Dieu et son amour impénétrable ».280
d) La Parole de Dieu et les fi dèles laïcs
84. Le Synode a très souvent tourné son attention
vers les fi dèles laïcs, les remerciant de leur
généreux engagement dans la diffusion de l’Évangile
dans les différents milieux de leur vie quotidienne,
au travail, à l’école, en famille et dans
l’éducation.281 Cette tâche, qui vient du Baptême,
doit pouvoir se développer à travers une vie chrétienne
toujours plus consciente, capable de rendre
raison de l’espérance qui est en nous (cf. 1 P 3,
15). Jésus, dans l’Évangile de Matthieu, indique que
« le champ c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fi ls du
Royaume » (13, 38). Ces paroles s’appliquent particulièrement
aux laïcs chrétiens qui vivent leur vocation
personnelle à la sainteté dans une existence
selon l’Esprit qui s’exprime « de façon particulière
dans leur insertion dans les réalités temporelles et dans
leur participation aux activités terrestres ».282 Ils ont besoin
d’être formés pour discerner la volonté de
Dieu grâce à une familiarité avec la Parole de Dieu,
lue et étudiée dans l’Église, sous la conduite des
Pasteurs légitimes. Ils peuvent tirer cette forma-
280 BENOÎT XVI, Discours aux moines dans l’abbaye de Heiligenkreuz
(9 septembre 2007), L’ORf, 18 septembre 2007, p. 14.
281 Cf. Proposition 30.
282 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. post-synodale Christifi -
deles laici (30 décembre 1988), n. 17 : AAS 81 (1989), p. 418.
143
tion des écoles de grandes spiritualités ecclésiales,
à la racine desquelles se trouve toujours l’Écriture
Sainte. Que selon leurs possibilités, les diocèses
eux-mêmes fassent, en ce sens, des offres de formation
aux laïcs ayant des responsabilités ecclésiales
particulières.283
e) La Parole de Dieu, le mariage et la famille
85. Le Synode a éprouvé la nécessité de souligner
aussi le rapport entre la Parole de Dieu, le
mariage et la famille chrétienne. En effet, « en
annonçant la Parole de Dieu, l’Église révèle à la
famille chrétienne sa véritable identité, autrement
dit ce qu’elle est et ce qu’elle doit être selon le dessein
du Seigneur ».284 Il faut donc ne jamais perdre
de vue que la Parole de Dieu est à l’origine du mariage
(cf. Gn 2, 24) et que Jésus lui-même a voulu inclure
le mariage parmi les institutions de son Royaume
(cf. Mt 19, 4-8), faisant un Sacrement de ce qui
était inscrit à l’origine dans la nature humaine.
« Dans la célébration sacramentelle, l’homme et
la femme prononcent une parole prophétique de
don mutuel, d’être “ une seule chair ”, signe du
Mystère de l’union du Christ et de l’Église (cf.
Ep 5, 31-32) ».285 La fi délité à la Parole de Dieu
amène également à constater qu’aujourd’hui cette
institution est attaquée sous de nombreux aspects
283 Cf. Proposition 33.
284 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre
1981), n. 49 : AAS 74 (1982), pp. 140-141.
285 Proposition 20.
144
par la mentalité ambiante. Face au désordre général
des sentiments et à l’apparition de modes
de pensée qui banalisent le corps humain et la
différence sexuelle, la Parole de Dieu réaffi rme la
bonté originelle de l’être humain, créé homme et
femme, et appelé à l’amour fi dèle, réciproque et
fécond.
Du grand Mystère nuptial, provient une incontournable
responsabilité des parents à l’égard de
leurs enfants. En effet, c’est à la paternité et à la maternité
vécues de façon authentique qu’il revient
de communiquer et de témoigner du sens de la vie
dans le Christ : à travers leur fi délité et l’unité de
la vie de famille, les époux sont pour leurs enfants
les premiers messagers de la Parole de Dieu. La
communauté ecclésiale doit les soutenir et les aider
à développer la prière en famille, l’écoute de la
Parole et la connaissance de la Bible. C’est pourquoi
le Synode souhaite que chaque foyer ait sa Bible
et la conserve dignement, afi n de pouvoir la lire
et l’utiliser dans la prière. L’aide nécessaire peut
être fournie par les prêtres, les diacres ou les laïcs
bien préparés. Le Synode a recommandé aussi la
création de petites communautés composées de
familles, où l’on pratique la prière et la méditation
commune de passages choisis des Écritures.286
Que les époux se rappellent, en outre, « que la Parole
de Dieu est aussi un précieux soutien dans les
diffi cultés de la vie conjugale et familiale ».287
Dans ce contexte, je désire souligner encore
ce que le Synode a recommandé au sujet de la tâche
286 Cf. Proposition 21.
287 Proposition 20.
145
des femmes à l’égard de la Parole de Dieu. La contribution
du « génie féminin » – comme l’appelait le
Pape Jean-Paul II,288 – à la connaissance de l’Écriture
et à la vie entière de l’Église, est plus grande
aujourd’hui que par le passé et touche aussi désormais
le domaine des études bibliques ellesmêmes.
Le Synode s’est arrêté en particulier sur le
rôle indispensable des femmes dans la famille et
dans l’éducation, dans la catéchèse, dans la transmission
des valeurs. En effet, elles « savent susciter
l’écoute de la Parole, la relation personnelle
avec Dieu et transmettre le sens du pardon et du
partage évangélique »,289 comme elles savent aussi
être porteuses d’amour, modèles de miséricorde
et artisans de paix, communicatrices de chaleur
et d’humanité dans un monde qui, trop souvent,
juge les personnes selon les critères froids de l’exploitation
et du profi t.
La lecture orante de la Sainte Écriture et la ‘Lectio divina’
86. Le Synode a insisté à plusieurs reprises sur
l’exigence d’une approche priante du texte sacré
comme élément fondamental de la vie spirituelle
de tout croyant, dans les divers ministères et états
de vie, en se référant notamment à la Lectio divina.
290 La Parole de Dieu est, en effet, à la base
de toute spiritualité chrétienne authentique. Les
288 Cf. Lett. apost. Mulieris dignitatem (15 août 1988), n. 31 :
AAS 80 (1988), p. 1727-1729.
289 Proposition 17.
290 Cf. Propositions 9 et 22.
146
Pères synodaux se sont ainsi mis en syntonie avec
ce qu’affi rme la Constitution dogmatique Dei Verbum
: « Que les fi dèles (…) approchent de tout leur
coeur le texte sacré lui-même, soit par la sainte liturgie,
qui est remplie des paroles divines, soit par
une pieuse lecture, soit par des cours faits pour
cela ou par d’autres méthodes qui, avec l’approbation
et le soin qu’en prennent les Pasteurs de
l’Église, se répandent de manière louable partout
de notre temps. Mais la prière – qu’on se le rappelle
– doit accompagner la lecture de la Sainte
Écriture ».291 La réfl exion conciliaire entendait
reprendre la grande Tradition patristique qui a
toujours recommandé d’approcher l’Écriture en
établissant un dialogue avec Dieu. Comme le dit
saint Augustin : « Ta prière est ta parole adressée à
Dieu. Quand tu lis, c’est Dieu qui te parle ; quand
tu pries, c’est toi qui parles avec Dieu ».292 Origène,
l’un des maîtres de cette lecture de la Bible,
soutient que l’intelligence des Écritures demande,
plus encore que l’étude, l’intimité avec le Christ
et la prière. Il est convaincu, en effet, que la voie
privilégiée pour connaître Dieu est l’amour, et que
l’on n’acquiert pas une authentique scientia Christi
sans s’éprendre de Lui. Dans la Lettre à Grégoire,
le grand théologien d’Alexandrie recommande :
« Applique-toi principalement à la lecture des divines
Écritures : applique-toi bien à cela (…) En
t’appliquant à les lire avec l’intention de croire et
291 N. 25.
292 Enarrationes in Psalmos 85, 7 : CCL 39, 1177.
147
de plaire à Dieu, frappe, dans ta lecture, à la porte
de ce qui est fermé, et il t’ouvrira, le portier dont
Jésus a dit : “À celui-là le portier ouvre”. En t’appliquant
à cette divine lecture, cherche avec droiture
et avec une confi ance inébranlable en Dieu le
sens des divins Écrits, caché au grand nombre. Ne
te contente pas de frapper et de chercher, car il est
absolument nécessaire de prier pour comprendre
les choses divines. C’est pour nous y exhorter que
le Sauveur a dit non seulement : “Frappez et l’on
vous ouvrira” et “Cherchez et vous trouverez”,
mais aussi : “Demandez et l’on vous donnera” ».293
Toutefois, à ce propos, il faut éviter le risque
d’une approche individualiste, en se rappelant que la
Parole de Dieu nous est précisément donnée pour
construire la communion, pour nous unir dans la
vérité durant notre marche vers Dieu. C’est une
Parole qui s’adresse à chacun personnellement,
mais c’est aussi une Parole qui construit la communauté,
qui construit l’Église. C’est pourquoi le
texte sacré doit toujours être abordé dans la communion
ecclésiale. En effet, « il est très important d’effectuer
une lecture communautaire (…), car le sujet vivant
de l’Écriture Sainte c’est le Peuple de Dieu, c’est
l’Église. (…) L’Écriture n’appartient pas au passé,
car son sujet, le Peuple de Dieu inspiré par Dieu
lui-même, est toujours le même, et la Parole est
donc toujours vivante dans le sujet vivant. C’est
pourquoi il est important de lire l’Écriture Sainte
et d’entendre l’Écriture Sainte dans la commu-
293 ORIGÈNE, Epistola ad Gregorium, 3 : PG 11, 92.
148
nion de l’Église, c’est-à-dire avec tous les grands
témoins de cette Parole, en commençant par les
premiers Pères jusqu’aux saints d’aujourd’hui,
jusqu’au Magistère actuel ».294
Par conséquent, dans la lecture orante de
l’Écriture Sainte, le lieu privilégié est la liturgie, l’Eucharistie
en particulier, durant laquelle, en célébrant
le Corps et le Sang du Christ présent dans
le Sacrement, se rend présente parmi nous la
Parole elle-même. En un certain sens, la lecture
priante, personnelle et communautaire, doit toujours
être vécue en relation avec la célébration
eucharistique. Comme l’adoration eucharistique
prépare, accompagne et continue la célébration
eucharistique,295de même la lecture priante, personnelle
et communautaire, prépare, accompagne
et approfondit ce que l’Église célèbre en proclamant
la Parole, dans le cadre liturgique. En mettant
en aussi étroite relation Lectio et liturgie, on
peut mieux saisir les critères qui doivent guider
cette lecture dans le contexte de la pastorale et de
la vie spirituelle du Peuple de Dieu.
87. Dans les documents qui ont préparé et accompagné
le Synode, on a parlé de diverses méthodes
pour approcher avec fruit et dans la foi
les Écritures Saintes. Toutefois, l’attention la plus
grande a été portée sur la Lectio divina, qui « est
294 BENOÎT XVI, Discours au grand Séminaire pontifi cal romain
(17 février 2007) : AAS 99 (2007), p. 254, L’ORf, 27 février
2007, p. 3.
295 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis, n. 66 : AAS 99 (2007), pp. 155-156.
149
capable d’ouvrir au fi dèle le trésor de la Parole
de Dieu, et de provoquer ainsi la rencontre avec
le Christ, Parole divine vivante. ».296 Je voudrais
rappeler brièvement ici ses étapes fondamentales :
elle s’ouvre par la lecture (lectio) du texte qui provoque
une question portant sur la connaissance
authentique de son contenu : que dit en soi le texte
biblique ? Sans cette étape, le texte risquerait de devenir
seulement un prétexte pour ne jamais sortir
de nos pensées. S’en suit la méditation (meditatio)
qui pose la question suivante : que nous dit le texte
biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi
en tant que réalité communautaire, doit se laisser
toucher et remettre en question, car il ne s’agit
pas de considérer des paroles prononcées dans
le passé mais dans le présent. L’on arrive ainsi à
la prière (oratio) qui suppose cette autre question :
que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? La
prière comme requête, intercession, action de
grâce et louange, est la première manière par laquelle
la Parole nous transforme. Enfi n, la Lectio
divina se termine par la contemplation (contemplatio),
au cours de laquelle nous adoptons, comme
don de Dieu, le même regard que lui pour juger la
réalité, et nous nous demandons : quelle conversion
de l’esprit, du coeur et de la vie le Seigneur nous demandet-
il ? Saint Paul, dans la Lettre aux Romains affi rme :
« Ne prenez pas pour modèle le monde présent,
mais transformez-vous en renouvelant votre façon
de penser pour savoir reconnaître quelle est
296 Message fi nal, n. 9.
150
la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable
de lui plaire, ce qui est parfait » (12, 2). La
contemplation, en effet, tend à créer en nous une
vision sapientielle de la réalité, conforme à Dieu,
et à former en nous « la pensée du Christ » (1 Co
2, 16). La Parole de Dieu se présente ici comme
un critère de discernement : « elle est vivante, (…)
énergique et plus coupante qu’une épée à deux
tranchants ; elle pénètre au plus profond de l’âme,
jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles ; elle juge
des intentions et des pensées du coeur » (He 4, 12).
Il est bon, ensuite, de rappeler que la Lectio divina
ne s’achève pas dans sa dynamique tant qu’elle ne
débouche pas dans l’action (actio), qui porte l’existence
croyante à se faire don pour les autres dans
la charité.
Ces étapes se trouvent synthétisées et résumées
de manière sublime dans la fi gure de la Mère
de Dieu, modèle pour tous les fi dèles de l’accueil
docile de la Parole divine. Elle « conservait avec soin
toutes ces choses, en les méditant dans son coeur » (Lc 2, 19 ;
cf. 2, 51), elle savait trouver le lien profond qui unit
les événements, les faits et les réalités, apparemment
disjoints, dans le grand dessein de Dieu.297
Je voudrais rappeler en outre ce qui a été recommandé
durant le Synode en ce qui concerne
l’importance de la lecture personnelle de l’Écriture,
aussi comme pratique pénitentielle, qui
prévoit la possibilité, selon les dispositions habituelles
de l’Église, d’acquérir l’indulgence, pour
297 Cf. Message fi nal, n. 9.
151
soi ou pour les défunts.298 La pratique de l’indulgence299
implique la doctrine des mérites infi nis
du Christ – que l’Église, comme Ministre de la
Rédemption, dispense et applique, mais implique
également celle de la communion des saints et
nous dit « combien nous sommes unis intimement
dans le Christ les uns avec les autres et combien
la vie surnaturelle de chacun peut bénéfi cier
aux autres ».300 Dans cette perspective, la lecture
de la Parole de Dieu nous soutient dans notre itinéraire
de pénitence et de conversion, nous permet
d’approfondir le sens de notre appartenance
ecclésiale et nous soutient dans une familiarité
plus grande avec Dieu. Comme l’affi rmait saint
Ambroise : lorsque nous prenons en main avec
foi les Écritures Saintes et les lisons avec l’Église,
l’homme revient se promener avec Dieu dans le
paradis.301
La Parole de Dieu et la prière mariale
88. Rappelant le lien indissociable entre la Parole
de Dieu et Marie de Nazareth, j’invite, en
298 « Plenaria indulgentia conceditur christifi deli qui Sacram
Scripturam, iuxta textum a competenti auctoritate adprobatum,
cum veneratione divino eloquio debita et ad modum lectionis
spritalis, per dimidiam saltem horam legerit ; si per minus
tempus id egerit indulgentia erit partialis » : PÉNITENCERIE APOSTOLIQUE,
Enchiridion Indulgentiarum (16 juillet 1999), Alie concessiones,
30, § 1.
299 Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1471-1479.
300 PAUL VI, Const. apost. Indulgentiarum doctrina (1 janvier
1967): AAS 59 (1967), 18-19.
301 Cf. Epistula 49, 3 : PL 16, 1204.
152
union avec les Pères synodaux, à promouvoir parmi
les fi dèles, surtout dans leur vie de famille, les
prières mariales comme une aide pour méditer les
saints Mystères racontés par l’Écriture. Un moyen
très utile est, par exemple, la récitation personnelle
ou communautaire du saint Rosaire,302 qui reprend
avec Marie les Mystères de la vie du Christ,303 que
le Pape Jean-Paul II a voulu enrichir avec les Mystères
lumineux.304 Il est opportun que l’énonciation
des différents Mystères soit accompagnée de
brefs passages de la Bible relatifs au Mystère annoncé,
afi n de favoriser la mémorisation de certaines
expressions signifi catives de l’Écriture relatives
aux Mystères de la vie du Christ.
Par ailleurs, le Synode a recommandé d’encourager
parmi les fi dèles la récitation de la prière
de l’Angelus Domini. Il s’agit d’une prière simple
et profonde qui, en union avec la Mère de Dieu,
nous permet de nous « remémorer chaque jour
le Mystère du Verbe incarné ».305 Il est opportun
que le Peuple de Dieu, les familles et les communautés
de personnes consacrées soient fi dèles
à cette prière mariale que la Tradition nous invite
à réciter à l’aurore, à midi et au coucher du
soleil. Dans la prière de l’Angelus Domini, nous
302 Cf. CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Directoire sur la piété populaire et la liturgie,
Principes et orientations (9 avril 2002), nn. 197-202. Ench. Vat. 20,
n. 2638-2643.
303 Cf. Proposition 55.
304 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. apost. Rosarium Virginis Mariae
(16 octobre 2002) : AAS 95 (2003), pp. 5-36.
305 Proposition 55.
153
demandons à Dieu, par l’intercession de Marie,
qu’il nous soit donné d’accomplir comme elle la
volonté de Dieu et d’accueillir en nous sa Parole.
Cette pratique peut nous aider à approfondir en
nous un authentique amour pour le Mystère de
l’Incarnation.
Diverses prières anciennes de l’Orient chrétien
qui, par leur référence à la Theotokos, à la Mère
de Dieu, retracent toute l’histoire du salut, méritent
d’être connues, appréciées et répandues aussi.
Nous pensons en particulier à l’Akathistos et à
la Paraklesis. Il s’agit d’hymnes de louange chantés
sous forme de litanies, imprégnés de la foi ecclésiale
et de références bibliques, qui aident les fi -
dèles à méditer avec Marie les Mystères du Christ.
En particulier, l’hymne sacré à la Mère de Dieu,
dit Akathistos – c’est-à-dire que l’on chante debout
–, représente l’une des expressions les plus
élevées de la piété mariale de la Tradition byzantine.
306 Prier en utilisant ces mots dilate l’âme et
la dispose à la paix qui vient d’en-haut, de Dieu, à
cette paix qui est le Christ lui-même, né de Marie
pour notre salut.
La Parole de Dieu et la Terre Sainte
89. En nous souvenant du Verbe de Dieu qui
se fait chair dans le sein de Marie de Nazareth,
306 Cf. CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE
DES SACREMENTS, Directoire sur la piété populaire et la liturgie,
Principes et orientations (9 avril 2002), n. 207 ; Ench. Vat. 20,
n. 2656-2657.
154
notre coeur se tourne, à présent, vers cette Terre
où s’est accompli le Mystère de notre Rédemption
et depuis laquelle la Parole de Dieu s’est répandue
jusqu’aux confi ns de la terre. En effet, par l’action
de l’Esprit Saint, le Verbe s’est incarné en un moment
précis et en un lieu déterminé, sur un coin de
terre aux confi ns de l’empire romain. C’est pourquoi,
plus nous voyons l’universalité et l’unicité de
la Personne du Christ, plus nous considérons avec
gratitude cette Terre où Jésus est né, a vécu et
s’est donné lui-même pour nous tous. Les pierres
sur lesquelles notre Rédempteur a marché demeurent
pour nous riches de souvenirs et continuent
à « crier » la Bonne Nouvelle. C’est pourquoi les
Pères synodaux ont rappelé l’heureuse expression
qui désigne la Terre Sainte, « le cinquième
Évangile ».307 Combien il est important qu’en ces
lieux se trouvent des communautés chrétiennes,
malgré les nombreuses diffi cultés ! Le Synode des
Évêques exprime sa profonde proximité à tous les
chrétiens qui vivent sur la Terre de Jésus, en témoignant
leur foi dans le Ressuscité. Là, les chrétiens
sont appelés à servir non seulement comme
« un phare de la foi pour l’Église universelle, mais
aussi comme un levain d’harmonie, de sagesse et
d’équilibre dans la vie d’une société qui, traditionnellement,
a été et continue d’être pluraliste, multiethnique
et multi-religieuse ».308
307 Cf. Proposition 51.
308 BENOÎT XVI, Homélie de la messe dans la Vallée de Josaphat,
Jérusalem (12 mai 2009) : AAS 101 (2009), p. 473, L’ORf, 19 mai
2009, p. 12.
155
La Terre Sainte reste encore aujourd’hui un
but de pèlerinage du Peuple chrétien, comme
démarche de prière et de pénitence, ainsi qu’en
témoignaient, déjà dans l’antiquité, des auteurs
comme saint Jérôme.309 Plus nous tournons notre
regard et notre coeur vers la Jérusalem terrestre,
plus s’embrasent en nous le désir de la Jérusalem
céleste, véritable but de tout pèlerinage, et la passion
pour que le nom de Jésus, en qui seul réside
le salut, soit reconnu par tous (cf. Ac 4, 12).
309 Cf. Epistula 108, 14 : CSEL 55, 324-325.

TROISIÈME PARTIE
VERBUM PRO MUNDO
« Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique,
qui est tourné vers le sein du Père,
lui l’a fait connaître »
( Jn 1,18)

159
LA MISSION DE L’ÉGLISE :
ANNONCER LA PAROLE DE DIEU
La Parole du Père et vers le Père
90. Saint Jean insiste sur le paradoxe fondamental
de la foi chrétienne : d’une part, il affi rme que
« Nul n’a jamais vu Dieu » (Jn 1, 18 ; 1 Jn 4, 12).
En aucune manière, nos images, nos concepts
ou nos mots ne peuvent défi nir ou mesurer la
réalité infi nie du Très-Haut. Il reste le Deus semper
maior. D’autre part, Jean affi rme que réellement
« le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Le Fils
unique qui est tourné vers le sein du Père, a révélé
le Dieu que « personne n’a jamais vu » (Jn 1, 18).
Jésus-Christ vient chez nous, « plein de grâce et
de vérité » (Jn 1, 14) qui à travers lui nous sont
données (Jn 1, 17) ; en effet, « tous nous avons eu
part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après
grâce » (Jn 1, 16). De cette manière, l’évangéliste
Jean, dans son Prologue, contemple le Verbe, de
son habitation en Dieu à son Incarnation, jusqu’à
son retour dans le sein du Père, emportant avec
lui notre humanité qu’il a assumée pour toujours.
Par cette sortie du Père et par ce retour à lui
(cf. Jn 13, 3 ; 16, 28 ; 17, 8.10), il se présente à nous
comme le ‘Narrateur’ de Dieu (cf. Jn 1, 18). Le
160
Fils, en effet, affi rme saint Irénée de Lyon, « est le
Révélateur du Père ».310 Jésus de Nazareth est, pour
ainsi dire, l’‘exégète’ de Dieu que « personne n’a jamais
vu ». « Il est l’image du Dieu invisible » (Col 1,
15). Ici, s’accomplit la prophétie d’Isaïe sur l’effi -
cacité de la Parole du Seigneur : comme la pluie et
la neige qui descendent des cieux pour irriguer et
faire germer la terre, ainsi la Parole de Dieu « ne me
reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je
veux, sans avoir accompli ma mission » (Is 55, 10s).
Jésus-Christ est cette Parole défi nitive et effi cace
qui est venue du Père et qui est retournée à Lui, en
réalisant parfaitement sa volonté dans le monde.
Annoncer au monde le « Logos » de l’espérance
91. Le Verbe de Dieu nous a communiqué la vie
divine qui transfi gure la face de la terre, faisant
toutes choses nouvelles (cf. Ap 21, 5). Sa Parole
fait de nous non seulement les destinataires de la
Révélation divine, mais aussi ses messagers. Lui,
l’envoyé du Père pour faire sa volonté (Jn 5, 36-
38 ; 6, 38-40 ; 7, 16-18), nous attire à lui-même par
sa vie et par sa mission. L’Esprit du Ressuscité
habilite ainsi notre vie à l’annonce effi cace de la
Parole dans le monde entier. C’est l’expérience
de la première communauté chrétienne qui voyait
la Parole se répandre grâce à la prédication et au
témoignage (cf. Ac 6, 7). Je voudrais ici me référer
particulièrement à la vie de l’Apôtre Paul, un
homme totalement saisi par le Seigneur (cf. Ph 3,
310 Adversus haereses, IV, XX, 20, 7 : SC 100, pp. 646-7.
161
12) – « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ
qui vit en moi » (Ga 2, 20) – et par sa mission :
« malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile »
(1 Co 9,16), conscient que tout ce qui est révélé
dans le Christ, est réellement le salut de tous les
Gentils, la libération de l’esclavage du péché pour
entrer dans la liberté des fi ls de Dieu.
En effet, ce que l’Église annonce au monde
est le Logos de l’espérance (cf. 1 P 3, 15) ; l’homme
a besoin de la ‘grande Espérance’ pour vivre
son présent, la grande Espérance qui est « Dieu
qui possède un visage humain et qui nous ‘aima
jusqu’à la fi n’ (Jn 13, 1) ».311 Pour cette raison,
l’Église est missionnaire dans son essence. Nous
ne pouvons pas garder pour nous-mêmes les paroles
de la vie éternelle, qui nous ont été données
dans la rencontre avec Jésus-Christ : elles sont
destinées à tous, à tout homme. Toute personne
de notre temps, qu’elle le sache ou non, a besoin
de cette annonce. Puisse le Seigneur lui-même,
comme au temps du prophète Amos, susciter
dans les hommes une faim et une soif nouvelles
des paroles du Seigneur (cf. Am 8, 11). Notre responsabilité
est de transmettre à notre tour ce que
nous avons reçu par grâce.
De la Parole de Dieu, vient la mission de l’Église
92. Le Synode des Évêques a insisté sur la nécessité
de redonner vigueur dans l’Église à la
311 BENOÎT XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007),
n. 31 : AAS, 99 (2007), p. 1010.
162
conscience missionnaire, présente au sein du
Peuple de Dieu depuis ses origines. Les premiers
Chrétiens ont considéré l’annonce missionnaire
comme une nécessité dérivant de la nature même
de la foi : ils croyaient en un Dieu qui était le Dieu
de tous, l’unique et vrai Dieu qui s’était révélé
dans l’histoire d’Israël et, fi nalement, en son Fils,
donnant ainsi la réponse qu’au fond d’eux-mêmes
tous les hommes attendent. Les premières communautés
chrétiennes ont compris que leur foi
n’appartenait pas à une tradition culturelle particulière
– distincte suivant les peuples –, mais au
domaine de la vérité, qui concerne de manière
égale tous les hommes.
C’est encore saint Paul qui, par sa vie, nous
éclaire sur le sens de la mission chrétienne et sur
son universalité originelle. Pensons à l’épisode des
Actes des Apôtres sur l’Aréopage d’Athènes (cf. 17,
16-34). L’Apôtre des Gentils entre en dialogue
avec des hommes de cultures diverses, en étant
conscient que le Mystère de Dieu, Connu-Inconnu,
dont chaque homme a la perception, quoique
confuse, s’est réellement révélé dans l’histoire : « ce
que vous vénérez sans le connaître, voilà ce que, moi, je viens
vous annoncer » (Ac 17, 23). En effet, la nouveauté
de l’annonce chrétienne est la possibilité de dire
à tous les peuples : « Il s’est montré, lui personnellement.
Et à présent, le chemin qui mène à lui
est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne
ne réside pas dans une pensée, mais dans un fait :
Dieu s’est révélé ».312
312 BENOÎT XVI, Discours aux hommes de culture au Collège des
Bernardins de Paris (12 septembre 2008) : AAS 100 (2008), p. 730.
163
La Parole et le Règne de Dieu
93. Par conséquent, la mission de l’Église ne
peut être considérée comme une réalité facultative
ou optionnelle de la vie ecclésiale. Il s’agit de laisser
l’Esprit Saint nous confi gurer au Christ même,
en participant ainsi à sa mission : « de même que
le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie »
(Jn 20, 21), de manière à communiquer la Parole
par toute notre vie. La Parole elle-même, nous envoie
vers nos frères : c’est la Parole qui illumine,
purifi e et convertit ; nous ne sommes, nous, que
des serviteurs.
Il est nécessaire donc, de redécouvrir toujours
davantage l’urgence et la beauté d’annoncer
la Parole, en vue de l’avènement du Règne de
Dieu prêché par le Christ lui-même. En ce sens,
renouvelons en nous la conscience, combien familière
chez les Pères de l’Église, que l’annonce
de la Parole a comme contenu le Règne de Dieu
(cf. Mc 1, 14-15), qui est la personne même de Jésus
(l’Autobasileia) comme le rappelle bien Origène.313
Le Seigneur offre le salut à tous les hommes de
toute époque. Nous comprenons tous combien
il est nécessaire que la lumière du Christ illumine
tous les domaines de l’humanité : la famille,
l’école, la culture, le travail, le temps libre et les
autres secteurs de la vie sociale.314 Il ne s’agit pas
313 Cf. In Evangelium secundum Mattheum 17, 7 : PG 13,
1197B ; Hom in Lc 36 : PL 26,324; S. JÉRÔME : Translatio homiliarum
Origenis in Lucam, 36 : PL 26, 324-325.
314 Cf. BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de l’ouverture
de la XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques
(5 octobre 2008) : AAS 100 (2008), p. 757 : La DC n. 2411, p. 948.
164
d’annoncer une parole de consolation, mais une
parole de rupture qui invite à la conversion, qui
rend possible la rencontre avec Dieu, germe d’une
humanité nouvelle.
Tous les baptisés responsables de l’annonce
94. Puisque tout le Peuple de Dieu est un peuple
« envoyé », le Synode a réaffi rmé que « la mission
d’annoncer la Parole de Dieu est le devoir de tous
les disciples de Jésus-Christ, comme conséquence
de leur Baptême ».315 Aucun croyant dans le Christ
ne peut se sentir étranger à cette responsabilité
qui provient de l’appartenance sacramentelle au
Corps du Christ. Cette conscience doit être réveillée
dans chaque famille, paroisse, communauté,
association et mouvement ecclésial. L’Église,
comme Mystère de communion, est donc tout
entière missionnaire et chacun, selon son état de
vie, est appelé à donner une contribution décidée
à l’annonce chrétienne.
Les Évêques et les prêtres, selon la mission qui
est la leur, sont appelés les premiers à une existence
liée par le service de la Parole, à annoncer
l’Évangile, à célébrer les Sacrements et à former
les fi dèles dans la connaissance authentique des
Écritures. Les diacres sont aussi appelés à collaborer,
selon la mission qui leur est propre, à cette
oeuvre d’Évangélisation.
La Vie consacrée brille dans toute l’histoire de
l’Église par la capacité d’assumer explicitement
315 Proposition 38.
165
la tâche de l’annonce et de la prédication de la
Parole de Dieu, dans la mission ad gentes et dans
les situations les plus diffi ciles. Attentive aussi
aux nouvelles conditions de l’Évangélisation, elle
ouvre avec courage et audace de nouvelles voies
et relève de nouveaux défi s pour l’annonce effi -
cace de la Parole de Dieu.316
Les laïcs sont appelés à exercer leur mission
prophétique, qui découle directement de leur
Baptême, et à témoigner de l’Évangile dans la
vie quotidienne partout où ils se trouvent. À ce
propos, les Pères synodaux ont exprimé « la plus
vive estime, la reconnaissance et les encouragements
pour le service de l’Évangélisation que
tant de laïcs, en particulier les femmes, offrent
avec générosité et esprit d’engagement, dans les
communautés dispersées à travers le monde, à
l’exemple de Marie-Madeleine, premier témoin de
la joie pascale ».317 En outre, le Synode reconnaît
avec gratitude que les mouvements ecclésiaux et
les communautés nouvelles sont, dans l’Église,
une grande force pour l’Évangélisation en notre
temps, poussant l’Église à développer de nouvelles
formes d’annonce de l’Évangile.318
316 Cf. CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE
ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE, Repartir du Christ : un
engagement renouvelé de la Vie Consacrée pour le 3ème millénaire, n. 36 :
Ench. Vat. 21, n. 488-491.
317 Proposition 30.
318 Cf. Proposition 38.
166
La nécessité de la « missio ad gentes »
95. En exhortant tous les fi dèles à l’annonce
de la Parole divine, les Pères synodaux ont réaffi
rmé la nécessité pour notre temps d’un engagement
décidé dans la « missio ad gentes » En aucune
façon, l’Église ne peut se limiter à une pastorale
de l’« entretien » en faveur de ceux qui connaissent
déjà l’Évangile du Christ. L’élan missionnaire est
un signe clair de la maturité d’une communauté
ecclésiale. Les Pères ont, en outre, exprimé avec
force la conscience que la Parole de Dieu est la
vérité salvatrice dont chaque homme a besoin en
tout temps. À cette fi n, l’annonce doit être explicite.
L’Église doit aller vers tous avec la force de
l’Esprit (cf. 1 Co 2, 5), et continuer de manière
prophétique à défendre le droit des personnes à la
liberté d’entendre la Parole de Dieu, en cherchant
les moyens les plus effi caces pour la proclamer,
même au risque de la persécution.319 L’Église se
sent débitrice envers tous de l’annonce de la Parole
qui sauve (cf. Rm 1, 14).
Annonce et Nouvelle Évangélisation
96. Le Pape Jean-Paul II, dans le sillage de ce
que le Pape Paul VI avait déjà exprimé dans l’Exhortation
apostolique Evangelii nuntiandi, a rappelé
de bien des façons aux fi dèles la nécessité d’une
nouvelle saison missionnaire pour tout le Peuple
319 Cf. Proposition 49.
167
de Dieu.320 À l’aube du troisième millénaire, non
seulement tant de peuples ne connaissent pas encore
la Bonne Nouvelle, mais tant de Chrétiens
ont besoin que leur soit ré-annoncée de façon
persuasive la Parole de Dieu, afi n qu’ils puissent
expérimenter concrètement la force de l’Évangile.
Beaucoup de frères sont « baptisés mais pas suffi
samment évangélisés ».321 Souvent des nations,
auparavant riches de foi et de vocations, perdent
leur propre identité sous l’infl uence d’une culture
sécularisée.322 L’exigence d’une Nouvelle Évangélisation,
ressentie avec tant de force par mon
vénérable Prédécesseur, doit être réaffi rmée sans
peur, dans la certitude de l’effi cacité de la Parole
divine. L’Église, sûre de la fi délité de son Seigneur,
ne se lasse pas d’annoncer la Bonne Nouvelle de
l’Évangile et invite tous les Chrétiens à redécouvrir
combien il est beau de marcher à la suite du
Christ.
Parole de Dieu et témoignage chrétien
97. Les horizons immenses de la mission ecclésiale,
la complexité de la situation présente
320 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Redemptoris missio (7 décembre
1990) : AAS 83 (1991), pp. 149-340 ; et ID., Lett. apost.
Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. 40 : AAS 93 (2001),
pp. 294-295.
321 Proposition 38.
322 Cf. BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de l’ouverture de
la XIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques
(5 octobre 2008) : AAS 100 (2008), pp. 753-757 ; L’ORf, 7 octobre
2008, pp. 1 et 9.
168
demandent aujourd’hui des modalités nouvelles
pour communiquer de façon effi cace la Parole de
Dieu. L’Esprit Saint, premier agent de toute Évangélisation,
ne manquera jamais de guider l’Église
du Christ dans cette action. Il est important toutefois
que chaque forme d’annonce soit structurée
par la relation intrinsèque entre communication de la
Parole de Dieu et témoignage chrétien. De cela dépend
la crédibilité même de l’annonce. D’une part, la
Parole est nécessaire pour communiquer ce que
le Seigneur lui-même nous a dit ; d’autre part, il
est indispensable de donner crédibilité à cette Parole
par le témoignage afi n qu’elle n’apparaisse
pas comme une belle philosophie ou une utopie,
mais plutôt comme une réalité que l’on peut vivre
et qui fait vivre. Cette réciprocité entre Parole et
témoignage rappelle la manière par laquelle Dieu
lui-même s’est communiqué dans l’Incarnation de
son Verbe. La Parole de Dieu rejoint les hommes
« à travers la rencontre avec des témoins qui la
rendent présente et vivante ».323 En particulier, les
nouvelles générations ont besoin d’être initiées à
la Parole de Dieu « à travers la rencontre et le témoignage
authentique de l’adulte, l’infl uence positive
des amis et la grande compagnie de la communauté
ecclésiale ».324
Il y a un rapport étroit entre le témoignage
de l’Écriture, comme attestation que la Parole de
Dieu donne d’elle-même, et le témoignage de vie
323 Proposition 38.
324 Message fi nal, n. 12.
169
des croyants. L’un implique l’autre et y conduit.
Le témoignage chrétien communique la Parole
attestée dans les Écritures. Les Écritures, à leur
tour, expliquent le témoignage que les Chrétiens
sont appelés à donner dans leur propre vie. Ceux
qui rencontrent des témoins crédibles de l’Évangile
sont ainsi amenés à constater l’effi cacité de la
Parole de Dieu en ceux qui l’accueillent.
98. Dans ce va-et-vient entre le témoignage et
la Parole, nous comprenons l’affi rmation du Pape
Paul VI dans l’Exhortation apostolique Evangelii
nuntiandi. Notre responsabilité ne se limite pas à
proposer au monde des valeurs communes ; il
faut arriver à l’annonce explicite de la Parole de
Dieu. C’est seulement ainsi que nous serons fi -
dèles à la mission du Christ : « La Bonne Nouvelle,
proclamée par le témoignage de la vie, devra donc
être tôt ou tard proclamée par la Parole de vie. Il
n’y a pas d’Évangélisation vraie si le nom, l’enseignement,
la vie, les promesses, le Règne, le Mystère
de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, ne sont
pas annoncés ».325
Le fait que l’annonce de la Parole de Dieu
demande le témoignage de la vie personnelle est
bien présent dans la conscience chrétienne depuis
l’origine. Le Christ lui-même est le témoin fi dèle
et vrai (cf. Ap 1, 5 ; 3, 14), témoin de la vérité
(cf. Jn 18, 37). Je voudrais ici me faire le porteparole
des innombrables témoignages que nous
325 PAUL VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre
1975), n. 22: AAS 68 (1976), p. 20.
170
avons eu la grâce d’entendre durant l’Assemblée
synodale. Nous avons été profondément touchés
par les récits de ceux qui ont su vivre leur foi et
donner un témoignage lumineux de l’Évangile y
compris sous des régimes hostiles au Christianisme
ou dans des situations de persécution.
Tout ceci ne doit pas nous faire peur. Jésus a
dit lui-même à ses disciples « Le serviteur n’est pas
plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté,
on vous persécutera, vous aussi » (Jn 15, 20). Je
désire donc élever vers Dieu avec toute l’Église
un hymne de louange pour le témoignage de tant
de frères et soeurs qui, encore à notre époque,
ont donné leur vie pour communiquer la vérité
de l’amour de Dieu révélé dans le Christ crucifi é
et ressuscité. J’exprime également la gratitude de
toute l’Église aux Chrétiens qui ne capitulent pas
devant les obstacles et les persécutions à cause de
l’Évangile. En même temps, nous nous tournons
avec une affection profonde et solidaire vers les fi -
dèles de toutes ces communautés chrétiennes, en
Asie et en Afrique en particulier, qui, aujourd’hui,
risquent leur vie ou la marginalisation sociale à
cause de la foi. Nous voyons ainsi réalisé l’esprit
des Béatitudes de l’Évangile pour ceux qui sont
persécutés à cause du Seigneur Jésus (cf. Mt 5, 11).
En même temps, nous ne cessons pas d’élever
notre voix pour que les gouvernants des nations
garantissent à tous la liberté de conscience et de
religion, tout comme celle de pouvoir témoigner
publiquement de sa propre foi.326
326 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Déclaration sur la liberté
religieuse Dignitatis humanae, nn. 2.7.
171
PAROLE DE DIEU ET ENGAGEMENT DANS LE MONDE
Servir Jésus dans ces « petits qui sont ses frères »
(cf. Mt 25, 40)
99. La Parole divine éclaire l’existence humaine
et appelle la conscience de chacun à revoir en profondeur
sa propre vie, car toute l’histoire de l’humanité
est soumise au jugement de Dieu : « Quand
le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous
les anges avec lui, alors il siégera sur son trône
de gloire. Toutes les nations seront rassemblées
devant lui » (Mt 25, 31-32). À notre époque, nous
considérons souvent, de manière superfi cielle, la
valeur de l’instant qui passe, comme s’il était sans
importance pour l’avenir. Au contraire, l’Évangile
nous rappelle que chaque instant de notre existence
est important et doit être vécu avec intensité,
sachant que chacun devra rendre compte de sa
propre vie. Au chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu,
le Fils de l’Homme juge comme fait ou comme
n’étant pas fait envers lui, ce que nous aurons
fait ou n’aurons pas fait à un seul de ces « petits
qui sont mes frères » (25, 40.45) : « J’avais faim, et
vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous
m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous
m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison,
et vous êtes venus jusqu’à moi » (25, 35-36).
C’est donc la Parole de Dieu elle-même qui nous
rappelle la nécessité de notre engagement dans
le monde et notre responsabilité face au Christ,
Seigneur de l’Histoire. En annonçant l’Évangile,
172
encourageons-nous les uns les autres à accomplir
le bien et à agir pour la justice, la réconciliation et
la paix.
La Parole de Dieu et l’engagement dans la société en faveur
de la justice
100. La Parole de Dieu pousse l’homme à des
relations animées par la droiture et par la justice ;
elle atteste la valeur précieuse, face à Dieu, de tous
les efforts de l’homme pour rendre le monde plus
juste et plus habitable.327 C’est la Parole de Dieu
elle-même qui dénonce sans ambiguïté les injustices
et qui promeut la solidarité et l’égalité.328 À
la lumière des paroles du Seigneur, reconnaissons
donc « les signes des temps » présents dans l’histoire,
ne refusons pas de nous engager en faveur de
ceux qui souffrent et sont victimes de l’égoïsme.
Le Synode a rappelé que s’engager pour la justice
et la transformation du monde est une exigence
constitutive de l’Évangélisation. Comme le disait
le Pape Paul VI, il s’agit « d’atteindre et comme de
bouleverser par la force de l’Évangile les critères
de jugement, les valeurs déterminantes, les points
d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices
et les modèles de vie de l’humanité, qui sont
en opposition avec la Parole de Dieu et le dessein
du salut ».329
327 Cf. Proposition 39.
328 Cf. BENOÎT XVI, Message pour la Journée Mondiale de la
Paix 2009 ; L’ORf, 16 décembre 2008, pp. 3-4.
329 Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975),
n. 19 : AAS 68 (1976), p. 18.
173
Dans ce but, les Pères synodaux ont eu une
pensée particulière pour ceux qui sont engagés
dans la vie politique et sociale. L’Évangélisation
et la diffusion de la Parole de Dieu doivent inspirer
leur action dans le monde à la recherche du
véritable bien de tous, dans le respect et dans la
promotion de la dignité de toutes les personnes.
Certes, l’Église n’a pas directement pour mission
de créer une société plus juste, même s’il lui revient
le droit et le devoir d’intervenir sur les questions
éthiques et morales qui concernent le bien
des personnes et des peuples. C’est surtout les
fi dèles laïcs, formés à l’école de l’Évangile, qui
ont la tâche d’intervenir directement dans l’action
sociale et politique. C’est pourquoi le Synode
recommande de promouvoir une formation adéquate
selon les principes de la Doctrine sociale de
l’Église.330
101. De plus, je désire attirer à nouveau l’attention
de tous sur l’importance de défendre et de
promouvoir les droits humains de toutes les personnes,
fondés sur la loi naturelle inscrite dans le coeur de
l’homme et qui, comme tels, sont « universels, inviolables,
inaliénables ».331 L’Église souhaite qu’à
travers l’affi rmation de ces droits, la dignité humaine
soit plus effi cacement reconnue et universellement
promue,332 comme un trait imprimé par
330 Cf. Proposition 39.
331 JEAN XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963),
n. 1 : AAS 55 (1963), p. 259.
332 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991),
174
Dieu créateur sur sa créature que Jésus-Christ a
pris sur lui et rachetée par son Incarnation, sa
mort et sa Résurrection. C’est pourquoi la diffusion
de la Parole de Dieu ne peut que renforcer
l’affi rmation et le respect des droits humains de
toutes les personnes.333
L’annonce de la Parole de Dieu, la réconciliation et la paix
entre les peuples
102. Parmi les nombreux chantiers où s’engager,
le Synode a vivement recommandé la promotion
de la réconciliation et de la paix. Dans le contexte
actuel, il est plus que jamais nécessaire de redécouvrir
la Parole de Dieu comme source de réconciliation
et de paix car, par elle, Dieu réconcilie
toutes choses en lui (cf. 2 Co 5, 18-20 ; Ep 1, 10) :
le Christ « est notre paix » (Ep 2, 14), c’est lui qui
abat les murs de séparation. Au Synode, de nombreux
témoignages ont évoqué les confl its, graves
et sanglants, et les tensions présents sur notre planète.
Parfois ces hostilités semblent se présenter
sous l’aspect d’un confl it interreligieux. Encore
une fois, je désire répéter que la religion ne peut
jamais justifi er les intolérances ou les guerres. On
ne peut pas utiliser la violence au nom de Dieu !334
Toutes les religions devraient inciter à un usage
n. 47 : AAS 83 (1991), pp. 851-852 ; ID., Discours à l’Assemblée
générale des Nations Unies (2 octobre 1979), n. 13 : AAS 71 (1979),
pp. 1152-1153.
333 Cf. Abrégé de la doctrine sociale de l’Église, nn. 152-159.
334 Cf. BENOÎT XVI, Message pour la célébration de la Journée
mondiale de la Paix 2007 : ORf 19-26 décembre 2006, p. 3.
175
correct de la raison et promouvoir des valeurs
éthiques qui construisent la coexistence civile.
Fidèles à l’oeuvre de réconciliation accomplie
par Dieu en Jésus-Christ, crucifi é et ressuscité, les
Catholiques et tous les hommes de bonne volonté
doivent s’engager à donner des exemples de réconciliation
pour construire une société juste et pacifi
ée.335 N’oublions jamais que « là où les paroles
humaines deviennent impuissantes, car domine le
fracas tragique de la violence et des armes, la force
prophétique de la Parole de Dieu est présente et
nous répète que la paix est possible, et que nous
devons être des instruments de réconciliation et
de paix ».336
La Parole de Dieu et la charité agissante
103. L’engagement pour la justice, la réconciliation
et la paix trouve sa racine ultime et son accomplissement
dans l’amour qui nous a été révélé
dans le Christ. En écoutant les témoignages présentés
au Synode, nous sommes devenus plus attentifs
au lien qui existe entre l’écoute bienveillante
de la Parole de Dieu et le service désintéressé des
frères ; tous les croyants doivent comprendre la
nécessité « de traduire en gestes d’amour la parole
écoutée, car ainsi seulement l’annonce de l’Évangile
devient crédible, malgré les fragilités hu-
335 Cf. Proposition 8.
336 BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de la clôture de la
Semaine de prière pour l’unité des Chrétiens à Saint-Paul-horsles-
Murs (25 janvier 2009) : L’ORf, 27 janvier 2009, p. 24.
176
maines qui marquent les personnes ».337 Jésus est
passé en ce monde en faisant le bien (cf. Ac 10,
38). La Parole de Dieu écoutée avec disponibilité
dans l’Église, éveille « la charité et la justice envers
tous, surtout envers les pauvres ».338 Il ne faut jamais
oublier que « l’amour – caritas – sera toujours
nécessaire, même dans la société la plus juste [...].
Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare
à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme ».339
J’encourage donc tous les fi dèles à méditer fréquemment
l’hymne à la charité que l’Apôtre Paul
a écrit, et à se laisser inspirer par lui : « L’amour
prend patience ; l’amour rend service ; l’amour
ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfl e
pas d’orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne
cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il
n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de
ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui
est vrai ; il supporte tout, il fait confi ance en tout,
il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera
jamais » (1 Co 13, 4-8).
L’amour du prochain, enraciné dans l’amour
de Dieu, implique donc que nous soyons constamment
engagés en tant que personnes et en tant
que communauté ecclésiale, locale et universelle.
Saint Augustin affi rme : « Il est fondamental de
337 Id. Homélie à l’occasion de la clôture de la XIIe Assemblée
générale ordinaire du Synode des Évêques (26 octobre
2008) : AAS 100 (2008), p. 779 ; L’ORf, 28 octobre 2008, p. 3.
338 Proposition 11.
339 BENOÎT XVI, Lett. enc. Deux caritas est (25 décembre
2005), n. 28 : AAS 98 (2006), p. 240.
177
comprendre que la plénitude de la Loi, comme
de toutes les Écritures divines, c’est l’amour […].
Par conséquent, ceux qui croient avoir compris
les Écritures, ou au moins une partie quelconque
de celles-ci, sans s’engager à construire, à travers
leur intelligence, ce double amour de Dieu et du
prochain, démontrent qu’ils ne les ont pas encore
comprises ».340
L’annonce de la Parole de Dieu et les jeunes
104. Le Synode a réservé une attention particulière
à l’annonce de la Parole divine aux nouvelles
générations. Les jeunes sont dès à présent des
membres actifs de l’Église et ils en représentent
l’avenir. En eux, nous trouvons souvent une ouverture
spontanée à l’écoute de la Parole de Dieu
et un désir sincère de connaître Jésus. C’est durant la
période de la jeunesse, en effet, qu’émergent de façon
irrépressible et sincère les questions sur le sens
de la vie personnelle et sur l’orientation à donner
à sa propre existence. Seul Dieu sait apporter une
véritable réponse à ces questions. Cette attention
au monde des jeunes implique le courage d’une
annonce claire ; nous devons aider les jeunes à acquérir
une intimité et une familiarité avec la Sainte
Écriture, pour qu’elle soit comme une boussole
qui leur indique la route à suivre.341 C’est pourquoi
ils ont besoin de témoins et de maîtres, qui
340 De doctrina christiana, I, XXXVI, 40 : PL 34, 34.
341 Cf. BENOÎT XVI, Message pour la XXIe Journée Mondiale
de la Jeunesse 2006 : AAS 98 (2006), pp. 282-286 ; La DC n. 2355,
pp. 307-309.
178
marchent avec eux et qui les forment à aimer et
à communiquer à leur tour l’Évangile surtout aux
jeunes de leur âge, devenant ainsi eux-mêmes des
annonciateurs authentiques et crédibles.342
Il faut que la Parole divine soit aussi présentée
dans ses implications vocationnelles afi n
qu’elle aide et oriente les jeunes dans leurs choix
de vie, y compris vers la consécration totale.343
D’authentiques vocations à la Vie consacrée et
au sacerdoce trouvent un terrain propice dans le
contact régulier avec la Parole de Dieu. Je répète
encore aujourd’hui l’invitation, faite au début de
mon pontifi cat, à ouvrir les portes au Christ : « Celui
qui fait entrer le Christ, ne perd rien, rien –
absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle
et grande. Non ! Dans cette amitié seulement,
s’ouvrent largement les portes de la vie. Dans
cette amitié seulement, se libèrent réellement les
grandes potentialités de la condition humaine.
[…] Chers jeunes : n’ayez pas peur du Christ ! Il
n’enlève rien, et il donne tout. Celui qui se donne
à lui, reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout
grand les portes au Christ – et vous trouverez la
vraie vie ».344
L’annonce de la Parole de Dieu et les migrants
105. La Parole de Dieu nous rend attentifs à
l’histoire et à tout ce qui naît en elle de nouveau.
342 Cf. Proposition 34.
343 Cf. Ibidem.
344 BENOÎT XVI, Homélie pour la messe inaugurale du Pontifi cat
(24 avril 2005) : AAS 97 (2005), p. 712 ; La DC n. 2337, p. 549.
179
C’est pourquoi le Synode, au sujet de la mission
évangélisatrice de l’Église, a voulu aussi porter
son attention sur le phénomène complexe des
mouvements migratoires, qui ont pris ces dernières
années des proportions inédites. Surgissent
ici des questions très délicates au sujet de la sécurité
des nations et de l’accueil à réserver à ceux qui
cherchent un refuge, de meilleures conditions de
vie, la santé et un travail. De très nombreuses personnes,
qui ne connaissent pas le Christ ou qui en
ont une image erronée, s’installent dans des pays
de tradition chrétienne. Dans le même temps, des
personnes appartenant à des peuples profondément
imprégnés par la foi chrétienne émigrent
vers des pays où l’annonce du Christ et une Nouvelle
Évangélisation sont nécessaires. Ces situations
offrent de nouvelles possibilités pour la diffusion
de la Parole de Dieu. À ce propos, les Pères
synodaux ont affi rmé que les migrants ont le droit
d’entendre le kérygme, qui leur est proposé et non
imposé. S’ils sont chrétiens, ils ont besoin d’une
assistance pastorale adéquate pour renforcer
leur foi et être eux-mêmes porteurs de l’annonce
évangélique. Conscients de la complexité du phénomène,
il est nécessaire que tous les diocèses intéressés
se mobilisent afi n que les mouvements
migratoires soient aussi considérés comme une
occasion de découvrir de nouvelles modalités de
présence et d’annonce. Ils doivent pourvoir, selon
leurs possibilités, à une animation et à un accueil
adaptés de ces frères, pour que touchés par
la Bonne Nouvelle, ils deviennent eux-mêmes des
180
messagers de la Parole de Dieu et des témoins de
Jésus Ressuscité, espérance du monde.345
L’annonce de la Parole de Dieu et les personnes qui souffrent
106. Durant les travaux synodaux, l’attention
des Pères s’est souvent portée sur la nécessité
d’annoncer la Parole de Dieu à tous ceux qui se
trouvent également dans un état de souffrance
physique, psychique ou spirituelle. En effet, c’est
lorsqu’il connaît la douleur que naissent de manière
plus aiguë dans le coeur de l’homme les questions
ultimes sur le sens de sa propre vie. Si la parole de
l’homme semble devenir muette devant le Mystère
du mal et de la souffrance et si notre société
semble n’accorder de valeur à l’existence que si
elle correspond à certains niveaux d’effi cacité et
de bien-être, la Parole nous révèle que ces circonstances
sont aussi mystérieusement « embrassées
» par la tendresse de Dieu. La foi, qui naît
de la rencontre avec la Parole divine, nous aide
à considérer la vie humaine comme digne d’être pleinement
vécue même lorsqu’elle est brisée par le mal. Dieu
a créé l’homme pour le bonheur et pour la vie,
tandis que la maladie et la mort sont entrées dans
le monde comme conséquence du péché (cf. Sg 2,
23-24). Mais le Père de la vie est le médecin par
excellence de l’homme et il ne cesse de se pencher
avec tendresse sur l’humanité souffrante. Nous
contemplons le sommet de la proximité de Dieu
345 Cf. Proposition 38.
181
avec la souffrance de l’homme en Jésus lui-même
qui est la « Parole incarnée. Il a souffert avec nous
et il est mort. Par sa passion et sa mort, il a assumé
en lui et a transformé jusqu’au bout notre
faiblesse ».346
La proximité de Jésus à l’égard des personnes qui
souffrent ne s’est pas interrompue : elle se prolonge
dans le temps grâce à l’action de l’Esprit Saint
dans la mission de l’Église, dans la Parole et dans
les Sacrements, dans les hommes de bonne volonté,
dans les activités d’assistance que les communautés
promeuvent dans la charité fraternelle, en
dévoilant ainsi le vrai visage de Dieu et son amour.
Le Synode rend grâce à Dieu pour le témoignage
lumineux, et souvent caché, de nombreux Chrétiens
– prêtres, religieux et laïcs – qui ont prêté
et continuent de prêter leurs mains, leurs yeux et
leur coeur au Christ, véritable médecin des corps
et des âmes ! Il exhorte encore à continuer à avoir
soin des personnes malades en leur apportant la
présence vivifi ante du Seigneur Jésus, dans la Parole
et dans l’Eucharistie. Qu’elles soient aidées à
lire l’Écriture et à découvrir que, dans leur condition,
elles peuvent participer d’une façon particulière
aux souffrances rédemptrices du Christ pour
le salut du monde (cf. 2 Co 4, 8-11. 14) !347
346 Cf. BENOÎT XVI, Homélie à l’occasion de la XVIIe Journée
Mondiale des Malades (11 février 2009) : L’ORf, 10 février
2009, p. 4.
347 Cf. Proposition 35.
182
L’annonce de la Parole de Dieu et les pauvres
107. La Sainte Écriture révèle la prédilection de
Dieu pour les pauvres et les nécessiteux (cf. Mt
25, 31-46). Souvent, les Pères synodaux ont rappelé
la nécessité que l’annonce évangélique, l’engagement
des Pasteurs et des communautés soient
orientés vers ces frères. En effet, « les premiers à
avoir droit à l’annonce de l’Évangile sont précisément
les pauvres, qui ont besoin non seulement de
pain, mais aussi de paroles de vie ».348 La diaconie
de l’amour, qui ne doit jamais faire défaut dans nos
Églises, doit toujours être unie à l’annonce de la
Parole et à la célébration des saints Mystères.349 En
même temps, il faut reconnaître et valoriser le fait
que les pauvres eux-mêmes sont aussi des agents
d’Évangélisation. Dans la Bible, le véritable pauvre
est celui qui s’en remet totalement à Dieu et Jésus
lui-même ,dans l’Évangile, appelle bienheureux
ceux à qui « appartient le Royaume des Cieux »
(Mt 5, 3; cf. Lc 6, 20 ). Le Seigneur exalte la simplicité
de coeur de celui qui reconnaît en Dieu sa vraie
richesse, qui met en lui, et non dans les biens de ce
monde, son espérance. L’Église ne peut décevoir
les pauvres : « Les Pasteurs sont appelés à les écouter,
à apprendre d’eux, à les guider dans leur foi et
à les motiver pour qu’ils soient des artisans de leur
propre histoire ».350
348 Proposition 11.
349 Cf. BENOÎT XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 25 : AAS 98 (2006), pp. 236-237.
350 Proposition 11.
183
L’Église sait aussi qu’il existe une pauvreté qui
est vertu, à cultiver et à choisir librement, comme
l’ont fait de nombreux saints, et qu’il existe une misère
qui est souvent le résultat d’injustices, qui est
provoquée par l’égoïsme, qui a pour symptôme
l’indigence et la faim et qui alimente les confl its.
Quand l’Église annonce la Parole de Dieu, elle sait
qu’il faut favoriser un « cercle vertueux » entre la
pauvreté « à choisir » et la pauvreté « à combattre »,
redécouvrant « la sobriété et la solidarité, comme
valeurs évangéliques et, en même temps, universelles[…]
Ce qui comporte des choix de justice et
de sobriété ».351
La Parole de Dieu et la sauvegarde de la création
108. L’engagement dans le monde, que requiert
la Parole divine, nous pousse à regarder avec des
yeux nouveaux le cosmos tout entier, créé par
Dieu et qui porte déjà en lui les traces du Verbe,
par lequel tout a été fait (cf. Jn 1, 2). En effet,
nous avons aussi, comme Chrétiens et messagers
de l’Évangile une responsabilité vis-à-vis
de la création. Si, d’un côté, la Révélation nous
fait connaître le dessein de Dieu sur le cosmos,
de l’autre, elle nous amène aussi à dénoncer les
attitudes erronées de l’homme, quand il ne reconnaît
pas toutes les choses comme l’empreinte du
Créateur, mais comme une simple matière à manipuler
sans scrupules. De cette manière, l’homme
351 BENOÎT XVI, Homélie (1er janvier 2009) : L’ORf, 6 janvier
2009, p. 12.
184
manque de l’humilité essentielle qui lui permet de
reconnaître la création comme un don de Dieu
qu’il doit accueillir et utiliser selon son dessein. Au
contraire, l’arrogance de l’homme qui vit ‘comme
si Dieu n’existait pas’, le porte à exploiter et à défi -
gurer la nature, en ne reconnaissant pas en elle une
oeuvre de la Parole créatrice. À partir de cette vision
théologique, je désire répéter les affi rmations
des Pères synodaux, qui ont rappelé « qu’accueillir
la Parole de Dieu témoignée dans l’Écriture Sainte
et dans la Tradition vivante de l’Église, engendre
une nouvelle manière de voir les choses, en promouvant
une authentique écologie, qui plonge sa
racine la plus profonde dans l’obéissance de la foi
[…], en développant une sensibilité théologique
renouvelée à la bonté de toutes les choses créées
dans le Christ ».352 L’homme a besoin d’être à nouveau
éduqué à l’émerveillement et à reconnaître
la beauté authentique qui se manifeste dans les
choses créées.353
LA PAROLE DE DIEU ET LA CULTURE
La valeur de la culture pour la vie de l’homme
109. L’annonce johannique concernant l’Incarnation
du Verbe révèle le lien indissoluble qui
existe entre la Parole divine et les paroles humaines,
à travers lesquelles elle se communique à nous.
352 Proposition 54.
353 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 92 : AAS 99 (2007), pp. 176-
177.
185
C’est à partir de cette considération que le Synode
des Évêques s’est arrêté sur le rapport entre la Parole
de Dieu et la culture. En effet, Dieu ne se
révèle pas à l’homme de façon abstraite, mais en
assumant des langages, des images et des expressions
liés aux différentes cultures. Il s’agit d’un
rapport fécond amplement attesté dans l’histoire
de l’Église. Aujourd’hui, ce rapport entre dans
une nouvelle phase due à l’extension et à l’enracinement
de l’Évangélisation au sein des différentes
cultures et aux développements les plus récents
de la culture occidentale. Ceci implique avant tout
la reconnaissance de l’importance de la culture
comme telle dans la vie de tout homme. Le phénomène
de la culture dans ses multiples aspects se
présente, en effet, comme un élément constitutif
de l’expérience humaine : « L’homme vit toujours
selon une culture qui lui est propre, et qui, à son
tour, crée entre les hommes un lien qui leur est
propre lui aussi, en déterminant le caractère interhumain
et social de l’existence humaine ».354
La Parole de Dieu a inspiré tout au long des
siècles les différentes cultures en engendrant des
valeurs morales fondamentales, des expressions
artistiques de choix et des styles de vie exemplaires.
355 C’est pourquoi, dans la perspective
d’une rencontre renouvelée entre la Bible et les
cultures, je voudrais répéter à tous les acteurs
du monde culturel qu’ils n’ont pas à craindre de
354 JEAN-PAUL II, Discours à l’UNESCO (2 juin 1980), n. 6 :
AAS 72 (1980), p. 738 ; La DC, n. 1788, p. 604.
355 Cf. Proposition 41.
186
s’ouvrir à la Parole de Dieu, qui ne détruit jamais
la vraie culture, mais qui constitue un stimulant
constant dans la recherche d’expressions humaines
toujours plus appropriées et signifi catives.
Toute culture authentique, pour être véritablement
en faveur de l’homme, doit être ouverte à la
transcendance, et fi nalement à Dieu.
La Bible, un grand trésor pour les cultures
110. Les Pères synodaux ont souligné combien
il importe de favoriser chez les hommes de
culture une juste connaissance de la Bible, y compris
dans les milieux sécularisés et parmi les noncroyants
;356 l’Écriture Sainte contient des valeurs
anthropologiques et philosophiques qui ont infl
uencé positivement l’humanité entière.357 Il faut
pleinement retrouver le sens de la Bible comme
un grand trésor pour les cultures.
La connaissance de la Bible dans les écoles et les universités
111. L’école et l’université constituent un cadre
singulier de la rencontre entre la Parole de Dieu
et les cultures. Que les Pasteurs aient une attention
particulière à ces milieux, en promouvant
une connaissance profonde de la Bible de telle
façon que les fécondes implications culturelles, y
compris pour notre temps, puissent être saisies !
356 Cf. Ibidem.
357 Cf. JEAN-PAUL II, Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre
1998), n. 80 : AAS 91 (1999), pp. 67-68.
187
Que les centres d’études dépendant des entités
catholiques apportent une contribution originale
– qui doit être reconnue – à la promotion de la
culture et de l’instruction ! Il ne faut pas non plus
négliger l’enseignement de la religion, en formant avec
soin les enseignants. Dans de nombreux cas, celui-
ci représente pour les étudiants une occasion
unique de contact avec le message de la foi. Il est
bon que, dans cet enseignement, soit promue la
connaissance de l’Écriture Sainte, dissipant les
préjugés, anciens et nouveaux, et cherchant à faire
connaître sa vérité.358
La Sainte Écriture à travers les différentes expressions
artistiques
112. La relation entre Parole de Dieu et cultures
a trouvé une expression concrète dans différents
cadres, en particulier dans le monde de l’art. C’est
pourquoi la grande Tradition de l’Orient et de
l’Occident a toujours estimé les manifestations
artistiques inspirées de l’Écriture Sainte, telles que
par exemple les arts fi guratifs, ou encore l’architecture,
la littérature et la musique. Je pense aussi
à l’antique langage exprimé par les icônes qui, à
partir de la Tradition orientale, se diffuse progressivement
partout dans le monde. Avec les Pères
synodaux, toute l’Église exprime sa considération,
son estime et son admiration envers les artistes
« épris de la beauté », qui se sont laissés inspirer
358 Cf. Lineamenta n. 23.
188
par des textes sacrés ; ils ont contribué à la décoration
de nos églises, à la célébration de notre foi,
à l’enrichissement de notre liturgie et, en même
temps, beaucoup d’entre eux ont aidé à rendre de
quelque façon perceptibles, dans le temps et dans
l’espace, les réalités invisibles et éternelles.359 J’exhorte
les organismes compétents à promouvoir
dans l’Église une solide formation des artistes à
l’égard de l’Écriture Sainte à la lumière de la Tradition
vivante de l’Église et du Magistère.
La Parole de Dieu et les moyens de communication sociale
113. Au rapport entre Parole de Dieu et
cultures, est liée aussi l’importance de l’utilisation
attentive et intelligente des moyens de communication
sociale, anciens et nouveaux. Les Pères
synodaux ont recommandé une connaissance
appropriée de ces instruments, en prêtant attention
à leur développement rapide et à leurs différents
niveaux d’interaction et en investissant
plus d’énergies pour acquérir une compétence
dans les différents secteurs, en particulier dans
ce que l’on appelle les nouveaux médias, comme
par exemple internet. Il existe déjà une présence
signifi cative de l’Église dans le monde de la communication
de masse et le Magistère ecclésial s’est
aussi exprimé à plusieurs reprises sur ce thème
depuis le Concile Vatican II.360 L’acquisition de
359 Cf. Proposition 40.
360 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur les moyens de
communication sociale Inter mirifi ca ; CONSEIL PONTIFICAL POUR
189
nouvelles méthodes pour transmettre le message
évangélique fait partie de la tension évangélisatrice
permanente des croyants et, aujourd’hui, la
communication étend un réseau qui enveloppe
tout le globe, donnant un sens renouvelé à l’appel
du Christ : « Ce que je vous dis dans l’ombre,
dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans
le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits »
(Mt 10, 27). La Parole divine, outre sa forme imprimée,
doit résonner aussi à travers les autres
formes de communication.361 C’est pourquoi,
avec les Pères synodaux, je désire remercier les
catholiques qui s’engagent avec compétence en
vue d’une présence signifi cative dans le monde
des médias, en souhaitant un engagement encore
plus large et plus qualifi é.362
Parmi les formes nouvelles de communication
de masse, un rôle croissant est aujourd’hui
reconnu à internet qui constitue un nouveau forum
sur lequel il faut faire résonner l’Évangile, avec
LES COMMUNICATIONS SOCIALES, Instr. pastorale Communio et progressio
sur les moyens de communication sociale publiée selon
les dispositions du Concile OEcuménique Vatican II (23 mai
1971) : AAS 63 (1971), pp. 593-656 ; JEAN-PAUL II, Lett. apost.
Le développement rapide des technologies dans le domaine des médias
(24 janvier 2005) : AAS 97 (2005), pp. 265-274 ; La DC, n. 2333,
pp. 315-320 ; CONSEIL PONTIFICAL POUR LES COMMUNICATIONS
SOCIALES, Instr. pastorale sur les communications sociales pour
le 20e anniversaire de ‘Communio et progressio’ Aetatis novae (22 février
1992) : AAS 84 (1992), pp. 447-468 ; idem, L’Église en internet
(22 février 2002) : Ench. Vat. 66-95 ; idem, Étique en internet
(22 février 2002) : Ench. Vat. 21, n. 96-127.
361 Cf. Message fi nal, n. 11 ; BENOÎT XVI, Message pour la
XLIIIe Journée mondiale des Communications sociales 2009 ; La DC,
n. 2418, pp. 168-170.
362 Cf. Proposition 44.
190
la conscience, toutefois, que le monde virtuel
ne pourra jamais remplacer le monde réel et que
l’Évangélisation ne pourra profi ter de la virtualité
offerte par les nouveaux médias pour instaurer
des relations signifi catives que si l’on arrive à un
contact personnel qui demeure irremplaçable. Dans
le monde d’internet, qui permet à des milliards
d’images d’apparaître sur des millions d’écrans
dans le monde, devra apparaître le visage du Christ
ainsi que la possibilité d’entendre Sa voix, car « s’il
n’y a pas de place pour le Christ, il n’y a pas de
place pour l’homme ».363
La Bible et l’inculturation
114. Le Mystère de l’Incarnation nous fait savoir,
d’une part, que Dieu se communique toujours
dans une histoire concrète, en assumant les
codes culturels inscrits en elle, mais que d’autre
part, la même Parole peut et doit se transmettre
dans des cultures différentes, en les transfi gurant
de l’intérieur, grâce à ce que le Pape Paul VI appelait
l’Évangélisation des cultures.364 La Parole de
Dieu, comme du reste la foi chrétienne, manifeste
ainsi un caractère profondément interculturel,
susceptible de rencontrer et de faire se rencontrer
les différentes cultures.365
363 JEAN-PAUL II, Message pour la XXXVIe Journée mondiale
des Communications sociales 2002, n. 6 ; La DC, n. 2265, p. 203.
364 Cf. Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre
1975), n. 20 : AAS 68 (1976), pp. 18-19.
365 Cf. BENOÎT XVI, Exhort. apost. post-synodale Sacramentum
caritatis (22 février 2007), n. 78 : AAS 99 (2007), p. 165.
191
Dans ce contexte, on comprend aussi la valeur
de l’inculturation de l’Évangile.366 L’Église est
fermement persuadée de la capacité intrinsèque
de la Parole de Dieu de rejoindre toutes les personnes
quel que soit le contexte culturel qui est
le leur : « cette conviction découle de la Bible ellemême,
qui, dès le Livre de la Genèse, prend une
orientation universelle (Gn 1, 27-28), la maintient
ensuite dans la bénédiction promise à tous
les peuples grâce à Abraham et à sa descendance
(cf. Gn 12, 3 ; 18, 18) et la confi rme défi nitivement
en étendant à “toutes les nations” l’Évangélisation
».367 C’est pourquoi l’inculturation ne doit pas
être confondue avec des processus superfi ciels
d’adaptation et moins encore avec un syncrétisme
confus qui dilue l’originalité de l’Évangile pour
le rendre plus facilement acceptable.368 L’authentique
paradigme de l’inculturation est l’Incarnation
même du Verbe : « une “acculturation”, ou
une “inculturation”, sera réellement un refl et de
l’Incarnation du Verbe, lorsqu’une culture, transformée
et régénérée par l’Évangile, (qui) produit
à partir de sa propre Tradition vivante des expressions
originales de vie, de célébration et de
pensées chrétiennes »,369 en germant à partir de la
366 Cf. Proposition 48.
367 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), IV, B ; p. 107.
368 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur l’activité missionnaire
de l’Église Ad gentes, n. 22 ; COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE,
L’interprétation de la Bible dans l’Église (15 avril 1993),
IV, B.
369 JEAN-PAUL II, Discours aux Évêques du Kenya (7 mai 1980),
n. 6 : AAS 72 (1980), p. 497 ; La DC, n. 1787, p. 534.
192
culture locale, en valorisant les semina Verbi et tout
ce qui est présent en elle de positif, en l’ouvrant
aux valeurs évangéliques.370
Les traductions et la diffusion de la Bible
115. Si l’inculturation de la Parole de Dieu fait
partie de manière impérative de la mission de
l’Église dans le monde, la diffusion de la Bible à
travers le précieux travail de traduction dans les
différentes langues est un moment important de
ce processus. À ce sujet, on doit toujours avoir
présent à l’esprit que le travail de traduction des
Écritures a commencé « dès le temps de l’Ancien
Testament, lorsqu’on a traduit le texte hébreu de
la Bible oralement en araméen (Ne 8, 8.12) et, plus
tard, par écrit en grec. Une traduction, en effet, est
toujours plus qu’une simple transcription du texte
original. Le passage d’une langue à une autre comporte
nécessairement un changement de contexte
culturel : les concepts ne sont pas identiques et la
portée des symboles est différente, car ils mettent
en rapport avec d’autres traditions de pensée et
d’autres façons de vivre ».371
Pendant les travaux du Synode, on a dû faire
le constat que différentes Églises locales ne disposent
pas encore d’une traduction intégrale de
la Bible dans leurs propres langues. Combien de
peuples ont aujourd’hui faim et soif de la Parole
370 Cf. XIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE
DES ÉVÊQUES, Instrumentum laboris n. 56.
371 COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la
Bible dans l’Église (15 avril 1993), IV, B ; p. 107-108.
193
de Dieu, mais malheureusement ne peuvent encore
avoir « un accès largement ouvert à la Sainte
Écriture »372 comme cela avait été souhaité au
Concile Vatican II ! C’est pourquoi le Synode
considère qu’il est important avant tout de former
des experts qui se consacrent à la traduction de
la Bible dans les diverses langues.373 J’encourage
l’investissement de ressources en ce domaine. Je
voudrais en particulier recommander de soutenir
l’engagement de la Fédération biblique catholique
afi n que le nombre de traductions de l’Écriture
puisse s’accroître et leur diffusion progresser.374 Il
est bon que, en vertu de la nature même d’un tel
travail, celui-ci soit réalisé dans la mesure du possible
en collaboration avec les différentes Sociétés
bibliques.
La Parole de Dieu dépasse les limites des cultures
116. L’Assemblée synodale, dans le débat autour
de la relation entre la Parole de Dieu et les
cultures, s’est sentie poussée à réaffi rmer ce que
les premiers Chrétiens ont pu expérimenter à partir
du jour de la Pentecôte (cf. Ac 2, 1-13). La Parole
divine est capable de pénétrer et de s’exprimer
dans des cultures et des langues différentes,
mais cette même Parole dépasse les limites des
cultures particulières en créant une communion
372 CONC. OECUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation
divine Dei Verbum, n. 22.
373 Cf. Proposition 42.
374 Cf. Proposition 43.
194
entre les divers peuples. La Parole du Seigneur
nous invite à aller vers une communion plus large.
« Nous sortons de l’étroitesse de nos expériences
et entrons dans la réalité qui est vraiment universelle.
En entrant dans la communion avec la Parole
de Dieu, nous entrons dans la communion de
l’Église qui vit la Parole de Dieu. […] C’est sortir
des limites de chaque culture dans l’universalité
qui nous relie tous, nous unit tous, nous fait tous
frères ».375 C’est pourquoi, annoncer la Parole de
Dieu demande toujours, à nous les premiers, un
nouvel exode, d’abandonner nos cadres et nos représentations
limitées pour laisser place à la présence
du Christ en nous.
LA PAROLE DE DIEU
ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
La valeur du dialogue interreligieux
117. Conscients que Dieu Père, Fils et Saint-Esprit
entre en dialogue avec l’humanité, l’Église reconnaît
comme une part essentielle de l’annonce
de la Parole, la rencontre avec tous les hommes
de bonne volonté. Aujourd’hui, l’Église, en évitant
toute forme de syncrétisme et de relativisme,
recherche le dialogue avec les personnes appartenant
aux diverses traditions religieuses selon les
lignes indiquées par la Déclaration du Concile
375 BENOÎT XVI, Méditation à l’occasion de l’ouverture du Synode
des Évêques (6 octobre 2008) : ASS 100 (2008), 758-760,
L’ORf, 14 octobre 2008, p. 12.
195
Vatican II Nostra aetate, développée par le Magistère
ultérieur des Souverains Pontifes.376 Le rapide
processus de la mondialisation offre la possibilité
de vivre dans un contact plus étroit avec des personnes
de cultures et de religions diverses. Il s’agit
d’une opportunité providentielle pour manifester
comment un authentique sens religieux peut
promouvoir entre les hommes des relations de
fraternité universelle. Il est d’une grande importance
que les religions puissent favoriser dans nos
sociétés, souvent sécularisées, un regard qui voit
en Dieu Tout-Puissant le fondement de tout bien,
la source inépuisable de la vie morale, le soutien
d’un sens profond de la fraternité universelle.
À titre d’exemple, dans la Tradition judéochrétienne,
on rencontre l’attestation claire de
l’amour de Dieu pour tous les peuples qu’il réunit,
déjà dans l’Alliance étroite avec Noé, en une
grande et unique étreinte symbolisée par l’« arc au
milieu des nuages » (Gn 9, 13.14.16) et que, selon
les paroles des prophètes, il entend rassembler en
une unique famille universelle (cf. Is 2, 2ss ; 42, 6 ;
66, 18-21 ; Jr 4, 2 ; Ps 47). De fait, des témoignages
376 Parmi les nombreuses interventions de diverses natures,
on rappelle : JEAN-PAUL II, Lett. enc. Dominum et vivifi catem
(18 mai 1986) : AAS 78 (1986), pp. 809-900 ; ID. Lett. enc.
Redemptoris missio (7 décembre 1990) : AAS 83 (1991), pp. 249-
340 ; ID., Discours et Homélies à Assise à l’occasion de la Journée
de prière pour la paix du 27 octobre 1986 ; La DC n. 1929,
pp. 1065-1083 et en janvier 2002 en écho aux événements du
11 septembre 2001 : La DC n. 2255, pp. 837.839-840; CONGRÉ-
GATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration sur l’unicité
et l’universalité salvifi que de Jésus Christ et de l’Église Dominus
Iesus (6 août 2000) : AAS 92 (2000), pp. 742-765.
196
du lien intime existant entre le rapport avec Dieu
et l’éthique de l’amour pour tout homme se retrouvent
dans de nombreuses grandes traditions
religieuses.
Le dialogue entre Chrétiens et Musulmans
118. Parmi les différentes religions, l’Église
regarde « aussi avec estime les Musulmans, qui
adorent le Dieu un ».377 Ces derniers se réfèrent à
Abraham et rendent un culte à Dieu surtout par la
prière, l’aumône et le jeûne. Nous reconnaissons
que dans la tradition de l’Islam sont présents de
nombreuses fi gures, des symboles et des thèmes
bibliques. Dans la continuité de l’oeuvre importante
du Vénérable Jean-Paul II, je souhaite que
les rapports inspirés par la confi ance, qui se sont
instaurés depuis plusieurs années entre Chrétiens
et Musulmans, se poursuivent et se développent
dans un esprit de dialogue sincère et respectueux.
378 Dans ce dialogue, le Synode a exprimé le
souhait que puissent être approfondis le thème du
respect de la vie en tant que valeur fondamentale,
et celui des droits inaliénables de l’homme et de la
femme et de leur égale dignité. En tenant compte
de la problématique importante de la distinction
entre l’ordre sociopolitique et l’ordre religieux, les
377 Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Déclaration sur les relations
de l’Église avec les religions non-chrétiennes Nostra aetate, n. 3.
378 Cf. BENOÎT XVI, Discours aux Ambassadeurs des Pays à
majorité musulmane accrédités auprès du Saint-Siège et à quelques représentants
de la communauté musulmane en Italie (25 septembre 2006) :
AAS 98 (2006), pp. 704-706 ; La DC n. 2366, pp. 884-885.
197
religions doivent apporter leur contribution au
bien commun. Le Synode demande aux Conférences
épiscopales, là où cela apparaît opportun
et profi table, de favoriser des rencontres pour que
Chrétiens et Musulmans se connaissent mutuellement
afi n de promouvoir les valeurs dont la société
a besoin pour une coexistence pacifi que et
positive.379
Le dialogue avec les autres religions
119. En cette circonstance, je voudrais par
ailleurs manifester le respect de l’Église pour les
religions traditionnelles et les antiques traditions
spirituelles des différents continents qui contiennent
également des valeurs qui peuvent favoriser
la compréhension entre les personnes et les
peuples.380 Nous constatons fréquemment une
syntonie avec des valeurs exprimées aussi dans
leurs Livres religieux, comme par exemple le respect
de la vie, la contemplation, le silence, la simplicité
dans le Bouddhisme ; le sens de la sacralité,
du sacrifi ce et du jeûne dans l’Hindouisme ;
et encore les valeurs familiales et sociales dans le
Confucianisme. Nous découvrons avec satisfaction
aussi dans d’autres expériences religieuses,
une attention sincère pour la transcendance de
Dieu, reconnu comme Créateur, tout comme le
respect de la vie, du mariage et de la famille et le
sens fort de la solidarité.
379 Cf. Proposition 53.
380 Cf. Proposition 50.
198
Le dialogue et la liberté religieuse
120. Cependant, le dialogue ne serait pas fécond
s’il n’incluait pas aussi un respect authentique
envers chaque personne, afi n qu’elle puisse
adhérer librement à sa religion. Le Synode, alors
qu’il encourage la collaboration entre les représentants
des diverses religions, rappelle donc également
« la nécessité que soit assurée de manière
effective à tous les croyants la liberté de professer
leur propre religion en privé et en public, ainsi que
la liberté de conscience » :381 en effet, « le respect et
le dialogue requièrent la réciprocité dans tous les
domaines, surtout en ce qui concerne les libertés
fondamentales et plus particulièrement la liberté
religieuse. Ils favorisent la paix et l’entente entre
les peuples ».382
381 Ibidem.
382 JEAN-PAUL II, Discours aux jeunes Musulmans à Casablanca
au Maroc (19 août 1985), n. 5 : AAS 7 (1986), p. 99 ; La DC,
n. 1903, p. 943.
199
CONCLUSION
La Parole défi nitive de Dieu
121. Au terme de ces réfl exions par lesquelles
j’ai voulu recueillir et approfondir la richesse de
la XIIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode
des Évêques sur la Parole de Dieu dans la vie et la
mission de l’Église, je désire encore une fois exhorter
le Peuple de Dieu tout entier, les Pasteurs,
les personnes consacrées et les laïcs à s’engager
pour devenir toujours plus familiers des Écritures
Saintes. Nous ne devons jamais oublier qu’à la
base de toute spiritualité chrétienne authentique
et vivante, se trouve la Parole de Dieu annoncée, écoutée,
célébrée et méditée dans l’Église. Cette intensifi cation
de la relation avec la Parole divine se réalisera
avec d’autant plus d’élan que nous serons davantage
conscients de nous trouver, dans l’Écriture
comme dans la Tradition vivante de l’Église, face
à la Parole défi nitive de Dieu sur le monde et sur
l’histoire.
Comme nous le fait contempler le Prologue
de l’Évangile de Jean, tout ce qui est se trouve
sous le signe de la Parole. Le Verbe jaillit du Père
et il vient demeurer parmi les siens et puis il re200
tourne dans le sein du Père pour emporter avec lui
toute la création qui, en lui et par lui, a été créée.
Aujourd’hui, l’Église vit sa mission dans l’attente
anxieuse de la manifestation eschatologique de
l’Époux : « L’Esprit et l’Épouse disent : ‘Viens !’ »
(Ap 22, 17). Cette attente n’est jamais passive mais
elle est une tension missionnaire dans l’annonce
de la Parole de Dieu qui purifi e et rachète tout
homme : aujourd’hui encore Jésus ressuscité nous
dit : « Allez dans le monde entier. Proclamez la
Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16, 15).
La Nouvelle Évangélisation et la nouvelle écoute
122. En conséquence, notre temps doit être toujours
davantage le temps d’une nouvelle écoute de
la Parole de Dieu et d’une Nouvelle Évangélisation.
Redécouvrir le caractère central de la Parole divine
dans la vie chrétienne nous fait retrouver aussi le
sens le plus profond de ce que le Pape Jean-Paul II
a rappelé avec force : continuer la missio ad gentes
et entreprendre avec toutes les forces la Nouvelle
Évangélisation, surtout dans les pays où l’Évangile
a été oublié ou souffre de l’indifférence du plus
grand nombre en raison d’un sécularisme diffus.
Que l’Esprit Saint éveille chez les hommes la faim
et la soif de la Parole de Dieu et suscite de zélés
messagers et témoins de l’Évangile !
À l’exemple du grand Apôtre des Nations,
qui fut transformé après avoir entendu la voix du
Seigneur (cf. Ac 9, 1-30), écoutons nous aussi la
Parole divine qui nous interpelle toujours person201
nellement, ici et maintenant. Les Actes des Apôtres
nous racontent que l’Esprit Saint se réserva Paul
et Barnabé en vue de la prédication et de la diffusion
de la Bonne Nouvelle (cf. 13, 2). Ainsi, aujourd’hui,
l’Esprit Saint ne cesse de susciter des
auditeurs et des messagers convaincus et persuasifs
de la Parole du Seigneur !
La Parole et la joie
123. Plus nous saurons être disponibles à la Parole
divine, plus nous pourrons constater que le
Mystère de la Pentecôte est ‘en action’ aujourd’hui
aussi dans l’Église de Dieu. L’Esprit du Seigneur
continue de répandre ses dons sur l’Église afi n
que nous soyons conduits à la vérité tout entière,
nous ouvrant le sens des Écritures et faisant de
nous des messagers crédibles de la Parole du salut.
Nous revenons ainsi à la première Lettre de saint
Jean. À travers la Parole de Dieu, nous aussi, nous
avons entendu, vu et touché le Verbe de vie. Nous
avons écouté par grâce l’annonce que la vie éternelle
s’est manifestée, afi n que nous reconnaissions
que nous sommes en communion les uns
avec les autres, avec ceux qui nous ont précédés
sous le signe de la foi et avec tous ceux qui, répandus
à travers le monde, écoutent la Parole,
célèbrent l’Eucharistie, vivent le témoignage de
la charité. La communication de cette annonce –
nous rappelle l’Apôtre Jean – est donnée pour que
« nous ayons la plénitude de la joie » (1 Jn 1, 4).
L’Assemblée synodale nous a permis d’expérimenter
ce qui est contenu dans le message
202
johannique : l’annonce de la Parole crée la communion
et apporte la joie. Il s’agit d’une joie profonde
qui jaillit du coeur même de la vie trinitaire et qui
se communique à nous dans le Fils. Il s’agit de la
joie, comme don ineffable, que le monde ne peut
donner. On peut organiser des fêtes, mais pas la
joie. Selon l’Écriture, la joie est un fruit de l’Esprit
Saint (cf. Ga 5, 22), qui nous permet de pénétrer
dans la Parole et de faire en sorte que la Parole divine
entre en nous en portant ses fruits pour la vie
éternelle. En annonçant la Parole de Dieu dans la
force de l’Esprit Saint, nous désirons communiquer
aussi la source de la vraie joie, non une joie
superfi cielle et éphémère mais celle qui jaillit de la
conscience que seul le Seigneur Jésus a les paroles
de la vie éternelle (cf. Jn 6, 68).
« Mater Verbi et Mater laetitiae »
124. Cette relation intime entre la Parole de
Dieu et la joie est manifestée avec évidence chez
la Mère de Dieu. Rappelons les paroles de sainte
Élisabeth : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement
des paroles qui lui furent dites de la part
du Seigneur » (Lc 1, 45). Marie est bienheureuse
parce qu’elle a la foi, qu’elle a cru, et que dans
cette foi, elle a accueilli dans son sein le Verbe de
Dieu pour le donner au monde. La joie provenant
de la Parole peut maintenant s’étendre à tous
ceux qui, dans la foi, se laissent transformer par la
Parole de Dieu. L’Évangile de Luc nous présente
à travers deux textes ce Mystère d’écoute et de
203
joie. Jésus affi rme : « Ma mère et mes frères, ce
sont ceux qui entendent la Parole de Dieu, et qui
la mettent en pratique » (8, 21). Et, face à l’exclamation
d’une femme qui, au milieu de la foule,
entend exalter le ventre qui l’a porté et le sein qui
l’a allaité, Jésus révèle le secret de la vraie joie :
« Heureux plutôt ceux qui entendent la parole
de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11, 28). Jésus indique
la vraie grandeur de Marie, en ouvrant ainsi
à chacun de nous la possibilité de cette béatitude
qui naît de la Parole écoutée et mise en pratique.
C’est pourquoi, à tous les Chrétiens, je rappelle
que notre relation personnelle et communautaire
avec Dieu dépend de l’accroissement de notre familiarité
avec la Parole divine. Enfi n, je m’adresse
à tous les hommes, également à ceux qui se sont
éloignés de l’Église, qui ont abandonné la foi ou
qui n’ont jamais entendu l’annonce du salut. À
chacun, le Seigneur dit : « Voici que je me tiens à la
porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et
ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon
repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3, 20).
Que chacune de nos journées soit donc façonnée
par la rencontre renouvelée du Christ, le
Verbe du Père fait chair : il est à l’origine et à la fi n
et « tout subsiste en lui » (Col 1, 17). Faisons silence
pour écouter la Parole du Seigneur et pour la méditer,
afi n que, par l’action effi cace de l’Esprit Saint,
elle continue à demeurer, à vivre et à nous parler
tous les jours de notre vie. De cette façon, l’Église
se renouvelle et rajeunit grâce à la Parole du Seigneur
qui demeure éternellement (cf. 1 P 1, 25 ;
204
Is 40, . Ainsi, nous pourrons nous aussi entrer
dans le grand dialogue nuptial par lequel se clôt
l’Écriture Sainte : « L’Esprit et l’Épouse disent :
‘Viens !’ […] Celui qui témoigne de tout cela déclare
: ‘Oui, je viens sans tarder.’ – Amen ! Viens,
Seigneur Jésus ! » (Ap 22, 17.20).
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le
30 septembre 2010, mémoire de saint Jérôme, en
la sixième année de mon Pontifi cat.
205
TABLE
INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . 3
Pour que notre joie soit parfaite [2] . . . . 4
De Dei Verbum au Synode sur la Parole de
Dieu [3] . . . . . . . . . . . . . . 6
Le Synode des Évêques sur la Parole de Dieu
[4] . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Le Prologue de l’Évangile de Jean comme guide
[5] . . . . . . . . . . . . . . . . 11
PREMIERE PARTIE
VERBUM DEI
LE DIEU QUI PARLE . . . . . . . . . . . 15
Dieu en dialogue [6] . . . . . . . . . . 15
Analogie de la Parole de Dieu [7] . . . . . 16
Dimension cosmique de la Parole [8] . . . 19
La création de l’homme [9] . . . . . . . 21
Le réalisme de la Parole [10] . . . . . . . 22
Christologie de la Parole [11-13] . . . . . 24
Dimension eschatologique de la Parole de
Dieu [14] . . . . . . . . . . . . . 31
La Parole de Dieu et l’Esprit Saint [15-16] . 33
Tradition et Écriture [17-18] . . . . . . . 37
Écriture Sainte, inspiration et vérité [19] . . 41
Dieu Père, source et origine de la Parole [20] 43
206
LA REPONSE DE L’HOMME A DIEU QUI PARLE . . 45
Appelés à entre dans l’Alliance avec Dieu [22] 45
Dieu écoute l’homme et répond à ses
demandes [23] . . . . . . . . . . . 46
Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles [24] 47
La Parole de Dieu et la foi [25] . . . . . . 48
Le péché comme non-écoute de la Parole
de Dieu [26] . . . . . . . . . . . 50
Marie, « Mère du Verbe de Dieu » et « Mère de
la foi » [27-28] . . . . . . . . . . . 51
L’HERMÉNEUTIQUE DE L’ÉCRITURE SAINTE DANS
L’ÉGLISE . . . . . . . . . . . . . . 54
L’Église, lieu originaire de l’herméneutique
de la Bible [29-30] . . . . . . . . . . 54
« L’âme de la théologie sacrée » [31] . . . . 58
Développement de la recherche biblique et
Magistère ecclésial [32-33] . . . . . . 60
L’herméneutique biblique conciliaire : une
indication à recevoir [34] . . . . . . 63
Le péril du dualisme et l’herméneutique
sécularisée [35] . . . . . . . . . . . 65
Foi et raison dans l’approche de l’Écriture [36] 67
Sens littéral et sens spirituel [37] . . . . . 69
Le nécessaire dépassement de la lettre [38] . 71
L’unité intrinsèque de la Bible [39] . . . . 73
Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau
Testament [40-41] . . . . . . . . . 75
Les pages « obscures » de la Bible [42] . . . 78
Chrétiens et Juifs face aux Écritures [43] . . 80
L’interprétation fondamentaliste de la Sainte
Écriture [44] . . . . . . . . . . . . 81
207
Le dialogue entre Pasteurs, théologiens et
exégètes [45] . . . . . . . . . . . . 83
Bible et oecuménisme [46] . . . . . . . . 84
Conséquences sur l’organisation des études
théologiques [47] . . . . . . . . . . 87
Les saints et l’interprétation de l’Écriture
[48-49] . . . . . . . . . . . . . . 89
DEUXIEME PARTIE
VERBUM IN ECCLESIA
LA PAROLE DE DIEU ET L’ÉGLISE . . . . . . 95
L’Église accueille la Parole [50] . . . . . . 95
La présence actuelle du Christ dans la vie de
l’Église [51] . . . . . . . . . . . . 96
LA LITURGIE, LIEU PRIVILÉGIÉ DE LA PAROLE
DE DIEU. . . . . . . . . . . . . . 98
La Parole de Dieu dans la sainte liturgie [52] 98
La Sainte Écriture et les Sacrements [53] . . 101
La Parole de Dieu et l’Eucharistie [54] . . . 102
La sacramentalité de la Parole [56] . . . . 106
La Sainte Écriture et le Lectionnaire [57] . . 108
Proclamation de la Parole et ministère du
lectorat [58] . . . . . . . . . . . . 110
L’importance de l’homélie [59] . . . . . . 111
L’opportunité d’un Directoire homilétique
[60] . . . . . . . . . . . . . . . 113
Parole de Dieu, Réconciliation et Onction
des malades [61] . . . . . . . . . . 114
Parole de Dieu et Liturgie des Heures [62] . 116
La Parole de Dieu et le Livre des Bénédictions
[63] . . . . . . . . . . . . . . . 118
208
Suggestions et propositions concrètes pour
l’animation liturgique [64] . . . . . . . 119
a) Célébrations de la Parole de Dieu [65] . . 119
b) La Parole et le silence [66] . . . . . . 121
c) Proclamation solennelle de la Parole de
Dieu [67] . . . . . . . . . . . . . 122
d) La Parole de Dieu dans l’église [68] . . . 123
e) Exclusivité des textes bibliques dans la
liturgie [69] . . . . . . . . . . . . 124
f) Chant liturgique bibliquement inspiré [70] 125
g) Attention particulière aux aveugles et aux
sourds [71] . . . . . . . . . . . . 126
LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE ECCLÉSIALE . 126
Rencontrer la Parole de Dieu dans la Sainte
Écriture [72] . . . . . . . . . . . . 126
L’animation biblique de la pastorale [73] . . 128
Dimension biblique de la catéchèse [74] . . 130
Formation biblique des chrétiens [75] . . . 132
La Sainte Écriture dans les grands rassemblements
ecclésiaux [76] . . . . . . . 133
Parole de Dieu et vocations [77] . . . . . 133
a) Parole de Dieu et ministres ordonnés
[78-81] . . . . . . . . . . . . . . 134
b) La Parole de Dieu et les candidats à
l’Ordination [82] . . . . . . . . . . 138
c) Parole de Dieu et Vie consacrée [83] . . 140
d) La Parole de Dieu et les fi dèles laïcs [84] . 142
e) La Parole de Dieu, le mariage et la famille
[85] . . . . . . . . . . . . . . . 143
La lecture orante de la Sainte Écriture et la
Lectio divina [86-87] . . . . . . . . . 145
La Parole de Dieu et la prière mariale [88] . 151
La Parole de Dieu et la Terre Sainte [89] . . 153
209
TROISIEME PARTIE
VERBUM PRO MUNDO
LA MISSION DE L’ÉGLISE : ANNONCER LA PAROLE
DE DIEU . . . . . . . . . . . . . . 159
La Parole du Père et vers le Père [90] . . . 159
Annoncer au monde le Logos de l’espérance
[91] . . . . . . . . . . . . . . . 160
De la Parole de Dieu vient la mission de l’Église
[92] . . . . . . . . . . . . . . . 161
La Parole et le Règne de Dieu [93] . . . . 163
Tous les baptisés responsables de l’annonce
[94] . . . . . . . . . . . . . . . 164
La nécessité de la missio ad gentes [95] . . . . 166
Annonce et nouvelle Évangélisation [96] . . 166
Parole de Dieu et témoignage chrétien [97] . 167
PAROLE DE DIEU ET ENGAGEMENT DANS LE
MONDE . . . . . . . . . . . . . . 171
Servir Jésus dans « ces petits qui sont ses
frères » (cf. Mt 25,40) [99] . . . . . . . 171
La Parole de Dieu et l’engagement dans la
société en faveur de la justice [100-101] . 172
L’annonce de la Parole de Dieu, la réconciliation
et la paix entre les peuples [102]. . . 174
La Parole de Dieu et la charité agissante [103] 175
L’annonce de la Parole de Dieu et les jeunes
[104] . . . . . . . . . . . . . . . 177
L’annonce de la Parole de Dieu et les migrants
[105] . . . . . . . . . . . . . . . 178
L’annonce de la Parole de Dieu et les personnes
qui souffrent [106] . . . . . . . . . 180
L’annonce de la Parole de Dieu et les pauvres
[107] . . . . . . . . . . . . . . . 182
La Parole de Dieu et la sauvegarde de la création
[108] . . . . . . . . . . . . . . . 183
210
LA PAROLE DE DIEU ET LA CULTURE. . . . . 184
La valeur de la culture pour la vie de l’homme
[109] . . . . . . . . . . . . . . . 184
La Bible, un grand trésor pour les cultures
[110] . . . . . . . . . . . . . . . 186
La connaissance de la Bible dans les écoles
et les universités [111] . . . . . . . . 186
La Sainte Écriture à travers les différentes
expressions artistiques [112] . . . . . . 187
La Parole de Dieu et les moyens de communication
sociale [113] . . . . . . . . 188
La Bible et l’inculturation [114] . . . . . . 190
Les traductions et la diffusion de la Bible [115] 192
La Parole de Dieu dépasse les limites des
cultures [116] . . . . . . . . . . . 193
LA PAROLE DE DIEU ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
. . . . . . . . . . . . . 194
La valeur du dialogue interreligieux [117] . . 194
Le dialogue entre Chrétiens et Musulmans
[118] . . . . . . . . . . . . . . . 196
Le dialogue avec les autres religions [119] . . 197
Le dialogue et la liberté religieuse [120] . . . 198
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . 199
La Parole défi nitive de Dieu [121] . . . . . 199
La nouvelle Évangélisation et la nouvelle écoute
[122] . . . . . . . . . . . . . . . 200
La Parole et la joie [123] . . . . . . . . 201
« Mater Verbi et Mater laetitiae » [124] . . . . 202

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