Bioéthique, Société et Christianisme : un conflit de fondements ?
La bioéthique suscite aujourd’hui des débats passionnés et souvent passionnels relayés par divers groupes de pression et par les médias qui utilisent des cas particuliers emblématiques.
Faut-il se plaindre du fait que la bioéthique soit devenue un sujet brûlant d’actualité ? Certainement pas. Il n’est pas possible de laisser un voile d’ignorance ou pire d’indifférence sur les problèmes éthiques que posent les progrès scientifiques biologiques récents. Chaque individu pourrait être tenté de définir ce qu’il appellerait sa vision personnelle de l’éthique dans les domaines touchant en particulier la procréation, la génomique, l’utilisation des cellules souches et l’intervention sur la fin naturelle de la vie.
Les réflexions sur la bioéthique se développent dans tous les pays occidentaux et un simple regard sur les orientations prises montre que, à l’heure de la mondialisation, curieusement les voix divergent.
S’agissant de l’homme et de la vie, les Églises ne pouvaient pas rester en dehors de la réflexion. L’Eglise catholique a récemment précisé sa position sur certaines questions de bioéthique dans la publication par le Vatican de « l’Instruction Dignitas Personæ ».
En France, les états généraux de la bioéthique doivent se tenir au début de 2010. Ils ont pour objectifs de débattre en vue de la révision de la « Loi relative à la bioéthique » votée en 2004 pour une période probatoire de cinq ans.
L’Assemblée plénière des Évêques de France, dans la perspective d’une participation active à ces débats, a réfléchi à propos de certaines questions touchant en particulier la procréation. Les évêques demandent instamment aux catholiques de s’exprimer. Parallèlement, les représentants des autres religions mènent une démarche similaire.
C’est donc un truisme de dire que notre sujet d’aujourd’hui se situe dans l’actualité.
Mon propos se divisera en trois parties :
• Dans une première partie, j’exposerai la position du problème du conflit potentiel entre les désirs de la société et les recommandations du magistère de l’Eglise ;
• Dans une deuxième partie, je rappellerai succinctement les principales étapes historiques de la réflexion éthique et les raisons qui expliquent que la bioéthique devienne aussi importante au début de ce 21ème siècle.
• Dans une troisième partie je tenterai d’expliquer que les points de divergences majeures entre la société et le christianisme reposent avant tout sur leurs fondements respectifs.
Au long de mon exposé, j’utiliserai quelques exemples de questionnement de bioéthique pour illustrer certains points particuliers.
I- Position du problème :
les conflits potentiels entre les désirs de la Société et les recommandations du magistère de l’Eglise.
Pour traiter cette première partie, je me suis fixé cinq objectifs : définir de quoi on parle lorsqu’on utilise les termes respectifs de morale, d’éthique et de bioéthique.
Expliquer pourquoi on est amené à légiférer sur la bioéthique. Opposer la position « téléologique » et la position « déontologique » qui sont les deux grandes tendances émergentes dans le débat sur la bioéthique.
Souligner la différence fondamentale entre la dignité humaine et la dignité de la vie humaine.
Montrer que la loi naturelle et la loi individuelle peuvent diverger.
1° Morale, éthique et bioéthique.
On confond parfois morale et éthique si bien que les deux mots sont utilisés indifféremment dans de nombreuses publications ; or la morale n’est pas l’éthique :
la morale est un ensemble de règles que les hommes suivent ou disent vouloir suivre dans leur vie personnelle et sociale. Elle est assortie d’obligations et d’interdits ayant une exigence d’universalité ainsi que de contraintes librement consenties. Pour le chrétien, le fil guide de sa morale est d’accomplir le projet de Dieu pour les hommes :" « il faut faire le bien et éviter le mal » et ceci pour accueillir le bonheur auquel Dieu nous a destiné.
L’éthique vise une vie accomplie sous le signe d’actions bonnes. En ce sens, elle se rapproche de la pratique alors que la morale se situe plus au niveau des valeurs. Elle s’appuie sur l’analyse du fondement de la morale et surtout sur un questionnement critique or les questions évoluent avec les avancées de la science et les évolutions de la Société. La bioéthique s’intéresse plus particulièrement aux problèmes de l’interface entre la technique et le vivant. Il ne s’agit pas d’une réflexion purement spéculative puisqu’elle concerne des prises de décisions à propos de situations concrètes intéressant soi-même mais aussi autrui. C’est précisément cette intervention sur autrui qui conduit la Société à établir une protection.
2° Faut-il légiférer sur la bioéthique ?
La protection d’autrui a conduit la société à définir des règles qui sont les lois humaines. La Société cherche par ces lois à protéger les citoyens en particulier ceux qui sont les plus vulnérables : les enfants, les personnes âgées, les handicapés physiques ou mentaux. La loi place une césure entre ce qui est permis et ce qui est interdit avec pour corollaire le devoir pour la Société de sanctionner la transgression.
Mais le contenu de la loi est un produit de la Société. Il est par conséquent influencé par l’opinion de ceux qui la produise et la promulgue. Il n’est pas obligatoire que le « permis » et « l’interdit » découlant de la loi recouvre exactement le bien et le mal tel que défini par exemple par la morale chrétienne. Dans un même ordre d’idée, ce qui n’est pas interdit par la loi, risque d’être perçu par certain comme bon ou au moins permis.
Légiférer dans le domaine de la bioéthique n’est pas anodin ni facile. Ceci explique que dans des domaines sensibles où une nouvelle loi heurte la conscience de nombreux citoyens, le législateur puisse recourir soit à une voie de contournement qu’est la dépénalisation (loi sur l’avortement), soit à une période probatoire comme c’est le cas actuellement en France. Cette dernière s’apparente à une démarche à petits pas.
Pour conclure sur ce thème de la législation sur les questions bioéthiques, les décideurs doivent avoir à l’esprit deux principes de Responsabilité émanant du philosophe allemand Hans Jonas
« il faut parier sur l’improbable comme possible et éviter tout ce qui peut y conduire ».
l’autre a été rappelé par le Comité Consultatif National d’Ethique en 1987 : « il faut prévoir l’imprévisible pour prévenir l’irréversible ». Je vous demande un instant d’appliquer ces deux principes à la recherche sur le clonage humain. Que l’on soit croyant ou athée, il est évident que ce clonage ne doit pas rester confisqué par les scientifiques et qu’une interdiction est une mesure prudentielle qui s’impose.
3° La position « finaliste vs la position déontologique.
Lorsque l’on se penche sur les travaux des Comités de Bioéthique, on peut constater que deux positions fondamentales se dégagent. De quoi s’agit-il ?
La position finaliste ou téléologique (du grec télos : le but, la finalité) se fixe pour objectif la réalisation du Bien. On juge avant tout le résultat de l’acte. Les conséquences, même prévisibles et parfois critiquables de cet acte, font partie du cadre de sa valeur morale mais comme des effets collatéraux. L’acte doit maximaliser le Bien (ou le Bonheur) et minimaliser le Mal (ou le Malheur). L’évaluation du choix se fait au cas par cas. Il s’agit à l’évidence d’un choix utilitariste. Pour atteindre ce qui est considéré comme un bien, tout est permis. La bonne fin justifie les moyens.
Prenons pour exemple la fécondation in vitro intra-parentale. Elle est téléologiquement acceptable puisqu’elle donne un bonheur à un vrai couple et l’enfant désiré qui naitra va vivre dans sa vraie famille génétique… mais à ce bien s’oppose un mal qui est le devenir des embryons surnuméraires congelés qui sont, si je peux m’exprimer ainsi le prix à payer, le moindre mal, un effet « collatéral ».
• la position déontologique ( du grec déontos : ce qui doit être) privilégie l’action par devoir moral. Elle s’appuie sur de grands principes fermes, définitifs, universels et intemporels. Une décision qui enfreint un des grands principes moraux est un mal et rien ne peut le transformer en bien. Un moindre mal n’est jamais un bien. La valeur fondatrice du principe disparaît si on fait des exceptions. Prenons par exemple l’euthanasie active. Même dans des cas particuliers comme les cas Sébire ou Humbert ; selon la position déontologique, l’euthanasie active n’est pas admissible car elle transgresse un grand principe : « Tu ne tueras pas ».
Sans anticiper sur la suite de mon exposé, vous pouvez discerner que ce qui est en jeu dans ces deux positions et donc dans leurs applications aux cas concrets, c’est l’origine fondatrice des principes… Est-elle humaine ou transcendantale ?
4° Dignité humaine vs Dignité de la vie humaine.
Cette référence à la dignité est un support essentiel dans les débats éthiques et en particulier en Bioéthique.
La première phrase de « l’Instruction Dignitas Personae » est la suivante : « La Dignité de la personne doit être reconnue à tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle ». Cette phrase pose le problème de la distinction entre la dignité humaine et la dignité de la vie humaine. Vous savez que le mouvement « Droit de mourir dans la Dignité » appuie sa dialectique sur la préservation de la Dignité humaine mais ce faisant, les promoteurs de ce mouvement éludent le problème de la différence entre Dignité humaine et Dignité de la vie humaine.
Le philosophe Habermas qui est souvent cité en référence pour expliquer cette différence énonce que La dignité humaine est établie par la Morale (ensemble de règles que l’homme doit suivre dans sa vie personnelle et sociale) alors que le respect de la Dignité de la vie humaine qui concerne l’embryon, le fœtus, l’enfant, l’adulte quelle que soit son âge est établi par l’Ethique ; en ce sens elle est une réponse à un questionnement éthique sur la préservation de la vie.
Si l’on applique cela à la fin de vie, il apparaît clairement que les défenseurs du Droit de mourir dans la Dignité appuient leur argumentation sur la souffrance physique, morale et parfois spirituelle du malade mais aussi des proches. Mais ils ne peuvent pas se référer à la Dignité humaine pour soutenir leur revendication puisque celle-ci n’est pas estimable ni quantifiable. La Dignité humaine s’éprouve, elle ne se prouve pas. Inversement les opposants à l’euthanasie active, même chez les non-croyants font reposer leur position sur la dimension éthique qui est le respect de la Dignité de la vie humaine qui conduit à respecter la vie jusqu’à la mort naturelle.
Cette réflexion nous conduit à nous interroger sur la distinction entre La Loi Naturelle et la loi individuelle.
5° Loi naturelle vs loi individuelle
Il existe une certaine difficulté à comprendre aujourd’hui le concept de ‘ « loi naturelle ». Le Pape Benoit XVI est bien conscient de cette difficulté puisque dans un discours récent il déclarait à propos de la loi naturelle : « il s’agit d’un terme devenu aujourd’hui presque incompréhensible pour de nombreuses personnes, à cause d’un concept de nature non plus métaphysique mais seulement empirique », il ajoutait « en raison de l’influence de facteurs d’ordre culturel et idéologique, on a perdu l’évidence originelle des fondements de l’être humain et de son action éthique ».
Allons un peu plus au fond des choses :
la loi naturelle est une déclinaison de la création de l’homme. En créant l’homme à son image et à sa ressemblance, Dieu a inscrit dans le cœur de celui-ci la loi de son propre développement en le créant doué de raison, d’intelligence et de liberté. Le contenu éthique de la foi chrétienne est inscrit dans la nature humaine. Dans son ouvrage « la somme théologique » Saint Thomas d’Aquin utilise le terme de « loi éternelle » soulignant ainsi son caractère immuable.
La loi naturelle est consubstantielle de la foi chrétienne. Elle invite l’homme par son intelligence à « faire le bien et éviter le mal ».
La dérive relativiste sur laquelle nous reviendrons, qui selon les termes de Benoit XVI « blesse dramatiquement la société » peut conduire à ne plus respecter la vie humaine elle-même en ne respectant plus la loi morale naturelle.
Par opposition à la loi naturelle qui est d’origine immanente, l’homme se construit une « loi individuelle » sur mesure, au service de ses intérêts privés.
Il ne s’agit pas d’opposer d’une manière manichéenne la loi naturelle qui serait bonne et la loi individuelle qui serait mauvaise, mais cette dernière est suspecte dans la mesure où elle peut être sous l’influence de ce que certains théologiens moralistes appelaient les trois libidos classiques : le désir de savoir, l’appétit de jouissance et la volonté de puissance.
On ne peut s’empêcher de penser que nombre de scientifiques qui développent leur recherche sur le clonage humain ou sur la gestation pour autrui transgressent la loi naturelle et sont potentiellement « instrumentalisés » par l’une ou plusieurs de ces libidos.
Je viens de terminer la première partie de mon exposé, je vais maintenant envisager les principales étapes historiques de la réflexion éthique qui nous permettront de déboucher sur les problématiques de la période actuelle. Ce balayage rapide va nous montrer que les réponses à la question : « Qu’est-ce que l’homme ? » ont profondément évolué au fil du temps. Or ces réponses conditionnent la réflexion éthique.
II – Principales étapes historiques de la réflexion éthique.
La prise de conscience de l’importance de la réflexion éthique date de l’antiquité. Dans les civilisations grecques et romaines, l’homme n’est qu’une partie constituante de la nature. Le Bien est inscrit dans les êtres et la formule « connais-toi toi-même » située sur le temple de Delphes signifie retrouve en toi, le Beau, le Vrai et le Bien. A cette époque, l’activité rationnelle est la prudence qui permet de déterminer la juste mesure, le juste milieu, l’équilibre le meilleur possible. Toutefois, chaque homme n’est pas pensé comme un être unique si bien que ces civilisations s’accommodent de deux pratiques que nous jugeons inhumaines : l’infanticide et l’esclavage.
La pensée chrétienne avec l’expansion du christianisme dans le monde romain durant les quatre premiers siècles après J.C. va marquer un changement fondamental : l’homme ne dépend plus de la nature mais de Dieu et l’homme créé à l’image de Dieu est une personne. Cette conception a été préparée par le Judaïsme qui, entre autre, décrivait dans certains textes, la filiation. Rappelez-vous les textes de l’Ancien Testament ; par exemple le Premier Livre des Chroniques qui rapporte les généalogies depuis Adam puis celles des Fils d’Israël. La valeur fondamentale de la personne a été mise en exergue par les Pères de l’Eglise et en particulier par Saint Augustin ; la personne humaine est un être unique, créé par Dieu, aimé de Dieu, irremplaçable. Cette conception a été reprise par le philosophe contemporain Emmanuel Mounier dans son ouvrage « Le Personnalisme » dans lequel il insiste sur l’intériorité inviolable de l’homme, sur sa liberté qui peut le conduire à choisir le bien ou le mal et sur sa relation singulière avec un Dieu unique en trois personnes.
Un bouleversement va survenir à partir du XVIIème siècle avec Galilée, Descartes et les différents penseurs de l’époque. C’est la période des Lumières. On passe d’un monde clos à un univers infini. On assiste à une révision des conceptions philosophiques, théologiques, politiques et sociologiques. L’homme se découvre lui-même comme un être qui se déclare libre et autonome. Mais durant les siècles suivants, l’idée que la morale ne peut partir que de l’intérieur de l’homme comme le pensait Kant va être mise à mal. On tend à penser que la morale provient de l’extérieur de l’homme.
L’homme est en quelque sorte mis en question car il découvre qu’il ne peut dominer ses passions comme en témoigne par exemple la Terreur , moins de cinq ans après les déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. En fait, l’homme découvre qu’il n’est pas libre. C’est la période des « philosophes du soupçon ». On se met à penser que l’homme serait sous l’influence dominante de l’environnement social (avec Marx puis les sociologues), il n’y aurait ni valeurs ni transcendance (avec Nietzsche : « Dieu est mort ») et l’inconscient psychique humain serait incontrôlable puisque acquis dans l’enfance comme le pense Freud. Ces diverses théories ont abouti à ce que l’on a appelé « la mort de l’homme » elles sont en grande partie dominées et expliquées par l’abandon de Dieu. Mais l’homme s’aperçoit une nouvelle fois qu’il est nu.
Aujourd’hui, avec le retour du religieux au sens large, après le « désenchantement du monde » pour reprendre la formule de Marcel Gaucher, l’homme se redécouvre. Il cherche à affirmer sa valeur et sa dignité, prend conscience de sa finitude et de sa relation avec les autres hommes et pour certains, d’une relation intime avec un Autre avec un grand A qui est Dieu en trois personnes pour les chrétiens.
Ce survol de l’origine des théories éthiques permet de percevoir que nous tendons vers un retour aux sources du judéo-christianisme même si cela n’est pas perçu clairement, ni par principe, pour certains accepté. Pourquoi aujourd’hui l’éthique et la bioéthique deviennent-elles si importantes en ce début du 21ème siècle !
Je vous propose cinq explications :
1° la pensée occidentale en s’écartant du religieux qui fondait ses valeurs morales a laissé place au développement d’un individualisme grandissant au sein d’un monde où la société est pluraliste.
2° l’agir occidental est placé sous l’influence d’une pensée instrumentalisée par la technique, le sensoriel (en particulier les émotions), l’esthétique, influence amplifiée par les loupes déformantes des médias. Cet agir privilégie le court terme ce qui limite le recours a une réflexion approfondie sur les conséquences à long terme.
3° le corps humain est menacé de devenir un instrument, une chose, qui peut être manipulée et cela pose le problème du risque de mise en péril de l’humanité de l’homme.
4° il y a eu Auschwitz mais aussi d’autres exemples comme plus prés de nous Guantanamo. L’homme peut donc être déshumanisé par l’homme. Il faut se rappeler à ce propos que l’éthique contemporaine est née avec le code de Nuremberg en août 1945.
5° l’évolution fulgurante de la médecine et de la biologie ouvre les portes à ce qui était inimaginable il y a cinquante ans et ceci dans un contexte marqué par la pensée positiviste, par la revendication de l’assouvissement des désirs, par la mort occultée et par l’hédonisme.
Nous quittons cette deuxième partie de mon exposé consacré à l’histoire de l’évolution éthique et bioéthique. Abordons la troisième et dernière partie, en tentant de répondre à la question : en quoi les fondements de la Société et du Christianisme les conduit à diverger sur la bioéthique ?
III. Les fondements de la Société et du Christianisme expliquent leurs divergences sur la bioéthique.
1°. Quel lien entre les fondements de la Société actuelle et sa position sur la bioéthique ?
Les sociétés occidentales sont sous l’influence d’une double dérive, la dérive positiviste et la dérive relativiste. Le positivisme est une prise de position philosophique, qui paradoxalement vise à récuser toute philosophie puisqu’il se fonde sur le principe selon lequel la connaissance s’impose à priori. Il tend par conséquent à rejeter les valeurs si celles-ci s’opposent ou limitent les applications des acquis scientifiques. Le positivisme ne s’intéresse pas au « pourquoi faire ceci ou cela » ni « au faut-il faire ceci ou cela » mais à « comment le faire ». La technicité tente de s’imposer par tous les moyens. Le relativisme qui considère que tout se vaut, tend à justifier n’importe quelle pratique dès lors que les groupes humains souhaitent cette pratique.
Dans cette perspective, les dérives actuelles résident dans le fait de vouloir faire des lois qui répondent au désir des personnes. Cette attitude s’appuie sur les principes de la démocratie, voire sur sa variante à la mode : « la démocratie participative » en mobilisant si besoin des groupes de pression sans se préoccuper du droit naturel. Pour se donner bonne conscience, il est classique de faire référence à la « Sincérité » qui est la terminologie pour dire que l’on s’appuie dans ces décisions sur une vérité subjective.
Appliquée à la bioéthique, cette orientation positiviste et relativiste conduit à des choix de mise en pratique, dès que possible techniquement, des acquis de la biologie selon un processus que l’on peut qualifier d’évolutionniste.
Pour illustrer ce qu’est cette démarche bioéthique évolutionniste, j’aimerais vous décrire les quatre étapes que l’on a pu voir se développer, par exemple pour le cas des mères, ou plutôt des « femmes porteuses » ou le cas de l’euthanasie active :
Première étape : on pratique des essais abusifs avec infraction aux règles éthiques en vigueur. Un individu ou une équipe applique en catimini son innovation ou son désir.
Deuxième étape : La Société réagit ; on assiste à une normalisation, au moins en apparence, par élimination des essais, y compris par voie de justice.
Troisième étape : on voit apparaître des initiatives de tâtonnement institutionnel pour réfléchir sur les problèmes, soutenues par les scientifiques, les bénéficiaires potentiels, les groupes de pression et les médias qui savent utiliser les cas emblématiques pour émouvoir. Ainsi se créent des comités d’éthiques spontanés locaux sans pouvoir réel, comme ce fut le cas en France.
Quatrième étape : enfin se créent des instances normatives comme les Comités d’Ethique Nationaux et se développe une législation spécifique souvent différente d’un pays à l’autre.
Ainsi, à l’issue de ces quatre étapes successives qui se développent plus ou moins rapidement selon la problématique et la culture, une régulation de forme évolutionniste des pratiques biomédicales se produit. Celle-ci fait appel, parce que ce n’est pas anodin et qu’il faut une crédibilité, aux experts, aux argumentations, aux discussions aux partages d’informations puis les décisions sont prises sous forme d’une loi ou d’un décret, plus rarement d’une période probatoire ou d’un refus, au moins pour un temps.
Vous avez probablement saisi que le fondement de la bioéthique dans nos sociétés occidentales s’est détaché de la morale chrétienne qui est par essence transcendantale.
L’homme a acquis ou pense avoir acquis une autonomie qui lui permet d’exprimer sa puissance et de s’immiscer dans les domaines de la création de la vie, de la manipulation des structures de l’être humain, de l’interventionnisme sur le processus naturel des fins de vie.
Les moteurs de ces décisions bioéthiques ne sont pas univoques. Il peut s’agit de l’orgueil de certains chercheurs, de la cupidité car l’application de ces innovations sont rémunératrices ou parfois du simple désir d’appliquer sans limites les acquis des connaissances scientifiques. Ainsi l’homme cherche à quitter le statut de « co-opérateur » et de « co-gestionnaire » que lui a confié Dieu en le chargeant de protéger la terre et les vivants. Il veut devenir « co-créateur », voire « créateur » s’il recourt à certaines manipulations génétiques pour façonner un homme nouveau ou peut-être pour créer une copie d’homme par le clonage.
Nous venons de voir comment les Sociétés occidentales tendent à adapter leur réflexion bioéthique au fur et à mesure des découvertes scientifiques dans le domaine de l’interface entre l’homme et la biologie.
2°. Quel lien entre les fondements du Christianisme et sa position sur la Bioéthique ?
Regardons maintenant la position du Christianisme et plus particulièrement de la Religion Catholique sur la Bioéthique à travers les propositions du Magistère. Ces propositions ont été consignées pour une partie d’entres elles dans le document : « Instruction Dignitas Personnæ ». Ce document complète et surtout actualise l’ « Instruction Donum Vitæ » qui date d’une vingtaine d’années.
Une lecture qui s’intéresserait simplement aux conclusions de chaque thème abordé peut-être résumée en un mot : opposition :
- opposition à toutes les techniques de fécondation hétérologue et de fécondation artificielle homologue.
- opposition à toute fécondation in-vitro
- opposition à la congélation d’embryons ou d’ovocytes.
- opposition à la réduction embryonnaire en cas de grossesses multiples.
- opposition au diagnostic pré-implantatoire et au diagnostic prénatal
- opposition à toute forme de contraception non naturelle
- opposition aux manipulations de l’embryon et du patrimoine génétique humain ; toutefois l’opinion est plus nuancée pour les thérapies géniques et pour l’utilisation de cellules souches, à conditions que celles-ci soient des cellules souches adultes.
- opposition au clonage humain.
- opposition à toute forme d’euthanasie active
Ces « non » sont pour la plupart vous l’avez perçu, un « non » à toute pratique potentiellement ou authentiquement eugénique.
_ Nous connaissons les réactions de nombreux scientifiques ou intellectuels, de la majorité des médias et d’une partie importante de nos concitoyens à ces positions de l’Eglise : L’Eglise est figée, conservatrice, ringarde, hostile aux progrès. Son obscurantisme lui enlève sa crédibilité pour statuer dans ces domaines. Elle mène un combat d’arrière garde. De quoi se mêle-t-elle ? Le pape est trop vieux, il faut qu’il démissionne !
Et pourtant, ces « non » à ces applications à l’homme des progrès scientifiques sont un « oui » ferme et sans ambigüité à l’application des principes anthropologiques fondateurs du Christianisme. Souvenons nous de la première phrase de l’Instruction Dignitas Personnæ que j’ai déjà citée : « La dignité de la personne doit être reconnue à tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle ». Pour tout chrétien la vie est un don et non un dû. L’Eglise catholique ne s’oppose pas à la Science. La connaissance scientifique en soi n’est pas dangereuse, c’est l’utilisation qui peut en être faite qui pose problème. Pour le chrétien, Dieu a créé l’Homme à son image, il a fait l’homme et la femme pour devenir une seule chair par la relation conjugale (Ge.2,24). L’Ecriture ne traite pas précisément de la majorité des problèmes bioéthiques dont nous parlons puisqu’ils ne pouvaient pas se poser à l’époque. L’Ecriture a donné les normes qui sont les commandements et les règles qui doivent déterminer nos choix. Elle énonce la vérité objective. Les prémisses de toute conception éthique sont pour les chrétiens inscrits dans la Loi naturelle. Le vote d’une loi civile ne peut affranchir la Conscience de la loi morale et de ses interdits. La loi civile quelle que soit la qualité de la réflexion qui la précède ne règle pas l’ensemble des conflits de valeurs qui fondent notre condition d’homme. On peut trouver une preuve de cette assertion dans le fait que pour certains problèmes éthiques que nous avons évoqués, les lois sont différentes selon les pays ce qui suggère que les valeurs qui ont présidées à leurs élaborations ne sont pas universelles mais contextuelles.
Aujourd’hui, l’Eglise Catholique est confrontée aux mêmes problèmes, que ceux qu’a rencontré le Christ durant sa vie terrestre. A l’époque, sa conduite et ses paroles ont été jugées excentriques, scandaleuses, déraisonnables. Tous ses actes, tous ses propos ne s’inscrivaient pas dans la voie d’un messianisme temporel conforme aux aspirations de ses contemporains. C’est ce qui l’a mené sur la Croix. l’Eglise Catholique doit consentir à être l’objet de la dérision, de la critique violente, d’agression. C’est le prix à payer pour ne pas se conformer aux désirs plus ou moins délétères d’une partie de la Société.
J’aimerais pour terminer souligner trois points importants :
Premier point :
Pour les chrétiens, l’existence humaine commence dès la fécondation et il existe un continuum de l’œuf fécondé à l’embryon puis au fœtus puis à l’enfant qui nait. L’embryon est une personne en devenir, digne du droit à la vie et à la préservation de son intégrité. Bien que l’on ne puisse pas affirmer que l’embryon est déjà une personne, il doit être traité comme une personne. Cette position s’oppose à celles très fluctuantes des scientifiques et des membres des Comités d’Ethique des divers pays. L’article 16 du Code Civil a instauré le principe du respect de l’embryon mais n’a pas voulu définir cet embryon laissant la porte ouverte à toutes les jurisprudences. Il y a beaucoup d’arbitraire dans la séparation entre l’œuf fécondé, l’œuf implanté dans la paroi utérine qui marque classiquement le début de la période embryonnaire puis le troisième mois où l’embryon devient un fœtus. Savez-vous que jusqu’à ces dernières années un fœtus de moins de 500gr ou de 120 jours de gestation demeurait ce que l’on appelle « un déchet hospitalier » et était traité en cas d’expulsion comme une pièce opératoire !
Deuxième point : Il existe plus que des nuances entre la bioéthique selon les catholiques et celle de nos frères protestants. La bioéthique catholique est déontologique, comme nous l’avons déjà évoqué, elle s’appuie sur des grands principes fermes, définitifs, universels et intemporels. Inversement la bioéthique protestante, très influencée par la culture anglo-saxonne s’appuie sur des composantes pragmatiques et utilitaristes. Elle est orientée vers le traitement des problèmes au cas par cas. Devant chaque situation, il y a débat mais aucune norme impérative ni instruction précise n’est édictée. Nos frères protestants se plaisent à rappeler la formule de St Paul « Tout est permis mais tout n’édifie pas » (1Co1-12) Pour eux rien n’est sacré si ce n’est Dieu ; la vie humaine doit être respectée mais elle n’est pas sacrée. C’est à l’homme de décider dans le concret de sa conscience.
Troisième point : être chrétien c’est avoir le souci des autres, c’est ne pas fermer les yeux sur la souffrance et être prêt à agir. L’Eglise ne s’y est pas trompée, elle ne se pose pas simplement en censeur vis à vis des innovations que propose la recherche scientifique et vis à vis des interventions pour abréger la souffrance en fin de vie. Ne perdons pas de vue qu’hormis quelques situations particulières, derrière beaucoup de demandes il y a selon les cas, un espoir, un désir d’amour, mais parfois aussi une crainte, un désarroi, un épuisement ou une véritable détresse. L’attitude des chrétiens confrontés à un discernement éthique préalable à la prise de décision ne doit pas éluder ces problèmes. Par exemple un médecin ne peut pas face à une demande, se retrancher simplement derrière une clause de conscience ou refuser sans expliquer, voire convaincre. Il doit faire preuve de compassion, d’empathie pour expliquer son choix. Il doit si besoin se faire aider par d’autres personnes compétentes pour proposer des alternatives ou toutes formes de secours. Cela demande beaucoup de temps, un certain courage pour dire et surtout faire comprendre que la vérité objective devrait l’emporter sur la vérité subjective.
La présentation d’alternative comme par exemple l’adoption ou des soins palliatifs dignes de ce nom sont des exemples pour aider les personnes en détresse ou soulager la souffrance physique ou morale. Ces alternatives ne dépendent pas seulement de protagonistes isolés qui sont confrontés à un problème concret mais elles concernent toute la société et dans ce domaine, il est important que les Etats généraux de la Bioéthique n’éludent pas l’importance de favoriser la solidarité entre les hommes et l’organisation globale des soins.
Conclusion
J’espère vous avoir convaincu que nous ne pouvons pas rester étranger au débat sur la bioéthique, que l’on soit croyant ou non. Bernanos proclame : « le démon de mon cœur s’appelle à quoi bon ? ». Écoutons donc Saint-Exupéry qui écrivait dans La Citadelle « le simple berger lui-même qui veille ses moutons sous les étoiles, s’il prend conscience de son rôle, se découvre plus qu’un berger, il est une sentinelle et chaque sentinelle est responsable de tout l’empire ».
Raymond Colin Avril 2009.
L'embryon humain : regard des principales religions.
Quel regard portent les différentes religions sur l'embryon humain ?
Sans faire un parcours complet de l'Histoire des religions, nous choisissons de donner le point de vue des grandes religions et traditions spirituelles qui concernent le monde occidental, c'est pourquoi nous considèrerons successivement, par ordre d'apparition dans l'Histoire :
le Bouddhisme (qui n'est pas une religion ), le Judaïsme, le Christianisme (et nous distinguerons la position de l'Eglise catholique et des Eglises protestantes) et enfin l'Islam.
Le bouddhisme : La suprême sainteté de la vie humaine.
Il s'agit d'une tradition spirituelle dont le fondateur est Bouddha, personnage du 6ème siècle avant Jésus Christ. Nous la considérons en raison de l'intérêt que le bouddhisme suscite aujourd'hui, comme sagesse, comme voie spirituelle. L'existence humaine prend une valeur particulière dans la pensée bouddhique, celle de permettre à l'homme, à la suite de l'expérience du Bouddha, l'éveillé, de reconnaître la souffrance pour s'en affranchir. L'individu est constamment renvoyé dans le Bouddhisme à sa propre responsabilité à partir des grands principes du Bouddha. C'est à chacun de choisir, de se déterminer, sans notion d'interdits ou de commandements, étrangers à la pensée bouddhique.
Le principe fondamental d'où découle les avis sur l'embryon est celui de la suprême sainteté de la vie humaine, et de toute forme d'existence en général. La suprême sainteté de la vie humaine a la priorité sur toutes les autres considérations. En effet, la vie humaine dans l'approche bouddhiste est extrêmement difficile à acquérir et permet seule de réaliser la délivrance du cycle existentiel des réincarnations successives. La biologie montre qu'un embryon résulte de la fusion de deux gamètes mais le bouddhisme postule qu'outre ces deux éléments, un troisième est nécessaire à la vie : le continuum de conscience. Ainsi lorsque les conditions physiologiques se réalisent dans un contexte favorable, la force psychomentale pénètre et soutient l'embryon, selon une parole du Bouddha : "Là, O moines, où les trois éléments se trouvent en combinaison, un germe de vie est planté. Ainsi…si le père et la mère s'unissent, si l'époque pour la mère et l'être à renaître est propice alors par la conjonction de ces trois éléments, un germe de vie sera planté." (Sutta_Pittaka, Lahgula-Nikya, I, 265-266, Cannon Pali).
Ainsi pour le bouddhisme, tuer est la première action négative. L'avortement correspond à une suppression de vie, à n'importe quel stade que ce soit. Un embryon in vitro est un germe de vie et doit être protégé comme une personne humaine. Mais le caractère négatif d'un acte est considérablement diminué si c'est la compassion qui l'a motivé.
le Judaïsme : une considération biblique et juridique de l'embryon.
dans le judaïsme, l'être humain est considéré dans son unité : le corps et l'esprit forment un tout inséparable. Le respect de la vie est absolu, sacré, inviolable. La vie humaine a une valeur infinie parce qu'elle est un don de Dieu et parce que l'homme est fait à l'image de Dieu. Mais le fœtus est-il un être vivant ? "Les sources talmudiques ne donnent pas d'indication claire en la matière. Rachi (Sanh 72b) et tosaf. Nid 44a semblent indiquer qu'un fœtus ne peut être considéré comme un être vivant. Néanmoins d'autres considérations doivent entrer en ligne de compte, parmi lesquelles l'interdiction d'infliger des blessures corporelles, de détruire la semence humaine, et de causer un dommage financier ou touchant la propriété…Toutes les autorités rabbiniques s'accordent donc à dire que, pour des raisons sociales et économiques, l'avortement est contraire à la loi juive." citation de l'article "avortement" dans le Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, édition Cerf.
Ainsi, l'avortement peut être lié à l'interdiction de tuer lorsque le fœtus est jugé par la Halakah comme un être humain. L'avortement est considéré comme une absurdité fondamentale et avorter, c'est aller à l'encontre de l'histoire et diminuer les chances messianiques. Cependant, les rabbins, en se fondant sur le Talmud, qui constitue un élément de la Tradition juive, différent de la Bible, considèrent qu'un avortement avant le quarantième jour est licite car le Talmud affirme qu'un fœtus n'est formé qu'après cette période. "Mais cela ne signifie pas qu'avant le quarantième jour il n'y a rien. La position juive ne doit pas être prise comme une base de permissivité. Elle est une construction juridique qui a d'abord pour but de fonder des règles de droit." précise le rabbin Gilles Bernheim (cité par le Monde du 20 12 2000). Cmme il n'existe pas d'autorité suprême pour le judaïsme (comme le Pape), les points de vue divergent quant à l'avortement thérapeutique : la plupart des autorités rabbiniques s'accorderaient à n'autoriser un avortement que dans le cas où la vie de la mère est en danger, d'autres l'acceptent en cas de maladie ou de malformation fœtale grave du fœtus.
l'Église catholique : la valeur inviolable de la vie humaine dès la conception.
Dès les premiers temps de l'Église, les chrétiens se comportaient dans la société comme les autres mais ils avaient ceci de particulier : ils refusaient toute atteinte à la vie et l'avortement, comme l'atteste un ouvrage du 2ème siècle, la Didaché. La morale médicale catholique a fait sienne les normes de l'éthique hippocratique (le serment d'Hippocrate énonce entre autre : "je ne procurerai pas de pessaire abortif"), en les valorisant avec le concept de sacralité de la vie comme don de Dieu, selon les textes bibliques.
Le Magistère de l'Église c'est à dire le Pape en communion avec les évêques, a constamment confirmé le respect de la vie naissante dès la conception. Il est vrai cependant qu'au moyen-âge, dans l'émulation intellectuelle des grandes universités européennes redécouvrant la richesse des philosophes de l'antiquité comme Aristote et Platon, saint Thomas d'Aquin s'appuyant sur l'embryologie erronée d'Aristote, a développé une théologie de l'animation de l'embryon situé à 40 jours pour l'homme et 60 jours pour la femme. Cette position ne l'empêchait pas d'affirmer que l'on ne pouvait pas pour autant attenter à la vie humaine avant l'animation de l'embryon. Cette pensée n'a jamais été validée par le Magistère de l'Église qui ne s'est pas prononcé à ce jour encore sur le moment de l'animation de l'embryon.
Par contre, l'Église accorde une valeur prééminente à la dignité de la personne humaine dans son unité corps et esprit. Ceci amène à considérer la vie physique humaine comme valeur fondamentale qui prime sur toutes les autres parce que toutes les autres valeurs de la personne présupposent l'existence physique de l'individu.
Ainsi l'embryon par ses caractéristiques génétiques qui font de lui dès la conception un individu humain doit être considéré comme une personne et donc respecté et traité comme toute personne. C'est pourquoi l'Église catholique, même si elle comprend profondément les motivations parfois très douloureuses qui poussent des couples ou des femmes à demander une interruption de grossesse, elle ne peut reconnaître aucune exception permettant de pratiquer un avortement car il s'agit toujours de mettre fin à la vie d'un être innocent. De même, la recherche sur l'embryon est possible à condition qu'elle ne détruise pas l'embryon.
les Eglises protestantes : l'embryon créature aimée de Dieu dès la conception ou projet parental l'humanisant ?
La Réforme protestante est née au 16ème siècle avec Luther et Calvin comme principaux fondateurs, mais les Eglises protestantes ne disposent d'aucun Magistère : elles s'appuient sur l'autorité de la Bible et le libre examen de ces Ecritures par le croyant; elles ne présentent donc que des éléments de réflexion éthique proposés à l'attention de tous : "l'éthique protestante se présente essentiellement comme une éthique de la responsabilité" comme l'écrit le Pr. Collange, membre du CCNE. Cette éthique vise à bien saisir le rapport entre la vie et la vérité révélée par la foi, à éclairer par l'Evangile les questions du monde d'aujourd'hui : "comment situer dès lors l'humain, celui dont le Christ a revêtu la forme, et comment préserver sa dignité ?" (citation du groupe de travail bioéthique de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, Lausanne et Berne, avril 1987).
Mais la réponse ou les éléments de réflexion vont considérablement varier d'une Eglise protestante à l'autre : on trouvera des positions qui défendent de façon absolue le caractère inviolable de la vie de l'embryon. Mais on trouve aussi une réflexion très différente exprimée par l'idée de "projet parental" qui donne à l'embryon, en particulier dans le cadre des Fécondations in Vitro une valeur humaine ou non. Ainsi s'exprime le Pr. Collange :"on affirme que la vie humaine n'est pas pur processus biologique, mais qu'elle ne s'humanise que portée par des projets, des échanges, de l'amour, et des paroles qui donnent sens et engagent ceux qui les profèrent." C'est pourquoi l'avortement et la recherche sur l'embryon peuvent être éthiquement des choix acceptables dans le cadre de cette éthique protestante, l'avortement comme un moindre mal, et la recherche quand l'enfant ne peut pas faire l'objet d'un projet parental.
Peut-être en marge cet extrait du doent : "bilan et réflexions sur l'interruption volontaire de grossesse publiée par la Fédération Protestante de France : " La Commission Éthique de la Fédération Protestante a fait apparaître quelques points de désaccord formulés unilatéralement par certains, qui sont précieux car ils expriment de vraies questions. 2.1. Pour certains, Dieu a donné la vie et une même valeur à l'être humain dès sa conception (psaume 139 : 13-16), et avant même sa venue au monde, le Seigneur aime sa créature, Il a un plan pour sa vie (Juges 13: 5 ; Jérémie 1 : 5 ; Luc 1 : 41-44). L'avortement constitue donc le meurtre d'un être humain. La notion de détresse sociale ne peut justifier un tel acte, et il est de notre responsabilité de contribuer à répondre à cette détresse d'une autre manière : celle que Jésus nous a enseignée dans Son amour. Cette question ne reste ouverte que dans le cas où la vie de la mère est en danger. 2.2. Pour d'autres, il faudrait affirmer que l'interdiction de l'IVG reviendrait à une non personne en danger, et il s'agirait plutôt d'améliorer la Loi Veil, en la précisant..."
L'Islam : l'embryon considéré comme un être humain quand il a reçu le souffle divin.
C'est la notion de la personne humaine qui conditionne le comportement du croyant musulman vis à vis de l'embryon. La Charia, qui constitue l'ensemble des lois canoniques de l'Islam comprend divers textes : le Coran, texte sacré, intangible et le Hadith, tradition rapportant les actes et les paroles du Prophète Mahomet. A côté de ces textes fondamentaux, les juristes ont introduit d'autres textes qui sont des sources de l'Islam, comme initiative jurisprudentielle qui permettent la réflexion, qui éliminent toute solution figée et autorise le croyant musulman à une position évolutive vis à vis des questions nouvelles liées aux biotechnologies. L'attitude du musulman face aux questions bioéthiques reste délicate car "il n'y a pas de clergé en Islam et c'est au croyant de faire face à ses responsabilités et de prendre une décision" (citation deDr Fakher Ben Hamida, directeur honoraire de recherche au CNRS, ancien membre du CCNE in Médecine et droits de l'homme, 120 cas, Conseil de l'Europe).
Dans la sourate II du Cran, verset 228, il est précisé que la femme divorcée doit attendre 90 jours avant de se remarier . La femme devenue veuve (sourate II, verset 234) devra attendre 130 jours, avant de se remarier, pour la même raison d'éviter la confusion de paternité. "Donc implicitement le Coran accorde une marge de 90 à 130 jours soit 3 mois à 4 miis et 10 jours, période pendant laquelle le fœtus prend forme humaine. Au travers de ces versets du Coran et se basant sur un hadith du prophète Mouhamad et dans lequel il est dit que Dieu a insufflé "el rouh", c'est à dire la vie, le souffle spirituel au fœtus, à trois mois et une semaine, on peut conclure que la réalité de la personne humaine se situe dans l'embryon dans la première semaine du quatrième mois soit au centième jour de la grossesse." (idem).
Ainsi l'avortement est licite avant le centième jour dans la mesure où le fœtus présente une anomalie. La recherche sur les embryons surnuméraires et le clonage thérapeutique seraient alors licites à condition qu'ils aient pour finalité le bien de l'humanité.
D'autres savants musulmans, comme le Pr. Sari Ali disent que le statut d'être humain est constitué au120ème jour par la réception de l'esprit, après un développement en trois phases de 40 jours. Entre temps l'embryon est une chose qui n'a pas de nom, il ne peut hériter, il n'est pas un fils. On peut faire une IVG sans problème avant le 120ème jour, mais après 120 jours c'est un meurtre. D'autres savant encore, estiment que l'embryon ne doit pas être considéré comme un être humain avant le quarantième jour suivant sa conception, qui correspond au stade de l'animation.
Il y a donc un temps d'au moins 40 jours où l'embryon n'étant pas animé, n'est pas considéré comme un être humain.